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Date : 20230215


Dossier : IMM-4682-22

Référence : 2023 CF 219

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 15 février 2023

En présence de madame la juge Sadrehashemi

ENTRE:

DIGPAL SINGH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Digpal Singh (M. Singh), a présenté une demande de résidence permanente dans le cadre du Programme pilote des gardiens d’enfants en milieu familial. Un agent (l’agent) d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC] a rejeté cette demande, estimant que M. Singh n’avait pas exercé un travail admissible pendant 24 mois au cours de la période exigée de 36 mois précédant sa demande. M. Singh a demandé un réexamen de cette décision, mais l’agent a confirmé son refus.

[2] M. Singh soulève de multiples motifs pour contester le refus dans le cadre du présent contrôle judiciaire. Premièrement, il soutient que l’agent aurait dû considérer qu’il avait accumulé l’expérience de travail exigée de 24 mois au moment où l’agent a examiné sa demande ou rendu une décision quant à sa demande. Deuxièmement, il avance que même si l’agent devait tenir compte de son expérience de travail à partir du moment où la demande a été présentée et non du moment où elle a été examinée, il aurait tout de même satisfait à l’exigence. Il fait valoir que selon le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le RIPR], un « travail à temps plein » équivaut à au moins 30 heures de travail par semaine et qu’il a travaillé 40 heures par semaine; il a donc accumulé le nombre d’heures requis pour être admissible au programme.

[3] Je ne souscris à aucun de ces arguments. Le libellé des instructions ministérielles, que l’agent était tenu de suivre, indique clairement qu’un demandeur doit avoir une expérience « d’au moins vingt-quatre mois de travail à temps plein », à condition que « son expérience de travail [ait] été accumulée au cours des trente-six mois précédant la date à laquelle la demande [a été] faite ».

[4] M. Singh soulève également une question d’équité procédurale. Il affirme que l’agent aurait dû l’aviser qu’il déciderait de son admissibilité en fonction de l’expérience de travail qu’il avait accumulée au moment où la demande a été faite. Comme je l’explique ci-dessus, cette exigence est claire dans les instructions ministérielles. De plus, en l’espèce, M. Singh a présenté une demande de réexamen dans laquelle il expliquait qu’il était au courant du motif de refus. Dans ces circonstances, il n’était pas nécessaire de donner un avis supplémentaire.

[5] Pour les motifs énoncés ci-dessous, je rejetterai la demande de contrôle judiciaire.

II. Contexte

A. Programme pilote des gardiens d’enfants en milieu familial

[6] Le 14 juin 2019, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration a créé le Programme pilote des gardiens d’enfants en milieu familial au moyen des instructions ministérielles 32 (les IM32). Ces instructions ont été publiées en vertu du pouvoir conféré au ministre à l’article 14.1 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Les IM32 ont établi la catégorie des gardiens d’enfants en milieu familial, qui fait partie de la catégorie « immigration économique » visée au paragraphe 12(2) de la LIPR, et l’ont divisée en deux catégories.

[7] La catégorie A comprend tout demandeur qui a accumulé au Canada une expérience de moins de 24 mois de travail à temps plein dans une profession admissible au cours des 36 mois précédant la date à laquelle la demande est faite. La catégorie B comprend tout demandeur de visa de résidence permanente faisant partie de la catégorie des gardiens d’enfants en milieu familial qui a accumulé au Canada une expérience d’au moins 24 mois de travail à temps plein dans une profession admissible. Pour les demandeurs de la catégorie B, les IM32 exigent que « [l’]expérience de travail [du demandeur] [ait] été accumulée au cours des trente-six mois précédant la date à laquelle la demande est faite » (IM32, alinéa 2(4)a)).

[8] M. Singh a présenté une demande au titre de la catégorie B, qui prévoit qu’il faut avoir accumulé une expérience de 24 mois de travail à temps plein en tant que gardien d’enfants en milieu familial au cours des 36 mois précédents pour pouvoir présenter une demande de résidence permanente.

[9] Selon les IM32, le programme pilote est en vigueur du 18 juin 2019 au 17 juin 2024.

B. Historique des procédures

[10] M. Singh est un citoyen de l’Inde. Il est arrivé au Canada en avril 2019 à titre de travailleur étranger temporaire dans la catégorie des aides familiaux résidants. Au Canada, il a travaillé comme gardien d’enfants pour un employeur à compter du 22 avril 2019. Il a effectué ce travail en conformité avec son permis de travail lié à un employeur précis, qui était valide jusqu’au 15 avril 2021.

[11] En avril 2021, M. Singh a présenté une demande de résidence permanente dans le cadre du Programme pilote des gardiens d’enfants en milieu familial, au titre de la catégorie B, ainsi qu’une demande de permis de travail transitoire. Le Centre de traitement des demandes d’Edmonton a reçu la demande de M. Singh le 12 avril 2021 et lui a envoyé une lettre accusant réception de la demande le même jour.

[12] Les parties conviennent qu’au 12 avril 2021, M. Singh avait accumulé une expérience de 23 mois et 21 jours de travail admissible. Dans la lettre d’accompagnement jointe à la demande, le représentant de M. Singh a fourni l’horaire de ce dernier pour la semaine suivante, au cours de laquelle il aurait terminé les 24 mois de travail requis. Le 3 mai 2021, M. Singh a fourni un bordereau de paie supplémentaire pour avril 2021. Le 17 août 2021, il a transmis à IRCC d’autres bordereaux de paie pour la période allant de mars 2021 à août 2021 au moyen du formulaire Web.

