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Date : 20230310


Dossier : IMM-5522-21

Référence : 2023 CF 329

Ottawa (Ontario), le 10 mars 2023

En présence de l’honorable juge Roy

ENTRE :

AKIM MVANA

Demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

Défendeur

L’ASSOCIATION QUÉBÉCOISE DES AVOCATS ET AVOCATES

EN DROIT DE L’IMMIGRATION

Intervenante

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Cette demande de contrôle judiciaire, autorisée en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [Loi ou LIPR], ne comporte qu’une question. Le demandeur, M. Akim Mvana, argumente que l’alinéa 36(3)a) de la LIPR est inconstitutionnel parce qu’il serait incompatible avec le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, c 11 (R-U) [Charte].

[2] La Section d’appel de l’immigration [SAI] avait dû se prononcer sur la constitutionnalité de l’alinéa 36(3)a) et avait conclu qu’il n’est pas incompatible avec le paragraphe 15(1). C’est de cette décision dont le contrôle judiciaire est demandé.

[3] Un avis de question constitutionnelle, requis en vertu de l’article 57 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7 [LCF], a été dûment donné aux procureurs généraux du pays le 27 juin 2022. Aucune comparution n’a été présentée.

[4] Par ordonnance du 29 juillet 2022, mon collègue le juge McHaffie accordait à l’Association québécoise des avocats et avocates en droit de l’immigration [AQAADI] une requête en intervention pour fournir des observations, précisions et perspectives qui pourraient être utiles dans l’examen des questions juridiques dont la Cour est saisie. L’AQAADI a participé à l’audience; l’intitulé du jugement est modifié en conséquence.

I. Les faits

[5] Le parcours du demandeur au sein du système d’immigration doit être présenté, mais de façon plutôt sommaire puisque la question qui se pose en est une de droit avec incidence mineure des faits.

[6] M. Mvana est né en République démocratique du Congo le 18 avril 1982. Arrivé au Canada en 2007, il a obtenu le statut de réfugié le 10 novembre 2008. Cependant, il était reconnu coupable de voies de fait (para 266a) du Code criminel, LRC 1985, c C-46, après un plaidoyer de culpabilité à l’infraction poursuivie par voie de mise en accusation. Il semble qu’il se soit ainsi évité d’avoir à se défendre relativement à un deuxième chef d’accusation (décision de la SAI du 25 janvier 2017, para 10). Pour l’infraction dont il s’est reconnu coupable, le demandeur a reçu une sentence suspendue et des conditions de probation, en plus de devoir exécuter 100 heures de travaux communautaires. Une mesure de renvoi était émise contre lui faisait l’objet d’un sursis (article 68 de la LIPR) assorti de conditions, pour une période de trois ans (décision de la SAI du 25 janvier 2017, para 18).

[7] Le demandeur était à nouveau accusé d’infractions criminelles qui auraient été commises le 10 mai 2019 :

  • Conduite avec facultés affaiblies (alinéa 320.14(1)a) et article 320.19 du Code criminel)

  • Conduite avec un taux d’alcoolémie supérieur à 80 milligrammes par 1000 millilitres de sang (alinéa 320.14(1)b) et article 320.19 du Code criminel)

  • Entrave d’un agent de la paix (para 129a) et e) du Code criminel)

Il fut reconnu coupable de l’infraction décrite à l’alinéa 320.14(1)b), soit d’avoir conduit avec une alcoolémie égale ou supérieure à 80 milligrammes d’alcool par 1000 millilitres de sang, dans les deux heures suivant le moment où il a cessé de conduire un moyen de transport. Il s’agit là d’une infraction pouvant être poursuivie par procédure sommaire ou par voie de mise en accusation.

[8] Dans le cas du demandeur, la procédure choisie a été la procédure sommaire et, en vertu de l’article 320.19 du Code criminel, la peine maximale lorsque poursuivie par voie sommaire est sensiblement inférieure. Voici d’ailleurs le texte du paragraphe 320.19(1) :

320.19 (1) Quiconque commet une infraction prévue aux paragraphes 320.14(1) ou 320.15(1) est coupable :

320.19 (1) Every person who commits an offence under subsection 320.14(1) or 320.15(1) is guilty of

a) soit d’un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de dix ans, la peine minimale étant :

(a) an indictable offence and liable to imprisonment for a term of not more than 10 years and to a minimum punishment of,

(i) pour la première infraction, une amende de mille dollars,

(i) for a first offence, a fine of $1,000,

(ii) pour la deuxième infraction, un emprisonnement de trente jours,

(ii) for a second offence, imprisonment for a term of 30 days, and

(iii) pour chaque infraction subséquente, un emprisonnement de cent vingt jours;

(iii) for each subsequent offence, imprisonment for a term of 120 days; or

b) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire passible d’une amende maximale de 5 000 $ et d’un emprisonnement maximal de deux ans moins un jour ou de l’une de ces peines, la peine minimale étant :

(b) an offence punishable on summary conviction and liable to a fine of not more than $5,000 or to imprisonment for a term of not more than two years less a day, or to both, and to a minimum punishment of,

(i) pour la première infraction, une amende de mille dollars,

(i) for a first offence, a fine of $1,000,

(ii) pour la deuxième infraction, un emprisonnement de trente jours,

(ii) for a second offence, imprisonment for a term of 30 days, and

(iii) pour chaque infraction subséquente, un emprisonnement de cent vingt jours.

(iii) for each subsequent offence, imprisonment for a term of 120 days.

[9] M. Mvana a été condamné à une amende de 1 600 $ et son permis de conduire lui fut confisqué pour un an.

[10] Le 11 décembre 2020, le Ministre invoque le paragraphe 68(4) de la LIPR pour que soit révoqué de plein droit le sursis de la mesure de renvoi dont le demandeur avait bénéficié. Ce paragraphe se lit ainsi :

68 (4) Le sursis de la mesure de renvoi pour interdiction de territoire pour grande criminalité ou criminalité est révoqué de plein droit si le résident permanent ou l’étranger est reconnu coupable d’une autre infraction mentionnée au paragraphe 36(1), l’appel étant dès lors classé.

68 (4) If the Immigration Appeal Division has stayed a removal order against a permanent resident or a foreign national who was found inadmissible on grounds of serious criminality or criminality, and they are convicted of another offence referred to in subsection 36(1), the stay is cancelled by operation of law and the appeal is terminated.

II. La question qui se pose

[11] C’est de l’article 36 de la LIPR dont il est question. Il s’agit de la disposition de la Loi qui établit une interdiction de territoire par le non-citoyen reconnu coupable de certaines infractions aux lois fédérales. Plus particulièrement, la contestation porte sur l’alinéa 36(3)a). J’ai reproduit l’article 36 en son entier en annexe au présent jugement. Pour les fins immédiates, je reproduis les alinéas 36(1)a), 36(2)a) et 36(3)a) :

36 (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

36 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for

a) être déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ou d’une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé;

(a) having been convicted in Canada of an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years, or of an offence under an Act of Parliament for which a term of imprisonment of more than six months has been imposed;

[…]

(2) Emportent, sauf pour le résident permanent, interdiction de territoire pour criminalité les faits suivants :

(2) A foreign national is inadmissible on grounds of criminality for

a) être déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation ou de deux infractions à toute loi fédérale qui ne découlent pas des mêmes faits;

(a) having been convicted in Canada of an offence under an Act of Parliament punishable by way of indictment, or of two offences under any Act of Parliament not arising out of a single occurrence;

[…]

(3) Les dispositions suivantes régissent l’application des paragraphes (1) et (2) :

(3) The following provisions govern subsections (1) and (2):

a) l’infraction punissable par mise en accusation ou par procédure sommaire est assimilée à l’infraction punissable par mise en accusation, indépendamment du mode de poursuite effectivement retenu;

(a) an offence that may be prosecuted either summarily or by way of indictment is deemed to be an indictable offence, even if it has been prosecuted summarily;

[…]

[12] Le mécanisme dont il est question est plutôt simple. Qui est trouvé coupable d’une infraction punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans, ou d’une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de six mois est infligé, est interdit de territoire (en anglais « inadmissible ») aux termes de l’alinéa 36(1)a). Le législateur a qualifié cette situation en note marginale de « grande criminalité »; on comprend le sens de cette expression lorsqu’on compare la note marginale du paragraphe (1) à celle du paragraphe (2). En effet, le paragraphe (2) parle simplement de « criminalité », plutôt que de « grande criminalité », parce qu’il suffira que la personne ait été trouvée coupable d’une infraction punissable par mise en accusation, indépendamment de la peine à laquelle un accusé s’expose, ou de deux infractions à toute loi fédérale ne découlant pas des mêmes faits. L’interdiction de territoire pour grande criminalité affectera toute personne qui n’est pas un citoyen du Canada y compris un résident permanent. Par ailleurs, le résident permanent n’est pas visé par l’infraction dite de « criminalité »; seule l’infraction dite de « grande criminalité » pourrait le rendre interdit de territoire. Les deux alinéas ont le même effet : interdit de territoire pour qui est reconnu coupable d’une infraction punissable par mise en accusation. Dans le cas pouvant affecter un résident permanent, il faut que l’infraction soit punissable par dix ans d’emprisonnement. Pour les autres non-citoyens la peine d’emprisonnement n’est pas un critère car il suffit que l’infraction soit punissable par mise en accusation (« indictable offence »).

[13] Je note que les alinéas 36(1)a) ou 36(2)a) ne prévoient pas un mode de poursuite. C’est l’infraction punissable d’un emprisonnement de dix ans au moins qui fait en sorte qu’une interdiction de territoire s’ensuit à l’alinéa 36(1)a). Le mode de poursuite, par mise en accusation ou par voie sommaire, n’y est pas précisé. De même, l’alinéa 36(2)a) emporte interdiction de territoire pour qui n’est pas résident permanent mais a été trouvé coupable d’une infraction punissable par mise en accusation. Le législateur n’a donné aucune indication que le mode de poursuite importe. Comme on le voit, l’étranger qui n’est pas un résident permanent peut être interdit de territoire pour une gamme plus grande infraction que le résident permanent.

