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Date : 20230214


Dossiers : T‑607‑21

T‑1168‑21

T‑732‑22

Référence : 2023 CF 216

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 14 février 2023

En présence de monsieur le juge Southcott

Dossier : T‑607‑21

ENTRE :

APOTEX INC.

demanderesse

et

JANSSEN INC., JANSSEN ONCOLOGY, INC. ET BTG INTERNATIONAL LTD.

défenderesses

Dossier : T‑1168‑21

ET ENTRE :

DR. REDDY’S LABORATORIES LTD. ET DR. REDDY’S LABORATORIES, INC.

demanderesses

et


JANSSEN INC., JANSSEN ONCOLOGY, INC.

ET BTG INTERNATIONAL LTD.

défenderesses

Dossier : T‑732‑22

ET ENTRE :

PHARMASCIENCE INC.

demanderesse

et

JANSSEN INC., JANSSEN ONCOLOGY, INC.

ET BTG INTERNATIONAL LTD.

défenderesses

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La Cour est saisie de requêtes présentées par les défenderesses, soit Janssen Inc., Janssen Oncology, Inc. et BTG International Ltd. [collectivement, Janssen], relativement à trois actions fondées sur l’article 8 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133 [le Règlement]. Dans chaque action, les demanderesses (ou la demanderesse, selon le cas) – soit Apotex Inc. [Apotex] dans le dossier T‑607‑21 [l’action d’Apotex], Dr. Reddy’s Laboratories Ltd. et Dr. Reddy’s Laboratories, Inc. [collectivement, DRL] dans le dossier T‑1168‑21 [l’action de DRL], et Pharmascience Inc. [PMS] dans le dossier T‑732‑22 [l’action de PMS] –, réclament aux défenderesses des dommages‑intérêts pour les ventes d’acétate d’abiratérone perdues.

[2] Dans chacune des actions, Janssen présente une requête fondée sur les articles 233 et 238 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les Règles], par laquelle elle sollicite une ordonnance lui permettant d’obtenir certains documents de la part des sociétés qui sont les demanderesses dans les deux autres actions et l’autorisant à les soumettre à un interrogatoire préalable. Voici ce que Janssen demande :

  1. dans l’action d’Apotex : la production de certains documents de la part de DRL et de PMS et l’autorisation de soumettre ces sociétés à un interrogatoire préalable;
  2. dans l’action de DRL : la production de certains documents de la part d’Apotex et de PMS et l’autorisation de soumettre ces sociétés à un interrogatoire préalable;
  3. dans l’action de PMS : la production de certains documents de la part d’Apotex et de DRL et l’autorisation de soumettre ces sociétés à un interrogatoire préalable.

[3] Pour les motifs que j’exposerai plus en détail ci-dessous, chacune des requêtes est accueillie en partie. Compte tenu du critère applicable et des facteurs discrétionnaires énoncés à l’article 233 des Règles, je conclus que Janssen devrait obtenir la plupart – mais non la totalité – des documents dont elle demande la production dans chaque action. Je conclus également que Janssen n’a pas satisfait au critère de l’article 238 des Règles qui s’applique aux requêtes en autorisation de procéder à l’interrogatoire préalable d’un tiers, car elle n’a pas démontré qu’il serait injuste de ne pas lui permettre de le faire.

II. Contexte

[4] Janssen commercialise l’acétate d’abiratérone, indiqué dans le traitement du cancer de la prostate, sous l’appellation ZYTIGA au Canada, et a fait inscrire le brevet canadien no 2 661 422 [le brevet 422] à l’égard de ZYTIGA dans le registre des brevets.

[5] Chacune des demanderesses a cherché à commercialiser un produit générique contenant de l’acétate d’abiratérone, et chacune a contesté le brevet 422. En réponse, Janssen a intenté une action en vertu de l’article 6 du Règlement contre chacune d’elles relativement à leurs produits contenant de l’acétate d’abiratérone. Les parties ont accepté que les actions soient instruites conjointement lors d’une audience commune. Le 6 janvier 2021, le juge Phelan a rejeté les prétentions de Janssen et a déclaré le brevet 422 invalide (voir Janssen Inc c Apotex Inc, 2021 CF 7). Cette décision a récemment été confirmée en appel (voir Janssen Inc c Apotex Inc, 2022 CAF 184).

[6] La décision par laquelle le juge Phelan a rejeté les actions fondées sur l’article 6 a cristallisé les causes d’action que les demanderesses pouvaient invoquer au titre de l’article 8 du Règlement. Les demanderesses ont donc successivement intenté une action en dommages‑intérêts pour les ventes de leurs produits contenant de l’acétate d’abiratérone qu’elles avaient perdues. Ces actions ont été intentées aux dates suivantes :

  1. l’action d’Apotex (T‑607‑21) : le 12 avril 2021;
  2. l’action de DRL (T‑1168‑21) : le 23 juillet 2021;
  3. l’action de PMS (T‑732‑22) : le 8 avril 2022.

[7] L’action de DRL et celle d’Apotex seront instruites consécutivement en juin 2023. Celle de PMS n’a pas encore été inscrite au rôle.

[8] Dans chacune de ces actions, Janssen fait valoir que si les demanderesses (ou la demanderesse, selon le cas) étaient entrées sur le marché plus tôt qu’elles ne l’ont fait dans le monde réel, elles auraient fait face à la concurrence de plusieurs autres fabricants de produits génériques dans le monde hypothétique. Dans les présentes requêtes, elle soutient en particulier que les demanderesses (ou la demanderesse, selon le cas) dans chaque action auraient été en situation de concurrence avec les demanderesses qui sont parties aux deux autres actions.

[9] À titre d’illustration, Janssen affirme que, étant donné que le produit d’Apotex était admissible à l’approbation avant ou pendant les périodes pendant lesquelles DRL et PMS auraient été sur le marché dans le monde hypothétique, l’entrée éventuelle d’Apotex sur le marché de l’acétate d’abiratérone dans ces situations hypothétiques est pertinente pour évaluer les dommages‑intérêts réclamés par DRL dans l’action de DRL et par PMS dans l’action de PMS. Selon Janssen, les questions clés à examiner relativement à ce moyen de défense sont celles de savoir si le tiers fabricant de produits génériques (dans cet exemple, Apotex) avait la capacité et la motivation de fournir son produit contenant de l’acétate d’abiratérone dans les situations hypothétiques envisagées par les demanderesses concernées (soit DRL dans l’action de DRL et PMS dans l’action de PMS). C’est dans cette logique que Janssen demande, dans l’action de DRL et dans celle de PMS, la production de certains documents de la part d’Apotex et l’autorisation de soumettre à un interrogatoire préalable les personnes (ou la personne, selon le cas) qui, chez Apotex, ont la responsabilité de décider dans quelles circonstances Apotex aurait lancé un produit contenant de l’abiratérone dans le monde hypothétique pertinent.

[10] De même, Janssen demande la production de certains documents de la part de DRL et l’autorisation de la soumettre à un interrogatoire préalable dans l’action d’Apotex et dans celle de PMS, ainsi que la production de certains documents de la part de PMS et l’autorisation de la soumettre à un interrogatoire préalable dans l’action d’Apotex et dans celle de DRL.

[11] Le 2 novembre 2022, Janssen a signifié trois dossiers de requête, soit un à Apotex, à DRL et à PMS, respectivement. Dans chacune de deux des actions en question fondées sur l’article 8, Janssen a déposé des avis de requête (essentiellement identiques) dans lesquels elle sollicite des conclusions opposables à la société qui n’est pas partie à ces deux actions (c.‑à‑d. la demanderesse dans la troisième action fondée sur l’article 8) [la société tierce]. Voici les conclusions recherchées dans chacun des avis de requête :

  1. conformément à l’article 233 des Règles, une ordonnance enjoignant à la société tierce de produire les documents visés à l’annexe « A » jointe à l’avis de requête (dix catégories de documents figurent dans cette annexe);
  2. conformément à l’article 238 des Règles, une ordonnance autorisant Janssen à soumettre à un interrogatoire préalable les personnes (ou la personne, selon le cas) qui, chez la société tierce, assument principalement la responsabilité de décider à quelles conditions cette société aurait lancé un produit contenant de l’abiratérone et à quel moment le lancer;
  3. à titre subsidiaire :
  1. une ordonnance exigeant de la société tierce la production de la transcription d’interrogatoires préalables (menés relativement à l’action fondée sur l’article 8 dans laquelle elle est demanderesse) et de quelques documents qui, selon Janssen, contiennent des renseignements confidentiels qui ne peuvent être consultés que par les avocats, conformément à l’ordonnance conservatoire les concernant;

  2. une ordonnance autorisant Janssen à interroger au préalable les personnes (ou la personne, selon le cas) qui, chez la société tierce, assument principalement la responsabilité de décider à quelles conditions cette société aurait lancé un produit contenant de l’abiratérone et à quel moment le lancer, sur des sujets pertinents qui ne figurent pas dans la transcription et les documents demandés subsidiairement.

[12] Comme je l’expliquerai plus en détail dans les présents motifs, les avocats de Janssen ont fait savoir lors de l’audition des présentes requêtes que Janssen était disposée à retirer ses conclusions subsidiaires, exposées ci‑dessus.

[13] Le 16 janvier 2023, Apotex, DRL et PMS ont chacune signifié un dossier de requête produit en réponse dans les actions auxquelles chacune n’était pas partie (c.‑à‑d. chacune répondait aux requêtes par lesquelles Janssen cherchait à l’obliger, en sa qualité de tiers, à produire certains documents et à être contre-interrogée au préalable). Chacune d’elles a ensuite signifié le 20 janvier 2023, un dossier de requête produit en réponse dans l’action à laquelle elle est demanderesse (c.‑à‑d. chacune répondait aux requêtes par lesquelles Janssen cherchait à obliger les sociétés qui ne sont pas parties à son action fondée sur l’article 8 à produire certains documents et à être contre-interrogées au préalable). Dans les observations qu’elles ont présentées par écrit et de vive voix lors de l’audition des présentes requêtes, le 31 janvier 2023, chacune a fait siennes les observations des deux autres demanderesses dans sa contestation des conclusions demandées par Janssen.

III. Questions en litige

[14] Après avoir tenu compte des divers arguments formulés par les parties à l’appui de leur thèse, et de la façon dont chacune avait formulé les questions en litige, je conclus que l’analyse de leurs arguments peut être effectuée à partir des questions suivantes :

  1. Les requêtes de Janssen, ou les conclusions qui y sont demandées, constituent‑elles un manquement à la règle de l’engagement implicite applicable aux éléments de preuve exigés de la part d’une partie au litige?
  2. Y a-t-il lieu d’exiger la production de l’un ou l’autre des documents demandés par Janssen de la part des sociétés tierces?
  3. Y a-t-il lieu d’autoriser Janssen à interroger une personne faisant partie de l’organisation des sociétés tierces?

IV. Analyse

A. Les principes généraux

[15] Il convient, avant d’examiner les arguments des parties, de rappeler les principes généraux qui s’appliquent aux requêtes de Janssen. Selon moi, aucun de ces principes n’est remis en question.

[16] Comme je l’ai mentionné, Janssen a fondé ses requêtes sur les articles 233 et 238 des Règles. Ces dispositions sont quelque peu connexes, puisqu’elles portent sur des éléments de l’enquête préalable qui visent une personne qui n’est pas partie à l’action. L’article 233 concerne la production d’un document en la possession d’un tiers et l’article 238 porte sur l’interrogatoire préalable d’un tiers. Voici les passages qui sont pertinents pour l’examen des présentes requêtes :

Production d’un document en la possession d’un tiers

Production from non‑party with leave

233 (1) La Cour peut, sur requête, ordonner qu’un document en la possession d’une personne qui n’est pas une partie à l’action soit produit s’il est pertinent et si sa production pourrait être exigée lors de l’instruction.

233 (1) On motion, the Court may order the production of any document that is in the possession of a person who is not a party to the action, if the document is relevant and its production could be compelled at trial.

[…]

Interrogatoire d’un tiers

Examination of non‑parties with leave

238 (1) Une partie à une action peut, par voie de requête, demander l’autorisation de procéder à l’interrogatoire préalable d’une personne qui n’est pas une partie autre qu’un témoin expert d’une partie, qui pourrait posséder des renseignements sur une question litigieuse soulevée dans l’action.

 

238 (1) A party to an action may bring a motion for leave to examine for discovery any person not a party to the action, other than an expert witness for a party, who might have information on an issue in the action.

[…]

Autorisation de la Cour

Where Court may grant leave

238 (3) Par suite de la requête visée au paragraphe (1), la Cour peut autoriser la partie à interroger une personne et fixer la date et l’heure de l’interrogatoire et la façon de procéder, si elle est convaincue, à la fois :

238 (3) The Court may, on a motion under subsection (1), grant leave to examine a person and determine the time and manner of conducting the examination, if it is satisfied that:

a) que la personne peut posséder des renseignements sur une question litigieuse soulevée dans l’action;

(a) the person may have information on an issue in the action;

b) que la partie n’a pu obtenir ces renseignements de la personne de façon informelle ou d’une autre source par des moyens raisonnables;

(b) the party has been unable to obtain the information informally from the person or from another source by any other reasonable means;

c) qu’il serait injuste de ne pas permettre à la partie d’interroger la personne avant l’instruction;

(c) it would be unfair not to allow the party an opportunity to question the person before trial; and

d) que l’interrogatoire n’occasionnera pas de retards, d’inconvénients ou de frais déraisonnables à la personne ou aux autres parties.

(d) the questioning will not cause undue delay, inconvenience or expense to the person or to the other parties.

[17] Les ordonnances visées par les articles 233 et 238 des Règles sont de nature discrétionnaire : elles constituent des mesures « exceptionnelles » qui imposent à une personne qui n’est pas partie au litige de participer à l’affaire (voir Janssen Inc c Pfizer Canada Inc, 2019 CAF 188 [Janssen] au para 5; Rovi Guides, Inc c Vidéotron SENC, 2019 CAF 321 [Rovi CAF] au para 16).

[18] L’article 233 des Règles énonce deux exigences minimales. Pour que la Cour accorde l’autorisation visée par cette disposition, la partie requérante doit démontrer que les documents demandés sont pertinents et que leur production pourrait être exigée lors de l’instruction. Pour être jugés pertinents, les documents demandés doivent se rapporter au litige, être utiles et être susceptibles de faire avancer le débat (voir Tippett c Canada, 2020 CF 714 au para 22).

[19] Cependant, comme l’ordonnance visée par l’article 233 est discrétionnaire, il est certes nécessaire d’établir qu’il s’agit de documents pertinents dont la production peut ultérieurement être exigée, mais ce n’est pas suffisant. Le simple fait de satisfaire à ces deux exigences minimales ne donne pas le droit à un plaideur d’obtenir une ordonnance de production (O’Leary c Ragone, 2021 CF 185 [O’Leary] aux para 13‑14). Compte tenu de la nature exceptionnelle de la conclusion demandée, la Cour doit tout de même exercer son pouvoir discrétionnaire de décider s’il y a lieu d’y faire droit dans les circonstances (O’Leary, au para 14).

[20] Dans la décision O’Leary, la juge adjointe Tabib [dont le titre était à l’époque « protonotaire »] a fait remarquer qu’il n’existe aucune liste préétablie de facteurs que la Cour doit, ou peut, prendre en compte lorsqu’elle exerce son pouvoir discrétionnaire relativement à une requête fondée sur l’article 233 des Règles. Elle a toutefois relevé les facteurs suivants, qui selon la jurisprudence étaient considérés comme étant potentiellement pertinents (au para 15) :

  1. la possibilité d’obtenir les renseignements auprès d’une autre partie ou d’une autre source;
  2. la nécessité d’obtenir une ordonnance;
  3. la question de savoir si l’ordonnance est prématurée;
  4. la nécessité d’obtenir les documents et leur valeur probante, à la lumière de ceux qui ont déjà été communiqués;
  5. le droit à la protection de la vie privée des tiers ou le préjudice envers ceux‑ci;
  6. les préoccupations en matière de confidentialité;
  7. l’intérêt du public dans la communication;
  8. les retards, les frais ou les perturbations dans les procédures;
  9. la question de savoir si le tiers a quelque chose à voir avec la question en litige;
  10. la précision de la demande de production;
  11. les coûts engagés par la partie qui produit les documents.

