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Date : 20230306


Dossier : T-1965-21

Référence : 2023 CF 312

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 6 mars 2023

En présence de madame la juge Sadrehashemi

ENTRE :

BANFF CARIBOU PROPERTIES LTD.

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, Banff Caribou Properties Ltd. (« Banff Caribou »), possède et exploite des hôtels et des restaurants à Banff et Canmore, en Alberta. Dans le cadre d’une vérification de sa déclaration de revenus T2 des sociétés pour 2017, elle a demandé au ministre du Revenu national (« ministre ») d’accepter des déclarations de revenus T2 modifiées. Banff Caribou a proposé de modifier ses déclarations de revenus T2 afin d’y joindre des lettres dans lesquelles elle choisissait de traiter certains biens en capital amortissables comme des catégories distinctes de bâtiments non résidentiels admissibles en vertu du paragraphe 1101(5b.1) du Règlement de l’impôt sur le revenu, C.R.C., ch. 945 [Règlement]. Dans les faits, ces lettres dans lesquelles Banff Caribou effectuait un tel choix lui permettraient de faire une déduction pour amortissement à un taux de six pour cent (6 %) pour certains biens, au lieu du taux de quatre pour cent (4 %) qu’elle utilisait pour cette déduction avant 2017.

[2] La tentative de Banff Caribou de produire une déclaration de revenus modifiée équivaut à une demande à l’Agence du revenu du Canada [ARC] d’accepter un choix tardif. La Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e supp.) [LIR] et le Règlement prescrivent une série de circonstances dans lesquelles les choix tardifs sont autorisés. Banff Caribou accepte qu’un choix fait en application du paragraphe 1101(5b.1) du Règlement ne relève pas de l’une des dispositions visées par règlement à l’égard desquelles les choix tardifs sont expressément autorisés par la LIR et le Règlement.

[3] Banff Caribou a demandé au ministre d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour permettre malgré tout le choix produit tardivement. Se fondant sur l’arrêt Canada c Nassau Walnut Investments Inc, 1996 CanLII 4097 (CAF), [1997] 2 CF 279 [Nassau Walnut] de la Cour d’appel fédérale, Banff Caribou a fait valoir que la présomption selon laquelle les choix faits en application du paragraphe 1101(5b.1) du Règlement ne peuvent être produits tardivement est réfutable. Banff Caribou affirme que cette présomption est réfutée dans son cas en particulier parce que l’omission de faire un choix plus tôt était attribuable à une erreur commise de bonne foi et qu’elle ne révélait aucune tentative de se livrer à une planification fiscale rétroactive.

[4] Le ministre a refusé d’accepter les déclarations de revenus modifiées joignant les lettres dans lesquelles Banff Caribou produisait un choix tardif. Le ministre a fait valoir que la LIR et le Règlement ne lui confèrent pas le pouvoir discrétionnaire d’accepter les lettres dans lesquelles des choix tardifs sont faits en application du paragraphe 1101(5b.1) du Règlement. Il a conclu qu’en décidant s’il pouvait accepter un choix tardif, il ne pouvait se fonder sur des considérations telles que la question de savoir si la demanderesse avait commis une erreur de bonne foi ou s’était livrée à une planification fiscale rétroactive.

[5] J’estime que l’interprétation que fait le ministre de sa compétence est raisonnable compte tenu des observations qui lui ont été présentées. La demanderesse n’a cité aucune décision dans laquelle un choix produit tardivement a été autorisé dans des circonstances autres que celles qui relèvent de la liste fermée expressément énoncée dans la LIR et le Règlement. Les tribunaux ont toujours considéré que cette liste était fermée. Même si je présume que la présomption — à savoir que le législateur avait l’intention de dresser une liste exhaustive des circonstances dans lesquelles des choix pouvaient être produits tardivement — est réfutable, les arguments de la demanderesse ne sont pas convaincants. Ils ne visent pas à réfuter la présomption en cause. Banff Caribou ne s’intéresse pas à la disposition législative, mais elle soutient plutôt que la présomption est réfutée en raison de son erreur commise de bonne foi et du fait qu’elle ne s’est pas livrée à une planification fiscale rétroactive. Elle confond une présomption individuelle réfutable avec une présomption d’origine législative en se concentrant uniquement sur ses actions et ses intentions, plutôt que sur la disposition législative en cause.

[6] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II. Contexte

[7] Les parties s’accordent sur les faits.