[14] L’alinéa 36(3)a) fait disparaître toute ambiguïté en précisant que les infractions souvent appelées « hybrides » ou « mixtes », parce qu’elles peuvent faire l’objet d’une poursuite par mise en accusation ou par procédure sommaire, sont considérées comme des infractions punissables par mise en accusation. Il n’importe pas que ladite infraction hybride ait été poursuivie par voie de mise en accusation. Il suffit que l’infraction soit punissable par mise en accusation, le législateur ayant à l’évidence décidé que le mode de poursuite n’importe pas.

[15] Le demandeur et l’intervenante argumentent que l’effet de ce mécanisme de l’article 36 constitue une violation du paragraphe 15(1) de la Charte dont voici le texte :

15 (1) La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

 

15 (1) Every individual is equal before and under the law and has the right to the equal protection and equal benefit of the law without discrimination and, in particular, without discrimination based on race, national or ethnic origin, colour, religion, sex, age or mental or physical disability.

III. La Section d’appel de l’immigration

[16] La SAI devait décider si M. Mvana avait été reconnu coupable d’une infraction constituant de la « grande criminalité » pour que la condition préalable à l’application du paragraphe 68(4) soit présente. Si oui, le sursis duquel il avait bénéficié devait-il être révoqué de plein droit, conformément au paragraphe 68(4) de la Loi? Le demandeur a dès lors invoqué l’inconstitutionnalité de l’alinéa 36(3)a) de la Loi.

[17] M. Mvana ayant été trouvé coupable par voie de procédure sommaire, il plaidait devant la SAI qu’il fallait faire la différence du fait du mode de poursuite. Selon l’argument, par l’effet de l’alinéa 36(3)a) de la LIPR, l’infraction mixte est assimilée aux infractions poursuivies par voie de mise en accusation faisant en sorte que le non-citoyen est interdit de territoire même pour une infraction poursuivie par voie sommaire. Cette assimilation de la procédure sommaire à un acte criminel prive le non-citoyen de la jouissance des effets concrets du choix du procureur de la Couronne de poursuive par voie sommaire. Cette faculté du procureur de la poursuite est présentée comme « un mécanisme fondamental enchâssé dans notre système de justice » (Avis de question constitutionnelle, 27 juin 2022, para 20). Puisque le mode de poursuite changerait la nature sous-jacente de l’infraction, selon M. Mvana, le non-citoyen s’en trouve désavantagé par rapport au citoyen canadien.

[18] La SAI a conclu que l’alinéa 36(3)a) n’est pas discriminatoire au sens de l’article 15 de la Charte. Un argument semblable à celui présenté devant cette Cour par M. Mvana l’a été devant la SAI.

[19] Ce qui est contesté dit la SAI est le régime législatif des renvois. L’argument développé par le demandeur consiste à dire que le non-citoyen reconnu coupable d’une infraction punissable par voie sommaire est étiqueté et traité comme plus dangereux que le citoyen canadien qui serait trouvé coupable de la même manière, par voie de poursuite sommaire, et dans les mêmes circonstances. Malgré qu’il ait été poursuivi par voie sommaire, l’étiquette de « grande criminalité » est imposée au non-citoyen.

[20] La SAI quant à elle considère qu’on ne saurait comparer un citoyen et un non-citoyen ayant le même profil criminel puisque le citoyen canadien ne peut faire face à l’expulsion du pays. C’est le paragraphe 6(1) de la Charte qui établit un traitement différent entre citoyens et non-citoyens. Le paragraphe se lit ainsi :

6 (1) Tout citoyen canadien a le droit de demeurer au Canada, d’y entrer ou d’en sortir.

6 (1) Every citizen of Canada has the right to enter, remain in and leave Canada.

[21] Il en résulte que l’alinéa 36(3)a) de la Loi ne pourra jamais s’appliquer au citoyen canadien : la discrimination fondée sur la citoyenneté ne peut mener à une discrimination proscrite par la Charte. Référant à Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c Chiarelli, [1992] 1 RCS 711 [Chiarelli] et Medovarski c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 51, [2005] 2 RCS 539, 2005 CSC 51 [Medovarski], la SAI écrit :

[27] Il est clair pour moi que l’alinéa 36(3)a) de la LIPR fait partie intégrante d’un ensemble de dispositions qui constituent un régime d’expulsion au sens cité et on ne peut l’en dissocier. Si la Cour Suprême du Canada a confirmé que ce régime d’expulsion, incluant la procédure de certificat de sécurité, ne contrevenait pas aux articles 7, 12 et 15 de la Charte, je considère que des arguments étoffés doivent m’être soumis pour arriver à une conclusion contraire. Je n’ai pas reçu de tels arguments de la part du conseil de M. Mvana.

[…]

[29] Ça revient donc à dire que la Charte autorise elle-même la distinction basée sur la citoyenneté lorsqu’il est question du droit d’une personne à entrer et à demeurer en sol canadien.

[22] À titre subsidiaire, la SAI a aussi examiné si la distinction alléguée rencontre le premier volet du test à deux volets en matière de discrimination sous l’article 15. On cite la décision Québec (Procureur général) c A, 2013 CSC 5, [2013] 1 RCS 61, que la SAI considère comme ayant fait une analyse de l’évolution du droit, où le juge LeBel écrivait :

[162] Gardant à l’esprit l’objet de l’art. 15, soit la promotion de l’égalité réelle, l’arrêt Kapp remanie le cadre analytique en trois étapes proposé par Law. Il le réaménage en une analyse à deux volets, destinée à déceler l’existence d’une discrimination au sens du par. 15(1). Devant une allégation d’atteinte au par. 15(1), une cour doit dès lors poser les questions suivantes : « (1) La loi crée-t-elle une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue? (2) La distinction crée-t-elle un désavantage par la perpétuation d’un préjugé ou l’application de stéréotypes? » (Kapp, par. 17). Une réponse affirmative à chacune de ces questions entraîne la conclusion que la disposition législative attaquée constitue une atteinte à la garantie d’égalité prévue au par. 15(1). La Cour précise que ce cadre en deux volets est « essentiellement le même » que les critères de Law, et que ce dernier arrêt confirmait l’approche relative à l’égalité réelle établie dans Andrews : Kapp, par. 17 et 24.

[23] Partant de là, la SAI accepte que la citoyenneté soit un motif analogue de distinction. Mais, dit la SAI, la LIPR ne peut que s’appliquer qu’au non-citoyen. Il n’y a donc pas d’avantage conféré à un citoyen. Il en découle que nous n’avons pas un groupe désavantagé par rapport à un autre lorsqu’on compare citoyens et non-citoyens au sein même de la LIPR. C’est ainsi que la loi ne crée par une distinction donnant ouverture à l’application de l’article 15.

IV. Les arguments des parties

[24] Notre Cour a conféré à l’AQAADI, par ordonnance du 29 juillet 2022, le statut d’intervenante. Son intervention était limitée à 20 pages et à 20 minutes lors de l’audition. La Cour aura permis de dépasser ces limites. J’examinerai donc les arguments de chacun.

A. Le demandeur

[25] Le demandeur attaque la constitutionnalité de l’alinéa 36(3)a) de la LIPR. Il s’agit de la seule question soulevée. L’Avis de question constitutionnelle (article 57 de la LCF) allègue que l’inconstitutionnalité découle de son incompatibilité avec le paragraphe 15(1) de la Charte parce que la Loi crée une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue et que cette distinction résulte en un désavantage par la perpétuation d’un préjugé ou l’application de stéréotypes.

[26] De manière plus précise, ce dont se plaint le demandeur est que la LIPR assimile les infractions mixtes aux infractions punissables par mise en accusation malgré le choix fait par la Couronne de poursuivre l’infraction criminelle reprochée par voie sommaire. Il en résulte par l’effet de l’alinéa 36(3)a) que le non-citoyen se voit alors être interdit de territoire pour criminalité (ou grande criminalité) même pour une infraction poursuivie par voie sommaire. Cela, dit le demandeur, entraîne un traitement différentiel discriminatoire. Comment? C’est que le non-citoyen sera perçu et traité comme un grand criminel alors même que le choix de la poursuite de procéder par voie sommaire aurait donné un signal différent quant au danger que représente réellement le non-citoyen. On déclare le choix fait par le poursuivant de procéder par voie sommaire de « mécanisme fondamental enchâssé dans notre système de justice ».

[27] Non seulement le bénéfice allégué du choix d’un procureur de la Couronne de poursuivre par voie sommaire est retiré par l’alinéa 36(3)a) de la LIPR, mais cela alimente le préjugé selon lequel le non-citoyen est plus dangereux que le citoyen canadien. Selon le demandeur, étant étiqueté comme étant plus dangereux que le citoyen canadien, cela perpétue le préjugé à l’endroit du non-citoyen puisque la gravité objective de ce qui a été vu comme une infraction punie par voie sommaire est augmentée alors même que cela n’a rien à voir avec le caractère dangereux de l’individu.

[28] Le non-citoyen sera donc perçu comme un « grand criminel » (ou un « criminel ») alors même que le choix de poursuite de la Couronne est tout autre, attribuant ainsi au non-citoyen en danger qu’il ne représente pas. Le demandeur résume son argument ainsi au paragraphe 29 de son Avis de question constitutionnelle :

29. Somme toute, l’article 36(3)a) LIPR crée une distinction fondée sur un motif analogue et du même coup, engendre un désavantage par la perpétuation d’un préjugé ou l’application de stéréotypes à l’endroit des personnes qui ne sont pas citoyens canadiens. Par conséquent, il viole l’article 15 de la Charte et est inconstitutionnel.

[29] Dans son mémoire et lors de l’audition du contrôle judiciaire, le demandeur a élaboré sa théorie de la cause. La citoyenneté constitue un motif analogue pour l’application de l’article 15 de la Charte depuis Andrews c Law Society of British Columbia, [1989] 1 RCS 143; cela a été affirmé de nouveau dans Lavoie c Canada, 2002 CSC 23; [2002] 1 RCS 769 [Lavoie].

[30] Un des piliers de l’argumentaire du demandeur est la décision de la Cour suprême du Canada dans R c Dudley, 2009 CSC 58, [2009] 3 RCS 570 [Dudley]. Il s’agit d’un arrêt qui porte sur une question de procédure relative aux infractions mixtes. Dans l’hypothèse où une infraction dite mixte est poursuivie sur une dénonciation déposée plus de six mois après que l’infraction aurait été commise (le délai de prescription; il est maintenant fixé à 12 mois, article 786 du Code criminel), quelle est la conséquence juridique si le poursuivant avait choisi initialement de procéder par voie sommaire?