[21] La jurisprudence applicable établit par ailleurs que les articles 233 et 238 des Règles ne doivent pas être interprétés comme deux séries d’exigences ou de critères qui sont dissociées. Le fait que certains facteurs, tels que l’iniquité entre les parties, soient explicitement prévus à l’article 238, et non à l’article 233, n’empêche pas la Cour d’en tenir compte dans une requête visant la production de documents fondée sur l’article 233 (Janssen, au para 10; O’Leary, au para 17).

[22] L’article 238 des Règles régit l’interrogatoire préalable des tiers. Pour obtenir l’autorisation d’interroger un tiers au préalable conformément à cette disposition, la partie requérante doit à tout le moins convaincre la Cour que les quatre exigences explicitement énoncées au paragraphe 238(3) sont respectées (voir Rovi Guides, Inc c Videotron SENC, 2019 CF 1220 [Rovi] au para 48, conf par Rovi CAF) :

  1. la personne peut posséder des renseignements sur une question litigieuse soulevée dans l’action;
  2. la partie n’a pu obtenir ces renseignements de la personne de façon informelle ou d’une autre source par des moyens raisonnables;
  3. il serait injuste de ne pas permettre à la partie d’interroger la personne avant l’instruction;
  4. l’interrogatoire n’occasionnera pas de retards, d’inconvénients ou de frais déraisonnables à la personne ou aux autres parties.

[23] Même après que la partie requérante démontre qu’elle a respecté les exigences mentionnées ci‑dessus, la Cour conserve le pouvoir discrétionnaire de rejeter sa requête fondée sur l’article 238 (Rovi CAF, au para 17). D’après ce que je comprends, les parties conviennent que, dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire, la Cour peut tenir compte de facteurs énumérés dans la décision O’Leary.

B. Les requêtes de Janssen constituent-elles– ou, si la Cour y faisait droit, les conclusions que Janssen recherche constitueraient‑elles,– un manquement à la règle de l’engagement implicite applicable aux éléments de preuve exigés de la part d’une partie au litige?

[24] Avant d’examiner les arguments des parties qui traitent précisément des articles 233 et 238 des Règles, la Cour doit se pencher sur un point préliminaire soulevé par les sociétés tierces, qui sont d’avis que ce point devrait empêcher Janssen d’obtenir l’une ou l’autre des conclusions demandées dans les présentes requêtes. Ces sociétés soutiennent qu’il y aurait, si la Cour faisait droit aux conclusions demandées par Janssen, manquement à la règle de l’engagement implicite applicable aux éléments de preuve exigés de la part d’une partie au litige. Elles vont même jusqu’à affirmer que Janssen a déjà manqué à cet engagement en produisant les présentes requêtes.

[25] La Cour d’appel fédérale a expliqué la nature de la règle de l’engagement implicite au paragraphe 45 de l’arrêt FibroGen, Inc c Akebia Therapeutics, Inc, 2022 CAF 135 [FibroGen], qu’elle a prononcé récemment :

45. La règle de l’engagement implicite s’applique aux documents obtenus et aux déclarations faites pendant l’interrogatoire préalable; ces éléments de preuve ne peuvent être utilisés, sauf pour [les besoins du] litige, à moins qu’une ordonnance du tribunal ne modifie l’engagement (Juman[, par.] 4) ou que les documents soient admis en preuve et versés au dossier public de la Cour. Il n’est pas pertinent de savoir si les réponses données ou les documents produits relèvent du secret professionnel ou sont confidentiels (Juman[, par.] 27).

[26] Dans ce passage de l’arrêt FibroGen, la Cour d’appel fédérale cite l’arrêt Juman c Doucette, 2008 CSC 8 [Juman], dans lequel la Cour suprême du Canada explique le fondement de la règle de l’engagement implicite (aux para 24‑27). L’enquête préalable est une atteinte au droit de « garder pour soi ses pensées et ses documents ». Dans une action civile, l’intérêt qu’a le public à découvrir la vérité l’emporte sur le droit de la personne interrogée à sa vie privée, lequel mérite néanmoins une certaine protection. La partie qui a une certaine assurance que les documents et les réponses qu’elle fournit ne seront pas utilisés à des fins connexes ou ultérieures à l’instance où ils sont exigés sera incitée à donner des renseignements plus exhaustifs et honnêtes.

[27] Avant d’employer l’information ou les documents assujettis à la règle de l’engagement implicite, la partie qui cherche à les utiliser doit demander à la Cour une autorisation à cet égard, en précisant le ou les buts de l’utilisation et les motifs qui la justifient, et sa demande sera ensuite débattue contradictoirement (Juman, au para 30).

[28] Chacune des sociétés tierces affirme que les requêtes de Janssen constituent – ou constitueraient si la Cour les accueillait – un manquement à la règle de l’engagement implicite, parce que Janssen utilise ou cherche à utiliser dans les actions fondées sur l’article 8 qui ne sont pas celles dans lesquelles chacune les a produits, des documents dont elle avait exigé la production de la part de chacune et des renseignements exigés de chacune lors d’interrogatoires préalables dans l’action fondée sur l’article 8 dans laquelle chacune est demanderesse. Ces sociétés tierces soutiennent que l’existence de ce manquement ressort particulièrement de la conclusion subsidiaire – que Janssen demande dans ses avis de requête – selon laquelle elle sollicite la production de certains documents et de la transcription des interrogatoires préalables obtenus dans une autre instance.

[29] Les sociétés tierces portent à l’attention de la Cour la décision Janssen Inc c Apotex Inc, 2022 CF 1746 (un litige entre quelques-unes des mêmes parties à la présente instance, mais dans une autre affaire), rendue récemment par le juge Manson. Dans cette affaire, Janssen souhaitait utiliser dans des instances ultérieures autres que celle dans laquelle ils avaient été exigés, des renseignements et des documents fournis par Apotex. Janssen avait présenté une requête par laquelle elle cherchait à faire modifier l’ordonnance de confidentialité applicable à l’instance dans laquelle la preuve avait été produite, parce qu’elle voulait être autorisée à utiliser cette preuve dans les instances ultérieures. S’appuyant sur l’arrêt FibroGen et sur le fait que la preuve n’avait jamais été produite en audience publique à l’instruction, le juge Manson a conclu que la preuve était toujours assujettie à la règle de l’engagement implicite et qu’il serait inapproprié de modifier l’ordonnance de confidentialité tant que Janssen n’aurait pas présenté une requête en vue de faire lever son engagement implicite (aux para 15 et 20).

[30] De l’avis de chacune des sociétés tierces, avant de demander sur le fondement des articles 233 et 238 des Règles les conclusions qu’elle énonce dans les présentes requêtes, Janssen doit demander la levée de l’engagement implicite dans les actions fondées sur l’article 8 où certains documents et interrogatoires préalables avaient été exigés de la part de chacune (en sa qualité de demanderesse).

[31] En l’espèce, Janssen ne conteste pas que la règle de l’engagement implicite s’applique aux documents dont elle avait demandé la production de la part des demanderesses dans chacune des actions fondées sur l’article 8 et aux renseignements obtenus lors de leurs interrogatoires préalables. En fait, reconnaissant apparemment que cette règle s’applique aux conclusions subsidiaires que Janssen demande dans ses avis de requête, ses avocats ont fait savoir lors de l’audition des présentes requêtes que leur cliente était disposée à les retirer. Je ne suis donc pas tenu de me prononcer sur ces conclusions. Cependant, pour bien expliquer mon raisonnement quant aux arguments relatifs à l’engagement implicite, je tiens à souligner que j’aurais conclu sans trop de difficulté que les conclusions subsidiaires étaient visées par la règle de l’engagement implicite. Au moyen de ces conclusions, Janssen cherchait à utiliser dans une instance les éléments de preuve exigés d’une partie dans une autre instance.

[32] En revanche, comme je l’expliquerai ci‑dessous, je ne suis pas convaincu que la règle de l’engagement implicite s’applique de la même façon aux principales conclusions (les seules maintenant recherchées) que Janssen sollicite dans ses requêtes.

[33] Si j’ai bien compris, les sociétés tierces font valoir que comme Janssen est déjà en possession des éléments de preuve du type qu’elle tente d’obtenir au moyen des présentes requêtes, la présentation de ces requêtes est donc nécessairement une utilisation de ces éléments de preuve à des fins connexes. Elles s’appuient en particulier sur l’énoncé suivant se trouvant au paragraphe 22 des observations écrites que Janssen a déposées à l’appui des présentes requêtes (le passage cité ci-dessous, fourni à titre d’exemple, est un extrait des observations écrites qu’elle a fournies pour justifier les conclusions qu’elle recherche à l’égard des éléments issus de la preuve documentaire et d’interrogatoires préalables visant Apotex) :

[traduction]

22. Étant donné qu’il incombe à Apotex, dans l’action d’Apotex fondée sur l’article 8, de prouver qu’elle pouvait faire et aurait fait son entrée sur le marché de l’abiratérone dès le [date de suspension liée au brevet], ces éléments ont été explorés lors de l’enquête préalable dans cette action. […]

[34] Il ressort clairement des observations de Janssen précédant le paragraphe 22 que les « éléments » en question dans l’énoncé ci‑dessus sont la capacité et la motivation d’Apotex à fournir son produit contenant de l’abiratérone. Cet énoncé fait partie des explications que Janssen a données pour justifier comment elle avait tenté, en dialoguant avec les parties, d’obtenir de manière volontaire les éléments de preuve qu’elle demande. Elle ajoute qu’elle a proposé à Apotex que les renseignements fournis par celle-ci lors de l’enquête préalable dans l’action d’Apotex soient utilisés dans les actions de DRL et de PMS à titre de documents en la possession d’un tiers ou de renseignements obtenus de la part d’un tiers en contre-interrogatoire. En fait, elle proposait un résultat obtenu par la négociation, comparable aux conclusions subsidiaires qu’elle a ensuite demandées, puis retirées, dans les présentes requêtes. Sa proposition est toutefois demeurée sans réponse.

[35] En réponse aux arguments de ces sociétés fondés sur le paragraphe 22 de ses observations, Janssen affirme qu’on ne peut déduire de cet énoncé qu’elle se sert d’éléments de preuve obtenus dans une autre instance dans le but d’obtenir au moyen des articles 233 et 238 des Règles la production de certains documents et l’autorisation de procéder à des interrogatoires préalables. À son avis, révéler qu’Apotex a été interrogée dans son action fondée sur l’article 8 sur sa capacité et sa motivation à fournir son produit contenant de l’abiratérone et révéler qu’une partie à une action fondée sur la négligence a été interrogée sur l’obligation et la norme de diligence applicables sont des situations comparables. Bien que cette comparaison ne me semble pas parfaite, je retiens l’argument de Janssen selon lequel la capacité et la motivation de la personne qui réclame des dommages-intérêts au titre de l’article 8 à fournir son produit sont des éléments normalement présents dans de telles actions (voir Eli Lilly Canada Inc c Teva Canada Limitée, 2018 CAF 53, aux para 85‑88). En outre, étant donné que Janssen a formulé cet énoncé (au paragraphe 22 de ses observations écrites) pour expliquer qu’elle avait tenté de négocier les éléments qu’elle cherchait à obtenir au moyen de ses conclusions subsidiaires, je ne déduis pas de cet énoncé qu’elle s’appuie sur les éléments de preuve déjà en sa possession pour tenter d’obtenir des ordonnances sur le fondement des articles 233 et 238 des Règles.

[36] Cela étant dit, l’argument des sociétés tierces, selon lequel un plaideur en possession d’éléments de preuve assujettis à l’engagement implicite dans une instance doit user de prudence dans une autre instance où ces mêmes éléments de preuve peuvent s’avérer pertinents, me semble valable. À l’évidence, il n’est pas nécessaire qu’un plaideur ait produit les éléments de preuve visés dans une autre instance pour qu’il y ait manquement à la règle de l’engagement.

[37] Par exemple, dans l’arrêt Goodman v Rossi, 1995 CarswellOnt 146, 125 DLR (4th) 613 (CA Ont) [Goodman] – l’une des sources jurisprudentielles citées par les sociétés tierces –, la demanderesse avait intenté une action en diffamation sur le fondement d’un document obtenu du défendeur dans une autre poursuite qu’elle avait intentée contre lui pour congédiement injustifié. Le défendeur a demandé qu’il soit sursis à l’action en diffamation, parce qu’elle était fondée sur des éléments de preuve obtenus dans l’autre instance. Les questions soumises à la Cour d’appel de l’Ontario étaient celles de savoir si le document concerné était assujetti à l’engagement implicite et, dans l’affirmative, s’il faudrait accorder à la demanderesse la levée de son engagement implicite afin qu’elle puisse continuer son action en diffamation (voir les para 1‑3).

[38] Reconnaissant l’existence de l’engagement implicite, la Cour d’appel de l’Ontario a souligné que lorsque la jurisprudence interdit l’utilisation d’un document à une [traduction] « fin connexe ou ultérieure », elle n’attribue aucune connotation négative à cette expression. Elle proscrit plutôt l’utilisation d’un document à toute fin autre que celle pour laquelle il a été fourni dans une instance civile (au para 47). Dans l’arrêt Goodman, la Cour d’appel de l’Ontario ne semble pas avoir expressément conclu que l’utilisation du document concerné dans l’action en diffamation intentée par la demanderesse constituait un manquement à la règle de l’engagement, ni avoir analysé précisément ce point. Toutefois, elle en est clairement arrivée à cette conclusion parce que son analyse a porté sur la demande de la demanderesse visant à obtenir la levée de l’engagement implicite (aux para 59‑71), demande qu’elle a finalement rejetée.

[39] Vu que les faits dans l’affaire Goodman sont très différents de ceux de l’espèce et qu’il est donc difficile de l’appliquer pour répondre à la question de savoir si les requêtes de Janssen constituent un manquement à l’engagement implicite, les sociétés tierces s’appuient également sur la décision Quenneville v Robert Bosch GmbH, 2018 ONSC 6775 [Quenneville], qui concernait une motion visant la production de documents par un tiers. La décision Quenneville a été rendue dans le contexte d’un recours collectif contre la défenderesse, Robert Bosch GmbH [le recours collectif contre Bosch], qui fournit des logiciels à plusieurs entités de Volkswagen [VW] relativement à un prétendu complot qui visait à équiper des véhicules à moteur diesel vendus au Canada de dispositifs permettant de contourner les normes d’émissions. Les demandeurs dans le recours collectif contre Bosch avaient intenté contre VW un recours collectif portant sur le même objet [le recours collectif contre VW], dans lequel un règlement avait été conclu. Les mêmes avocats représentaient le groupe de demandeurs dans les deux recours collectifs.

[40] Dans le recours collectif contre VW, VW avait produit plus de trois millions de documents, qui étaient assujettis à une ordonnance conservatoire rendue dans cette affaire. À la suite du règlement conclu dans ce recours collectif, les demandeurs ont présenté dans le recours collectif contre Bosch une motion visant à obtenir une ordonnance qui obligerait VW (un tiers dans ce recours collectif) à produire ces trois millions de documents. La Cour supérieure de l’Ontario a rejeté la motion des demandeurs après avoir notamment conclu qu’ils avaient enfreint le paragraphe 30.1.01(3) des Règles de procédure civile de l’Ontario (au para 8). (Intitulé « Présomption d’engagement », l’article 30.1.01 codifie un principe comparable à celui de l’engagement implicite reconnu en common law qui est appliqué dans la jurisprudence de la Cour fédérale.) Elle a ajouté que, lorsque les avocats du groupe avaient reçu ces documents aux fins du recours collectif contre VW, ils les avaient reçus simultanément aux fins du recours collectif contre Bosch et qu’en conséquence, ils avaient violé l’ordonnance conservatoire et la règle de la présomption d’engagement (au para 25).

[41] En fin de compte, la Cour supérieure de l’Ontario a fait reposer sa décision de rejeter la motion sur le manquement à l’engagement et d’autres facteurs pertinents dans le contexte d’une motion visant la production de documents par un tiers (aux para 40‑53). Dans son raisonnement, elle a notamment souligné le fait que la plupart des trois millions de documents produits dans le recours collectif contre VW n’étaient pas utiles pour le recours collectif contre Bosch, et le fait que les avocats du groupe n’avaient pas essayé d’adapter ou de préciser leur demande de documents (aux para 42‑43).

