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Date : 20230222


Dossier : IMM-9175-21

Référence : 2023 CF 259

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 22 février 2023

En présence de madame la juge Pallotta

ENTRE :

MADHANAGANESH VARATHARAJAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur, M. Madhanaganesh Varatharajan, conteste la décision du 17 novembre 2021 par laquelle la Section d’appel des réfugiés (la SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté son appel et a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) portant qu’il n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger, aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi].

[2] Le demandeur craint de subir de la persécution ou un préjudice de la part de la police en Inde. Il affirme que, dans le cadre de son travail de livreur, il a été arrêté et fouillé par des policiers qui n’avaient aucun motif de le faire. Les policiers ont trouvé le demandeur en possession de marijuana, qui, selon ce dernier, avait été cachée à son insu. Le demandeur croit que la personne à l’origine de ces événements est un ancien collègue de travail qui l’a accusé d’avoir compromis son emploi.

[3] Le demandeur affirme avoir été victime de violence physique pendant qu’il était détenu sous garde. Il a soudoyé un policier afin d’avoir accès à un téléphone et a communiqué avec un avocat et ami de la famille ayant des liens avec le milieu politique, lequel a obtenu sa libération au moyen de pots‑de‑vin. L’avocat a informé le demandeur qu’il avait été accusé de trafic de drogue et qu’il risquait une peine de 10 ans de prison, et qu’il faisait l’objet d’accusations pour s’être échappé de sa détention sous garde. L’avocat et le père du demandeur ont pris des dispositions pour le faire sortir clandestinement du pays. Le demandeur affirme que la police a continué de le chercher après son départ de l’Inde.

[4] La SAR a conclu que le demandeur n’avait pas établi de lien avec un motif de persécution prévu par la Convention et énoncé à l’article 96 de la Loi, et a évalué sa demande d’asile selon l’article 97 de la Loi. À cet égard, la SAR a confirmé la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur ne peut se prévaloir de la protection prévue à l’article 97. La SAR a conclu que le demandeur n’avait pas établi que son renvoi vers l’Inde l’exposerait à un risque de traitements ou peines cruels et inusités ni qu’un tel risque ne serait pas inhérent à des sanctions légitimes ou occasionné par elles, comme l’exige le sous‑alinéa 97(1)b)(iii) de la Loi.

[5] Le demandeur fait valoir que la SAR a commis des erreurs dans son analyse de l’exception relative aux sanctions légitimes, ce qui rend la décision déraisonnable. Premièrement, il affirme que la SAR a commis une erreur simplement en tenant compte de l’exception. Comme la SAR a reconnu que les principales allégations du demandeur étaient crédibles, il ne pouvait être légitime que celui‑ci soit passible d’une sanction pour un crime qu’il n’avait pas commis. Deuxièmement, même si la SAR n’a pas commis d’erreur en tenant compte de l’exception relative aux sanctions légitimes, le demandeur affirme qu’elle a commis une erreur dans son évaluation visant à déterminer si les éléments de l’exception étaient réunis en l’espèce.

[6] Le défendeur fait valoir qu’il était raisonnable pour la SAR de conclure que le demandeur n’avait pas établi qu’il serait exposé, en Inde, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités aux termes de l’article 97 de la Loi. Dans l’application du critère relatif aux sanctions légitimes, la première étape consiste à procéder à la même analyse que celle effectuée pour toute demande d’asile fondée sur une menace ou un risque au titre de l’article 97 de la Loi, et cette première étape a été déterminante dans le cas du demandeur. La SAR a fourni une justification détaillée basée sur la preuve et sur les raisons pour lesquelles la preuve était insuffisante. Le défendeur soutient que le demandeur, par les arguments qu’il a invoqués dans le cadre du contrôle judiciaire, cherche à faire porter le fardeau de la preuve à la SAR en affirmant que cette dernière n’avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour conclure qu’il ne serait exposé à aucun risque, ce qui est inadmissible.

[7] Le caractère raisonnable de la décision de la SAR fait l’objet d’un contrôle selon les principes énoncés dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. La norme de la décision raisonnable commande un contrôle empreint de déférence, mais rigoureux : Vavilov, aux para 12‑13, 75 et 85. Lorsqu’elle procède à un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la cour de révision détermine si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité : Vavilov, au para 99. Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, au para 85. Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable : Vavilov, au para 100.

[8] Le sous‑alinéa 97(1)b)(iii) de la Loi est ainsi libellé :

97(1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

[…]

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

[…]

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles, [...]

[9] Dans la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c Harvey, 2013 CF 717 [Harvey] au paragraphe 41, la Cour a énoncé les éléments du critère applicable au titre du sous‑alinéa 97(1)b)(iii), à savoir :

a. le demandeur d’asile doit démontrer qu’il est exposé soit à une menace à sa vie, soit au risque de traitements ou peines cruel[s] et inusité[s] (au sens que le droit canadien donne à cette expression) dans son pays d’origine;

b. le traitement ou la peine en question ne doit pas résulter de sanctions légitimes;

c. si le traitement ou la peine résulte de sanctions légitimes, le demandeur d’asile doit alors démontrer [que le traitement ou la peine] a été inflig[é] au mépris des normes internationales.