[31] Tirant un argument de paragraphes disparates, le demandeur prétend que le choix de poursuivre par voie sommaire changerait définitivement la nature sous-jacente de l’infraction qui ne serait plus considérée comme un acte criminel (mémoire des faits et du droit, para 31, prenant appui sur les paragraphes 49 et 50 de Dudley). Cela fait dire au demandeur que « l’article 36(3)a) de la LIPR en assimilant l’infraction hybride à un acte criminel va à l’encontre de ce principe et prive le justiciable qui n’est pas citoyen canadiens [sic] de bénéficier des effets concrets engendrés par le choix du procureur de la Couronne » (mémoire des faits et du droit, para 34). Le demandeur ne précise pas de quel « principe » il s’agit, non plus que du bénéfice des effets concrets provenant du choix fait par la Couronne de poursuivre par voie sommaire. Il se contente de déclarer qu’un citoyen canadien n’aurait pas vu sa condamnation être ainsi « dénaturée », démontrant ainsi un traitement différentiel qui sera dès lors discriminatoire.

[32] Ensuite, le demandeur argumente qu’il ne conteste pas le régime d’expulsion, mais plutôt certaines caractéristiques de processus d’expulsion. Essentiellement, il n’y en aurait qu’une seule : l’alinéa 36(3)a) reposerait sur, et perpétuerait, des préjugés et serait donc discriminatoire. On nous dit que les non-citoyens reconnus coupables d’une infraction poursuivie par voie sommaire deviennent malencontreusement de grands criminels (et des criminels) qui mettent en péril la sécurité des citoyens canadiens. Cela n’est pas le cas.

[33] De fait, pour le demandeur, l’interdiction de territoire sous le paragraphe 36(1) de la LIPR a pour objectif de protéger la société canadienne contre les personnes qui constituent une menace pour la sécurité, qui sont dangereuses. Aucune autorité n’est présentée à l’appui de cette affirmation qui apparaît pourtant contraire au « principe le plus fondamental du droit de l’immigration [qui] veut que les non-citoyens n’aient pas un droit absolu d’entrer au pays et d’y demeurer » (Chiarelli, p 733; repris dans Medovarski, para 46) sans qu’il soit nécessaire qu’une certaine dangerosité soit démontrée.

[34] Le demandeur argumente que le mode de poursuite choisi par la Couronne reflète le niveau réel de dangerosité de l’individu et la gravité du geste. Il semble prétendre que ce choix, si tant est qu’il soit réel, devrait contrecarrer la décision du Parlement de déclarer que le mode de poursuite est sans importance dans le cas où la personne a été accusée d’une infraction mixte. Cherchant peut-être à mettre sur un piédestal le pouvoir discrétionnaire du poursuivant, le demandeur le qualifie de caractéristique essentielle du système de justice (mémoire des faits et du droit para 61). En fait, l’utilisation de cette notion vient de la position minoritaire dans Dudley où la juge Charron prend de toute manière bien soin de ne pas y voir d’absolu (« […] le pouvoir discrétionnaire, notamment celui du poursuivant, est « une caractéristique essentielle de la justice criminelle » qu’il faut se garder de modifier à la légère », para 65).

[35] En fait, le demandeur parle même d’ingérence politique dans le choix du mode de poursuite par l’adoption de l’alinéa 36(3)a) de la LIPR. Il eut été étonnant qu’une autorité puisse appuyer une telle proposition et aucune n’est offerte.

[36] Essentiellement, la théorie défendue par le demandeur me semble être que seulement les criminels dangereux peuvent être interdits de territoire; que pour les infractions mixtes, le choix du poursuivant de procéder par voie sommaire signifie que l’accusé n’est pas dangereux; que le Parlement n’est pas autorisé à déterminer que l’infraction mixte, peu importe le mode de poursuite choisi, peut se qualifier de « grande criminalité » (para 36(1) de la LIPR) ou de « criminalité » (para 36(2)). Les répercussions du choix fait par le Parlement sont que le non-citoyen sera perçu et traité comme un grand criminel, et donc lui attribuant un danger qu’il ne représente pas. Cela perpétue un préjugé à l’égard des non-citoyens, préjugé aggravé en l’espèce du fait que le demandeur est partie d’une minorité visible.

B. L’intervenante

[37] Il est bien connu qu’une intervenante doit prendre le dossier tel qu’il est et son rôle est d’apporter « une intervention [qui] vise à saisir la cour d’allégations utiles et différentes du point de vue d’un tiers qui a un intérêt spécial ou une connaissance particulière de la question visée par la procédure d’appel » (R c Morgentaler, [1993] 1 RCS 462, cité dans R c Barton, 2019 CSC 33, [2019] 2 RCS 579). Ce sera donc le cadre dans lequel l’intervention fut permise à l’AQAADI.

[38] L’intervenante supporte le demandeur dans sa prétention selon laquelle l’alinéa 36(3)a) de la LIPR est inopérant comme étant en violation de l’article 15 de la Charte. Mais elle se distingue du demandeur.

[39] L’intervention avait deux volets. D’abord, l’AQAADI a cherché à démontrer que la SAI a erré quant à la substance du droit constitutionnel à l’égalité. Ensuite, elle a cherché à soumettre des arguments qu’elle a dit être basés « sur la méthode d’interprétation systématique et logique (argument de cohérence) » (mémoire des faits et du droit, para 3). J’entends exposer les deux arguments présentés par l’AQAADI et en disposer succinctement.

[40] L’AQAADI accepte, comme il se doit, le cadre d’analyse au sujet de l’article 15 de la Charte qui a évolué au fil du temps et s’est fixé depuis un certain temps :

  • 1) une distinction à première vue ou de par son effet fondé sur un motif énuméré ou analogue;

  • 2) la distinction impose un fardeau ou nie un avantage d’une manière ayant pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’accentuer un désavantage

(voir Fraser c Canada (Procureur général), 2020 CSC 28, para 27; R c CP, 2021 CSC 19, para 56 et 141).

[41] Son argumentaire porte sur la définition qu’elle veut donner au droit à l’égalité enchâssé dans l’article 15 de la Charte. Ce qui est soulevé est la substance des garanties juridiques s’appliquant aux personnes inculpées d’infractions. La SAI aurait erré quant à la substance du droit constitutionnel à l’égalité. On croit comprendre que l’étranger serait privé de garanties fondamentales.

[42] L’intervenante réfère à la présomption d’innocence de l’article 11d) de la Charte pour argumenter que le demandeur n’a pas été déclaré coupable d’un acte criminel puisqu’il a fait l’objet d’une poursuite par procédure sommaire. Il n’a donc pas été trouvé coupable d’une infraction décrite à l’alinéa 36(1)a) de la LIPR. On lui impute la responsabilité d’un acte criminel dont il n’a pas été trouvé coupable.

[43] Selon l’intervenante, le droit à la présomption d’innocence est violé parce qu’on impute à l’étranger la responsabilité d’un acte criminel. On privait l’étranger d’une garantie juridique à laquelle les inculpés ont droit. Cela porterait atteinte à l’égalité devant la Loi (la même protection et le même bénéfice de la loi). L’intervenante insiste que « le droit des citoyens canadiens à demeurer au Canada … ne peut aucunement justifier que les « inculpées » non-citoyens soient privés des mêmes garanties juridiques que les « inculpées » citoyens canadiens » (mémoire des faits et du droit, para 33).

[44] Or, l’intervenante n’a jamais même tenté d’expliquer en quoi l’article 11d) de la Charte est utile à l’analyse. En effet, cet article ne fait aucunement la différence entre l’infraction poursuivie par voie sommaire ou par voie de mise en accusation. C’est tout inculpé qui a droit à la présomption d’innocence, en plus bien sûr de bénéficier du droit constitutionnel d’être jugé par un tribunal indépendant et impartial à la suite d’un procès public. M. Mvana a eu droit à cette présomption. La présomption d’innocence ne prend pas une couleur différente selon le mode de poursuite. Il n’y a pas de présomption d’innocence pour le procès par voie sommaire et une pour le procès par voie de mise en accusation. Les éléments essentiels d’une infraction ne changent pas selon le mode de poursuite. Tout inculpé a le droit à la présomption d’innocence et le poursuivant doit faire la preuve de tous les éléments essentiels de l’infraction quel qu’en soit le mode de poursuite. C’est plutôt que le législateur ne fait pas de différence quant au mode de poursuite pour ce qui est des conséquences en matière d’immigration qui découlent d’une telle condamnation, que l’infraction soit poursuivie d’une manière ou d’une autre. Ainsi, le fondement même de l’argument fait défaut.

[45] Aussi, l’AQAADI soumet que l’article 6 de la Charte est sans pertinence. Ce qui est recherché, dit-elle, c’est le respect des garanties juridiques pour les personnes inculpées. On ne peut priver les inculpés non canadiens des mêmes garanties juridiques dont bénéficient les inculpés canadiens. Comme on le verra plus loin, la jurisprudence constante de la Cour suprême à cet égard me semble devoir disposer de la présente affaire, et cette jurisprudence lie évidemment cette Cour. Essentiellement, l’existence de l’article 6 de la Charte empêche que l’article 15, une autre disposition constitutionnelle, trouve application selon la jurisprudence constante de la Cour suprême du Canada à moins peut-être de circonstances particulières qui ne sont pas présentes ici. De toute manière, la présomption d’innocence est respectée pour les non-citoyens aussi bien que pour les citoyens. Nous y reviendrons. Quoi qu’il en soit, je note que l’intervenante n’a pas cherché à traiter de ces arrêts, se contentant de dire qu’elle ne conteste pas le droit de l’état de se doter d’un régime d’expulsion.

[46] Enfin, l’intervenante a discuté de ce qu’elle a appelé « la méthode d’interprétation systématique et logique ». Il semble que l’AQAADI tente de s’inspirer de règles d’interprétation des lois pour prétendre à une forme de nécessité constitutionnelle de rechercher la cohérence entre des lois diverses pour lesquelles on verrait une certaine connexité.