[8] Dans sa déclaration de revenus T2 de 2017, Banff Caribou a reclassé six immeubles dont elle est propriétaire et s’est prévalue d’une déduction pour amortissement non pas de quatre pour cent (4 %), mais de six pour cent (6 %). Cette reclassification lui a permis d’effectuer une déduction pour amortissement supplémentaire de 1 591 787,00 $ pour 2017, ce qui, d’après les nouveaux conseillers fiscaux de Banff Caribou, était permis parce que les bâtiments étaient des bâtiments non résidentiels admissibles de catégorie 1 distincts en application de l’alinéa 1100(1) a.2) du Règlement. Banff Caribou n’avait pas effectué de déductions pour amortissement de six pour cent (6 %) au cours des années précédentes parce qu’elle n’avait pas été informée auparavant de cette possibilité.

[9] En 2019, l’ARC a entrepris une vérification de l’année d’imposition 2017 de Banff Caribou. Le 26 mars 2021, un vérificateur de l’ARC a envoyé une lettre de proposition dans laquelle il a proposé de refuser la déduction pour amortissement de deux pour cent (2 %) de plus effectuée par Banff Caribou parce que cela revenait à produire un choix tardivement. L’ARC a fait valoir que les choix tardifs ne sont pas autorisés dans ces circonstances.

[10] Le 6 mai 2021, l’avocat de la demanderesse a répondu à la lettre de proposition du vérificateur. Banff Caribou a fait valoir que l’ARC devrait autoriser les déclarations modifiées auxquelles étaient jointes les lettres de choix parce qu’elle avait commis une erreur de bonne foi et qu’autoriser la modification ne reviendrait pas à une planification fiscale rétroactive.

[11] Le 24 novembre 2021, l’ARC a avisé la demanderesse par téléphone qu’elle maintenait la thèse telle qu’elle avait été énoncée dans la lettre de proposition du 26 mars 2021. L’ARC a rejeté la demande d’autorisation de la demanderesse de produire des déclarations modifiées. Elle a fondé sa décision sur un mémorandum daté du 10 novembre 2021, préparé pour le vérificateur de l’ARC par le personnel de la section 1 des applications techniques. L’ARC a transmis ce mémorandum à Banff Caribou. Elle a affirmé qu’elle n’avait pas le pouvoir discrétionnaire d’accepter des choix produits tardivement en application du paragraphe 1101(5b.1) du Règlement parce que ce paragraphe n’est pas inscrit à l’article 600 du Règlement, qui dresse une liste des dispositions en vertu desquelles le ministre peut accepter des choix tardifs, modifiés ou révoqués. De plus, l’ARC a conclu que les circonstances exposées par Banff Caribou, à savoir qu’elle avait commis une erreur de bonne foi et qu’elle ne s’était pas livrée à une planification fiscale rétroactive, n’appartenaient pas aux considérations prises en compte pour décider d’accepter ou non un choix produit tardivement.

III. Question préliminaire

[12] Banff Caribou a d’abord demandé une ordonnance de mandamus obligeant le ministre à accepter les déclarations de revenus modifiées auxquelles étaient jointes les lettres faisant état des choix tardifs. Lors de l’audition de la présente demande de contrôle judiciaire, Banff Caribou a concédé qu’il ne convenait pas de rendre une ordonnance de mandamus en l’espèce et a admis que l’affaire devrait être tranchée à nouveau si sa demande de contrôle judiciaire était accueillie. La demanderesse a continué de demander à la Cour de déclarer que le ministre a le pouvoir discrétionnaire d’accepter les choix produits tardivement en vertu du paragraphe 1101(5b.1) du Règlement.

IV. Question en litige et norme de contrôle

[13] La question déterminante dans le présent contrôle judiciaire est celle de savoir s’il était raisonnable pour le ministre de conclure qu’il n’avait pas le pouvoir discrétionnaire d’accepter un choix produit tardivement en vertu du paragraphe 1101(5b.1) du Règlement dans un cas où une demanderesse avait omis de produire sa lettre de choix plus tôt en raison d’une erreur commise de bonne foi et où elle ne s’était pas livrée à une planification fiscale rétroactive.

[14] Les parties n’ont présenté aucune observation au sujet de la norme de contrôle. Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la Cour suprême du Canada a confirmé que la norme de contrôle qui est présumée s’appliquer dans le cadre du contrôle d’une décision administrative sur le fond est celle de la décision raisonnable. L’affaire ne soulève aucune question qui justifierait de s’écarter de cette présomption.