[42] Dans leurs plaidoiries, les avocats de Janssen ont remis en question le raisonnement (dans la décision Quenneville, au para 25) sous-jacent à la conclusion selon laquelle les avocats du groupe avaient violé la présomption d’engagement du simple fait d’avoir reçu les documents parce qu’ils agissaient dans les deux recours collectifs (celui contre VW et celui contre Bosch). Je suis également d’avis que cette partie du raisonnement est problématique. Cependant, dans d’autres parties de ses motifs de décision, la Cour supérieure de l’Ontario dit qu’il y a eu violation parce que les avocats du groupe s’étaient engagés à ne pas utiliser les renseignements à une fin autre que celle du recours collectif contre VW (au para 27). L’« utilisation » des renseignements dont il est question concorde avec la façon dont la Cour supérieure avait résumé son raisonnement portant que la présentation de la motion, en soi, constituait un manquement à la règle de la présomption d’engagement (au para 8).

[43] La décision Quenneville serait un précédent particulièrement utile dont la Cour devrait tenir compte si Janssen demandait toujours les conclusions subsidiaires énoncées dans ses avis de requête. Elle met en lumière le problème, inhérent à l’engagement implicite, qui se pose lorsqu’une partie cherche à utiliser des documents dans une instance autre que celle dans laquelle la production en avait été exigée, sans avoir d’abord demandé la levée de cet engagement implicite. Je suis toutefois d’avis que la présentation d’une requête en vue d’obtenir une ordonnance sur le fondement des articles 233 et 238 des Règles, dans laquelle ni les conclusions recherchées ni la preuve qui y est visée ne sont libellées d’une manière qui renvoie à une preuve produite dans une autre affaire, ne constitue pas un manquement à l’engagement implicite.

[44] Pour étayer davantage sa position portant que la présentation des présentes requêtes ne constitue pas une utilisation des éléments de preuve assujettis à l’engagement implicite, Janssen a fait valoir à l’audience que le libellé des conclusions qu’elle sollicite contre les sociétés tierces est essentiellement le même que celui des conclusions qu’elle avait sollicitées dans les requêtes antérieurement présentées sur le fondement des articles 233 et 238 des Règles à l’encontre d’autres fabricants de produits génériques contenant de l’abiratérone qui ne sont pas parties aux litiges fondés sur l’article 8 concernant Janssen.

[45] Le dossier dont dispose la Cour relativement aux présentes requêtes confirme que, dans ces actions fondées sur l’article 8, Janssen a présenté des requêtes visant à soumettre à un interrogatoire préalable six autres sociétés pharmaceutiques qui ne sont pas parties à ces actions et qu’il n’a pas été nécessaire de les instruire étant donné qu’un règlement a antérieurement été conclu [les autres requêtes]. Les dossiers de requête qui concernent ces autres requêtes ne font pas partie des dossiers de requête qui concernent les présentes requêtes. Cependant, ces documents font partie des dossiers de la Cour dans la présente instance, et les avocats de Janssen ont fait valoir lors de l’audition des présentes requêtes que la Cour a le droit d’examiner ces documents pour confirmer les prétentions de Janssen. Les avocats des autres parties n’ont contesté ni cette position et ni la prétention de Janssen selon laquelle les conclusions qu’elle demandait dans les autres requêtes étaient libellées essentiellement de la même manière que celles dans les présentes requêtes.

[46] En l’absence d’un quelconque argument détaillé offrant une comparaison du libellé des conclusions recherchées dans les autres requêtes et de celles qui sont demandées en l’espèce, je refuse d’entreprendre une telle analyse. Néanmoins, le fait que dans les autres requêtes Janssen demandait sur le fondement des articles 233 et 238 des Règles des conclusions opposables à d’autres sociétés pharmaceutiques qui n’avaient pas été antérieurement soumises à un interrogatoire préalable (par écrit ou oralement) permet de conclure que Janssen ne vise pas nécessairement la preuve assujettie à l’engagement implicite dans les conclusions qu’elle sollicite sur le même fondement dans les présentes requêtes.

[47] En outre, dans les observations écrites qu’elle a déposées à l’appui des présentes requêtes, Janssen ne se fonde sur aucune preuve de ce type pour justifier la pertinence des renseignements demandés. Elle s’appuie plutôt sur la jurisprudence applicable résumée ci-dessous :

  1. dans les décisions concernant l’article 8, la présence de concurrents dans le monde hypothétique constitue un facteur important pour quantifier les pertes de bénéfices réclamées par les parties demanderesses et affecte la part de marché et l’établissement des prix de ces dernières (Apotex Inc c Merck Canada Inc, 2012 CF 1235 [Alendronate] aux para 43‑44 et 51; Apotex Inc c Takeda Canada Inc, 2013 CF 1237 au para 61);
  2. pour évaluer si un concurrent aurait pu entrer et serait entré sur le marché, les facteurs pertinents comprennent le moment où celui‑ci aurait reçu son avis de conformité, sa capacité à fabriquer ou à se procurer le produit et la question de savoir s’il était déterminé à entrer sur le marché ou s’il en a été dissuadé (Alendronate, au para 44; Apotex Inc c Sanofi‑Aventis, 2012 CF 553 [Apotex Ramipril] aux para 151‑152, inf pour d’autres motifs par 2014 CAF 68).

[48] Finalement, la preuve qui étaye les présentes requêtes n’appuie pas la conclusion selon laquelle les requêtes de Janssen constituent un manquement à l’engagement implicite, ou y donneront lieu, qui serait attribuable au fait d’utiliser dans une autre instance la preuve que les sociétés tierces ont fournie dans les actions qu’elles ont intentées sur le fondement de l’article 8.

C. Y a-t-il lieu d’exiger la production de l’un ou l’autre des documents demandés par Janssen de la part des sociétés tierces?

[49] Comme je l’ai expliqué dans les présents motifs, les exigences minimales prescrites par l’article 233 des Règles sont la pertinence et la possibilité d’exiger la production.

1) La pertinence

[50] Selon l’un des principaux arguments invoqués par les demanderesses pour s’opposer à la requête de Janssen fondée sur l’article 233 (ainsi qu’à sa requête fondée sur l’article 238), Janssen n’a pas démontré la pertinence des documents dont elle demande la production. L’article 233 des Règles fait porter à la partie requérante le fardeau d’en établir le caractère pertinent. Comme je l’ai expliqué dans les présents motifs, pour s’acquitter de ce fardeau, Janssen a cité des précédents qui énoncent que la quantification des pertes de bénéfices réclamées au titre de l’article 8 doit reposer sur l’importance de la concurrence sur le marché et sur les facteurs dont il faut tenir compte pour évaluer cette concurrence. Elle a également présenté des observations plus détaillées expliquant pourquoi elle considère que les dix catégories de documents demandés sont pertinentes pour démontrer l’existence d’obstacles réglementaires que les sociétés tierces doivent surmonter, leur capacité à fabriquer ou à se procurer un produit, ou leur motivation à lancer leur produit.

[51] Il ne me semble pas que les demanderesses contestent la position de Janssen sur les facteurs qui sont pertinents pour évaluer la concurrence sur le marché. Dans les observations qu’elles ont présentées – sur lesquelles je reviendrai plus loin dans les présents motifs –, elles mettent en doute la pertinence de certaines catégories de documents demandés par Janssen. Plus fondamentalement toutefois, elles soutiennent que Janssen n’a pas satisfait à l’exigence relative à la pertinence, parce que dans ses actes de procédure, elle ne dit pas que les sociétés tierces sont des concurrentes et ne dit pas non plus quelles sont les circonstances exactes qui, selon elle, auraient permis à ces sociétés tierces de pénétrer le marché dans le monde hypothétique construit dans chacune des actions fondées sur l’article 8.

[52] Les demanderesses ont raison de dire que dans ses actes de procédure Janssen ne dit pas lesquelles des sociétés tierces sont les concurrentes visées. À titre d’exemple, dans l’action d’Apotex, la partie de l’acte de procédure sur laquelle Janssen s’appuie pour établir la pertinence est l’alinéa 22 (a) de sa défense modifiée, que voici :

[TRADUCTION]

22. À titre subsidiaire, Janssen invoque les paragraphes 8(5) et (6) du Règlement modifié et fait valoir que la Cour devrait tenir compte des facteurs pertinents suivants lors de son évaluation du montant de l’indemnité à accorder, le cas échéant, à Apotex :

a. Si Apotex avait pénétré le marché canadien avant le 11 janvier 2021, plusieurs autres fabricants de produits pharmaceutiques génériques seraient également entrés sur le marché canadien au même moment qu’Apotex ou au cours de la même période[.]

[53] Dans cet acte de procédure, Janssen renvoie à [traduction] « plusieurs autres fabricants de produits pharmaceutiques génériques » sans nommer DRL ou PMS en particulier. Elle a présenté dans l’action de DRL et dans celle de PMS une défense modifiée reprenant une formulation semblable. Cependant, je peux difficilement conclure que, en raison de ce manque de précision, ces actes de procédure ne permettent pas d’établir le caractère pertinent de la preuve concernant la concurrence sur le marché et sur l’effet de cette concurrence sur la quantification des dommages-intérêts réclamés au titre de l’article 8.

[54] Je comprends que la Cour saisie d’une requête en vue d’obtenir l’autorisation de soumettre un tiers à un interrogatoire préalable peut la rejeter au motif qu’un acte de procédure n’est pas suffisamment précis (voir Eli Lilly Canada Inc c Sandoz Canada Incorporated, 2009 CF 345 au para 25). Toutefois, si les demanderesses dans les actions fondées sur l’article 8 croyaient que le fait de ne pas nommer des fabricants de produits génériques concurrents nuisait à leur compréhension de la défense de Janssen, je suis d’accord avec Janssen pour dire qu’elles avaient la possibilité de présenter une requête visant à obtenir des précisions.

[55] Les demanderesses avaient également la possibilité d’interroger Janssen au préalable pour qu’elle leur révèle l’identité des fabricants de produits génériques concurrents qui étaient visés dans sa défense. Aucun élément de preuve obtenu lors de l’enquête préalable n’a été présenté dans les présentes requêtes et, selon ma compréhension, l’enquête préalable n’a pas encore eu lieu dans l’action de PMS. Toutefois, à titre d’exemple, je souligne qu’une décision interlocutoire rendue par notre Cour dans l’action de DRL (dans laquelle DRL avait demandé à la Cour de statuer sur un point de droit, conformément à l’article 220 des Règles) indique que Janssen avait, au cours de l’interrogatoire préalable, révélé que PMS et Apotex étaient deux des fabricantes de produits génériques qui à son avis étaient pertinentes aux fins des paragraphes 8(5) et (6) du Règlement (voir Dr. Reddy’s Laboratories Ltd c Janssen Inc, 2022 CF 1672 au para 11 [la décision statuant sur la requête fondée sur l’article 220 des Règles]).

[56] Comme je l’ai indiqué ci-dessus, les demanderesses soutiennent également que les actes de procédure de Janssen sont viciés, car elle n’y indique pas les circonstances exactes qui, selon elle, auraient permis aux sociétés tierces de pénétrer le marché dans le monde hypothétique construit dans chacune des actions fondées sur l’article 8. Au soutien de leur argument, les demanderesses invoquent l’arrêt Apotex Inc c Sanofi‑Aventis, 2014 CAF 68 [Apotex Ramipril CAF], conf par 2015 CSC 20. Dans cet arrêt, la Cour d’appel fédérale a examiné la question de savoir si, lorsque le titulaire d’un brevet a exercé son droit au sursis réglementaire prévu à l’article 7 pour faire obstacle à l’entrée de produits génériques sur le marché, et qu’il n’a jamais dans le monde réel renoncé à son droit en ce qui concerne certains fabricants de produits génériques ou que la question du sursis n’a jamais été réglée, il peut faire valoir en défense dans une action en dommages‑intérêts fondée sur l’article 8 que de tels produits génériques (outre les produits de la partie qui invoque l’article 8) auraient été mis sur le marché dans le monde hypothétique sans cet obstacle à l’entrée (aux para 155‑162 et 186‑187).

[57] J’ouvre une parenthèse pour souligner que, à mon avis, l’interprétation des décisions –notamment l’arrêt Apotex Ramipril CAF – dans lesquelles l’article 8 du Règlement a été interprété et leur importance, eu égard aux faits des présentes actions, devront être tranchées au moment de leur instruction. Comme en fait état la décision statuant sur la requête fondée sur l’article 220 des Règles, DRL soutient que, dans les circonstances examinées dans l’affaire Apotex Ramipril CAF, le titulaire du brevet ne peut pas faire valoir en droit que les fabricants de produits génériques visés par le sursis réglementaire dans le monde réel seraient entrés sur le marché dans le monde hypothétique. En revanche, Janssen fait valoir que l’arrêt Apotex Ramipril CAF et d’autres précédents établissent que, bien qu’il y ait dans une action intentée en vertu de l’article 8 une présomption légale selon laquelle le titulaire de brevet aurait agi, dans le monde hypothétique, de la même façon qu’il l’a fait dans le monde réel, il est possible pour le titulaire de brevet (ou toute partie) de démontrer que les événements dans le monde hypothétique se seraient déroulés différemment. Puisque la Cour a rejeté la requête de DRL dans la décision statuant sur la requête fondée sur l’article 220 des Règles, il s’agit d’une question de droit qui sera tranchée à l’instruction des actions et je ne l’examinerai pas davantage à ce stade-ci.

[58] Peu importe comment cette question de droit sera réglée à cette ultime étape, les demanderesses contestent la pertinence de la demande de production présentée par Janssen sur le fondement de l’article 233 des Règles au motif que Janssen n’explique ni dans son acte de procédure ni dans la preuve produite relativement à sa requête comment les sociétés tierces dans les actions fondées sur l’article 8 pourraient se soustraire à l’application du Règlement pour devenir des participantes du marché dans le monde hypothétique concerné.

[59] À l’appui de leur position selon laquelle la requête de Janssen doit être rejetée en l’absence d’éléments probants, les demanderesses renvoient la Cour au paragraphe 149 de la décision Apotex Ramipril, selon laquelle la défenderesse dans une action fondée sur l’article 8 ne peut pas se contenter d’alléguer que d’autres fabricants de produits génériques seraient entrés sur le marché sans fournir une preuve à l’appui d’une telle allégation. Or, la décision Apotex Ramipril était un jugement rendu en première instance dans une action fondée sur l’article 8, dans lequel la Cour s’était penchée sur le fardeau de preuve qu’une partie doit supporter à l’instruction. Cette décision n’appuie pas la conclusion portant qu’une partie doit s’acquitter de ce fardeau relativement à une requête sollicitant la production de documents.

[60] Les demanderesses citent en outre une décision de notre Cour portant sur une requête fondée sur l’article 105 des Règles, présentée par Janssen dans les actions fondées sur l’article 8 qui demandait que la preuve concernant les questions qui, à son avis, étaient communes aux trois actions soient entendues ensemble dans une même audience (voir Apotex Inc c Janssen Inc, 2022 CF 1473 [la décision statuant sur la requête fondée sur l’article 105 des Règles] au para 36) :

36. Je comprends que Janssen indique, dans son acte de procédure, qu’elle entend faire valoir au procès, preuve à l’appui, qu’elle se serait comportée dans chacun des mondes hypothétiques d’une manière qui aurait permis aux autres demanderesses d’être libérées des contraintes du Règlement. (Je suis également conscient que Dr. Reddy’s a déposé une requête – qui n’a pas encore été instruite – visant à faire déclarer que, en droit, Janssen ne peut avancer pareil argument.) Il est donc possible que cette preuve de Janssen, si elle est autorisée et acceptée, ait pour effet d’accroître le degré de similitude entre les questions en litige et les trois actions. Toutefois, la preuve sur laquelle Janssen propose de s’appuyer n’a pas été présentée à la Cour dans le cadre de la présente requête, et il serait prématuré pour la Cour d’accorder une importance quelconque à un tel résultat à ce stade‑ci de l’instance.