[47] Ainsi, la présomption de rationalité du législateur suggèrera que, dans une loi donnée, des dispositions pourront être interprétées en fonction du fait qu’elles constituent un tout cohérent. On peut même penser que des textes de la loi différents, qui traitent de sujets connexes, pourront avantageusement être interprétés les uns par rapport aux autres pour dégager l’intention du législateur. Mais, comme je l’ai noté à l’audience, encore faut-il qu’il y ait ambiguïté ou équivoque qui nécessite un exercice d’interprétation législative cherchant en cela à découvrir l’intention du législateur (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 RCS 27). Il ne s’agit pas d’une règle qui permette de s’attaquer au mérite d’une disposition législative par ailleurs claire.

[48] Or, ce que propose l’intervenante, si je la comprends, c’est une forme d’intervention par la Cour parce que l’on prétendrait que le paragraphe 36(3) de la LIPR manque de cohérence avec d’autres dispositions de la LIPR, d’autres lois connexes et le système de justice. Ce serait la logique même du système mis en place qui serait faussée par le paragraphes 36(3). À titre d’exemple, on prétend que le Parlement s’immisce dans le pouvoir quasi-judiciaire du procureur de la Couronne en matière de choix de poursuite qui est un « mécanisme essentiel d’application efficace du droit criminel » (R c Anderson, 2014 CSC 41, [2014] 2 RCS 167, para 37).

[49] Il n’est pas clair à quoi l’AQAADI cherche à convier la Cour. D’un principe d’interprétation statutaire pour donner un sens à des dispositions législatives, il semble que l’intervenante veuille pouvoir traiter du mérite d’une disposition dont elle prétend qu’elle introduit des « incohérences », ce que d’aucuns diraient plus simplement être des résultats qui ne sont ni souhaités, ni appréciés par une partie au litige.

[50] À moins qu’il ne soit allégué et démontré que l’incohérence alléguée viole la Constitution, le rôle d’une cour de justice n’est pas de chercher à contrôler le mérite d’une disposition. En l’espèce, la question constitutionnelle devant la Cour est la prétention que l’alinéa 36(3)a) de la LIPR serait inconstitutionnel parce qu’incompatible avec le paragraphe 15(1) de la Charte. Encore faudrait-il qu’il y ait incohérence et non seulement un désaccord sur le mérite d’une disposition. Il n’a aucunement été démontré en quoi l’incohérence alléguée rendrait incompatible la disposition en question avec l’article 15. L’ambiguïté de la loi doit être résolue par l’interprétation des lois. Mais ce n’est pas ce que l’intervenante recherche. L’incohérence serait que le Parlement a choisi en matière d’immigration d’ignorer le mode de poursuite alors qu’en matière criminelle le choix de la poursuite du mode de procès est omniprésent. C’est plutôt qu’on prétend qu’une incohérence alléguée pourrait suffire à mener une cour à choisir qu’un texte par ailleurs sans ambiguïté devrait être écarté. Ici, on semble inviter la Cour à mettre de côté le texte par ailleurs clair de l’alinéa 36(3)a) sous prétexte que, aux seules fins d’immigration, le choix du mode de poursuite est sans importance. La Cour doit décliner l’invitation de se pencher plus avant sur le mérite de la politique (« policy ») que le Parlement a choisie d’adopter. De toute façon, l’incohérence alléguée n’a pas été démontrée.

C. Le défendeur

[51] Le défendeur argumente que le paragraphe 36(3) n’est pas inopérant car il ne peut violer le paragraphe 15(1) de la Charte. Il n’a pas cherché à en justifier la constitutionnalité en vertu de l’article 1 de la Charte.

[52] La position défendue par le défendeur est que le demandeur cherche à faire établir une distinction entre citoyens et non-citoyens qui n’est que le reflet du principe le plus fondamental du droit de l’immigration : à la différence du citoyen, le non-citoyen n’a aucun droit constitutionnel d’entrer ou de demeurer au Canada. Le défendeur cite Charkaoui à l’appui de sa proposition que la Cour suprême du Canada a déjà disposé de la question en décidant que la discrimination dont se plaint le demandeur est expressément autorisée par une autre disposition de la Charte, le paragraphe 6(1).

[53] La Cour suprême du Canada a confirmé que le Parlement peut établir les conditions à remplir pour que le non-citoyen puisse demeurer en territoire canadien. L’article 36 de la LIPR est partie intégrante d’un ensemble de dispositions qui constitue un régime d’expulsion. Or, un régime d’expulsion ne peut qu’affecter le non-citoyen et le paragraphe 6(1) de la Charte permet expressément une telle différence de traitement.

V. Analyse

[54] La seule question qui se pose en notre espèce est de déterminer si l’alinéa 36(3)a) de la LIPR contrevient au paragraphe 15(1) de la Charte. Dit plus prosaïquement, l’alinéa 36(3)a) est-il inconstitutionnellement discriminatoire, le rendant ainsi inopérant aux termes de l’article 52 de la Charte?

[55] La norme de contrôle en l’espèce n’a pas été abordée par les parties outre que de référer à l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 RCS 653, quant au demandeur, et à l’arrêt Revell c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CAF 262, [2020] 2 RCF 355 [Revell]. Étant une question constitutionnelle, c’est la norme de la décision correcte qui doit être appliquée par la Cour.

[56] Pour ce faire, il faut d’abord établir en quoi consiste cette disposition et le cadre dans lequel elle se situe. La LIPR prévoit une série d’articles dans sa Section 4 traitant des cas où une personne sera sujette à une interdiction de territoire, c’est-à-dire les circonstances dans lesquelles une personne sera « inadmissible » au Canada. Cela entraîne bien sûr la possibilité d’expulsion du Canada.

[57] La possibilité pour le Canada de choisir qui peut être admis et peut rester au Canada est reconnue de façon explicite depuis au moins l’arrêt Chiarelli de la Cour suprême du Canada. C’est de fait reconnu comme le principe fondamental du droit de l’immigration. Chiarelli semble avoir confirmé la common law. On lit à la page 733 de Chiarelli :

Donc, pour déterminer la portée des principes de justice fondamentale en tant qu'ils s'appliquent en l'espèce, la Cour doit tenir compte des principes et des politiques qui sous‑tendent le droit de l'immigration. Or, le principe le plus fondamental du droit de l'immigration veut que les non‑citoyens n'aient pas un droit absolu d'entrer au pays ou d'y demeurer. En common law, les étrangers ne jouissent pas du droit d'entrer au pays ou d'y demeurer: R. c. Governor of Pentonville Prison, [1973] 2 All E.R. 741; Prata c. Ministre de la Main‑d'oeuvre et de l'Immigration, [1976] 1 R.C.S. 376.

[58] La Cour suprême ne s’est pas dédite, et n’a pas apporté d’amendement, depuis, répétant presque verbatim l’existence du principe fondamental dans Medovarski au paragraphe 46 :

Le principe le plus fondamental du droit de l’immigration veut que les non‑citoyens n’aient pas un droit absolu d’entrer ou de demeurer au Canada : Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711, p. 733. À elle seule, l’expulsion d’un non‑citoyen ne peut mettre en cause les droits à la liberté et à la sécurité garantis par l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés.

[59] Cette Section 4 de la LIPR prévoit l’interdiction de territoire pour différentes catégories de non-citoyens. Ainsi, l’article 34 traite des cas de personnes qui ont commis des actes ou posent un danger pour des raisons de sécurité. L’article 35 traite des cas des personnes interdites pour atteinte aux droits humains ou internationaux. L’article 37 s’intéresse aux activités de criminalité organisée. Des motifs sanitaires entraînant un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé peuvent donner lieu à un interdit de territoire. L’article 39 traite des motifs financiers qui pourraient entraîner un interdit de territoire. Un non-citoyen peut aussi être interdit de territoire pour fausses déclarations en vertu de l’article 40. Celui qui perd l’asile devient de la sorte interdit de territoire, selon l’article 40.1, comme ce peut être le cas pour un manquement à la LIPR aux termes de l’article 41. L’article 42 parle de l’inadmissibilité familiale.

[60] Comme on le voit, les cas d’inadmissibilité recoupent une variété de circonstances où la Loi détermine qu’un étranger peut être interdit de territoire. Je ne puis déceler un dénominateur commun voulant que l’interdit de territoire soit nécessairement parce que la personne est dangereuse. Dans l’arrêt Revell, la Cour d’appel rappelle que la « conclusion d’interdiction de territoire est une décision administrative selon laquelle un non-citoyen ne s’est pas plié aux conditions qu’il devait respecter pour être autorisé à demeurer au Canada » (para 54). Il ne s’agit pas de procédure de droit pénal ou même de droit quasi-pénal.

[61] Il en est de même de l’article 36 de la LIPR. La loi interdit de territoire qui s’est rendu coupable de « grande criminalité » ou de « criminalité ». Pour ce qui est de l’alinéa 36(1)a), il s’applique à tout étranger, c’est-à-dire au non-citoyen, qui s’est rendu coupable d’une infraction que le législateur considère relativement grave puisqu’elle est punissable d’un emprisonnement de dix ans, ou au non-citoyen qui s’est vu infliger un emprisonnement de plus de six mois. Pour l’étranger qui n’a pas obtenu le statut de résident permanent, le seuil est ramené à qui est trouvé coupable d’une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation, ou qui aura été déclaré coupable de deux infractions à toute loi fédérale ne découlant pas des mêmes faits. Cela est dit être interdit de territoire pour « criminalité ».

[62] Il suffit donc que l’infraction soit « punissable » par mise en accusation, et non que l’infraction ait été punie à la suite d’une mise en accusation. L’alinéa 36(3)a) fait disparaître toute ambiguïté puisque le législateur déclare que l’infraction mixte (ou hybride) qui peut faire l’objet d’une mise en accusation est couverte par les alinéas 36(1)a) et 36(2)a) « indépendamment du mode de poursuite effectivement retenu ». Ce sera le comportement reproché, avec ses éléments essentiels, qui compte, qu’il soit l’objet d’une procédure sommaire ou d’une mise en accusation.

