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Date : 20230110


Dossier : T‑735‑20

Référence : 2023 CF 30

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 10 janvier 2023

En présence de madame la juge en chef adjointe Gagné

ENTRE :

CHRISTINE GENEROUX,

JOHN PEROCCHIO et

VINCENT PEROCCHIO

demandeurs

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1] Les demandeurs agissent pour leur propre compte dans la présente demande de contrôle judiciaire, qui doit être entendue par la Cour pendant huit jours en avril 2023 en même temps que cinq autres demandes similaires. Ils demandent à la Cour l’autorisation de déposer un affidavit complémentaire contenant trois nouvelles pièces, ainsi qu’un dossier complémentaire comprenant ces nouveaux éléments de preuve.

[2] Les demandeurs affirment que deux des nouveaux documents ont été [traduction] « récemment publiés » et que l’un d’eux a été [traduction] « récemment découvert ». Ces documents sont les suivants :

i) un document intitulé Recherche sur la sensibilisation du public aux armes à feu – phase 2/3 : propriétaires d’armes à feu, Rapport final, daté du 31 mars 2022, qui a été préparé pour Sécurité publique Canada par Environics Research [le rapport d’Environics];

ii) une transcription de l’enregistrement d’une téléconférence qui a eu lieu le 28 avril 2020 entre la commissaire de la GRC Brenda Lucki et d’autres membres du personnel de la GRC [la transcription de la GRC] qui a été publiée le 21 octobre 2022 ou vers cette date;

iii) un extrait vidéo de 15 secondes d’une déclaration faite par le premier ministre Justin Trudeau sur la Colline du Parlement [l’extrait vidéo de la Colline du Parlement].

I. La question en litige

[3] La seule question soulevée dans la présente requête est de savoir si les demandeurs devraient obtenir l’autorisation de déposer l’affidavit complémentaire.

II. Analyse

[4] L’article 312 des Règles des Cours fédérales [les Règles] dispose qu’une partie peut, avec l’autorisation de la Cour, déposer des affidavits complémentaires en plus de ceux qui ont été déposés dans le cours normal de la mise en état d’une demande de contrôle judiciaire.

[5] Dans l’arrêt Mazhero c Conseil canadien des relations industrielles, 2002 CAF 295, au paragraphe 5, la Cour d’appel fédérale a conclu que, puisque les demandes de contrôle judiciaire sont des procédures sommaires dont la décision ne devrait pas souffrir de retard injustifié, la Cour devrait exercer « avec une grande circonspection » son pouvoir discrétionnaire de permettre le dépôt de documents additionnels après la mise en état du dossier.

[6] Dans l’arrêt Forest Ethics Advocacy Association c Office national de l’énergie, 2014 CAF 88, au paragraphe 4, la Cour d’appel fédérale a fait observer que, pour avoir gain de cause, le demandeur doit d’abord convaincre la Cour que :

1) la preuve est admissible dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire;

2) la preuve est pertinente quant à une question que la Cour est appelée à trancher.

(Forest Ethics Advocacy Association c Office national de l’énergie, 2014 CAF 88 au para 4)

[7] La Cour a ajouté que, même s’il est satisfait à cette exigence, le demandeur doit tout de même la convaincre qu’elle doit, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, rendre l’ordonnance visée à l’article 312 des Règles. Lors de l’exercice de ce pouvoir, la cour de révision doit déterminer, sur le fondement des éléments de preuve dont elle dispose, si l’ordonnance servirait l’intérêt de la justice. Elle doit alors trancher les questions suivantes :

a. Est‑ce que la partie avait accès aux éléments de preuve dont elle demande l’admission au moment où elle a déposé ses affidavits en application de l’article 306 ou 308 des Règles, selon le cas, ou aurait‑elle pu y avoir accès en faisant preuve de diligence raisonnable?

b. Est‑ce que la preuve sera utile à la Cour, en ce sens qu’elle est pertinente quant à la question à trancher et que sa valeur probante est suffisante pour influer sur l’issue de l’affaire?

c. Est‑ce que l’admission des éléments de preuve entraînera un préjudice important ou grave pour l’autre partie?