[61] À mon avis, l’argument des demanderesses à ce sujet n’est pas convaincant. Dans la décision statuant sur la requête fondée sur l’article 105 des Règles, la Cour devait notamment tenir compte de facteurs, telles l’identité des parties et la similitude des questions en litige, des faits et des réparations sollicitées dans les trois actions fondées sur l’article 8 dans lesquelles Janssen est la partie défenderesse (au para 12). Au paragraphe 36 de cette décision, la Cour tient compte de l’argument de Janssen selon lequel ce caractère commun pourrait être démontré vu qu’elle entend présenter à l’instruction des actions des éléments de preuve pour étayer la conclusion selon laquelle Apotex et PMS auraient été en mesure de pénétrer le marché dans le monde hypothétique en cause dans l’action de DRL fondée sur l’article 8. Janssen n’ayant pas présenté une telle preuve à l’appui de la requête fondée sur l’article 105 des Règles, la Cour a accordé peu d’importance à cet argument dans son évaluation du caractère commun. Toutefois, s’agissant des présentes requêtes, la Cour est tenue d’évaluer la pertinence, qui est appréciée en fonction des actes de procédure (voir l’art 240a) des Règles); Apotex Inc c Pfizer Canada Inc, 2006 CF 262 au para 9; Procter & Gamble Co c Kimberly‑Clark of Canada Ltd (1990), 35 CPR (3d) 321 (CF 1re inst) au para 14).

[62] Notre Cour a examiné ce principe dans la décision Apotex Inc v Janssen Inc, 2022 FC 1476, une décision interlocutoire rendue dans l’action d’Apotex au sujet d’une requête de Janssen fondée sur l’article 51 des Règles interjetant appel d’une ordonnance de la juge responsable de la gestion de l’instance qui avait refusé, pour cause d’absence de pertinence, d’obliger Apotex à répondre à certaines questions soulevées lors de l’interrogatoire préalable [la décision statuant sur la requête fondée sur l’article 51 des Règles]. Comme l’indique cette décision, il incombe à la Cour appelée à évaluer la pertinence de s’en tenir aux faits allégués par les parties, et non aux éléments de preuve qui ont été produits au dossier (au para 41).

[63] Cela dit, la Cour peut tenir compte de la preuve dans l’évaluation de la pertinence, car elle peut refuser d’exiger des réponses à des questions si elle estime qu’il s’agit d’une recherche à l’aveuglette (la décision statuant sur la requête fondée sur l’article 51 des Règles, au para 42). Cependant, rien ne permet de conclure que les catégories de documents que Janssen demande dans les présentes requêtes constituent une recherche à l’aveuglette. Sous réserve de l’examen plus loin dans les présents motifs des arguments visant à contester la pertinence de chacune des catégories, cette pertinence sera évaluée en tenant compte des décisions précitées, selon lesquelles la capacité et la motivation de concurrents à entrer sur le marché sont des facteurs pertinents pour quantifier les pertes de bénéfices réclamées au titre de l’article 8.

[64] Lors de l’audition des présentes requêtes, les avocats de Janssen ont répondu à la prétention des demanderesses portant que les requêtes de Janssen sont viciées parce qu’elles ne renvoient à aucun élément permettant de prouver sa prétention selon laquelle les sociétés tierces dans chaque action fondée sur l’article 8 auraient pu pénétrer le marché dans le monde hypothétique concerné sans que le Règlement fasse obstacle à leur entrée. Je crois comprendre que Janssen reconnaît qu’il lui incombera, à l’instruction des actions, de présenter des éléments de preuve à l’appui de sa prétention, cette preuve étant la condition préalable à remplir pour que la Cour puisse examiner la preuve de la présence des sociétés tierces dans le monde hypothétique. Toutefois, Janssen fait valoir que les demanderesses ne citent aucun précédent étayant leur prétention selon laquelle il lui incombe dès maintenant, au stade des présentes requêtes, de présenter les éléments de preuve lui permettant de satisfaire à cette condition préalable afin d’établir la pertinence de la preuve relative à la capacité et à la motivation des fabricants de produits génériques à pénétrer le marché. Je souscris à cette observation et j’estime que ni les actes de procédure de Janssen ni le dossier de preuve qu’elle a fourni à l’appui des présentes requêtes ne sont insuffisants pour établir cette pertinence.

[65] Bien que les arguments contestant de manière générale la pertinence des demandes de production de Janssen ne me convainquent pas, je souligne que les demanderesses – également en leur qualité de tiers – ont également présenté des observations précises sur la pertinence de chacune des catégories de documents demandés par Janssen. Comme ces observations ne concernent pas uniquement la pertinence des catégories, mais également d’autres arguments liés à des facteurs discrétionnaires – tels que la portée excessive et les préoccupations en matière de confidentialité–, je les examinerai plus loin dans les présents motifs, après les arguments généraux des parties concernant ces facteurs.

2) La possibilité d’exiger la production

[66] Même si l’article 233 des Règles dispose que la Cour peut ordonner qu’un document en la possession d’une personne qui n’est pas une partie à l’action soit produit uniquement si sa production pourrait être exigée lors de l’instruction, les observations des parties ne portent pas sur cette exigence. Je ne crois pas que les demanderesses – également en leur qualité de tiers – soutiennent que la production des documents demandés par Janssen ne pourrait pas être exigée lors de l’instruction, par exemple en raison d’un privilège de non‑divulgation. J’estime que la production des documents pourrait être exigée, de sorte que cette exigence ne pose aucun obstacle aux conclusions demandées par Janssen.

3) Les facteurs discrétionnaires

[67] Je passe maintenant à l’examen des facteurs discrétionnaires énumérés dans la décision O’Leary au sujet desquels les parties ont présenté des observations. Par souci d’efficacité dans mon traitement des observations, j’ai quelque peu réorganisé et regroupé les facteurs.

a) La possibilité d’obtenir les renseignements auprès d’une autre partie ou d’une autre source; la nécessité d’obtenir une ordonnance; la nécessité d’obtenir les documents et leur valeur probante, à la lumière de ceux qui ont déjà été communiqués

[68] En ce qui concerne les documents qu’elle cherche à obtenir des sociétés tierces, Janssen fait valoir que chacune d’elles est la seule source de ces renseignements. Quant à la nécessité, Janssen renvoie aux éléments de preuve qu’elle a fournis dans ses dossiers de requête pour démontrer que ses tentatives d’obtenir volontairement la production des documents ont été infructueuses.

[69] Les demanderesses – également en leur qualité de tiers – soutiennent que Janssen avait déjà accès à bon nombre de renseignements pertinents qu’elle cherchait à obtenir, tant auprès de sources publiques que grâce aux documents qu’elles avaient déjà volontairement produits dans leur action respective fondée sur l’article 8. À titre d’exemple, elles font valoir que des données sur le marché du monde réel (comme les données d’IQVIA) fournissent des renseignements sur la capacité de chacune d’elles à fournir un produit contenant de l’abiratérone dans le monde réel. En ce qui concerne le statut réglementaire, elles soutiennent qu’il est possible pour Janssen d’obtenir les dates de suspension liées aux brevets, qui correspondent à la première date à laquelle chacune aurait pu obtenir l’approbation réglementaire. Quant à la motivation à lancer les produits, elles affirment que Janssen peut obtenir tous les éléments de preuve dont elle a besoin dans les avis d’allégation signifiés, lors des étapes menant à l’instruction des actions et par suite du lancement dans le monde réel des produits contenant de l’abiratérone.

[70] Ces observations ne me convainquent pas. Je retiens la réponse de Janssen selon laquelle aucune des demanderesses dans leur action fondée sur l’article 8 ne s’est engagée à ne pas avancer à l’instruction de leur action que Janssen n’a pas produit d’autres éléments de preuve, en plus des renseignements ci‑dessus mentionnés par les demanderesses, qui lui sont nécessaires pour s’acquitter de son fardeau d’établir la concurrence exercée par les fabricants de produits génériques dans le monde hypothétique aux dates pertinentes.

[71] Les demanderesses – également en leur qualité de tiers – font aussi valoir que, dans toutes les décisions rendues à ce jour dans une action fondée sur l’article 8, les tiers (tous des fabricants de produits génériques appelés par les parties défenderesses à témoigner à l’instruction des actions) ont volontairement participé aux interrogatoires préalables (voir, p. ex., Apotex Ramipril, aux para 151‑154; Teva Canada Limited c Pfizer Canada Inc, 2017 CF 332 au para 95). Elles soutiennent que Janssen n’a pas expliqué en quoi les présentes actions sont différentes et feraient en sorte que la présente affaire est la première dans laquelle il serait nécessaire d’obtenir l’ordonnance extraordinaire visée à l’article 233 des Règles.

[72] Je retiens la réponse de Janssen selon laquelle le caractère souvent volontaire de la production de documents de la part de tiers démontre le bien‑fondé de sa requête fondée sur l’article 233 des Règles, plutôt que de le réfuter. Il est raisonnable de tenir pour acquis que le contexte des Règles influe, du moins parfois, sur la décision de communiquer volontairement des renseignements, bien que ce ne soit pas toujours le cas.

[73] Les demanderesses – également en leur qualité de tiers – s’appuient sur la décision de notre Cour Hospira Healthcare Corporation c Kennedy Institute of Rheumatology, 2018 CF 992 [Hospira] au para 17, conf par 2019 CAF 188, pour dire que la nécessité d’une ordonnance prononcée en vertu de l’article 233 des Règles n’est démontrée que lorsqu’il s’agit de la seule source pratique des renseignements demandés. Dans ce contexte, elles soutiennent que chacune d’elles, en qualité de demanderesse dans chaque action fondée sur l’article 8, a fourni à Janssen des documents qui constituent une autre source des renseignements demandés. Elles font valoir que, au lieu de présenter une requête sur le fondement de l’article 233, Janssen aurait pu demander la levée de son engagement implicite pour pouvoir utiliser ces renseignements.

[74] Il est vrai que Janssen aurait pu obtenir autrement ces renseignements, au moyen d’une demande visant à obtenir la levée de son engagement implicite. Toutefois, compte tenu des arguments sur l’engagement implicite présentés par les sociétés tierces, déjà examinés dans les présents motifs, il est raisonnable de conclure que Janssen se serait heurtée à une forte opposition si elle avait présenté une requête visant à obtenir cette levée. À mon avis, les circonstances en l’espèce ne sont pas comparables à celles de l’affaire Hospira, dans laquelle la preuve indiquait que la demanderesse était disposée à demander les renseignements pertinents en la possession d’un tiers, qu’elle semblait avoir le droit de les obtenir, et à les produire ensuite à la partie qui avait été déboutée de sa requête fondée sur l’article 233 des Règles.

[75] S’agissant du facteur de nécessité, les demanderesses – également en leur qualité de tiers – font aussi valoir que les trois actions fondées sur l’article 8 seront instruites l’une à la suite de l’autre de sorte que, au moment où l’instruction des deuxième et troisième actions commencera, Janssen aura déjà eu accès aux documents et témoignages versés en preuve par la ou les demanderesses lors de l’instruction ou des instructions précédentes. Elles soutiennent que les avocats des parties pourront alors décider entre eux quelles transcriptions et quels documents sont nécessaires, le cas échéant, et peuvent être utilisés lors de l’instruction ultérieure de l’action ou des actions. Selon les demanderesses – également en leur qualité de tiers –, cette possibilité a été soulevée par les parties dans le contexte de la requête fondée sur l’article 105 des Règles (voir la décision statuant sur la requête fondée sur l’article 105 des Règles, aux para 53‑54).

[76] Comme la Cour l’a mentionné dans la décision statuant sur la requête fondée sur l’article 105 des Règles (au para 54), les parties peuvent entreprendre une telle démarche. Cependant, tant que les dossiers de preuve ne seront pas constitués pour une instance donnée, il est impossible de savoir si ces dossiers comprendront les éléments de preuve que Janssen cherche à obtenir pour s’acquitter de son fardeau d’établir que la demanderesse à l’instance aurait participé au marché du monde hypothétique des autres demanderesses.

[77] Après avoir examiné les arguments ci‑dessus, je conclus que les facteurs visés dans la présente section appuient la requête de Janssen.

b) La question de savoir si l’ordonnance est prématurée

[78] Sur ce point, Janssen prétend principalement qu’elle ne devrait pas être obligée d’attendre l’issue de la requête fondée sur l’article 220 des Règles présentée par DRL avant d’obtenir la production de documents en la possession d’un tiers. De ce que je comprends, elle formule cette prétention en réponse à un argument invoqué par les demanderesses – également en leur qualité de tiers – selon lequel la présente requête de Janssen ne devrait pas être examinée avant qu’il ne soit statué sur la requête fondée sur l’article 220. Comme je l’ai expliqué dans les présents motifs, la décision statuant sur la requête fondée sur l’article 220 des Règles a été rendue depuis. Les demanderesses – également en leur qualité de tiers – n’ont donc pas invoqué cet argument lors de l’audition des présentes requêtes.

[79] Les demanderesses – également en leur qualité de tiers – font valoir qu’une ordonnance statuant sur les présentes requêtes serait prématurée, puisque Janssen ne respecte pas son engagement implicite. Toutefois, j’ai rejeté cet argument plus tôt dans les présents motifs.

[80] J’estime que ce facteur appuie la requête de Janssen.

c) Les préoccupations en matière de confidentialité

[81] S’agissant des préoccupations en matière de confidentialité, Janssen fait valoir que l’ordonnance conservatoire rendue dans chaque action fondée sur l’article 8 protège les documents dont la production est exigée des sociétés tierces étant donné qu’une de ses dispositions porte sur des renseignements confidentiels qui ne peuvent être consultés que par les avocats.

[82] Même si les ordonnances conservatoires sont assorties de dispositions portant sur des renseignements confidentiels qui ne peuvent être consultés que par les avocats, l’obligation de produire des renseignements confidentiels continue d’être une source de préoccupation pour les sociétés tierces. Elles soulignent que, selon les modalités des ordonnances conservatoires, les avocats internes de chacune des parties aux actions fondées sur l’article 8 font partie des personnes habilitées à consulter les renseignements confidentiels visés par cette disposition. Par conséquent, si la Cour ordonne à Apotex, DRL ou PMS de produire des documents en leur qualité de tiers conformément aux requêtes de Janssen fondées sur l’article 233, ces documents seront mis à la disposition non seulement des avocats internes de Janssen, mais aussi de ceux de deux de ses concurrents sur le marché des produits génériques contenant de l’abiratérone. Les sociétés tierces reconnaissent que les ordonnances conservatoires limitent l’utilisation et la communication de ces documents par les avocats internes, et même si leur intention n’est pas de mettre en doute l’intégrité des avocats, elles sont tout de même préoccupées par le fait que les avocats internes seront conscients de ces renseignements lorsqu’ils conseilleront leurs employeurs à l’avenir.

[83] Les demanderesses – également en leur qualité de tiers – affirment que leur préoccupation est particulièrement vive dans le contexte de la demande de documents financiers détaillés présentée par Janssen. Comme je l’expliquerai plus loin, Janssen cherche à obtenir, selon la dixième catégorie de documents, des documents indiquant le montant total des remises, des allocations professionnelles, des rabais, des dépenses commerciales, des produits gratuits ou de tout autre avantage, paiement ou remboursement accordés aux clients au cours d’un mois relativement au produit contenant de l’abiratérone d’une société tierce, depuis la date de la première vente jusqu’à présent.

[84] Les sociétés tierces soulignent que la demande de documents financiers de Janssen est fondée sur des prétentions selon lesquelles les remises sont plus élevées sur un marché où plusieurs fabricants de produits génériques se font concurrence que sur un marché comptant un seul de ces fabricants, et que les fabricants qui accordent des remises supérieures peuvent obtenir une plus grande part de marché. S’agissant des préoccupations en matière de confidentialité, les sociétés tierces font valoir que les renseignements dans les documents financiers détaillés demandés par Janssen sont extrêmement sensibles, car ils concernent la concurrence et, si la Cour fait droit à la demande de Janssen, ces renseignements seraient ultimement communiqués à des sociétés avec lesquelles chaque société tierce est en concurrence active sur le marché des produits génériques contenant de l’abiratérone. Par conséquent, elles soutiennent que la Cour devrait refuser que ces documents particuliers soient fournis à Janssen.