[10] Autrement dit, lorsqu’une demande d’asile est fondée sur un risque de traitements ou peines cruels et inusités qui est inhérent à des sanctions légitimes ou occasionné par celles‑ci, il ne suffit pas que la peine soit cruelle et inusitée au Canada; le demandeur d’asile doit également établir que la peine est infligée au mépris des normes internationales : Harvey, aux para 50‑51.

[11] Le demandeur affirme que la SAR a commis une erreur en considérant qu’il avait été arrêté pour des accusations réelles, puisque celles‑ci découlent d’un complot criminel entre un ancien collègue de travail qui souhaite se venger et des policiers qui ont contrevenu à la loi. Le demandeur a prétendu que la drogue avait été cachée et trouvée lors d’une fouille arrangée par son ancien collègue et des policiers corrompus. Comme la SAR a considéré comme vraies les principales allégations du demandeur, toute sanction qui lui serait infligée ne pourrait être légitime, de sorte que le sous‑alinéa 97(1)b)(iii) ne s’applique pas à sa demande d’asile. De plus, le demandeur soutient que la SAR n’a pas examiné comment la preuve sur les conditions dans le pays, portant que les pots‑de‑vin et la corruption sont répandus au sein des forces policières indiennes, influait sur le caractère légitime des sanctions judiciaires qu’il pourrait encourir.

[12] Le demandeur affirme que la SAR a également commis une erreur dans son évaluation visant à déterminer si, en l’espèce, les trois éléments du critère relatif aux sanctions légitimes étaient réunis. Il prétend que la SAR a commis les erreurs suivantes :

  1. La SAR a conclu que le premier élément du critère n’était pas respecté, sans expliquer pourquoi elle n’avait pas retenu le témoignage du demandeur portant qu’il avait été arrêté et accusé de possession de marijuana, laquelle avait été cachée par la police, et que la police avait continué de le chercher après son départ de l’Inde.

  2. La SAR a imposé une exigence de « peine d’emprisonnement grave », alors que, si l’on s’appuie sur les violations des droits de la personne commises dans le système carcéral indien, la durée de l’incarcération a peu à voir avec la menace à la vie ou le risque de traitements ou peines cruels et inusités auquel les détenus sont exposés.

  3. La SAR n’a pas évalué le deuxième élément du critère et a simplement affirmé que les pays ont le pouvoir d’adopter des lois et d’imposer des pénalités pour contrôler les drogues. La conclusion de la SAR selon laquelle le deuxième élément du critère était respecté contredisait d’autres conclusions de la SAR, notamment celles selon lesquelles la preuve ne permettait pas d’établir que le demandeur serait exposé à des traitements ou peines cruels et inusités étant donné que rien n’indiquait qu’il avait été accusé; il est difficile de dire en quoi les traitements ou les peines en question pourraient être inhérents à des sanctions légitimes ou occasionnés par celles‑ci si aucune accusation officielle n’a été portée contre le demandeur et que ce dernier ne sait pas s’il a été condamné.

  4. En ce qui concerne le troisième élément, la SAR a reproché au demandeur de ne pas avoir présenté d’observations de fond sur la conformité aux normes internationales de la peine qu’il pourrait encourir, mais n’a pas répondu adéquatement aux observations qu’il avait formulées portant que la SPR avait commis une erreur susceptible de contrôle en ne précisant pas quelles étaient les « normes internationales » en matière de traitements cruels et inusités. La décision de la SAR manquait de transparence, car cette dernière ne s’est pas penchée sur les normes internationales.

  5. En outre, la SAR n’a pas justifié de quelle manière elle avait déterminé que le système carcéral indien était conforme aux normes internationales, compte tenu de la preuve sur les conditions dans le pays qui révèle que le traitement des détenus en Inde ne respectait pas les normes minimales fixées par les Nations Unies. La preuve montre des taux élevés de mauvais traitements dans les prisons indiennes, et la SAR a reconnu que des éléments de preuve donnaient à penser que les conditions au sein du système carcéral en Inde étaient difficiles et violentes et que, parfois, elles mettaient la vie des prisonniers en danger.

[13] Le demandeur n’a pas établi que la décision de la SAR est déraisonnable. À mon avis, le demandeur ne comprend pas bien les motifs de la SAR et prétend que celle‑ci a commis des erreurs dans ses conclusions, lesquelles sont prises hors de leur contexte. Essentiellement, la SAR a rejeté la demande d’asile du demandeur parce qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir, selon la prépondérance des probabilités, que le renvoi de ce dernier vers l’Inde l’exposerait à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités. Comme le fait remarquer le défendeur, la présomption de véracité ne signifie pas que le demandeur est dispensé de présenter des éléments de preuve suffisants pour étayer les points centraux de sa demande d’asile, et la croyance d’un demandeur peut être limitée par ce qu’il est en mesure d’établir comme étant objectivement vrai : Ferguson c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1067 au para 27; Barros Barros c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 9 aux para 48‑50.

