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Date : 20230210


Dossier : IMM-228-22

Référence : 2023 CF 197

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 10 février 2023

En présence de monsieur le juge Favel

ENTRE:

PARMINDER SINGH HUNDAL

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Nature de l’affaire

[1] Parminder Singh Hundal [le demandeur] sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 17 novembre 2021 par laquelle un agent des visas a rejeté sa demande de permis de travail. L’agent n’était pas convaincu que le demandeur quitterait le Canada à la fin de son séjour, comme l’exige le paragraphe 200(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227.

[2] La demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

II. Contexte

[3] Le demandeur est un citoyen indien âgé de 54 ans qui est titulaire d’un baccalauréat ès arts. Il travaille sur les terres agricoles de son père depuis janvier 2008 et pour le gouvernement depuis 2009. Tous les membres de la famille du demandeur, y compris son épouse, ses deux fils, son père et deux membres de sa fratrie, résident en Inde. Le demandeur possède des actifs d’environ 597 632 $ CA avec son père.

[4] En août 2021, le demandeur a reçu une offre pour travailler comme ouvrier agricole à Island Gold, à l’Île-du-Prince-Édouard, pour une durée de 24 mois. Le demandeur devait travailler 40 heures par semaine moyennant une rémunération de 13 $ l’heure. Le 10 août 2021, le demandeur a présenté une demande de permis de travail.

III. Décision faisant l’objet du contrôle

[5] L’agent a rejeté la demande de permis de travail présentée par le demandeur au motif qu’il n’était pas convaincu que ce dernier quitterait le Canada à la fin de son séjour. Les motifs de l’agent, qui sont reproduits intégralement ci-après, ont été versés dans les notes du Système mondial de gestion des cas [le SMGC] :

[traduction]

La demande et les observations ont été examinées. Le demandeur est un homme marié de 52 ans qui a deux personnes à charge. Il semble habiter avec son père, qui est veuf. Il s’est vu offrir l’un des 27 postes d’ouvrier agricole (CNP 8431) à Island Gold, à l’Île-du-Prince-Édouard, pour deux ans. Le demandeur affirme qu’il travaille à titre de formateur périscolaire (Block Extension Educator) pour l’État depuis 2011 et qu’il travaille sur la terre paternelle depuis 2008. Il convient de souligner qu’il possède un baccalauréat ès arts de l’Université du Pendjab. Les certificats de salaire et les déclarations de revenus, le rapport d’un comptable agréé et les formulaires J ont été pris en note. Je souligne que le rapport du comptable agréé mentionne l’existence d’une déclaration de revenus, mais je n’ai pas pu en trouver une dans la demande. Après avoir procédé à un examen global, je ne crois pas qu’il soit raisonnable que le demandeur quitte son emploi stable assorti d’avantages sociaux pour aller effectuer des tâches de manœuvre agricole ou apicole au salaire minimum imposable de 13%$ [sic] l’heure. Ce cheminement professionnel ne constitue pas une progression logique compte tenu des études et des emplois antérieurs du demandeur. Je ne suis pas convaincu que le demandeur est un véritable travailleur temporaire ayant une intention légitime de travailler. Je ne suis pas convaincu qu’il sera motivé à quitter le Canada s’il lui était accordé une autorisation de séjour temporaire.

IV. Question en litige et norme de contrôle

[6] Selon mon examen des observations des parties, la question déterminante est celle de savoir si la décision faisant l’objet du contrôle est raisonnable.

[7] Je conviens avec les parties que la norme de contrôle applicable au fond de la décision faisant l’objet du contrôle est celle de la décision raisonnable. La présomption n’est pas réfutée par la règle de la primauté du droit ou par une intention claire du législateur (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 16-17 [Vavilov]).

[8] Dans le cadre d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit examiner l’intelligibilité, la transparence et la justification de la décision. Lorsqu’elle effectue un tel contrôle, la cour de révision doit tenir compte du résultat de la décision et du raisonnement à l’origine de ce résultat (Vavilov, au para 87). Une décision raisonnable doit être « justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, au para 99). Cependant, la cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur (Vavilov, au para 125, citant Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2018 CSC 31 au para 55). Si les motifs du décideur permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision et de déterminer si celle-ci fait partie des issues possibles acceptables, alors la décision est raisonnable (Vavilov, aux para 85-86).