[85] J’estime que les arguments des sociétés tierces sur ce facteur sont convaincants, en particulier en ce qui concerne les documents financiers relevant de la dixième catégorie, et je suis d’avis que ce facteur n’appuie pas la requête de Janssen.

d) Les retards, les frais ou les perturbations dans les instances

[86] Les demanderesses affirment que Janssen a agi de façon déraisonnable en présentant tardivement la présente requête. Elles soulignent que, même si Janssen a d’abord communiqué avec les sociétés tierces le 3 mai 2022 concernant l’enquête préalable, elle n’a pas mis ses requêtes en état avant le 2 novembre 2022, soit plusieurs semaines avant la date limite pour le dépôt des rapports d’experts fixée en décembre 2022 dans l’action de DRL et en janvier 2023 dans l’action d’Apotex. Les interrogatoires préalables des témoins des parties dans ces actions sont terminés et la date d’instruction prévue pour la première des actions fondée sur l’article 8 à être entendues (dans l’action de DRL) est fixée dans moins de quatre mois, suivie immédiatement par l’instruction de l’action d’Apotex. (Dans l’action de PMS, aucune date n’a été fixée pour l’enquête préalable, la production de rapports d’experts ou l’instruction.)

[87] S’agissant plus généralement de la combinaison des conclusions sollicitées par Janssen sur le fondement des articles 233 et 238 des Règles, les demanderesses craignent l’effet que cette combinaison aura sur tout le temps nécessaire pour la production des documents, d’abord ceux que les sociétés tierces devront fournir à Janssen et ensuite ceux que Janssen devra fournir aux demanderesses concernées, pour la planification et la tenue des interrogatoires préalables des sociétés tierces à la suite de la production des documents et pour d’éventuels interrogatoires préalables supplémentaires de Janssen. Les demanderesses font valoir que de telles conclusions étofferont le dossier d’enquête préalable après le dépôt de leurs rapports d’experts et qu’elles subiront un préjudice puisqu’elles ne peuvent, de plein droit, déposer des rapports d’experts en réponse. Elles renvoient la Cour au paragraphe 52 de la décision Rovi (conf par Rovi CAF), portant que le fait qu’une partie tarde à exiger d’un tiers la production de documents peut constituer, en soi, un motif suffisant de rejeter une requête fondée sur l’article 238.

[88] Je reconnais que, à moins de quatre mois du début de l’instruction de la première des actions fondées sur l’article 8, le moment choisi pour la présentation de la présente requête est loin d’être idéal. Toutefois, les circonstances actuelles ne sont pas comparables à celles de l’affaire Rovi, dans laquelle les avocats de la partie requérante ont reconnu que, si la requête était accueillie, même en partie, l’instruction devrait nécessairement être reportée (au para 53). Aucune des demanderesses n’a soulevé ce genre de problème relativement aux présentes requêtes.

[89] Les demanderesses n’ont pas non plus fourni de tracé détaillé justifiant comment les étapes découlant des conclusions demandées par Janssen se répercuteraient sur les calendriers des étapes préalables à l’instruction. En outre, comme je l’expliquerai plus loin, je rejetterai dans mon ordonnance la requête de Janssen visant à obtenir l’autorisation de soumettre un tiers à un interrogatoire préalable conformément à l’article 238. Comme les demanderesses n’ont fourni aucune description d’au moins certaines des caractéristiques de l’effet cumulatif qui, à leur avis, risque de se répercuter sur la planification et la tenue des interrogatoires préalables à être menés oralement à la suite de la production des documents, je ne suis pas convaincu que ce facteur m’empêche de faire droit à la demande de production des documents en question.

e) La question de savoir si le tiers a quelque chose à voir avec la question en litige

[90] Janssen soutient que les sociétés tierces connaissent bien le contexte des actions fondées sur l’article 8 dans lequel la production de documents est demandée, puisque chacune d’elles agit en demande dans l’une de ces actions. Ces sociétés tierces, qui ne sont pas du même avis, affirment que chacune d’entre elles n’a rien à voir avec les avis d’allégation signifiés par les autres demanderesses, avec les actions fondées sur l’article 6 que Janssen a intentées contre ces autres demanderesses, ou avec la capacité et la motivation de ces autres demanderesses à entrer sur le marché de l’abiratérone dans le monde réel ou dans le monde hypothétique les concernant.

[91] Comme en l’espèce ce facteur ne se rattache qu’à l’instance dans laquelle chaque requête fondée sur l’article 233 a été présentée, il est certain que chaque société tierce n’y est pas visée, à moins que, étant ciblée par la requête, elle doive éventuellement comparaître comme témoin à l’instruction d’une des actions. Toutefois, comme Apotex, DRL et PMS sont des concurrentes sur le marché des produits génériques contenant de l’abiratérone et que chacune d’elles a intenté contre Janssen une action fondée sur l’article 8, il ne s’agit pas d’une situation dans laquelle l’une d’entre elles peut être considérée comme n’ayant véritablement rien à voir avec les questions en litige dans les autres instances. À mon avis, ce facteur joue en faveur de Janssen.

f) La précision de la demande de production

[92] Janssen soutient que ses demandes sont spécifiques, car elle a répertorié les catégories précises de documents dont elle a besoin pour prouver que chaque société tierce aurait pu entrer et serait entrée sur le marché dans le monde hypothétique en cause. Les demanderesses – également en leur qualité de tiers – ne sont pas d’accord, faisant valoir qu’il ressort clairement de la liste des documents demandés par Janssen que cette dernière n’a pas essayé d’adapter sa demande en fonction de ce qui est réellement nécessaire pour l’instruction d’une action donnée. Elles s’appuient sur l’arrêt Rovi CAF, dans lequel la Cour d’appel fédérale a statué au paragraphe 17 que la Cour fédérale avait le droit de s’inquiéter du fait que la requête fondée sur l’article 233 dont elle était saisie n’était pas suffisamment ciblée.

[93] Je reconnais que, dans l’examen de ce facteur discrétionnaire, la Cour sera plus encline à faire droit à une demande extrêmement précise qu’à une demande dont la portée est vaste et générale. Cependant, je ne suis pas convaincu que la manière générale dont Janssen a formulé ses demandes soit problématique en soi. Certes, les demandes sont énoncées sous forme de catégories, mais je crois que l’évaluation requise en l’espèce doit porter sur le degré de précision avec lequel chaque catégorie est formulée. Je reviendrai sur ce facteur plus loin dans les présents motifs lorsque j’examinerai les observations des demanderesses – également en leur qualité de tiers – selon lesquelles la portée de certaines catégories est trop vaste.

g) Les coûts engagés par la partie qui produit les documents

[94] Les sociétés tierces soutiennent qu’elles devraient obtenir une indemnité pour tous les coûts qu’elles doivent engager afin de se conformer aux ordonnances autorisant la production de certains documents et la fourniture de certains renseignements dans le cadre d’interrogatoires préalables (voir Voltage Pictures LLC c Untel, 2015 CF 1364 aux para 36‑38). Elles n’ont présenté aucun élément de preuve ou argument détaillé concernant ces coûts. Toutefois, compte tenu de la possibilité qu’elles touchent une indemnité à cet égard, ce facteur ne m’empêche pas de faire droit à la demande de production des documents en question.

h) L’iniquité

[95] Lorsque je passerai à la requête de Janssen visant à obtenir l’autorisation de soumettre un tiers à un interrogatoire préalable sur le fondement de l’article 238 des Règles, j’examinerai les arguments de Janssen portant qu’il serait injuste de la priver de l’exercice de ses droits relatifs à l’interrogatoire préalable. J’expliquerai dans les paragraphes concernés des présents motifs que Janssen n’a pas établi l’élément d’iniquité requis dans le cas d’une requête fondée sur l’article 238.

[96] Quant à la requête fondée sur l’article 233 de Janssen, j’adopte la même conclusion. Toutefois, contrairement à l’article 238 qui indique que la partie doit démontrer qu’il serait injuste de ne pas lui permettre d’interroger le tiers (Rovi, au para 48), il n’est pas nécessaire de satisfaire à cette exigence dans le cas d’une requête fondée sur l’article 233. Comme je l’ai déjà mentionné dans les présents motifs, il s’agit plutôt d’un facteur discrétionnaire dont la Cour peut tenir compte (Janssen, au para 10; O’Leary, au para 17). Ce facteur appuie le rejet de la requête fondée sur l’article 233, mais la Cour tiendra compte de tous les facteurs examinés ci‑dessus, dont celui-ci, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.

4) Les catégories de documents demandés par Janssen

[97] Je passe maintenant aux différentes catégories de documents demandés par Janssen et aux observations des parties à ce sujet. Ces observations, présentées en réponse aux requêtes, sont principalement celles que PMS a déposées en sa qualité de tiers. Cependant, comme je l’ai indiqué, chacune des demanderesses – également en sa qualité de tiers – a fait siennes les observations des autres.

[98] La liste des documents que Janssen demande comporte dix catégories. Elle ordonne les documents visés de la manière suivante : les catégories 1 à 3 portent sur les obstacles réglementaires que doit surmonter la société tierce, les catégories 4 à 8 sont liées à la capacité de la société tierce à fabriquer ou à se procurer le produit, et les catégories 9 et 10 concernent la motivation de la société tierce à lancer le produit.

a) Catégorie 1 les modifications à déclaration obligatoire

[99] Janssen cherche à obtenir tous les documents relatifs aux modifications à déclaration obligatoire qui ont été soumis à Santé Canada en ce qui concerne les présentations abrégées (ou la présentation abrégée, selon le cas) de drogue nouvelle que la société tierce a déposées pour son produit contenant de l’abiratérone entre la première date de suspension liée au brevet et la date de lancement dans le monde réel. Se fondant sur une ligne directrice publiée par Santé Canada qui est jointe à l’affidavit du déposant de Janssen, cette dernière affirme que les modifications à déclaration obligatoire sont des modifications apportées à un médicament qui sont susceptibles d’avoir une incidence sur l’innocuité, l’efficacité, la qualité ou l’utilisation efficace de ce médicament. Janssen soutient en outre que, bien que ces modifications n’exigent pas la délivrance d’un avis de conformité, Santé Canada doit fournir une lettre de non‑objection avant que les modifications puissent être mises en œuvre. Elle a également indiqué que les modifications à déclaration obligatoire surviennent parfois après que Santé Canada détermine que ce médicament est admissible à l’approbation. Elle fait donc valoir que toute modification à déclaration obligatoire concernant le produit contenant de l’abiratérone d’une société tierce est utile pour déterminer la capacité de cette dernière à lancer ce produit même après qu’il est jugé être admissible à l’approbation.

[100] Tenant compte des observations de Janssen portant que les modifications à déclaration obligatoire n’exigent pas la délivrance d’un avis de conformité, les sociétés tierces prétendent que toute modification à déclaration obligatoire survenue dans le monde réel n’aurait aucune incidence sur l’absence ou la présence de l’une d’elles sur le marché dans les situations hypothétiques envisagées dans l’action fondée sur l’article 8 concernée. Ces sociétés tierces renvoient la Cour à la décision Eli Lilly Canada Inc c Teva Canada Limitée, 2017 CF 88 [Teva Olanzapine], inf en partie par 2018 CAF 53, dans laquelle la Cour a écarté la preuve devant démontrer qu’une modification à déclaration obligatoire était un facteur pertinent dans la détermination de la date à laquelle la personne qui réclame des dommages-intérêts au titre de l’article 8 aurait pu pénétrer le marché.

[101] Je retiens la réponse de Janssen selon laquelle la décision Teva Olanzapine est tributaire des faits qui lui sont propres et est fondée sur la modification à déclaration obligatoire concernée dans cette affaire, relative à un autre procédé de fabrication, dans une situation où la demanderesse avait déjà reçu un avis de conformité (aux para 30‑36). Je reconnais la pertinence de la demande de renseignements de Janssen concernant les mises au point survenues entre la date de suspension liée au brevet et la date de lancement dans le monde réel qui pourraient avoir eu une incidence sur le moment choisi pour pénétrer le marché.

[102] Cependant, je retiens également une autre observation, formulée par PMS en particulier, liée au fait que les deux doses différentes de son produit (soit 250 mg et 500 mg) ont des dates de suspension liée au brevet différentes. PMS fait logiquement valoir que, en ce qui concerne la dose de 500 mg dont la date de suspension liée au brevet était la plus tardive, les documents concernant la présentation déposée pour cette dose qui sont antérieurs à la date de suspension liée au brevet ne sont pas pertinents. Janssen n’a pas répondu à cet argument précis, que je retiens.

[103] Enfin, je considère que cette catégorie particulière est suffisamment ciblée et précise pour que le facteur de précision joue en faveur de Janssen. Partant, les seuls facteurs discrétionnaires qui n’appuient pas une ordonnance de production sont la confidentialité – facteur dont l’importance est quelque peu atténuée par l’effet des ordonnances conservatoires – et le fait que Janssen n’a pas démontré qu’il serait injuste de la priver de la production des documents demandés. Après avoir soupesé les facteurs discrétionnaires, je conclus que la Cour devrait ordonner la production des documents qui relèvent de cette catégorie, même si dans mon ordonnance je limiterai la production des documents concernant la dose de 500 mg du produit de PMS à la période postérieure à la date de suspension liée au brevet correspondante.

b) Catégorie 2 – la correspondance avec Santé Canada concernant les lacunes

[104] Janssen cherche à obtenir la correspondance, au sujet des lacunes ou d’autres problèmes liés à la présentation que chaque société tierce a déposée, entre chacune et Santé Canada après la première date de suspension liée au brevet applicable à son produit contenant de l’abiratérone et avant la date de lancement dans le monde réel. Selon Janssen, ces documents indiqueront si la société tierce aurait pu recevoir son avis de conformité dans les situations hypothétiques, et à quelle date. Janssen fait remarquer qu’elle a limité sa demande aux documents créés après la date à laquelle le produit de la société tierce a été jugé être admissible à l’approbation, de manière à ce qu’il soit possible de connaître l’existence de problèmes potentiels dans la présentation qui seraient survenus après la date de suspension liée au brevet s’y rapportant.

[105] Les sociétés tierces soutiennent que Janssen n’a pas établi l’existence d’une correspondance pertinente quant à sa demande et n’a invoqué aucune décision visant à l’appuyer. Elles font également valoir que ces renseignements n’auraient aucune valeur probante, puisque les dates de suspension liée au brevet ont déjà été communiquées.

[106] Comme je l’ai fait pour la catégorie 1, je retiens l’argument de Janssen quant à la pertinence des documents qui permettent de connaître l’existence de problèmes survenus entre la date de suspension liée au brevet et la date de lancement dans le monde réel, qui auraient pu avoir une incidence sur le moment choisi pour pénétrer le marché. J’estime que l’absence d’un appui jurisprudentiel précis pour une catégorie de documents particulière n’empêche pas la Cour de tirer une conclusion sur la pertinence. Je suis bien conscient que Janssen n’a produit aucun élément de preuve démontrant l’existence de problèmes survenus après la date de suspension liée au brevet. Toutefois, les sociétés tierces n’ont pas prétendu que Janssen avait à sa disposition d’autres moyens que les interrogatoires préalables sollicités pour obtenir cette preuve. Si aucun document n’est pertinent pour cette demande, aucune production ne sera requise.

[107] Comme elle l’a fait pour la catégorie 1, PMS soutient que la demande a une portée trop vaste parce que la période concernée s’étend de la première date de suspension liée au brevet jusqu’à la date de lancement dans le monde réel. Là encore, je retiens son argument portant que, en ce qui concerne la dose de 500 mg dont la date de suspension liée au brevet était la plus tardive, les documents qui se rattachent à la période antérieure à la date de suspension liée au brevet ne sont pas pertinents. Pour le reste, je considère que cette catégorie particulière est suffisamment ciblée et précise pour que le facteur de précision joue en faveur de Janssen.