[13] Le 20 avril 2022, l’agent a rejeté la demande de M. Singh au motif qu’il n’avait pas accumulé une expérience de 24 mois de travail à temps plein au cours des 36 mois précédant la date de présentation de la demande. La lettre adressée à M. Singh expliquait que s’il voulait faire examiner d’autres renseignements, il devait les produire dans une nouvelle demande et payer les frais applicables.

[14] Le lendemain, soit le 21 avril 2022, le représentant de M. Singh a déposé une demande de réexamen et y a joint une lettre expliquant pourquoi M. Singh avait déposé la demande plus tôt. Il a également fourni des copies des bordereaux de paie de son client pour la période d’avril 2019 à avril 2021.

[15] Le 27 avril 2022, le député de M. Singh a présenté une demande de réexamen au nom de M. Singh, affirmant qu’il est courant pour les demandeurs de présenter une demande de résidence permanente avant l’expiration de leur statut et que M. Singh avait bien accumulé l’expérience exigée de 24 mois de travail.

[16] L’agent a examiné les observations supplémentaires présentées lors du réexamen et, le 10 mai 2022, il a maintenu son refus.

[17] Le 12 mai 2022, M. Singh a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision de l’agent de maintenir son refus.

III. Questions en litige et norme de contrôle applicable

[18] M. Singh conteste la décision de l’agent selon laquelle il n’est pas admissible à la résidence permanente dans le cadre du Programme pilote des gardiens d’enfants en milieu familial. Il soulève des arguments relatifs au fond de la décision et, comme les parties en conviennent, la norme de contrôle de la décision raisonnable est présumée s’appliquer. En ce qui concerne la question d’équité procédurale, il n’y a pas de présomption d’application de la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 23, 77). La question que je dois me poser est celle de savoir si la procédure était équitable au regard des circonstances de l’espèce (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 43; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54).

IV. Analyse

A. Il n’y a aucun manquement à l’équité procédurale

[19] Dans ses observations écrites, M. Singh soutient que l’agent aurait dû l’aviser qu’il calculerait son expérience de travail à temps plein à partir de la date à laquelle il a présenté sa demande, et non de la date à laquelle IRCC a examiné la demande. Comme je l’explique plus en détail ci-après et comme je le mentionne ci-dessus, cette exigence est énoncée clairement dans les IM32, qui prévoient qu’un demandeur doit avoir accumulé une expérience de travail pertinente « au cours des trente‑six mois précédant la date à laquelle la demande est faite » (IM32, alinéa 2(4)a)). L’agent n’était pas tenu de donner un autre avis au demandeur pour lui expliquer cette exigence. De plus, en l’espèce, l’agent a tenu compte des observations et des éléments de preuve supplémentaires présentés par M. Singh lors du réexamen, et M. Singh a expliqué qu’il était au courant de ce motif de refus. Dans ces circonstances, rien ne permet de conclure qu’un avis supplémentaire était nécessaire.

B. Application raisonnable des conditions d’admissibilité prévues dans les instructions ministérielles

[20] M. Singh avance deux arguments pour contester la décision de l’agent sur l’admissibilité. Premièrement, il soutient que l’agent n’aurait pas dû se demander si M. Singh satisfaisait à l’exigence au moment où la demande a été présentée, mais plutôt s’il y satisfaisait au moment où l’agent a ouvert le dossier (un moment qu’il n’est pas en mesure de préciser) ou au moment où il a examiné et tranché la demande, soit environ un an après que M. Singh l’a déposée. Rien ne permet d’étayer l’interprétation que fait M. Singh de l’exigence relative à l’admissibilité.

[21] Le paragraphe 14.1(7) de LIPR prévoit qu’un agent « est tenu de se conformer aux instructions avant et pendant le traitement de la demande ». Les IM32 indiquent clairement qu’un demandeur qui présente une demande au titre de la catégorie B doit avoir accumulé une expérience de travail de 24 mois de travail à temps plein à « la date à laquelle la demande est faite ». Rien ne permet de conclure que l’interprétation que l’agent a faite de l’exigence relative à l’admissibilité est déraisonnable.

[22] Le deuxième argument avancé concernait la définition de « travail à temps plein ». Dans ses observations écrites, M. Singh a soutenu que l’agent aurait dû faire une interprétation large du paragraphe 73(1) du RIPR, qui définit le travail à temps plein comme au moins 30 heures de travail par semaine. Il est difficile de savoir en quoi une interprétation large de cette disposition aiderait M. Singh dans son argumentation en l’espèce. Il ne fait aucun doute qu’il a finalement acquis une expérience de 24 mois de travail admissible à temps plein. Le problème concerne la période au cours de laquelle il a accumulé ces heures de travail. Durant l’audience, l’avocat de M. Singh a fait valoir que, puisque son client travaillait 40 heures par semaine et que le RIPR définissait le travail à temps plein comme au moins 30 heures par semaine, l’agent aurait dû conclure que M. Singh satisfaisait à l’exigence de 24 mois parce qu’il travaillait plus de 30 heures par semaine.

[23] Encore une fois, le libellé des IM32 est clair : l’expérience de travail doit être acquise sur une période de 24 mois. Il ne dit pas qu’il faut accumuler un certain nombre d’heures, peu importe sur combien de temps. L’interprétation de l’agent était raisonnable

V. Dispositif

[24] La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les parties n’ont pas proposé de question aux fins de certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4682-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« Lobat Sadrehashemi »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4682-22

 

INTITULÉ :

DIGPAL SINGH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATON

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 8 février 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SADREHASHEMI

 

DATE DES MOTIFS :

Le 15 février 2023

 

COMPARUTIONS :

Ramanjit Sohi

Pour le demandeur

Lauren McMurtry

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raman Sohi Law Corporation

Surrey (Colombie-Britannique)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

Pour le défendeur

 

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