[15] Étant donné que j’ai conclu que le ministre avait raisonnablement établi sa compétence, il n’y a aucune raison sur le fondement de laquelle la Cour puisse envisager de faire la déclaration que la demanderesse lui demande de faire.

V. Analyse

A. Cadre législatif

[16] Dans le présent contrôle judiciaire, il s’agit de savoir si Banff Caribou peut modifier ses déclarations de revenus pour produire des choix tardifs qui reclassifient certains bâtiments afin de bénéficier d’une déduction pour amortissement plus élevée. L’alinéa 1100(1)a.2) du Règlement permet à un contribuable d’effectuer une déduction pour amortissement pouvant aller jusqu’à deux pour cent (2 %) de plus s’il est satisfait à certains critères, notamment :

a) les bâtiments relèvent de la définition des bâtiments non résidentiels admissibles énoncée à l’alinéa 1100(1)a.2);

b) une catégorie distincte est prescrite pour le bâtiment par la voie d’un choix en application du paragraphe 1101(5b.1) du Règlement, produit au cours de l’année d’acquisition du bâtiment avec la déclaration de revenus des sociétés T2.

[17] Le paragraphe 1101(5b.1) du Règlement énonce les détails du choix qui doit être produit dans les termes suivants :

Pour l’application de la présente partie, est compris dans une catégorie distincte chaque bâtiment non résidentiel admissible d’un contribuable (autre qu’un bâtiment de liquéfaction admissible) à l’égard duquel il a choisi de se prévaloir du présent paragraphe dans une lettre à cet effet jointe à la déclaration de revenu qu’il présente au ministre conformément à l’article 150 de la Loi pour l’année d’imposition dans laquelle le bâtiment est acquis.

For the purposes of this Part, a separate class is prescribed for each eligible non-residential building (other than an eligible liquefaction building) of a taxpayer in respect of which the taxpayer has (by letter attached to the return of income of the taxpayer filed with the Minister in accordance with section 150 of the Act for the taxation year in which the building is acquired) elected that this subsection apply.

[18] Les parties s’entendent pour dire que Banff Caribou n’a pas satisfait au deuxième critère, car elle n’a pas joint le choix aux déclarations de revenus T2 qu’elle a produites auprès du ministre conformément à l’article 150 de la LIR pour les années dans lesquelles les biens concernés ont été acquis.

[19] Le paragraphe 150(1) de la LIR fixe les délais dans lesquels doivent être produites les déclarations de revenus des sociétés. En effet, il dispose :

Sous réserve du paragraphe (1.1), une déclaration de revenu sur le formulaire prescrit et contenant les renseignements prescrits doit être présentée au ministre, sans avis ni mise en demeure, pour chaque année d’imposition d’un contribuable :

Sociétés

a) dans le cas d’une société, par la société, ou en son nom, dans les six mois suivant la fin de l’année si, selon le cas :

(i) au cours de l’année, l’un des faits suivants se vérifie :

(A) la société réside au Canada...

Subject to subsection (1.1), a return of income that is in prescribed form and that contains prescribed information shall be filed with the Minister, without notice or demand for the
return, for each taxation year of a taxpayer,

Corporations

(a) in the case of a corporation, by or on behalf of the corporation within six months after the end of the year if

(i) at any time in the year the corporation

(A) is resident in Canada...

[20] La référence à l’article 150 de la LIR au paragraphe 1101(5b.1) du Règlement fixe une date limite pour produire un choix comme condition pour effectuer la déduction pour amortissement supplémentaire. Il n’y a aucune ambiguïté au paragraphe 1101(5b.1) en ce qui concerne la méthode de production du choix ou le délai dans lequel celui‐ci doit être produit. Encore une fois, il n’y a pas de litige entre les parties sur cette question.