[14] Le demandeur prétend qu’il serait exposé à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités en Inde s’il était emprisonné pour un crime qu’il n’avait pas commis; toutefois, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que le demandeur n’a pas satisfait au premier élément de l’analyse énoncé dans la décision Harvey. La SAR a conclu qu’aucun élément de preuve n’indiquait que le demandeur avait été accusé d’un crime, qu’un mandat ou une sommation avait été délivré ni que la police avait un intérêt à l’appréhender. De plus, les éléments de preuve du demandeur n’indiquaient pas quelle accusation serait portée contre lui si la police décidait d’engager des poursuites ni s’il était considéré comme un fugitif. La SAR a fait remarquer que rien ne démontrait que le demandeur avait cherché à savoir s’il avait été accusé d’une infraction en Inde ou si la police continuait de s’intéresser à lui en raison d’événements survenus plus de trois ans auparavant.

[15] La SAR a relevé d’autres lacunes dans la preuve du demandeur, notamment l’absence d’éléments de preuve concernant les peines qu’il pourrait encourir en Inde, comme la possible fourchette des peines ou la façon dont un tribunal indien interpréterait et appliquerait une fourchette de peines, et l’absence de comparaison entre les peines possibles en Inde et celles qui pourraient être infligées au Canada dans des circonstances comparables. En raison de ce manque d’éléments de preuve, la SAR a évalué le régime indien de détermination de la peine en fonction des renseignements à sa disposition et a effectué des comparaisons générales avec le droit canadien. Elle a conclu que le régime de détermination de la peine en Inde n’était pas exagérément disproportionné par rapport au Canada.

[16] La SAR a pris en compte la preuve sur les conditions dans le pays relativement aux conditions de détention en Inde, mais a conclu que le risque de traitements cruels et inusités en prison était « très hypothétique », étant donné que le demandeur n’avait pas été accusé ni déclaré coupable, et que rien n’indiquait quelle pourrait être la fourchette de peines applicable.

[17] Le demandeur affirme que la SAR n’a pas évalué le deuxième élément de l’exception relative aux sanctions légitimes. La SAR a fourni de brefs motifs au sujet du deuxième élément parce qu’elle a conclu que le premier élément du critère était déterminant; elle a examiné les deuxième et troisième éléments à titre subsidiaire. La SAR a également fait observer que le demandeur n’avait pas contesté les conclusions de la SPR portant sur le deuxième élément. Le demandeur n’a pas établi que la SAR avait commis une erreur en concluant que le risque auquel il serait exposé, qu’il avait décrit dans son mémoire présenté à la SAR comme le [traduction] « risque d’être condamné à une peine d’emprisonnement sous le régime de la loi indienne intitulée Narcotic Drugs and Psychotropic Substances Act (loi sur les stupéfiants et les substances psychotropes) », était inhérent à des sanctions légitimes en Inde ou occasionné par celles‑ci suivant le deuxième élément de l’exception.

[18] La SAR a pris en compte les observations du demandeur concernant le troisième élément de l’exception relative aux sanctions légitimes et a examiné celles‑ci de manière exhaustive. Le demandeur a fait valoir devant la SAR que la SPR avait commis une erreur en ne procédant pas à l’analyse du troisième élément de l’exception, mais la SAR a expliqué qu’il incombait au demandeur d’établir que le troisième élément était rempli. La SAR a souligné les observations de la Cour dans la décision Harvey portant que l’expression « sauf celles infligées au mépris des normes internationales » au sous‑alinéa 97(1)b)(iii) de la Loi signifie qu’il ne suffit pas pour un demandeur d’asile d’établir qu’il serait passible d’une peine considérée comme cruelle et inusitée en droit canadien. Le demandeur était tenu d’établir que le traitement ou la peine auquel il pourrait être exposé en Inde ne respecterait pas les normes internationales, et il n’a fourni aucun élément de preuve à ce sujet. La SAR a également renvoyé à la jurisprudence de la Cour selon laquelle le risque d’être exposé à une peine d’emprisonnement plus sévère ou à de pires conditions d’incarcération qu’au Canada n’est pas suffisant en soi pour justifier une demande d’asile fondée sur l’article 97 : You c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 100; Usta c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1525. La SAR a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir que les conditions de détention en Inde ne respectaient pas les normes internationales.

[19] Pour conclure, le demandeur n’a pas établi que la décision de la SAR est déraisonnable. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Les parties n’ont proposé aucune question à certifier, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-9175-21

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Christine M. Pallotta »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-9175-21

INTITULÉ :

MADHANAGANESH VARATHARAJAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 7 DÉCEMBRE 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE PALLOTTA

DATE DES MOTIFS :

Le 22 FÉVRIER 2023

COMPARUTIONS :

Emmanuel Abitbol

POUR LE DEMANDEUR

Brad Béchard

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Grice & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canaa

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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