[63] C’est donc dire que le législateur a déterminé qu’en plus des étrangers pouvant être interdits de territoire pour des motifs sanitaires (article 38), financiers (article 39) ou pour avoir fait de fausses déclarations en matière d’immigration, ou avoir perdu le statut de réfugié, qui s’est rendu coupable d’infractions ayant certaines caractéristiques se voit être interdit de territoire. La personne n’est pas punie. C’est plutôt que « le législateur peut imposer des conditions au droit des résidents permanents et peut légitimement renvoyer du pays les résidents permanents qui ont délibérément manqué à une condition essentielle à leur autorisation d’entrer et de demeurer au Canada » (Revell, para 54). C’est évidemment aussi le cas pour les non-citoyens qui n’ont pas le statut de résident permanent.

[64] Il découle de ce qui précède qu’il s’agit là de l’élément fondamental du régime d’expulsion de la LIPR puisque le législateur détermine qui peut demeurer au Canada. Cela en est l’élément central. En effet, la Section 5 de la LIPR est intitulée « Perte de statut et renvoi » où on y traite du constat de l’interdiction de territoire, de l’enquête menée par la Section de l’immigration et de l’exécution de la mesure de renvoi. À n’en pas douter, l’article 36 fait partie du régime d’expulsion, qui découle évidemment du principe le plus fondamental du droit de l’immigration, celui selon lequel un étranger n’a pas un droit absolu de demeurer au Canada. Le législateur a parlé lorsqu’il a défini des catégories d’étrangers qui peuvent faire l’objet d’un renvoi parce que leur présence n’est plus désirée. Le demandeur argumente essentiellement que le choix de personnes dont la présence n’est plus désirée est inconstitutionnel.

[65] La thèse du demandeur est fondée sur trois piliers. D’abord, le rôle du procureur de la Couronne dans le choix du mode de poursuite est si fondamental qu’il doit être respecté par le Parlement qui ne devrait pas y passer outre. Intimement lié au premier pilier, le demandeur soumet que seulement les personnes dangereuses sont soumises au régime parce que la LIPR parle en termes de « grande criminalité ». L’utilisation de cette terminologie emporterait que l’article 36 ne devrait traiter que de l’interdiction de territoire de personnes qui posent danger pour la sécurité. Or, lorsque le procureur de la Couronne choisit de procéder par voie sommaire, ce doit être parce que le crime est moins grave et que l’accusé ne pose pas le même risque.

[66] À mon avis, ni l’un ni l’autre de ces piliers ne résistent à l’analyse. J’y reviendrai. Mais l’écueil le plus considérable que le demandeur ne peut surmonter est la jurisprudence de la Cour suprême du Canada qui exclut le régime d’expulsion de la LIPR de l’examen en vertu de l’article 15 de la Charte. Cette Cour est manifestement liée par cette jurisprudence. C’est la conjonction des articles 6 et 15 de la Charte qui fait en sorte que la permission de différencier citoyens et non-citoyens quant au droit d’entrer au Canada et de sortir est constitutionnellement permise.

[67] L’arrêt Chiarelli portait directement sur le « régime législatif complet régissant l’expulsion de résidents permanents reconnus coupables de certaines infractions criminelles » (p 719). Le juge Sopinka, pour une Cour suprême unanime, devait se prononcer sur l’argument constitutionnel selon lequel le régime d’expulsion était discriminatoire. Ainsi, il est écrit aux pages 733 et 734 :

La distinction entre citoyens et non‑citoyens est reconnue dans la Charte. Bien que le par. 6(2) accorde aux résidents permanents le droit de se déplacer dans tout le pays, d'établir leur résidence et de gagner leur vie dans toute province, seuls les citoyens ont le droit « de demeurer au Canada, d'y entrer ou d'en sortir », que garantit le par. 6(1).

Le Parlement a donc le droit d'adopter une politique en matière d'immigration et de légiférer en prescrivant les conditions à remplir par les non‑citoyens pour qu'il leur soit permis d'entrer au Canada et d'y demeurer. C'est ce qu'il a fait dans la Loi sur l'immigration, dont l'article 5 dispose que seuls les citoyens canadiens, les résidents permanents, les réfugiés au sens de la Convention ou les Indiens inscrits conformément à la Loi sur les Indiens ont le droit d'entrer au Canada ou d'y demeurer. La nature limitée du droit des non‑citoyens d'entrer au Canada et d'y demeurer se dégage nettement de l'art. 4 de la Loi. Suivant le par. 4(2), les résidents permanents ont le droit de demeurer au Canada, sauf s'ils relèvent d'une des catégories énumérées au par. 27(1). L'une des conditions auxquelles le législateur fédéral a assujetti le droit d'un résident permanent de demeurer au Canada est qu'il ne soit pas déclaré coupable d'une infraction punissable d'au moins cinq ans de prison. Cette condition traduit un choix légitime et non arbitraire fait par le législateur d'un cas où il n'est pas dans l'intérêt public de permettre à un non‑citoyen de rester au pays. L'exigence que l'infraction donne lieu à une peine de cinq ans d'emprisonnement indique l'intention du législateur de limiter cette condition aux infractions relativement graves. Les circonstances personnelles de ceux qui manquent à cette condition peuvent certes varier énormément. La gravité des infractions visées au sous‑al. 27(1)d)(ii) varie également, comme le peuvent aussi les faits entourant la perpétration d'une infraction en particulier. Toutes les personnes qui entrent dans la catégorie des résidents permanents mentionnés au sous‑al. 27(1)d)(ii) ont cependant un point commun: elles ont manqué volontairement à une condition essentielle devant être respectée pour qu'il leur soit permis de demeurer au Canada. En pareil cas, mettre effectivement fin à leur droit d'y demeurer ne va nullement à l'encontre de la justice fondamentale. Dans le cas du résident permanent, seule l'expulsion permet d'atteindre ce résultat. Une ordonnance impérative n'a rien d'intrinsèquement injuste. La violation délibérée de la condition prescrite par le sous‑al. 27(1)d)(ii) suffit pour justifier une ordonnance d'expulsion. Point n'est besoin, pour se conformer aux exigences de la justice fondamentale, de chercher, au‑delà de ce seul fait, des circonstances aggravantes ou atténuantes.

[Je souligne.]

[68] La Cour s’est exprimée spécifiquement au sujet de l’article 15 de la Charte à la page 736 :

Quoique la question constitutionnelle formulée par le juge Gonthier soulève la question de savoir si le sous‑al. 27(1)d)(ii) et le par. 32(2) violent l'art. 15 de la Charte, l'intimé n'a pas présenté d'arguments sur ce point. J'estime, pour les motifs exposés par le juge Pratte en Cour d'appel fédérale, qu'il n'y a pas eu violation de l'art. 15. Comme je l'ai déjà indiqué, l'art. 6 de la Charte prévoit expressément un traitement différent à cet égard pour les citoyens et les résidents permanents. Si les résidents permanents jouissent aux termes du par. 6(2) de certains droits à la liberté de circulation, seuls les citoyens se voient conférer au par. 6(1) le droit de demeurer au Canada, d'y entrer ou d'en sortir. Ne constitue donc pas une discrimination interdite par l'art. 15 un régime d'expulsion qui s'applique aux résidents permanents, mais non aux citoyens.

[Je souligne.]

[69] Le résumé des propos du juge d’appel Pratte est à la page 727 :

Le juge Pratte conclut que le sous‑al. 27(1)d)(ii) et le par. 32(2) de la Loi, pris ensemble, ne violent pas l'art. 12 de la Charte parce qu'ils n'infligent aucune peine. Le paragraphe 32(2) découle naturellement des restrictions imposées par l'art. 4 de la Loi au droit d'un résident permanent d'entrer au Canada et d'y demeurer. De même, ces dispositions ne vont pas à l'encontre de l'art. 7 puisqu'il n'y a rien d'injuste à exiger l'expulsion d'une personne déchue du droit de demeurer au Canada. En dernier lieu, selon le juge Pratte, l'article 15 n'a pas été violé. L'article 6 de la Charte prévoit expressément en effet un traitement différent pour les citoyens et pour les résidents permanents en ce qui concerne le droit de demeurer au Canada. Par ailleurs, une distinction entre les résidents permanents reconnus coupables d'une infraction visée au sous‑al. 27(1)d)(ii) et d'autres résidents permanents ne constitue pas de la discrimination au sens de l'art. 15.

[Je souligne.]

[70] Comme on le voit bien, le régime d’expulsion ne peut être attaqué parce que l’article 6 de la Charte se dresse devant de telles allégations. Des raffinements ont été apportés plus tard, mais la proposition de base n’aura pas changé. L’article 15 n’est pas violé en soi par le régime d’expulsion.

[71] Dans Lavoie, il était question d’une restriction faite à l’emploi dans la fonction publique fédérale pour des non-citoyens ou, dit autrement, de la préférence donnée par la loi aux citoyens canadiens. Voici comment le juge Bastarache, pour une pluralité de juges, articulait la notion au paragraphe 37 et, plus loin, au paragraphe 44 :

37 Notre Cour a considéré en deux occasions le lien entre la citoyenneté et le par. 15(1) de la Charte. La première, Andrews, précitée, portait sur une loi provinciale interdisant à un non‑citoyen l’accès à la profession d’avocat; la disposition contestée a été annulée comme violation du par. 15(1) non justifiée en vertu de l’article premier. La deuxième, Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711, à l’opposé, avait pour objet une loi fédérale autorisant l’expulsion d’un résident permanent reconnu coupable d’infractions criminelles graves; comme l’art. 6 de la Charte permettait expressément qu’un non‑citoyen fasse l’objet d’un traitement différent pour l’immigration, la loi n’a pas été jugée discriminatoire (p. 736). La présente espèce a beaucoup de points communs avec les affaires Andrews et Chiarelli. Comme dans Andrews, nous sommes en présence d’une différence de traitement dans l’emploi que n’autorise pas expressément la Charte; comme dans Chiarelli, la disposition fédérale contestée fait partie d’un ensemble reconnu de privilèges accordés aux citoyens canadiens. Cette combinaison de facteurs fait qu’il est difficile de décider si, en fin de compte, la loi est incompatible avec l’objet du par. 15(1) de la Charte. Vu la jurisprudence récente de notre Cour sur le par. 15(1), je conclus qu’elle l’est.