[21] La demanderesse affirme que, par sa demande à l’ARC, elle demande au ministre d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’accepter les déclarations de revenus modifiées. Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que cette demande de la demanderesse de modifier ses déclarations de revenus équivaut à une demande de production tardive d’un choix en application du paragraphe 1101(5b.1). La seule modification que la demanderesse propose d’apporter à ses déclarations consiste à joindre des lettres de choix. Autrement dit, aux fins de déterminer si la déclaration de revenus peut être modifiée, l’ARC devait en réalité déterminer si un choix tardif peut être permis dans ces circonstances. La Cour canadienne de l’impôt a traité une question similaire dans Terminal Norco Inc c R, 2006 CCI 139 au para 88 [Terminal Norco] :

Bien que l’appelante ait représenté cette question en termes de savoir si elle a le droit de modifier sa déclaration de revenus de 1992, en réalité, elle demande de produire tardivement un choix en vertu du paragraphe 1103(1). La « correction » que l’appelante prétend avoir effectuée dans sa déclaration de revenus modifiée consiste à calculer de nouveau son revenu en fonction de ses biens amortissables inclus dans la catégorie 1, ce qui ne serait le cas que si l’appelante avait produit un choix valide en vertu du paragraphe 1103(1). Par conséquent, afin d’accepter l’argument de l’appelante selon lequel elle avait le droit de produire une déclaration de revenus modifiée, je dois nécessairement déterminer si l’appelante avait le droit de produire tardivement un choix.

[22] Le même raisonnement s’applique ici. La véritable question qui se posait devant l’ARC n’était pas simplement de savoir si une déclaration de revenus modifiée serait autorisée, mais plutôt de savoir si Banff Caribou pouvait produire tardivement un choix en application du paragraphe 1101(5b.1).

[23] La production tardive d’un choix est permise par la voie de deux mécanismes distincts, dont aucun ne s’applique aux choix qui sont en cause dans la présente demande. Premièrement, certaines dispositions de la LIR envisagent explicitement les choix produits tardivement (paragraphes 83(3), 85(7), 93(5), 96(5) de la LIR). Ni l’alinéa 1100(1)a.1) ni le paragraphe 1101(5b.1) du Règlement n’envisage le choix produit tardivement. Deuxièmement, le paragraphe 220(3.2) de la LIR et l’article 600 du Règlement, qui sont des dispositions d’allègement pour les contribuables, précisent les circonstances dans lesquelles le ministre pourrait accepter un choix produit tardivement. Le paragraphe 220(3.2) de la LIR dispose :

Le ministre peut, en ce qui concerne un choix prévu par une disposition visée par règlement, proroger le délai pour faire le choix ou permettre la modification ou l’annulation du choix si les conditions suivantes sont réunies :

a) le choix devait être fait par ailleurs par un contribuable ou une société de personnes au plus tard un jour donné d’une de ses années d’imposition ou d’un de ses exercices, selon le cas;

b) le contribuable ou la société de personnes demande au ministre, au plus tard le jour qui suit de dix années civiles la fin de l’année d’imposition ou de l’exercice, de proroger le choix ou d’en permettre la modification ou la révocation.

 

The Minister may extend the time for making an election or grant permission to amend or revoke an election if

(a) the election was otherwise required to be made by a taxpayer or by a partnership, under a prescribed provision, on or before a day in a taxation year of the taxpayer (or in the case of a partnership, a fiscal period of the partnership); and

(b) the taxpayer or the partnership applies, on or before the day that is ten calendar years after the end of the taxation year or the fiscal period, to the Minister for that extension or permission.

 

[24] Le paragraphe 220(3.2) est limité aux choix effectués en vertu d’une « disposition visée par règlement ». Ces dispositions visées par règlement sont énumérées à l’article 600 du Règlement :

Les dispositions visées aux alinéas 220(3.2)a) et b) de la Loi sont les suivantes :

a) l’article 21 de la Loi;

b) les paragraphes 13(4), (7.4) et (29), 20(24), 44(1) et (6), 45(2) et (3), 50(1), 53(2.1), 56.4(13), 70(6.2), (9.01), (9.11), (9.21) et (9.31), 72(2), 73(1), 80.1(1), 82(3), 83(2), 91(1.4), 104(14), 107(2.001), 143(2), 146.01(7), 146.02(7), 164(6) et (6.1), 184(3), 251.2(6) et 256(9) de la Loi;

c) les alinéas 12(2.2)b), 66.7(7)c), d) et e) et (8)c), d) et e), 80.01(4)c), 86.1(2)f) et 128.1(4)d), (6)a) et c), (7)d) et g) et (8)c) de la Loi;

d) les paragraphes 1103(1), (2) et (2d) et 5907(2.1) du présent règlement.