[108] Le résultat de mon exercice de pondération des facteurs discrétionnaires est le même que pour la catégorie 1. Je conclus que la Cour devrait ordonner la production des documents relevant de la catégorie 2, mais limiter dans ce cas aussi la production des documents concernant la dose de 500 mg du produit de PMS à la période postérieure à la date de suspension liée au brevet correspondante.

c) Catégorie 3le tableau de gestion du cycle de vie

[109] Janssen a demandé le tableau de gestion du cycle de vie le plus récent pour le dossier de Santé Canada relatif à toutes les présentations réglementaires concernant le produit contenant de l’abiratérone de chaque société tierce. Citant une autre ligne directrice publiée par Santé Canada, Janssen a indiqué que le tableau de gestion du cycle de vie présente une liste de la correspondance entre Santé Canada et chaque société tierce. Selon Janssen, le tableau le plus récent permet de voir l’état de la présentation concernant le produit contenant de l’abiratérone de chacune à divers moments, ce qui permet de savoir si le produit de chacune aurait été approuvé dans les situations hypothétiques et à quelle date, et quels auraient été, le cas échéant, les obstacles réglementaires que chacune devait surmonter à un moment ou à un autre.

[110] Les sociétés tierces font remarquer que dans le tableau de gestion du cycle de vie figurent des renseignements antérieurs aux dates de suspension liée au brevet et postérieurs à la date de lancement dans le monde réel qui, à leur avis, ne sont pas pertinents. En outre, elles soutiennent que l’existence d’obstacles réglementaires n’est pas pertinente étant donné que les dates de suspension liée au brevet applicables ont été communiquées à Janssen. Selon Janssen, il ne lui suffit pas de connaître les dates de suspension liée au brevet, car elle doit être en mesure d’étudier les obstacles réglementaires potentiels au lancement d’un produit. Elle fait valoir que, si elle n’obtient pas cette preuve, elle ne pourra répondre aux arguments éventuels des demanderesses, lors de l’instruction des actions, lui reprochant de ne pas avoir satisfait à son fardeau d’établir que l’une d’elles en sa qualité de tiers aurait été une concurrente présente dans les situations hypothétiques applicables.

[111] J’estime que l’argument de Janssen est plus convaincant. Je comprends la logique de l’observation des sociétés tierces portant que les renseignements antérieurs à la date de suspension liée au brevet et postérieurs à la date de lancement dans le monde réel ne seront probablement pas utiles. Toutefois, en l’absence d’élément de preuve ou d’argument voulant qu’il soit possible de produire les renseignements figurant dans le tableau de gestion du cycle de vie uniquement pour une plage de dates particulière, je retiens l’argument portant que le document est pertinent et que la demande est suffisamment précise.

[112] Le résultat de mon exercice de pondération des facteurs discrétionnaires est le même que pour les catégories 1 et 2. Je conclus que la Cour devrait ordonner la production des documents relevant de la catégorie 3.

d) Catégories 4 et 5les sections 2.3.S.2.1 et 2.3.P.3.1 du Document certifié d’information sur les produitsEntités chimiques; le nom des fournisseurs d’IPA

[113] Invoquant de nouveau une ligne directrice publiée par Santé Canada, Janssen fait remarquer que, dans leur présentation à Santé Canada, les fabricants de produits génériques doivent produire le Document certifié d’information sur les produits ‑ Entités chimiques (DCIP), dans lequel figurent, aux sections 2.3.S.2.1 et 2.3.P.3.1, les fournisseurs de l’ingrédient pharmaceutique actif (IPA) ou du produit fini. Janssen demande la production de ces extraits du DCIP, qu’elle juge pertinents pour établir la capacité des sociétés tierces à fabriquer ou à se procurer un produit contenant de l’abiratérone en quantité suffisante.

[114] Janssen demande également le nom de toutes les entités, autres que celles mentionnées dans le DCIP, auxquelles les sociétés tierces ont acheté, sous forme d’IPA, l’abiratérone employé dans la fabrication de tout lot d’un produit contenant de l’abiratérone destiné à la vente commerciale entre la date de suspension liée au brevet et la date de lancement dans le monde réel.

[115] Les sociétés tierces renvoient la Cour à la décision Sanofi‑Aventis Canada Inc c Teva Canada Limitée, 2012 CF 552 [Teva Ramipril], rendue au titre de l’article 8, selon laquelle l’identité du fournisseur d’IPA d’un concurrent générique tiers n’était pas pertinente (au para 157). Cependant, cette conclusion était fondée sur la preuve présentée dans cette affaire sur la disponibilité de l’IPA dans le marché, d’une manière générale. Le fait que les sociétés tierces s’appuient sur la décision Teva Ramipril ne me convainc pas que la demande de Janssen n’est pas pertinente en ce qui concerne les catégories 4 et 5.

[116] Comme elle l’a fait dans le cas de la catégorie 1, PMS soutient que ces demandes ont une portée trop vaste parce que la période concernée s’étend de la première date de suspension liée au brevet jusqu’à la date de lancement dans le monde réel. Là encore, je retiens son argument portant que, en ce qui concerne la dose de 500 mg dont la date de suspension liée au brevet était la plus tardive, les documents qui se rattachent à la période antérieure à la date de suspension liée au brevet ne sont pas pertinents (bien que je ne sache pas si les documents visés dans les catégories 4 et 5 sont différents pour les deux doses).

[117] Le résultat de mon exercice de pondération des facteurs discrétionnaires est le même que pour les catégories précédentes. Je conclus que la Cour devrait ordonner la production des documents des catégories 4 et 5. Si les documents relatifs aux deux doses du produit de PMS sont différents, la production de documents se rapportant à la dose de 500 mg du produit de PMS sera limitée à la période postérieure à la date de suspension liée au brevet correspondante.

e) Catégorie 6l’accès aux sources d’approvisionnement en IPA ou en produit fini

[118] Janssen cherche à obtenir des documents sur l’accès des sociétés tierces aux sources d’approvisionnement en abiratérone sous forme d’IPA ou de produit fini qui sont des entités nommées dans les DCIP, pour une période allant de trois mois avant la date de suspension liée au brevet jusqu’à aujourd’hui, y compris les ententes d’approvisionnement visant l’abiratérone sous forme d’IPA ou les comprimés finis d’abiratérone.

[119] Les sociétés tierces s’appuient, cette fois encore, sur l’affaire Teva Ramipril, dans laquelle la capacité d’approvisionnement d’un tiers a été établie grâce à la déposition d’un témoin assigné à comparaître au procès et à un document en particulier. Cependant, ces éléments de preuve produits au procès dans l’affaire Teva Ramipril permettent de conclure que ces documents sont pertinents. Le fait que la personne qui réclame des dommages-intérêts au titre de l’article 8 dans cette affaire se soit appuyée sur des éléments de preuve particuliers pour établir la capacité du tiers d’approvisionner le marché dans le monde hypothétique ne signifie pas que d’autres éléments de preuve ne sont pas pertinents pour la même question.

[120] Les sociétés tierces soutiennent également que cette demande est excessive, car elle concerne la production de « documents » sans en définir la portée et vise à obtenir des renseignements jusqu’à aujourd’hui. Je reconnais que cette demande, qui vise des [traduction] « documents sur l’accès aux sources d’approvisionnement en acétate d’abiratérone sous forme d’ingrédient actif ou de produit fini qui sont des entités nommées dans les DCIP » n’est pas suffisamment précise. Toutefois, le segment [traduction] « [...] y compris les ententes d’approvisionnement [...] », qui fait aussi partie de la demande, vise une catégorie de documents plus ciblée. Comme je comprends que les demanderesses réclament des dommages-intérêts jusqu’à aujourd’hui, la demande concernant les documents visés dans la catégorie 6 pour la période allant jusqu’à aujourd’hui ne me semble pas excessive.

[121] S’agissant du facteur de précision, malgré l’imprécision que j’ai soulignée, le résultat de mon exercice de pondération des facteurs discrétionnaires est le même que pour les catégories précédentes. J’ordonnerai la production des documents relevant de la catégorie 6, mais je la limiterai aux ententes d’approvisionnement.

f) Catégorie 7la capacité des usines et le taux d’utilisation

[122] Janssen cherche à obtenir des documents qui démontrent la capacité des usines de chaque société tierce et les taux d’utilisation de toutes les usines ou chaînes de fabrication auxquelles chacune aurait pu recourir pour fabriquer son produit contenant l’abiratérone, sur une base trimestrielle ou annuelle, pour la période allant de trois mois avant la date de sa première lettre de suspension liée au brevet visant ce produit jusqu’à aujourd’hui. Janssen fait valoir que ces documents sont pertinents pour de déterminer la portion du marché canadien que chacune aurait pu approvisionner dans les situations hypothétiques.

[123] S’agissant de cette catégorie, je suis d’accord avec les sociétés tierces que la demande n’est pas suffisamment précise, car elle indique seulement ce que Janssen cherche à démontrer. Après avoir soupesé les facteurs discrétionnaires, y compris quant au manque de précision, je refuse d’ordonner la production des documents demandés au titre de cette catégorie.

g) Catégorie 8les rapports de validation ou rapports de justification de validation

[124] Janssen cherche à obtenir la production des rapports de validation ou des rapports de justification portant sur le produit contenant de l’abiratérone de chaque société tierce, ainsi que toute modification apportée à ceux‑ci, rédigés entre la première date de suspension liée au brevet et la date de lancement dans le monde réel. Janssen souligne que, avant de lancer un médicament, les fabricants sont tenus de valider leur processus de fabrication afin de vérifier que le produit est reproductible de façon constante et satisfait aux exigences de qualité. Elle fait valoir que les documents relatifs à la validation dans le monde réel du produit contenant de l’abiratérone d’une société tierce sont pertinents pour déterminer si chacune aurait pu mener à bien cette étape obligatoire dans les situations hypothétiques, et à quelle date. Elle dit que la Cour a tenu compte de ce processus dans la décision Teva Canada Limitée c Pfizer Canada Inc, 2014 CF 248 [Venlafaxine] au para 98.

[125] Les sociétés tierces soutiennent qu’elles auraient pu lancer le produit dans les jours qui ont suivi la réception d’un avis de conformité dans le monde réel et que, comme Janssen n’avait fait aucune allégation concernant la date à laquelle le processus de validation aurait été achevé, les documents demandés n’ont aucune valeur probante. Je ne suis pas d’accord. Tel qu’il a été expliqué dans la décision Venlafaxine, il faut se demander à quelle date le processus de validation aurait pu être achevé dans le monde hypothétique, et j’estime que les rapports demandés sont utiles à l’examen de cette question.

[126] J’estime que cette demande est formulée avec un degré de précision suffisant et, comme pour d’autres catégories de documents, je conclus que la pondération des facteurs discrétionnaires joue en faveur de Janssen. J’ordonnerai la production des documents de la catégorie 8.

h) Catégorie 9 – les plans de lancement et les prévisions

[127] Janssen cherche à obtenir les plans de lancement, les prévisions, les rapports ou les diaporamas qui se rapportent à la période allant de trois mois avant l’admissibilité à l’approbation du produit contenant de l’abiratérone de la société tierce jusqu’à aujourd’hui, et qui portent sur une analyse de l’un des éléments suivants : a) le potentiel de rentabilité du produit contenant de l’abiratérone; b) le lancement du produit contenant de l’abiratérone. Janssen fait valoir que ces documents antérieurs à l’avis de conformité peuvent démontrer les facteurs pris en compte par la société tierce pour décider de lancer ou non son produit et déterminer, le cas échéant, le moment du lancement. Elle soutient que le fait d’avoir plusieurs prévisions ou plans de lancement qui se situent dans les périodes de marché hypothétique permettrait de suivre la manière dont la motivation de la société tierce a évolué au fil du temps (à supposer qu’une telle évolution ait eu lieu) et de déterminer à quel moment, le cas échéant, la société tierce aurait lancé son produit.

[128] Les sociétés tierces font valoir que ces documents ne sont pas pertinents, car leurs plans de lancement ont été préparés dans le contexte du monde réel, où la générification du marché n’a eu lieu qu’après le rejet des actions en contrefaçon de Janssen et où plusieurs fabricants de produits génériques ont pénétré le marché à peu près en même temps. Je reconnais que les conditions réelles du marché sont différentes des conditions hypothétiques dont la Cour devra tenir compte dans le contexte des actions fondées sur l’article 8. Les conditions réelles peuvent toutefois permettre de tirer les conclusions quant aux conditions qui auraient prévalu dans les situations hypothétiques (voir Lilly c Apotex Inc, 2019 CF 1463 au para 23, conf par 2021 CAF 149). J’estime que les documents relevant de cette catégorie sont pertinents.

[129] Les sociétés tierces soutiennent en outre que cette demande a une portée excessive et que les documents demandés sont dénués de valeur probante, puisque la période visée par les renseignements demandés va jusqu’à aujourd’hui. Elles font remarquer qu’il n’y a pas lieu d’examiner leur motivation à lancer leurs produits à compter de la date de lancement dans le monde réel jusqu’à aujourd’hui, car la société tierce a effectivement pénétré le marché. Je souscris à cette observation. Pour le reste, j’estime que la demande concernant cette catégorie est formulée avec un degré de précision suffisant.

[130] Après avoir soupesé les facteurs discrétionnaires applicables à cette catégorie, je conclus que la Cour devrait ordonner la production des documents demandés en la limitant toutefois aux documents qui vont jusqu’à la date de lancement dans le monde réel.

i) Catégorie 10les remises et autres avantages, les paiements ou remboursements accordés aux clients

[131] Janssen cherche à obtenir la production de documents indiquant le montant total des remises, des allocations professionnelles, des rabais, des dépenses commerciales, des produits gratuits ou de tout autre avantage, paiement ou remboursement accordé aux clients au cours d’un mois relativement au produit contenant de l’abiratérone d’une société tierce, depuis la date de la première vente jusqu’à aujourd’hui. Janssen fait valoir que ces éléments de preuve aideront la Cour à évaluer la part de marché de la demanderesse dans le monde hypothétique et les remises que cette dernière aurait été susceptible de verser pour concurrencer la société tierce dans le monde hypothétique. Janssen souligne que la Cour a reconnu que, pour s’adapter aux forces concurrentielles, les dépenses de commercialisation d’un fabricant sont beaucoup plus élevées lorsqu’il vend un produit dans un marché qui compte plusieurs fabricants génériques que dans un marché qui n’en compte qu’un seul (Teva Ramipril, au para 271).

[132] J’ai déjà mentionné dans les présents motifs les préoccupations des sociétés tierces concernant la confidentialité de ces renseignements financiers. Elles soutiennent en outre que, compte tenu de cette nature confidentielle, Apotex, DRL et PMS n’auraient pas eu connaissance des remises versées par leurs concurrentes, que ce soit dans le monde réel ou dans les situations hypothétiques. De plus, elles font valoir que Janssen n’a pas demandé des documents précis.

[133] Je juge que les arguments des sociétés tierces sont convaincants. Compte tenu du manque de précision constaté dans la demande concernant cette catégorie et des vives préoccupations déjà mentionnées dans les présents motifs au sujet de la confidentialité et du secret commercial se rattachant à ces renseignements particuliers, je conclus que la pondération des facteurs discrétionnaires appuie le refus d’ordonner la production des documents relevant de cette catégorie.

D. Y a-t-il lieu d’autoriser Janssen à interroger une personne faisant partie de l’organisation des sociétés tierces?

[134] Comme je l’ai expliqué précédemment, l’article 238 des Règles prescrit quatre exigences minimales. Avant d’examiner ces exigences, je dois toutefois répondre à l’un des arguments soulevés par les demanderesses – également en leur qualité de tiers – concernant le fait que Janssen n’a pas nommé les témoins qu’il entend soumettre à un interrogatoire préalable.

1) L’identité des témoins

[135] La partie dans les avis de requête de Janssen qui porte sur la conclusion recherchée sur le fondement de l’article 238 des Règles est formulée en ces termes :

[TRADUCTION]

2. [C]onformément à l’article 238 des Règles, une ordonnance autorisant Janssen à soumettre à un interrogatoire préalable, dans les 45 jours suivant l’ordonnance, les personnes (ou la personne, selon le cas) qui, chez [nom de la société tierce] assument principalement la responsabilité de décider à quelles conditions [nom de la société tierce] aurait lancé un produit contenant de l’abiratérone et à quel moment le lancer, afin d’obtenir des renseignements qu’elle entend utiliser dans les dossiers de la Cour [numéros des dossiers de la Cour][.]