[…]

44 En l’espèce, la situation des non‑citoyens diffère de celle des citoyens uniquement parce que le législateur leur a donné un statut juridique unique. Sous tous les points de vue pertinents – sociologique, économique, moral, intellectuel – les non‑citoyens sont des membres tout aussi essentiels de la société canadienne et méritent la même attention et le même respect. La seule exception reconnue à cette règle s’applique lorsque la Constitution elle‑même prive le non‑citoyen d’un avantage, comme dans Chiarelli, précité. En pareil cas, on peut dire que la Charte elle‑même autorise la différence de traitement, de sorte que conclure qu’il y a atteinte au par. 15(1) équivaudrait à conclure que la Charte contrevient à elle‑même. Ce n’est pas le cas ici. Au contraire, la distinction n’est nullement autorisée dans la Charte et, de manière plus générale, elle n’est pas établie en fonction de « différences personnelles réelles entre les individus » : Law, par. 71. La distinction ne fait qu’ajouter au fardeau d’un groupe déjà défavorisé. Il est impossible de concilier une telle distinction avec la conclusion tirée par la Cour dans Andrews, p. 183, qu’« une règle qui exclut toute une catégorie de personnes de certains types d’emplois pour le seul motif qu’elles n’ont pas la citoyenneté et sans égard à leurs diplômes et à leurs compétences professionnelles ou sans égard aux autres qualités ou mérites d’individus faisant partie du groupe, porte atteinte aux droits à l’égalité de l’art. 15 ».

[Je souligne.]

[72] Essentiellement, deux dispositions de la Constitution ne peuvent entrer en conflit : la Constitution ne peut contrevenir à elle-même. C’est certes le cas avec les articles 6 et 15. On ne peut prétendre à un traitement différent entre citoyens et non-citoyens quant aux renvoi du non-citoyen alors que cette différence est permise par la Constitution.

[73] Medovarski allait dans le même sens, alors que la juge en chef McLachlin, parlant pour une Cour unanime, écrivait au paragraphe 46 qu’à « elle seule, l’expulsion d’un non-citoyen ne peut mettre en cause les droits à la liberté et à la sécurité garantis par l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés ».

[74] J’ajoute que le principe voulant que la Charte ne puisse servir à annuler d’autres dispositions de la Constitution était reconnu ailleurs en droit constitutionnel. Cela aura été le cas dans les arrêts Adler c Ontario, [1996] 3 RCS 609 et Renvoi relatif au projet de Loi 30, An Act to Amend the Education Act (Ont.), [1987] 1 RCS 1148. Il était alors question du régime de financement de l’éducation lorsque traité à l’article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867 et l’article 15 de la Charte. On lit aux paragraphes 38 et 39 d’Adler ce qui est pertinent à notre affaire et suffit à nos fins :

38 Le juge Wilson a ensuite examiné l'allégation selon laquelle le choix du gouvernement de financer les écoles catholiques romaines séparées, mais pas les autres écoles confessionnelles, contrevenait au par. 15(1) de la Charte. Les appelants des groupes Adler et Elgersma avancent ce qui équivaut au même argument en l'espèce. Le juge Wilson a rejeté cet argument pour deux raisons. Premièrement, elle a statué que, s'il était adopté conformément au par. 93(1), le projet de loi 30 serait alors « nettement » (à la p. 1196) visé par le texte de l'art. 29 de la Charte qui soustrait explicitement à toute contestation fondée sur la Charte tous les droits et privilèges « garantis » en vertu de la Constitution relativement aux écoles séparées et aux autres écoles confessionnelles. Deuxièmement, elle a conclu que, s'il était adopté conformément à la disposition liminaire de l'art. 93 et aux dispositions du par. 93(3), le projet de loi 30 « échappe[rait] » à tout examen fondé sur la Charte car il s'agirait d'une « lo[i] adopté[e] conformément au pouvoir absolu en matière d'éducation que se sont vu accorder les assemblées législatives provinciales dans le cadre du compromis confédéral ». Voir Renvoi relatif au projet de loi 30, à la p. 1198. Cela était vrai indépendamment du fait que ce financement inégal pourrait, comme je l'ai déjà mentionné, « s'accorde[r] mal avec le concept de l'égalité enchâssé dans la Charte ». Autrement dit, le juge Wilson a refusé, à la p. 1197, de se servir d'une partie de la Constitution pour empiéter sur des droits protégés par une autre partie du même document : « À mon avis, on n'a jamais voulu que la Charte puisse servir à annuler d'autres dispositions de la Constitution . . . ».

39 En suivant le même raisonnement que le juge Wilson dans le Renvoi relatif au projet de loi 30, je conclus que le financement public des écoles séparées de la province ne saurait justifier la revendication des appelants fondée sur la Charte.

[Je souligne.]

[75] La même règle a été appliquée par une Cour suprême unanime dans Charkaoui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, [2007] 1 RCS 350 [Charkaoui]. Cette fois, c’était le système des certificats de sécurité sous la LIPR qui était sous étude. Quant à la violation du droit à l’égalité, la Cour a conclu qu’il n’y en avait pas, mais le régime a été décidé comme étant déficient constitutionnellement pour d’autres raisons.

[76] Ainsi, la Cour a indiqué que la procédure d’expulsion n’enclenche pas en soi l’application de l’article 7 de la Charte, mais certains éléments rattachés à l’expulsion, telles la détention au cours du processus de délivrance et d’examen d’un certificat ou l’éventualité d’un renvoi vers un pays où il existe un risque de torture, pourraient en entraîner l’application » (para 17). L’équité du processus engageait des questions quant à la liberté et la sécurité faisant en sorte que l’article 7 pouvait trouver application.

[77] Quant à l’application de l’article 15 de la Charte, la Cour fait toujours la même équation : la présence de l’article 6 empêche la contravention à l’article 15 :

129 M. Charkaoui fait valoir que le régime de certificats de sécurité établi par la LIPR crée, contre les non‑citoyens, une discrimination interdite par le par. 15(1) de la Charte. Cependant, l’art. 6 de la Charte prévoit expressément un traitement différent pour les citoyens et les non‑citoyens en matière d’expulsion : selon le par. 6(1), seuls les citoyens ont le droit de demeurer au Canada, d’y entrer et d’en sortir. Pour cette raison, un régime d’expulsion qui s’applique uniquement aux non‑citoyens, à l’exclusion des citoyens, n’est pas, de ce seul fait, contraire à l’art. 15 de la Charte : Chiarelli.

[78] Certains ont tenté de voir dans ce paragraphe de Charkaoui la possibilité d’invoquer l’article 15 malgré tout grâce à la mention de « de ce seul fait » (en anglais « for that reason alone »). Pourrait-il y avoir un argument gagnant dans certaines circonstances?

[79] Le professeur Donald Galloway, dans un article critique à l’endroit de la jurisprudence actuelle intitulé Immigration, Xenophobia and Equality Rights, (2019) Dalhousie L.J. vol 42, p. 17, note bien la présence de ces mots. Une lecture de ces termes pourrait suggérer superficiellement la possibilité de faire la démonstration de quelque chose qui va outre la simple création de règles définissant l’accès au pays. Mais l’auteur conclut que cette lecture, dont les contours n’ont pas une forme même quelconque, n’est pas la bonne. Les non-citoyens ne peuvent prétendre à discrimination inconstitutionnelle si leur prétention est le traitement différentiel entre citoyen et non-citoyen. Il faudra plutôt invoquer un autre motif de discrimination : on pense alors à l’origine ethnique ou à la religion, par exemple. En ne désavouant pas Chiarelli, et tout particulièrement les paragraphes catégoriques concluant au sujet de l’application de l’article 15 que l’on retrouve à la p 736 de Chiarelli et que j’ai reproduits aux paragraphes 68 et 69 des présents motifs, il faut bien voir que les possibilités sont au mieux restreintes.

[80] Je suis porté à être du même avis que le professeur Galloway sur la lecture qui doive être faite de Charkaoui et de la jurisprudence qui l’a précédé. Je ne sais pas en quoi des aspects du régime d’expulsion pourraient rendre incompatible le régime avec l’article 15 de la Charte vu l’article 6. Mais je ne déclarerais pas d’emblée que ce serait parfaitement impossible. Cependant, que l’on accepte une ou l’autre lecture de Charkaoui, encore aurait-il fallu en notre espèce qu’il y ait une démonstration quelconque de quelque chose qui pourrait aller outre la création de règles définissant l’accès au pays.

[81] Dans Charkaoui, la Cour suprême utilise une réserve quant à une application de l’article 7 de la Charte pour contester la constitutionalité du régime de renvoi. Ainsi, il est dit que l’expulsion du non-citoyen n’enclenche pas en soi l’application de l’article 7 de la Charte (para 17). Mais certains éléments rattachés à l’expulsion peuvent entraîner un examen sous l’article 7. La Cour donne à titre d’exemple la détention au cours de la délivrance du certificat de sécurité ou le renvoi vers un pays où risque de torture existe. De fait, dans Charkaoui, c’était la délivrance d’un certificat d’interdiction de territoire fondée en partie sur des documents secrets, sans la participation d’un représentant indépendant pour assurer le respect des intérêts de la personne concernée, qui posait problème. Ce n’était pas le régime d’expulsion qui était inconstitutionnel mais plutôt des éléments rattachés.

[82] On peut soupçonner que la mention dans Charkaoui, au paragraphe 129, qu’« un régime d’expulsion qui s’applique uniquement aux non-citoyens, à l’exclusion des citoyens, n’est pas, de ce seul fait, contraire à l’art. 15 de la Charte : Chiarelli » pourrait introduire le même genre de possibilité que relativement à l’article 7. Des éléments rattachés à l’expulsion, comme, par analogie, la détention ou l’utilisation de documents secrets sans participation au nom de la personne intéressée dans le cadre d’une contestation en vertu de l’article 7, pourraient ouvrir la porte à une contestation sous l’article 15. Qu’on pense à un régime d’expulsion qui viserait une ethnie particulière. Mais rien de tel n’est présent ici ou est avancé.

[83] Il eut fallu identifier un élément du régime d’expulsion autre que le simple fait qu’il différencie citoyens et non-citoyens pour en attaquer la constitutionnalité. Dit autrement, on peut définir qui peut être exclus parce que cela reste conforme à l’article 6 de la Charte, mais des éléments rattachés peuvent peut-être ne pas être conformes à la Charte.