For the purposes of paragraphs 220(3.2)(a) and (b) of the Act, the following are prescribed provisions:

(a) section 21 of the Act;

(b) subsections 13(4), (7.4) and (29), 20(24), 44(1) and (6), 45(2) and (3), 50(1), 53(2.1), 56.4(13), 70(6.2), (9.01), (9.11), (9.21) and (9.31), 72(2), 73(1), 80.1(1), 82(3), 83(2), 91(1.4), 104(14), 107(2.001), 143(2), 146.01(7), 146.02(7), 164(6) and (6.1), 184(3), 251.2(6) and 256(9) of the Act;

(c) paragraphs 12(2.2)(b), 66.7(7)(c), (d) and (e) and (8)(c), (d) and (e), 80.01(4)(c), 86.1(2)(f) and 128.1(4)(d), (6)(a) and (c), (7)(d) and (g) and (8)(c) of the Act;

(d) subsections 1103(1), (2) and (2d) and 5907(2.1) of these Regulations.

[25] La disposition pertinente dans la présente affaire, le paragraphe 1101(5b.1), ne figure pas à l’article 600 du Règlement à titre de disposition visée par règlement permettant au ministre d’accepter un choix produit tardivement.

B. La décision de l’ARC sur la compétence était raisonnable

[26] L’ARC a examiné les observations dans lesquelles la demanderesse a demandé au ministre d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour accepter une déclaration de revenus modifiée ainsi que la lettre de choix. L’ARC a cru comprendre que la demande visait à déterminer si elle était autorisée à accepter un choix produit tardivement en lien avec une disposition qui n’était pas visée par la LIR et le Règlement comme étant une disposition qui permet les choix tardifs. L’ARC a considéré qu’elle s’était déjà prononcée sur cette question dans un bulletin d’interprétation de l’impôt sur le revenu (Agence du revenu du Canada, bulletin d’interprétation IT 2010‐0381311E5, « Bâtiments non résidentiels – choix tardif » (18 février 2011)), où elle a constaté ce qui suit :

[TRADUCTION]

Il n’y a pas de disposition prévoyant expressément la production tardive du choix pour les bâtiments non résidentiels admissibles, comme le prévoient par exemple les paragraphes 85(7) à (9) de la Loi en ce qui concerne les choix pour les transferts visés par l’article 85. Bien que l’alinéa 220(3.2)a) de la Loi lui confère le pouvoir discrétionnaire d’autoriser certains choix tardifs, l’ARC n’est autorisée à exercer son pouvoir discrétionnaire qu’à l’égard des choix figurant à l’article 600 du Règlement. Étant donné que le paragraphe 1101(5b.1) n’est pas mentionné à l’article 600, le choix fait en application du paragraphe 1101(5b.1) ne peut être tardif.

[27] L’ARC a également expliqué que la Section des applications techniques avait traité cette question et fourni une réponse semblable. Elle a noté les limites du paragraphe 220(3.2) qui permettent des choix tardifs relativement aux dispositions visées par le Règlement.

[28] La détermination de l’ARC est conforme à la jurisprudence. La demanderesse n’a cité aucune décision dans laquelle un choix tardif a été permis dans des circonstances autres que celles qui sont expressément prévues dans la LIR et le Règlement. Pour la même raison que celle qu’a fournie l’ARC, les tribunaux ont conclu que les choix tardifs ne peuvent pas être acceptés pour des dispositions qui ne sont pas expressément énumérées dans la LIR et le Règlement comme autorisant des choix tardifs (voir Miller c Ministre du Revenu national (1992), [1993] 1 CTC 269 (CAF); Hundal c Canada, (2000) 54 DTC 6520 (CF); Terminal Norco; Advanced Agricultural Testing Inc c R, 2009 CCI 190).

[29] L’ARC a également examiné l’argument de la demanderesse selon lequel elle avait commis une erreur de bonne foi et elle ne s’était pas livrée à une planification fiscale rétroactive. L’ARC a conclu qu’il ne s’agit pas du genre de considérations qu’elle pourrait prendre en compte lorsqu’elle décide d’accepter ou non un choix tardif.