[136] Janssen explique qu’elle ne connaît pas l’identité des personnes employées par chacune des sociétés tierces qui connaîtraient les réponses aux questions qu’elle souhaite poser lors de l’interrogatoire préalable sur le lancement du produit contenant de l’abiratérone de la société tierce dans les situations hypothétiques. Janssen a donc demandé une ordonnance enjoignant à la société tierce de désigner ces personnes et de les produire pour l’interrogatoire préalable.

[137] Selon les demanderesses – également en leur qualité de tiers –, l’article 238 des Règles ne prévoit pas ce genre d’ordonnance. Le paragraphe 238(1) permet la présentation d’une requête pour demander l’autorisation de procéder à l’interrogatoire préalable « d’une personne qui n’est pas une partie » et le paragraphe 238(3) prévoit que la Cour peut autoriser la partie à interroger « une personne ». Elles soutiennent que l’interrogatoire préalable d’un tiers visé par cette disposition s’applique à une personne physique afin qu’elle témoigne sur des éléments dont elle a une connaissance personnelle; il ne s’agit pas de l’interrogatoire du représentant de la personne morale désigné par cette dernière visé à l’article 237.

[138] Pour étayer leur argument, les demanderesses – également en leur qualité de tiers – invoquent diverses dispositions des Règles qui, à leur avis, démontrent la différence entre l’interrogatoire préalable d’un représentant de la personne morale et l’interrogatoire préalable d’un tiers :

  1. le paragraphe 237(1) exige que la personne morale qui est soumise à un interrogatoire préalable désigne un représentant pour répondre en son nom;
  2. le paragraphe 239(5) indique que la personne qui est interrogée aux termes de l’article 238 (c.‑à‑d. un tiers interrogé au préalable) ne peut être contre‑interrogée ni tenue de présenter un témoignage constituant du ouï‑dire;
  3. le paragraphe 239(6) prévoit que le témoignage de cette personne ne peut être utilisé en preuve à l’instruction mais peut, si celle‑ci sert de témoin à l’instruction, être utilisé dans le contre‑interrogatoire;
  4. l’article 241 exige que la personne soumise à un interrogatoire préalable se renseigne, avant celui‑ci, auprès des dirigeants, fonctionnaires, agents ou employés actuels ou antérieurs de la partie dont il est raisonnable de croire qu’ils pourraient détenir des renseignements au sujet de toute question en litige dans l’action. Cependant, les personnes devant être interrogées aux termes de l’article 238 (c.‑à‑d. des tiers interrogés au préalable) sont exclues de l’application de l’article 241.

[139] Selon les demanderesses – également en leur qualité de sociétés tierces –, la lecture conjointe de ces dispositions des Règles démontre que l’interrogatoire préalable d’un tiers prévu à l’article 238 vise une personne physique agissant à titre de témoin en sa qualité personnelle, et non l’interrogatoire d’une personne agissant à titre de représentant d’une personne morale. Elles affirment que cette distinction entre l’interrogatoire préalable d’un tiers et l’interrogatoire préalable d’une personne morale qui est partie au litige appuie leur argument selon lequel la partie qui présente une requête fondée sur l’article 238 doit nommer la personne physique que la partie requérante entend interroger, plutôt que de chercher à obliger une personne morale qui n’est pas partie à la désigner.

[140] Selon les demanderesses – également en leur qualité de tiers –, leur argument selon lequel l’article 238 s’applique uniquement à l’interrogatoire d’une personne physique est compatible avec la décision Bayside Towing Ltd c Canadian Pacific Railway, [2000] ACF no 1122 (CF 1re inst) [Bayside Towing] au para 8. Elles reconnaissent que la décision Bauer Nike Hockey Inc c Easton Sports Canada Inc, 2006 CF 1084 [Bauer] aux para 29‑35, va dans le sens contraire, mais elles soutiennent que ce jugement est mal fondé et ne comporte aucune analyse de l’interaction des dispositions pertinentes des Règles de la manière indiquée ci-dessus.

[141] Janssen n’est pas d’accord pour dire que la décision Bauer est mal fondée. Elle a toutefois expliqué à l’audience qu’elle ne cherchait pas à interroger au préalable une ou plusieurs personnes physiques qui font partie de l’organisation des sociétés tierces et qui agissent à titre de représentante d’une personne morale, comme le prévoit l’article 237. Elle souhaite soumettre à un interrogatoire préalable un ou plusieurs témoins qui ont la responsabilité de décider à quelles conditions la société tierce aurait lancé un produit contenant de l’abiratérone et à quel moment le lancer. Toutefois, elle n’entend pas interroger ces témoins sur des éléments dont ils n’ont pas une connaissance personnelle.

[142] Il est vrai que la Cour n’a pas à trancher le débat jurisprudentiel que suscitent les décisions Bayside Towing et Bauer, mais il est nécessaire qu’elle examine la position des sociétés tierces selon laquelle les requêtes que Janssen a présentées sur le fondement de l’article 238 des Règles sont viciées parce que les personnes à interroger n’y sont pas désignées. L’argument qui appuie le mieux cette position est fondé sur l’exigence énoncée au paragraphe 238(2) selon lequel une requête fondée sur l’article 238 doit être signifiée non seulement aux autres parties, mais aussi, par voie de signification à personne, à la personne que la partie se propose d’interroger. Comme les sociétés tierces l’affirment, cette exigence en matière de signification donne à la personne visée la possibilité de présenter des observations au sujet de la requête. En l’espèce, les sociétés tierces ont reçu signification à personne et ont répondu aux requêtes de Janssen. Cependant, les témoins visés par une ordonnance rendue en vertu de l’article 238 n’ont pas été désignés dans les requêtes de Janssen; par conséquent, ils n’ont pas reçu signification à personne et n’ont pas eu la possibilité de présenter des observations.

[143] À mon avis, ce défaut empêche Janssen d’avoir gain de cause dans ses requêtes fondées sur l’article 238 telles qu’elles sont formulées.

2) Les exigences prévues à l’article 238 des Règles

[144] Plus fondamentalement, les requêtes de Janssen fondées sur l’article 238 doivent également être rejetées parce qu’elle n’a pas satisfait aux exigences qui y sont énoncées. Comme je l’ai expliqué plus haut, le paragraphe 238(3) des Règles prescrit quatre exigences auxquelles il faut satisfaire pour obtenir l’autorisation d’interroger un tiers au préalable et, si ces exigences sont respectées, la Cour doit réaliser une analyse des facteurs discrétionnaires qui est comparable à celle que requiert l’article 233. L’essentiel de l’analyse effectuée plus haut dans les présents motifs au titre de l’article 233 s’applique également aux requêtes fondées sur l’article 238, en vue de l’examen des exigences du paragraphe 238(3) et de l’application des facteurs discrétionnaires. Cependant, comme je l’ai clairement indiqué dans les commentaires sur l’iniquité que j’ai faits lors de mon analyse concernant l’article 233, j’estime que l’exigence d’iniquité prévue au paragraphe 238(3) empêche Janssen d’obtenir l’autorisation de procéder aux interrogatoires préalables.

[145] Au titre de l’alinéa 238(3)c) des Règles, pour obtenir l’autorisation d’interroger une personne qui n’est pas une partie, Janssen doit convaincre la Cour qu’il serait injuste de ne pas lui permettre de le faire avant l’instruction. Janssen fait valoir que cette exigence est respectée parce que les sociétés tierces ont des intérêts opposés aux siens dans les actions fondées sur l’article 8 dans lesquelles elles ont qualité de demanderesse et que, si elle ne peut mener les interrogatoires qu’elle sollicite, elle ne disposera pas, avant l’instruction, d’éléments de preuve qu’elle pourra utiliser pour s’acquitter de son fardeau d’établir la concurrence entre les fabricants de produits génériques dans le monde hypothétique en cause. Dans le même ordre d’idées, Janssen affirme qu’elle souhaite procéder à des interrogatoires préalables afin de déterminer, avant l’instruction de l’action, quels témoins pertinents faisant partie de l’organisation des sociétés tierces elle pourra faire entendre pour s’acquitter de son fardeau.

[146] Ces arguments posent toutefois problème parce que leurs auteurs confondent l’exigence d’iniquité et d’autres exigences prévues par le paragraphe 238(3), à savoir que la personne visée par l’interrogatoire préalable est susceptible d’avoir des renseignements sur une question en litige dans l’action et que la partie qui en demande la tenue n’a pu obtenir ces renseignements de la personne de façon informelle ou d’une autre source par des moyens raisonnables. Autrement dit, comme il s’agit d’une exigence distincte dans cette disposition, l’iniquité ne doit pas servir uniquement à établir que le témoin dispose de renseignements pertinents que la partie requérante ne pourra obtenir par un autre moyen avant l’instruction.

[147] Comme l’affirment les demanderesses, cette interprétation est étayée par l’analyse figurant dans l’arrêt Actava TV, Inc v Matvil Corp, 2021 ONCA 105 [Actava TV] aux para 94‑95. Citant les dispositions des Règles de procédure civile de l’Ontario qui régissent la délivrance d’une ordonnance de production visant un tiers – lesquelles comportent une exigence d’iniquité –, la Cour d’appel de l’Ontario a souligné la nature exceptionnelle de cette mesure et a expliqué que selon le texte de la disposition, il est acquis qu’il n’est pas en soi injuste d’exiger que l’action soit instruite sans que les documents pertinents en possession d’un tiers fassent l’objet d’une production forcée. Bien que l’arrêt Actava TV ne lie pas notre Cour et qu’il vise les Règles de procédure civile de l’Ontario, j’estime que le raisonnement présenté dans les motifs s’applique également aux Règles de notre Cour.

[148] Les demanderesses renvoient également à la décision O’Leary qui, à leur avis, illustre le type d’analyse que commande l’exigence d’iniquité. La Cour y a conclu que les parties étaient sur le même pied en ce qui concerne le contenu informatif visé par la preuve demandée d’un tiers dans cette affaire (aux para 25‑26). En l’espèce, les demanderesses soutiennent ne pas avoir plus de renseignements que Janssen en ce qui concerne les sociétés tierces dans leur action respective fondée sur l’article 8.

[149] Alors que dans la décision O’Leary l’iniquité a été analysée sous l’angle de l’asymétrie du contenu informatif, cette analyse découlait des arguments particuliers des auteurs de la motion sur l’iniquité et faisait partie d’une suite d’arguments analysés en plus de l’iniquité. Je ne crois pas que l’asymétrie du contenu informatif soit le seul moyen qui permette à la partie requérante d’établir l’iniquité requise pour obtenir gain de cause dans sa requête fondée sur l’article 238. Toutefois, outre le fait qu’elle a exprimé son souhait d’obtenir des éléments de preuve pertinents et des renseignements concernant leurs sources avant d’être tenue de s’acquitter de son fardeau lors de l’instruction, Janssen n’a pas expliqué en quoi il serait injuste de ne pas le lui permettre.

[150] Comme il n’est pas satisfait à l’exigence d’iniquité, les requêtes de Janssen fondées sur l’article 238 doivent être rejetées.

V. Conclusion

[151] Dans l’ordonnance que je prononcerai dans chacune des trois actions fondées sur l’article 8, j’enjoindrai à chacune de deux sociétés tierces dans chacune des actions de produire certains documents conformément à l’analyse exposée dans les présents motifs. Je tiens à souligner que, dans un souci d’intelligibilité, la numérotation des catégories de documents dans toutes les ordonnances sera la même que celle de l’Annexe « A » jointe à l’avis de requête applicable et aux présents motifs, même si certaines des catégories ne sont pas visées dans l’ordonnance.

VI. Dépens

[152] Comme les parties ont chacune obtenu partiellement gain de cause en ce qui concerne les requêtes, je n’adjugerai pas de dépens relativement à la requête, mais chacune des sociétés tierces aura le droit de se faire rembourser par Janssen les frais raisonnables engagés pour la production des documents conformément aux ordonnances.


ORDONNANCE DANS LE DOSSIER T‑607‑21

LA COUR ORDONNE :

  1. La requête fondée sur l’article 233 des Règles présentée par les défenderesses est accueillie en partie, et Dr. Reddy’s Laboratories Ltd. et Dr. Reddy’s Laboratories, Inc. [collectivement, DRL] devront produire, dans les 20 jours de la date de la présente ordonnance, les documents suivants aux fins de la présente instance :

  1. tout document relatif aux modifications à déclaration obligatoire transmis à Santé Canada à l’égard d’une présentation abrégée de drogue nouvelle de DRL pour REDDY‑ABIRATERONE entre la première date de suspension liée au brevet et la date de lancement dans le monde réel;

  2. toute correspondance entre DRL et Santé Canada au sujet de lacunes ou d’autres problèmes liés à la présentation faite par DRL (notamment les demandes de clarification, les demandes de renseignements et les mises à jour de la monographie de produit) entre la première date de suspension liée au brevet applicable à REDDY‑ABIRATERONE et la date de lancement dans le monde réel;

  3. le tableau de gestion du cycle de vie le plus récent pour le dossier de Santé Canada se rapportant à toutes les présentations réglementaires concernant REDDY‑ABIRATERONE;

  4. les sections 2.3.S.2.1 et 2.3.P.3.1 identifiant les fabricants de REDDY‑ABIRATERONE et de l’acétate d’abiratérone employé comme ingrédient actif dans la fabrication de REDDY‑ABIRATERONE, extraites du Document certifié d’information sur les produits ‑ Entités chimiques (DCIP) qui était en vigueur lors de la première date de suspension liée au brevet applicable à REDDY‑ABIRATERONE, et toute modification apportée à l’identité des fabricants mentionnés dans les sections par la suite;

  5. s’il s’agit d’entités différentes de celles mentionnées dans la réponse qui sera donnée au point 4, fournir le nom des entités auprès desquelles DRL a acheté de l’acétate d’abiratérone employé comme ingrédient actif dans la fabrication de tout lot de REDDY‑ABIRATERONE destiné à la vente commerciale entre la date de suspension liée au brevet et la date de lancement dans le monde réel;

  6. toute entente d’approvisionnement en acétate d’abiratérone employé comme ingrédient actif ou en comprimés finis de REDDY‑ABIRATERONE conclue avec une entité nommée dans les DCIP pour la période débutant trois mois avant la date de suspension liée au brevet de DRL et allant jusqu’à aujourd’hui;

  1. les rapports de validation ou les rapports de justification de validation portant sur REDDY‑ABIRATERONE, et toute modification apportée à ceux‑ci, rédigés entre la première date de suspension liée au brevet et la date de lancement dans le monde réel;

  2. les plans de lancement, prévisions, rapports ou présentations de diapositives qui se rapportent à la période allant de trois mois avant l’admissibilité à l’approbation de REDDY‑ABIRATERONE jusqu’à la date de lancement dans le monde réel, et qui comportent une analyse des éléments suivants : a) la rentabilité potentielle de REDDY‑ABIRATERONE; ou b) le lancement de REDDY‑ABIRATERONE.