[84] À y regarder de près, tout ce que le demandeur fait est de se déclarer insatisfait du cadre que le législateur a choisi pour expulser ceux qui ne sont pas désirés. Il voudrait que les descriptions des non-citoyens ainsi visées soient plus étroites et restrictives. Mais dans la mesure où le régime d’expulsion ne différencie qu’entre citoyens et non-citoyens, alors même que cette différenciation est permise par la Constitution, y voir là une discrimination inconstitutionnelle fait en sorte qu’une disposition de la Charte en annulerait une autre (Adler) ou, dit autrement, cela revient à conclure que la Charte contrevient à elle-même (Lavoie). Ce principe répété à plusieurs reprises par la Cour suprême du Canada s’impose à cette Cour bien évidemment et la lie.

[85] Ceci dit avec égards, le demandeur n’a jamais offert quoique ce soit qui aurait pu dépasser les conditions requises pour l’expulsion, qui irait au-delà des questions d’immigration. Rien de tel n’a été même tenté. Cherchant une certaine inspiration dans Charkaoui, le demandeur dit bien que d’autres faits liés à l’expulsion pourraient constituer une violation de l’article 15, comme les conditions d’expulsion, la détention avant expulsion ou les dispositions prises pour l’expulsion. À supposer que ce soit juste quant à l’article 15 de la Charte, encore faudrait-il que quelque chose du même acabit soit présenté. Ce n’est pas le cas.

[86] Tel que la Cour a tenté de le démontrer, des interdits de territoire existent en vertu de la Loi pour une variété de situations. La « criminalité » et la « grande criminalité » n’en sont que deux créant une partie du cadre que le législateur considère comme devant permettre le renvoi de personnes non désirées. Lorsque le Parlement les définit pour que la peine maximale qui puisse être imposée pour l’infraction soit un critère déterminant, quel que soit le mode de poursuite éventuellement choisi, il ne fait que déterminer le cadre qui peut mener à un interdit de territoire, comme les motifs financiers, les fausses déclarations en matière d’immigration ou la perte d’asile. À mon avis, le demandeur n’a pas démontré comment, malgré les arrêts Chiarelli, Adler, Medovarski, Lavoie et Charkaoui, l’article 15 de la Charte peut s’appliquer en l’espèce alors même que l’article 6 permet la différence entre citoyens et non-citoyens dont il se plaint.

[87] Les deux autres piliers à l’argumentaire du demandeur ne résistent pas davantage à l’analyse. À répétition, il est déclaré que pour que l’alinéa 36(3)a) soit valide, il fallait que l’intéressé pose une menace pour la société canadienne, qu’il soit un criminel dangereux. Seuls les individus dangereux, dit le demandeur, doivent être interdits de territoire puisque, après tout, il est question de « grande criminalité ». Selon l’argumentaire, celui qui est poursuivi sommairement n’est pas un criminel dangereux et ne devrait pas être traité et perçu ainsi.

[88] Avec égards, c’est se méprendre sur les infractions qui sont punissables de dix années de pénitencier pour « grande criminalité » selon le vocable utilisé à la LIPR. De très nombreuses infractions au Code criminel sont punissables de lourdes peines sans pour autant qu’un contrevenant constitue une menace pour la sécurité, qu’il soit devenu un criminel dangereux. Il suffit de passer en revue les infractions au Code criminel pour constater que toute infraction ne résulte pas en un « criminel dangereux » pour s’être rendu coupable d’une infraction punissable par dix ans d’emprisonnement, ou même la perpétuité. Ce que l’article 36 de la Loi identifie, ce sont les infractions aux lois fédérales qui ont une certaine gravité du fait que le Parlement les rendrait punissables pour un emprisonnement de dix ans dans le cas de l’alinéa 36(1)a). La gravité d’une infraction peut bien sûr être fonction du dommage causé à une victime. Cela peut requérir une dénonciation même si le contrevenant n’est pas pour autant devenu un criminel dangereux. Un exemple parmi bien d’autres serait l’infraction de négligence criminelle (montrer une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la sécurité d’autrui) causant des lésions corporelles : l’infraction (article 221 de Code criminel) est hybride avec une peine maximale de dix ans d’emprisonnement. Il n’y a pas d’adéquation entre la gravité de l’infraction et que le contrevenant soit un criminel dangereux. Il n’y a pas eu intention de causer des lésions corporelles. Il s’agissait d’une négligence dite criminelle qui résulte en un dommage causé à une victime. Le comportement démontrant une insouciance déréglée ou téméraire est dénoncé.

[89] Il est aussi utile de noter que pour l’étranger qui n’est pas un résident permanent la barre est située à un niveau encore plus bas aux termes de l’alinéa 36(2)a) de la Loi, pour avoir interdit de territoire (infraction punissable par mise en accusation). La note marginale parle alors de « criminalité ». On voit mal pourquoi la dangerosité du non-citoyen serait un facteur sous l’alinéa 36(1)a) et ne le serait pas sous l’alinéa 36(2)a). Dans l’un ou l’autre cas, un interdit de territoire est prononcé pour des infractions mixtes. Certes toutes les infractions mixtes dans les lois fédérales ne créent par des criminels dangereux du fait d’avoir été trouvé coupable. À mon sens, l’article 36 n’implique aucunement que la personne doive être dangereuse. Ce qui est prévu est simplement un régime permettant le renvoi du pays de personnes qui ne sont plus désirées pour ne pas s’être pliées aux conditions établies pour être autorisées à rester au Canada.

[90] Qui plus est, comme dit plus tôt, l’interdit de territoire ne cherche pas à punir. Le législateur ne fait que tracer les lignes des circonstances dans lesquelles une personne serait interdite de territoire et pourrait donc être expulsée du pays. La dangerosité de la personne n’entre pas en ligne de compte. Je note d’ailleurs que la LIPR prévoit des mécanismes pour prendre dûment en compte les circonstances particulières d’individus qui sont par ailleurs interdits de territoire.

[91] Il en résulte que l’insistance mise sur la sécurité et la dangerosité de la personne est mal venue. Il n’y a à mon avis rien qui justifie de prétendre que « le système d’interdiction de territoire pour criminalité prévu au paragraphe 36(1) de la LIPR a pour objectif de protéger la société canadienne contre les personnes qui constituent une menace pour la sécurité » (mémoire des faits et du droit du demandeur para 53). Le but est d’identifier les personnes non désirées, comme c’est le cas des autres dispositions de la Loi qui définissent les interdits de territoire. Il ne s’agit pas non plus d’une peine supplémentaire, pas plus d’ailleurs qu’une mesure quasi-pénale. Cela n’est pas plus requis pour l’article 36 de la LIPR qu’il ne l’est pour l’interdit pour motifs financiers ou de fausses représentations en matière d’immigration.

[92] Le dernier pilier sur lequel le demandeur s’appuie est sa prétention, si je comprends bien, que le non-citoyen serait privé de la jouissance du mécanisme fondamental du droit criminel voulant que le choix du mode de poursuite soit l’apanage du procureur de la poursuite. Il semble bien que le demandeur voit dans le paragraphe 36(3) une incursion inappropriée du Parlement dans le rôle joué par le procureur de la Couronne. Le citoyen bénéficierait le choix du mode de poursuite, et ce serait un avantage, alors que le non-citoyen n’a pas le même avantage puisque le législateur a choisi de ne pas considérer le mode de poursuite quand vient le temps de décrire les infractions qui peuvent faire l’objet d’interdit de territoire. Cela changerait, dit le demandeur, la nature sous-jacente de l’infraction.

[93] Le demandeur cite l’arrêt Dudley. Dans cette affaire, la question qui se posait était de savoir ce qu’il advient d’une infraction poursuivie par voie sommaire pour laquelle on s’aperçoit qu’elle est prescrite parce qu’intentée plus de six mois depuis la commission alléguée de l’infraction. Trois juges de la Cour suprême ont décidé que le délai de prescription (six mois à l’époque) ne court pas pour les infractions mixtes puisque ces infractions sont réputées être des actes criminels par l’effet de l’article 34 de la Loi d’interprétation, LRC 1985 c I-21. Les six autres juges arrivent essentiellement au même résultat pour une raison différente : ils conviennent que « le ministère public peut tout recommencer par voie de mise en accusation, sauf si le tribunal y voit un abus de procédure » (Dudley, para 5; voir également le para 31, 43 et 44).

[94] Ainsi, on comprend mal l’argument selon lequel « l’article 36(3)a) LIPR en assimilant l’infraction hybride à un acte criminel va à l’encontre de ce principe et prive le justiciable qui n’est pas citoyens canadiens de bénéficier des effets concrets engendrés par le choix du procureur de la Couronne ». En effet, Dudley reconnaît qu’en matière de prescription ce choix du mode de poursuite peut être renversé pour poursuite par voie de mise en accusation. Non seulement le délai de prescription est alors écarté, mais on retourne au mode de poursuite par voie de mise en accusation et la peine maximale redevient celle prévue en conséquence. L’argument selon lequel la nature sous-jacente de l’infraction aurait changé en vertu du choix d’un mode de poursuite ne saurait tenir si la poursuite peut revenir à un autre mode de poursuite lorsqu’il est constaté que la poursuite par voie sommaire est prescrite. En fait, Dudley ne favorise pas la thèse mise de l’avant par le demandeur selon laquelle le mode de poursuite change la nature sous-jacente de l’infraction. C’est plutôt l’inverse. Le mode de poursuite ne modifie pas cette nature sous-jacente.

[95] De façon plus fondamentale, l’arrêt Dudley nous rappelle que le choix du mode de poursuite par le procureur de la Couronne pour infractions mixtes (« qui n’existent nulle part – mais qu’on trouve partout – dans le paysage de la procédure criminelle canadienne » (para 13) est un choix de politique. On lit dans Dudley :

[16] En outre, les infractions mixtes ne constituent absolument pas un phénomène propre au Canada. Mais ailleurs, la décision d’emprunter la voie de la procédure sommaire ou celle de la mise en accusation ne relève généralement pas du pouvoir discrétionnaire du poursuivant. En Angleterre et au pays de Galles, par exemple, c’est le magistrat chargé de l’instruction qui prend la décision : Magistrates’ Courts Act 1980 (R.‑U.), 1980, ch. 43, art. 19. Et dans certains États australiens, dont la Nouvelle‑Galles du Sud, l’accusé peut demander d’être jugé selon la procédure sommaire, avec le consentement du ministère public : Crimes Act 1900 (N.S.W.), art. 475A et 475B.