V. Analyse

A. La décision est-elle raisonnable?

1) Position du demandeur

[9] L’agent a limité son examen aux conditions d’emploi du demandeur en Inde et n’a pas évalué les éléments de preuve pertinents qui contredisaient ses conclusions factuelles (Ul Zaman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 268 aux para 30, 40 et 51 [Ul Zaman]; Ekpenyong c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2019 CF 1245 au para 23 [Ekpenyong]). Par exemple, l’agent n’a pas tenu compte des solides liens familiaux, financiers et économiques du demandeur avec l’Inde ni de son expérience de travail en tant qu’agriculteur en Inde.

[10] De plus, la décision manque de logique et de raisonnement. Les motifs de l’agent reposent sur un fondement présomptueux et sont inappropriés.

2) Position du défendeur

[11] La décision est raisonnable. Il incombait au demandeur de présenter sa cause à l’agent sous son meilleur jour, et il ne l’a pas fait. La preuve présentée par le demandeur n’a pas permis de réfuter la présomption selon laquelle il avait l’intention d’immigrer au Canada. En effet, dans sa demande de permis de travail, le demandeur n’expliquait pas de manière significative le paradoxe évident entre sa vie confortable et bien établie en Inde et son désir explicite de quitter cette vie pour travailler temporairement comme ouvrier agricole au salaire minimum.

3) Conclusion

[12] Il convient de faire preuve d’une déférence considérable envers les décisions des agents en ce qui a trait à leur appréciation des faits et des critères dans le cadre de demandes de visas de travail temporaires (Chhetri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 872 au para 9). Bien qu’un agent doive soupeser de nombreux facteurs pour évaluer une demande de permis de travail temporaire, il doit néanmoins fournir des motifs adéquats à l’appui de sa décision et traiter des éléments de preuve qui contredisent d’importantes conclusions factuelles (Ekpenyong, aux para 12-13, 23). En l’espèce, je conclus que l’agent n’a pas suffisamment examiné la preuve relative aux liens familiaux, à l’expérience en milieu agricole et à la situation financière du demandeur en Inde. Ces circonstances rendent la décision inintelligible et, par conséquent, déraisonnable.

[13] Dans la décision Ul Zaman, le juge Pamel a conclu que l’agent n’avait pas apprécié les éléments de preuve concernant la solidité des liens du demandeur avec son pays d’origine par rapport aux autres éléments de preuve. L’agent a plutôt accordé beaucoup trop d’importance aux raisons économiques qui incitaient fortement le demandeur à rester au Canada et à ses intentions déclarées de demander un jour la résidence permanente (au para 51).

[14] De même, la juge Strickland a conclu qu’un agent avait commis une erreur en se concentrant sur les raisons économiques au détriment d’autres éléments de preuve (Safdar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 189 au para 26 [Safdar]). Dans la décision Safdar, l’agent ne semble pas avoir tenu compte du fait que le demandeur n’avait pas de famille au Canada et qu’il s’était conformé aux exigences en matière de visa pendant ses études à l’étranger.

[15] En l’espèce, le dossier révèle que le demandeur a des liens étroits en Inde, notamment 1) le fait que son épouse, ses enfants, son père et sa fratrie vivent tous en Inde, 2) il n’a pas de famille au Canada, 3) il a de l’expérience en agriculture en Inde et 4) il possède des actifs considérables en Inde. Selon les notes du SMGC, l’agent ne semble pas tenter de concilier ces facteurs avec ceux qui militent en faveur du refus de la demande de permis de travail (Ul Zaman aux para 49, 51, 54). Par conséquent, l’agent n’a pas procédé à une évaluation complète de la preuve du demandeur et n’a pas adéquatement pris en compte les facteurs faisant contrepoids.

VI. Conclusion

[16] La demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

[17] Aucune des parties n’a proposé de question à certifier, et je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-228-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

  2. Aucune question n’est certifiée et aucuns dépens ne sont adjugés.

« Paul Favel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-228-22

 

INTITULÉ :

PARMINDER SINGH HUNDAL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 31 août 2022

JUGEMENTS ET MOTIFS :

LE JUGE FAVEL

DATE DES MOTIFS :

Le 10 février 2023

COMPARUTIONS :

Parveer Singh Ghuman

Pour le demandeur

Keith McCullough

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

CityLaw Group LLP

Avocats

Surrey (Colombie-Britannique)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le défendeur

 

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