(Forest, aux para 5‑6, citant Holy Alpha and Omega Church of Toronto c Canada (Procureur général), 2009 CAF 101 au para 2)

[8] En appliquant ces facteurs aux nouveaux éléments de preuve des demandeurs, je suis d’avis que l’autorisation demandée ne devrait pas être accordée.

[9] Premièrement, rien ne prouve que le gouverneur en conseil disposait des documents en question lorsque le règlement contesté a été promulgué. À quelques exceptions près, qui ne s’appliquent pas en l’espèce, le contrôle judiciaire est effectué sur la foi du dossier dont disposait le décideur (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 au para 19).

[10] Deuxièmement, les documents ne sont pas pertinents en ce qui a trait à la décision qu’a prise le gouverneur en conseil en 2020 de promulguer le règlement et ils ne seraient donc d’aucune utilité à la Cour.

[11] Le rapport d’Environics porte sur une recherche d’opinion publique qui a été menée auprès de groupes de discussion en 2022, près de deux ans après la décision faisant l’objet du présent contrôle. Les objectifs de ce rapport sont liés au programme de rachat proposé par le gouvernement, qui ne fait pas l’objet du présent contrôle judiciaire. Les opinions exprimées un an après la promulgation du règlement par un sous‑groupe de propriétaires d’armes à feu qui s’y opposent ne sont pas utiles à l’analyse juridique qu’est appelée à effectuer la Cour pour déterminer si le règlement va au‑delà de ce qu’autorise l’article 117.15 du Code criminel ou s’il contrevient à la Charte.

[12] Après avoir lu la transcription de la GRC, qui, selon les demandeurs, révèle qu’il y a eu entrave à la justice lors de l’enquête sur la fusillade en Nouvelle‑Écosse, je ne vois pas en quoi cette transcription est pertinente en l’espèce.

[13] L’extrait vidéo de la Colline du Parlement montre un bref commentaire qu’a fait le premier ministre Justin Trudeau en 2010, alors qu’il était député de l’opposition. Encore une fois, je ne vois pas en quoi cet extrait est utile à la Cour pour trancher les questions dont elle est saisie.

[14] Troisièmement, il n’est pas dans l’intérêt de la justice d’accorder l’autorisation demandée. Les nouveaux éléments de preuve proposés n’ont pas de valeur probante suffisante pour influer sur l’issue de la demande de contrôle judiciaire sous‑jacente (Forest, au para 6).

[15] Les présentes demandes de contrôle judiciaire ont été déposées il y a plus de deux ans, toutes les parties ont présenté des dossiers volumineux et de nombreuses observations, le dossier a été mis en état en juin 2022, et une audience est prévue. Ce n’est pas le moment d’ajouter des documents à ces dossiers inutilement.

III. Conclusion

[16] La requête des demandeurs est rejetée, car je conclus i) que rien ne prouve que le décideur disposait des pièces que les demandeurs souhaitent faire ajouter à leur dossier; ii) que ces éléments de preuve proposés ne sont pas pertinents quant aux questions que doit trancher la Cour dans les demandes de contrôle judiciaire sous‑jacentes; iii) qu’il ne serait pas dans l’intérêt de la justice d’accorder l’autorisation demandée.


ORDONNANCE dans le dossier T‑735‑20

LA COUR ORDONNE :

  1. La requête en autorisation de déposer des éléments de preuve supplémentaires présentée par les demandeurs est rejetée.

  2. Les dépens afférents à la présente requête sont adjugés au défendeur.

« Jocelyne Gagné »

Juge en chef adjointe

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross, jurilinguiste


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑735‑20

 

INTITULÉ :

CHRISTINE GENEROUX, JOHN PEROCCHIO et VINCENT PEROCCHIO c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

REQUÊTE ÉCRITE PRÉSENTÉE AU TITRE DE L’ARTICLE 312 DES RÈGLES EXAMINÉE À OTTAWA (ONTARIO) CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA JUGE EN CHEF ADJOINTE GAGNÉ

 

DATE DES MOTIFS :

LE 10 JANVIER 2023

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Christine Generoux

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Zoe Oxaal

Jennifer Lee

Vanessa Wynn‑Williams

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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