[17] Même au Canada, il était expressément prévu à une époque que certaines infractions étaient punissables par mise en accusation ou sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, au gré de l’accusé : voir, par exemple, l’art. 501 du Code criminel, S.R.C. 1927, ch. 36; R. c. Richards, [1934] 2 W.W.R. 390 (C.A.C.‑B.). Toutes ces dispositions sont abrogées depuis longtemps et, comme je l’ai indiqué, le choix appartient maintenant au ministère public : Smythe c. La Reine, [1971] R.C.S. 680, p. 685‑687 (le juge en chef Fauteux).

[96] Le demandeur s’en est remis à la caractéristique essentielle de la justice criminelle qui est de permettre au ministère public de choisir le mode de poursuite. Je conviens qu’il doit y avoir quelqu’un qui choisisse le mode de poursuite : en ce sens le rôle du procureur de la Couronne est essentiel. Je ne doute pas non plus que le procureur de la Couronne exerce une fonction qui requiert que les décisions soient prises dans l’intérêt public. La jurisprudence à cet égard est abondante. Cependant, aucune autorité n’a été offerte, et je n’en connais aucune, selon laquelle la common law qui donne au ministère public le choix du mode de poursuite aurait acquis un statut tel que le choix du Parlement d’adopter l’alinéa 36(3)a) de la LIPR serait inapproprié, voire inconstitutionnel. Dans l’état actuel des choses, rien n’empêche le Parlement de traiter les infractions mixtes comme il est fait en adoptant l’alinéa 36(3)a) pour ce qui a trait aux conséquences en matière d’immigration. Le statut du procureur de la Couronne et le rôle qu’elle joue ne changent pas le fait que ce pourrait être changé. D’ailleurs, le demandeur cite dans son mémoire au paragraphe 59 les juges minoritaires dans Dudley qui disent bien que « le pouvoir discrétionnaire, notamment celui du poursuivant, est « une caractéristique essentielle de la justice criminelle » qu’il faut se garder de modifier à la légère ». Quoi qu’il en soit, le législateur n’a pas même touché à la fonction du procureur de la Couronne. Il n’a pas changé le rôle joué dans le système de justice criminelle en adoptant l’alinéa 36(3)a) de la LIPR. Nous ne sommes pas ici en matière de justice criminelle, mais bien plutôt en matière administrative où le Parlement a choisi de ne pas faire de distinction entre les modes de poursuite pour déterminer des cas qui méritent qu’une personne soit interdite de territoire. Le rôle du procureur de la Couronne n’est pas en jeu. Il continue de déterminer le mode de poursuite. C’est plutôt qu’en matière d’immigration, le législateur a choisi de ne pas tenir compte du mode de poursuite dans la détermination de qui n’est plus une personne désirée. Le demandeur n’a pas démontré en quoi ce choix du législateur pourrait faire l’objet d’une intervention par la Cour.

VI. Conclusion

[97] La demande de contrôle judiciaire doit être rejetée principalement parce que l’allégation que l’alinéa 36(3)a) de la LIPR viole le paragraphe 15(1) de la Charte n’a pas été établie en raison de l’existence de l’article 6 de la Charte et de la jurisprudence constante de la Cour suprême.

[98] La Cour conclut aussi que le but de l’article 36 de la LIPR ne peut être d’exclure les « criminels dangereux », mais plutôt, comme pour les autres dispositions de la Section 4 de la LIPR, d’identifier les personnes non désirées qui peuvent alors être interdites de territoire. Enfin, rien n’empêche le Parlement de ne pas tenir compte du mode de poursuite choisi par un procureur de la poursuite dans un procès criminel pour déterminer les conditions pouvant donner lieu à un interdit de territoire en matière d’immigration.

[99] Le demandeur soumet qu’une question grave de portée générale devrait être soumise à la Cour d’appel fédérale en vertu de l’article 74 de la LIPR. Le défendeur ne s’objecte ni à ce qu’une question soit certifiée, ni au libellé qui est proposé par le demandeur.

[100] Une question sera certifiée si elle dispose de l’appel, transcende les intérêts des parties et soulève une question ayant des conséquences importantes ou qui est de portée générale (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Laing, 2021 CAF 194). À mon avis, la question soulevée rencontre ces conditions. La Cour propose une question légèrement amendée par rapport à celle soumise par le demandeur :

L’alinéa 36(3)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés contrevient-il au paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, malgré le paragraphe 6(1) de la Charte, et, de ce fait, est-il inopérant en vertu de l’article 52 de la Charte?


JUGEMENT au dossier IMM-5522-21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. La question grave de portée générale suivante est certifiée :

L’alinéa 36(3)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés contrevient-il au paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, malgré le paragraphe 6(1) de la Charte, et, de ce fait, est-il inopérant en vertu de l’article 52 de la Charte?

« Yvan Roy »

Juge


ANNEXE

36 (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

36 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for

a) être déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ou d’une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé;

(a) having been convicted in Canada of an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years, or of an offence under an Act of Parliament for which a term of imprisonment of more than six months has been imposed;

b) être déclaré coupable, à l’extérieur du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans;

(b) having been convicted of an offence outside Canada that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years; or

c) commettre, à l’extérieur du Canada, une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans.

(c) committing an act outside Canada that is an offence in the place where it was committed and that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years.

(2) Emportent, sauf pour le résident permanent, interdiction de territoire pour criminalité les faits suivants :

(2) A foreign national is inadmissible on grounds of criminality for

a) être déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation ou de deux infractions à toute loi fédérale qui ne découlent pas des mêmes faits;

(a) having been convicted in Canada of an offence under an Act of Parliament punishable by way of indictment, or of two offences under any Act of Parliament not arising out of a single occurrence;

b) être déclaré coupable, à l’extérieur du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation ou de deux infractions qui ne découlent pas des mêmes faits et qui, commises au Canada, constitueraient des infractions à des lois fédérales;

(b) having been convicted outside Canada of an offence that, if committed in Canada, would constitute an indictable offence under an Act of Parliament, or of two offences not arising out of a single occurrence that, if committed in Canada, would constitute offences under an Act of Parliament;

c) commettre, à l’extérieur du Canada, une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation;

(c) committing an act outside Canada that is an offence in the place where it was committed and that, if committed in Canada, would constitute an indictable offence under an Act of Parliament; or

d) commettre, à son entrée au Canada, une infraction qui constitue une infraction à une loi fédérale précisée par règlement.

(d) committing, on entering Canada, an offence under an Act of Parliament prescribed by regulations.

(3) Les dispositions suivantes régissent l’application des paragraphes (1) et (2) :

(3) The following provisions govern subsections (1) and (2):

a) l’infraction punissable par mise en accusation ou par procédure sommaire est assimilée à l’infraction punissable par mise en accusation, indépendamment du mode de poursuite effectivement retenu;

(a) an offence that may be prosecuted either summarily or by way of indictment is deemed to be an indictable offence, even if it has been prosecuted summarily;

b) la déclaration de culpabilité n’emporte pas interdiction de territoire en cas de verdict d’acquittement rendu en dernier ressort ou en cas de suspension du casier — sauf cas de révocation ou de nullité — au titre de la Loi sur le casier judiciaire;

(b) inadmissibility under subsections (1) and (2) may not be based on a conviction in respect of which a record suspension has been ordered and has not been revoked or ceased to have effect under the Criminal Records Act, or in respect of which there has been a final determination of an acquittal;

c) les faits visés aux alinéas (1)b) ou c) et (2)b) ou c) n’emportent pas interdiction de territoire pour le résident permanent ou l’étranger qui, à l’expiration du délai réglementaire, convainc le ministre de sa réadaptation ou qui appartient à une catégorie réglementaire de personnes présumées réadaptées;

 

(c) the matters referred to in paragraphs (1)(b) and (c) and (2)(b) and (c) do not constitute inadmissibility in respect of a permanent resident or foreign national who, after the prescribed period, satisfies the Minister that they have been rehabilitated or who is a member of a prescribed class that is deemed to have been rehabilitated;

d) la preuve du fait visé à l’alinéa (1)c) est, s’agissant du résident permanent, fondée sur la prépondérance des probabilités;

(d) a determination of whether a permanent resident has committed an act described in paragraph (1)(c) must be based on a balance of probabilities; and

e) l’interdiction de territoire ne peut être fondée sur les infractions suivantes :

(e) inadmissibility under subsections (1) and (2) may not be based on an offence

(i) celles qui sont qualifiées de contraventions en vertu de la Loi sur les contraventions,

(i) designated as a contravention under the Contraventions Act,

(ii) celles dont le résident permanent ou l’étranger est déclaré coupable sous le régime de la Loi sur les jeunes contrevenants, chapitre Y-1 des Lois révisées du Canada (1985),

(ii) for which the permanent resident or foreign national is found guilty under the Young Offenders Act, chapter Y-1 of the Revised Statutes of Canada, 1985, or

(iii) celles pour lesquelles le résident permanent ou l’étranger a reçu une peine spécifique en vertu de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents.

(iii) for which the permanent resident or foreign national received a youth sentence under the Youth Criminal Justice Act.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5522-21

 

INTITULÉ :

AKIM MVANA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AFFAIRE ENTENDUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 septembre 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE Roy

 

DATE DES MOTIFS :

LE 10 mars 2023

 

COMPARUTIONS :

Me Vincent Desbiens

Pour le DEMANDEur

Me Michel Pépin

Pour le défendeur

Me Annick Legault

Me Mylène Barrière

Me Anne-Cécile Khouri-Raphael

 

POUR l’INTERVENANTE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Vincent Desbiens

Aide juridique de Montréal

Montréal (Québec)

 

pour le DEMANDEur

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

Me Annick Legault

Me Mylène Barrière

Me Anne-Cécile Khouri-Raphael

Montréal (Québec)

 

POUR l’INTERVENANTE

 

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