  1. La requête fondée sur l’article 233 des Règles présentée par les défenderesses est accueillie en partie, et Pharmascience Inc. [PMS] devra produire, dans les 20 jours de la date de la présente ordonnance, les documents suivants aux fins de la présente instance :

  1. tout document relatif aux modifications à déclaration obligatoire transmis à Santé Canada à l’égard d’une présentation abrégée de drogue nouvelle de PMS pour chaque dosage de PMS‑ABIRATERONE entre la date de suspension liée au brevet correspondant au dosage et sa date de lancement dans le monde réel;

  2. toute correspondance entre PMS et Santé Canada au sujet de lacunes ou d’autres problèmes liés à la présentation faite par PMS (notamment les demandes de clarification, les demandes de renseignements et les mises à jour de la monographie de produit) pour chaque dosage entre la première date de suspension liée au brevet applicable à PMS‑ABIRATERONE et sa date de lancement dans le monde réel;

  3. le tableau de gestion du cycle de vie le plus récent pour le dossier de Santé Canada se rapportant à toutes les présentations réglementaires concernant PMS‑ABIRATERONE;

  4. les sections 2.3.S.2.1 et 2.3.P.3.1 identifiant les fabricants de PMS‑ABIRATERONE et de l’acétate d’abiratérone employé comme ingrédient actif dans la fabrication de PMS‑ABIRATERONE, extraites du Document certifié d’information sur les produits ‑ Entités chimiques (DCIP) qui était en vigueur lors de la première date de suspension liée au brevet applicable à PMS‑ABIRATERONE pour chaque dosage, et toute modification apportée à l’identité des fabricants mentionnés dans les sections par la suite;

  5. s’il s’agit d’entités différentes de celles mentionnées dans la réponse qui sera donnée au point 4, fournir le nom des entités auprès desquelles PMS a acheté de l’acétate d’abiratérone employé comme ingrédient actif dans la fabrication de tout lot de PMS‑ABIRATERONE destiné à la vente commerciale entre la date de suspension liée au brevet pour chaque dosage et la date de lancement dans le monde réel;

  6. toute entente d’approvisionnement en acétate d’abiratérone employé comme ingrédient actif ou en comprimés finis de PMS‑ABIRATERONE conclue avec une entité nommée dans les DCIP pour la période débutant trois mois avant la date de suspension liée au brevet de PMS et allant jusqu’à aujourd’hui;

  1. les rapports de validation ou les rapports de justification de validation portant sur PMS‑ABIRATERONE, et toute modification apportée à ceux‑ci, rédigés entre la première date de suspension liée au brevet et la date de lancement dans le monde réel;

  2. les plans de lancement, prévisions, rapports ou présentations de diapositives qui se rapportent à la période allant de trois mois avant l’admissibilité à l’approbation de PMS‑ABIRATERONE jusqu’à la date de lancement dans le monde réel, et qui comportent une analyse des éléments suivants : a) la rentabilité potentielle de PMS‑ABIRATERONE; ou b) le lancement de PMS‑ABIRATERONE.

  1. La requête fondée sur l’article 238 des Règles présentée par les défenderesses est rejetée.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés relativement aux présentes requêtes, sauf les frais suivants :

  1. les défenderesses paieront à DRL les frais raisonnables engagés pour la production des documents conformément au paragraphe A de la présente ordonnance;

  2. les défenderesses paieront à PMS les frais raisonnables engagés pour la production des documents conformément au paragraphe B de la présente ordonnance.


ORDONNANCE DANS LE DOSSIER T‑1168‑21

LA COUR ORDONNE :

  1. La requête fondée sur l’article 233 des Règles présentée par les défenderesses est accueillie en partie, et Apotex Inc. [Apotex] devra produire, dans les 20 jours de la date de la présente ordonnance, les documents suivants aux fins de la présente instance :

  1. tout document relatif aux modifications à déclaration obligatoire transmis à Santé Canada à l’égard d’une présentation abrégée de drogue nouvelle d’Apotex pour APO‑ABIRATERONE entre la première date de suspension liée au brevet et la date de lancement dans le monde réel;

  2. toute correspondance entre Apotex et Santé Canada au sujet de lacunes ou d’autres problèmes liés à la présentation faite par Apotex (notamment les demandes de clarification, les demandes de renseignements et les mises à jour de la monographie de produit) entre la première date de suspension liée au brevet applicable à APO‑ABIRATERONE et la date de lancement dans le monde réel;

  3. le tableau de gestion du cycle de vie le plus récent pour le dossier de Santé Canada se rapportant à toutes les présentations réglementaires concernant APO‑ABIRATERONE;

  4. les sections 2.3.S.2.1 et 2.3.P.3.1 identifiant les fabricants d’APO‑ABIRATERONE et de l’acétate d’abiratérone employé comme ingrédient actif dans la fabrication d’APO‑ABIRATERONE, extraites du Document certifié d’information sur les produits ‑ Entités chimiques (DCIP) qui était en vigueur lors de la première date de suspension liée au brevet applicable à APO‑ABIRATERONE, et toute modification apportée à l’identité des fabricants mentionnés dans les sections par la suite;

  5. s’il s’agit d’entités différentes de celles mentionnées dans la réponse qui sera donnée au point 4, fournir le nom des entités auprès desquelles Apotex a acheté de l’acétate d’abiratérone employé comme ingrédient actif dans la fabrication de tout lot d’APO‑ABIRATERONE destiné à la vente commerciale entre la date de suspension liée au brevet et la date de lancement dans le monde réel;

  6. toute entente d’approvisionnement en acétate d’abiratérone employé comme ingrédient actif ou en comprimés finis d’APO‑ABIRATERONE conclue avec une entité nommée dans les DCIP pour la période débutant trois mois avant la date de suspension liée au brevet d’Apotex et allant jusqu’à aujourd’hui;

  1. les rapports de validation ou les rapports de justification de validation portant sur APO‑ABIRATERONE, et toute modification apportée à ceux‑ci, rédigés entre la première date de suspension liée au brevet et la date de lancement dans le monde réel;

  2. les plans de lancement, prévisions, rapports ou présentations de diapositives qui se rapportent à la période allant de trois mois avant l’admissibilité à l’approbation d’APO‑ABIRATERONE jusqu’à la date de lancement dans le monde réel, et qui comportent une analyse des éléments suivants : a) la rentabilité potentielle d’APO‑ABIRATERONE; ou b) le lancement d’APO‑ABIRATERONE.

  1. La requête fondée sur l’article 233 des Règles présentée par les défenderesses est accueillie en partie, et Pharmascience Inc. [PMS] devra produire, dans les 20 jours de la date de la présente ordonnance, les documents suivants aux fins de la présente instance :

  1. tout document relatif aux modifications à déclaration obligatoire transmis à Santé Canada à l’égard d’une présentation abrégée de drogue nouvelle de PMS pour chaque dosage de PMS‑ABIRATERONE entre la date de suspension liée au brevet correspondant au dosage et sa date de lancement dans le monde réel;

  2. toute correspondance entre PMS et Santé Canada au sujet de lacunes ou d’autres problèmes liés à la présentation faite par PMS (notamment les demandes de clarification, les demandes de renseignements et les mises à jour de la monographie de produit) pour chaque dosage entre la première date de suspension liée au brevet applicable à PMS‑ABIRATERONE et sa date de lancement dans le monde réel;

  3. le tableau de gestion du cycle de vie le plus récent pour le dossier de Santé Canada se rapportant à toutes les présentations réglementaires concernant PMS‑ABIRATERONE;

  4. les sections 2.3.S.2.1 et 2.3.P.3.1 identifiant les fabricants de PMS‑ABIRATERONE et de l’acétate d’abiratérone employé comme ingrédient actif dans la fabrication de PMS‑ABIRATERONE, extraites du Document certifié d’information sur les produits ‑ Entités chimiques (DCIP) qui était en vigueur lors de la première date de suspension liée au brevet applicable à PMS‑ABIRATERONE pour chaque dosage, et toute modification apportée à l’identité des fabricants mentionnés dans les sections par la suite;

  5. s’il s’agit d’entités différentes de celles mentionnées dans la réponse qui sera donnée au point 4, fournir le nom des entités auprès desquelles PMS a acheté de l’acétate d’abiratérone employé comme ingrédient actif dans la fabrication de tout lot de PMS‑ABIRATERONE destiné à la vente commerciale entre la date de suspension liée au brevet pour chaque dosage et la date de lancement dans le monde réel;

  6. toute entente d’approvisionnement en acétate d’abiratérone employé comme ingrédient actif ou en comprimés finis de PMS‑ABIRATERONE conclue avec une entité nommée dans les DCIP pour la période débutant trois mois avant la date de suspension liée au brevet de PMS et allant jusqu’à aujourd’hui;

  1. les rapports de validation ou les rapports de justification de validation portant sur PMS‑ABIRATERONE, et toute modification apportée à ceux‑ci, rédigés entre la première date de suspension liée au brevet et la date de lancement dans le monde réel;

  2. les plans de lancement, prévisions, rapports ou présentations de diapositives qui se rapportent à la période allant de trois mois avant l’admissibilité à l’approbation de PMS‑ABIRATERONE jusqu’à la date de lancement dans le monde réel, et qui comportent une analyse des éléments suivants : a) la rentabilité potentielle de PMS‑ABIRATERONE; ou b) le lancement de PMS‑ABIRATERONE.

  1. La requête fondée sur l’article 238 des Règles présentée par les défenderesses est rejetée.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés relativement aux présentes requêtes, sauf les frais suivants :

  1. les défenderesses paieront à Apotex les frais raisonnables engagés pour la production des documents conformément au paragraphe A de la présente ordonnance;

  2. les défenderesses paieront à PMS les frais raisonnables engagés pour la production des documents conformément au paragraphe B de la présente ordonnance.


ORDONNANCE DANS LE DOSSIER T‑732‑22

LA COUR ORDONNE :

  1. La requête fondée sur l’article 233 des Règles présentée par les défenderesses est accueillie en partie, et Apotex Inc. [Apotex] devra produire, dans les 20 jours de la date de la présente ordonnance, les documents suivants aux fins de la présente instance :

  1. tout document relatif aux modifications à déclaration obligatoire transmis à Santé Canada à l’égard d’une présentation abrégée de drogue nouvelle d’Apotex pour APO‑ABIRATERONE entre la première date de suspension liée au brevet et la date de lancement dans le monde réel;

  2. toute correspondance entre Apotex et Santé Canada au sujet de lacunes ou d’autres problèmes liés à la présentation faite par Apotex (notamment les demandes de clarification, les demandes de renseignements et les mises à jour de la monographie de produit) entre la première date de suspension liée au brevet applicable à APO‑ABIRATERONE et la date de lancement dans le monde réel;

  3. le tableau de gestion du cycle de vie le plus récent pour le dossier de Santé Canada se rapportant à toutes les présentations réglementaires concernant APO‑ABIRATERONE;

  4. les sections 2.3.S.2.1 et 2.3.P.3.1 identifiant les fabricants d’APO‑ABIRATERONE et de l’acétate d’abiratérone employé comme ingrédient actif dans la fabrication d’APO‑ABIRATERONE, extraites du Document certifié d’information sur les produits ‑ Entités chimiques (DCIP) qui était en vigueur lors de la première date de suspension liée au brevet applicable à APO‑ABIRATERONE, et toute modification apportée à l’identité des fabricants mentionnés dans les sections par la suite;

  5. s’il s’agit d’entités différentes de celles mentionnées dans la réponse qui sera donnée au point 4, fournir le nom des entités auprès desquelles Apotex a acheté de l’acétate d’abiratérone employé comme ingrédient actif dans la fabrication de tout lot d’APO‑ABIRATERONE destiné à la vente commerciale entre la date de suspension liée au brevet et la date de lancement dans le monde réel;

  6. toute entente d’approvisionnement en acétate d’abiratérone employé comme ingrédient actif ou en comprimés finis d’APO‑ABIRATERONE conclue avec une entité nommée dans les DCIP pour la période débutant trois mois avant la date de suspension liée au brevet d’Apotex et allant jusqu’à aujourd’hui;

  1. les rapports de validation ou les rapports de justification de validation portant sur APO‑ABIRATERONE, et toute modification apportée à ceux‑ci, rédigés entre la première date de suspension liée au brevet et la date de lancement dans le monde réel;

  2. les plans de lancement, prévisions, rapports ou présentations de diapositives qui se rapportent à la période allant de trois mois avant l’admissibilité à l’approbation d’APO‑ABIRATERONE jusqu’à la date de lancement dans le monde réel, et qui comportent une analyse des éléments suivants : a) la rentabilité potentielle d’APO‑ABIRATERONE; ou b) le lancement d’APO‑ABIRATERONE.

  1. La requête fondée sur l’article 233 des Règles présentée par les défenderesses est accueillie en partie, et Dr. Reddy’s Laboratories Ltd. et Dr. Reddy’s Laboratories, Inc. [collectivement, DRL] devront produire, dans les 20 jours de la date de la présente ordonnance, les documents suivants aux fins de la présente instance :

  1. tout document relatif aux modifications à déclaration obligatoire transmis à Santé Canada à l’égard d’une présentation abrégée de drogue nouvelle de DRL pour REDDY‑ABIRATERONE entre la première date de suspension liée au brevet et la date de lancement dans le monde réel;

  2. toute correspondance entre DRL et Santé Canada au sujet de lacunes ou d’autres problèmes liés à la présentation faite par DRL (notamment les demandes de clarification, les demandes de renseignements et les mises à jour de la monographie de produit) entre la première date de suspension liée au brevet applicable à REDDY‑ABIRATERONE et la date de lancement dans le monde réel;

  3. le tableau de gestion du cycle de vie le plus récent pour le dossier de Santé Canada se rapportant à toutes les présentations réglementaires concernant REDDY‑ABIRATERONE;

  4. les sections 2.3.S.2.1 et 2.3.P.3.1 identifiant les fabricants de REDDY‑ABIRATERONE et de l’acétate d’abiratérone employé comme ingrédient actif dans la fabrication de REDDY‑ABIRATERONE, extraites du Document certifié d’information sur les produits ‑ Entités chimiques (DCIP) qui était en vigueur lors de la première date de suspension liée au brevet applicable à REDDY‑ABIRATERONE, et toute modification apportée à l’identité des fabricants mentionnés dans les sections par la suite;

  5. s’il s’agit d’entités différentes de celles mentionnées dans la réponse qui sera donnée au point 4, fournir le nom des entités auprès desquelles DRL a acheté de l’acétate d’abiratérone employé comme ingrédient actif dans la fabrication de tout lot de REDDY‑ABIRATERONE destiné à la vente commerciale entre la date de suspension liée au brevet et la date de lancement dans le monde réel;

  6. toute entente d’approvisionnement en acétate d’abiratérone employé comme ingrédient actif ou en comprimés finis de REDDY‑ABIRATERONE conclue avec une entité nommée dans les DCIP pour la période débutant trois mois avant la date de suspension liée au brevet de DRL et allant jusqu’à aujourd’hui;

  1. les rapports de validation ou les rapports de justification de validation portant sur REDDY‑ABIRATERONE, et toute modification apportée à ceux‑ci, rédigés entre la première date de suspension liée au brevet et la date de lancement dans le monde réel;

  2. les plans de lancement, prévisions, rapports ou présentations de diapositives qui se rapportent à la période allant de trois mois avant l’admissibilité à l’approbation de REDDY‑ABIRATERONE jusqu’à la date de lancement dans le monde réel, et qui comportent une analyse des éléments suivants : a) la rentabilité potentielle de REDDY‑ABIRATERONE; ou b) le lancement de REDDY‑ABIRATERONE.

  1. La requête fondée sur l’article 238 des Règles présentée par les défenderesses est rejetée.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés relativement aux présentes requêtes, sauf les frais suivants :

  1. les défenderesses paieront à Apotex les frais raisonnables engagés pour la production des documents conformément au paragraphe A de la présente ordonnance;

  2. les défenderesses paieront à DRL les frais raisonnables engagés pour la production des documents conformément au paragraphe B de la présente ordonnance.

« Richard F. Southcott »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

L. Brisebois


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS AU DOSSIER


DOSSIERS :

T‑607‑21, T‑1168‑21, T‑732‑22

INTITULÉ :

APOTEX INC. c JANSSEN INC., JANSSEN ONCOLOGY INC. ET BTG INTERNATIONAL LTD

DR REDDY’S LABORATORIES LTD ET DR REDDY’S LABORATORIES, INC. c JANSSEN INC., JANSSEN ONCOLOGY INC. ET BTG INTERNATIONAL LTD

PHARMASCIENCE INC. c JANSSEN INC., JANSSEN ONCOLOGY INC. ET BTG INTERNATIONAL LTD

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 31 janvier 2023

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :

Le 14 février 2023

COMPARUTIONS :

Nando De Luca

POUR LA DEMANDERESSE

APOTEX INC.

Marcus Klee

POUR LA DEMANDERESSE

PHARMASCIENCE INC.

Jonathan Giraldi

pour les demanderesses

DR REDDY’S LABORATORIES LTD

ET DR REDDY’S LABORATORIES, INC.

Peter Wilcox

pour les défenderesses

JANSSEN INC. ET BTG INTERNATIONAL LTD.

 

 

pour la défenderesse

JANSSEN ONCOLOGY, INC.

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Goodmans LLP et Aitken Klee LLP Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDERESSES

Bellmore Neidrauer LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LES DÉFENDERESSES

 

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