[30] Banff Caribou a soutenu devant moi que l’ARC ne s’était pas demandé si Banff Caribou avait réfuté la présomption selon laquelle les circonstances dans lesquelles des choix tardifs seraient permis devaient être expressément prévues dans la LIR et le Règlement. La demanderesse s’appuie fortement sur son interprétation de l’arrêt Nassau Walnut de la Cour d’appel fédérale. Un argument similaire concernant la demande de Nassau Walnut a également été soulevé comme argument subsidiaire dans Terminal Norco. La Cour canadienne de l’impôt a conclu dans Terminal Norco que l’affaire Nassau Walnut portait sur des désignations déposées tardivement et non sur des choix et que la Cour d’appel fédérale a spécifiquement distingué les choix tardifs des désignations lorsqu’elle a conclu ce qui suit (Nassau Walnut au para 31 cité dans Terminal Norco au para 89) :

Pour faire la distinction avec une désignation, et à titre de proposition générale, disons que, lorsqu’un choix doit être fait, le contribuable doit décider de renoncer à une option en faveur d’une autre en évaluant les conséquences fiscales susceptibles de se produire advenant la concrétisation de certaines éventualités... la Loi reconnaît implicitement qu’une désignation et un choix ne sont pas une seule et même chose.

[31] Je souscris au raisonnement de la Cour de l’impôt dans Terminal Norco; à mon avis, il s’applique en l’espèce à Banff Caribou, qui se fonde sur Nassau Walnut dans la présente affaire.

[32] La demanderesse a fait valoir que, dans la décision Terminal Norco, la Cour de l’impôt n’a pas traité de l’élément qui est au cœur de ses observations sur ce point. À savoir que la demanderesse a fait valoir que, même si Nassau Walnut concernait une désignation déposée tardivement, la Cour d’appel fédérale a expliqué qu’il existe une présomption réfutable selon laquelle le législateur avait l’intention de dresser une liste exhaustive des circonstances dans lesquelles des choix ou des désignations tardifs pourraient être permis. Banff Caribou s’appuie notamment sur ce passage tiré du paragraphe 33 de Nassau Walnut :

Bien que la Loi prévoie dans certains cas une forme d’allégement, il ne s’ensuit pas nécessairement que le législateur avait l’intention de ne pas accorder d’allégement dans des situations dont la Loi ne traite pas expressément. Le fait que la Loi autorise l’exercice tardif d’une désignation ou d’un choix dans des circonstances particulières ne mène en fait qu’à une inférence réfutable selon laquelle le législateur n’avait pas l’intention d’accorder le même droit au contribuable dans d’autres circonstances.

[33] Même si je devais accepter qu’il s’agit d’une présomption qui pourrait être réfutée, je ne suis pas convaincue que Banff Caribou ait présenté à l’ARC des observations susceptibles de réfuter la présomption en cause, à savoir que le législateur voulait qu’il y ait une liste exhaustive de circonstances énoncées dans la LIR et le Règlement dans lesquelles un choix tardif pourrait être autorisé. L’argument de la demanderesse tente de réfuter une présomption différente : que les choix produits tardivement constituent une tentative présumée de se livrer à une planification fiscale rétroactive. Ce n’est pas la présomption en cause. Les observations que la demanderesse a présentées à l’ARC et à la Cour en l’espèce visent à réfuter une présomption non pertinente en se concentrant sur l’erreur qu’elle a commise de bonne foi. La demanderesse se concentre uniquement sur ses actions et ses intentions, plutôt que sur la disposition législative en cause (Nassau Walnut au para 29). L’ARC a raisonnablement conclu que la question de savoir si une personne a commis une erreur de bonne foi ou s’est livrée à une planification fiscale rétroactive ne relève pas des circonstances qu’elle prend en considération aux fins de décider d’accepter ou non un choix produit tardivement.

VI. Dispositif

[34] La demande de contrôle judiciaire est rejetée. À la demande du défendeur et conformément à l’article 303 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‐106, l’intitulé de la présente affaire est modifié de manière que le procureur général du Canada y figure à titre de défendeur dans la présente demande.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T‐1965‐21

LA COUR STATUE que :

  1. L’intitulé de la cause est modifié immédiatement de manière que le procureur général du Canada y figure comme défendeur;

  2. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  3. Les frais sont adjugés au procureur général du Canada.

« Lobat Sadrehashemi »

Juge

Traduction certifiée conforme

Fabienne Painchaud


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1965-21

 

INTITULÉ :

BANFF CARIBOU PROPERTIES LTD. c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 8 septembre 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SADREHASHEMI

 

DATE DES MOTIFS :

Le 6 mars 2023

 

COMPARUTIONS :

Dan Misutka

 

Pour la demanderesse

Courtney Davidson

 

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

DLA PIPER (CANADA) LLP

Calgary (Alberta)

Pour la demanderesse

Procureur général du Canada

Pour le défendeur

 

Edmonton (Alberta)

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