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Date : 20010621

Dossier : T-850-01

                                                                                           Référence neutre : 2001 CFPI 683

ENTRE :

                                                            ROBERT NÉRON

                                                                                                                                        demandeur

                                                                            et

                                       PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                         défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE TEITELBAUM

[1]                 Le demandeur, Robert Néron, a déposé le 28 mai 2001 une demande qu'il a intitulée [TRADUCTION] « DEMANDE FONDÉE SUR le paragraphe 18(1) de la Loi sur la Cour fédérale » et qu'il a ensuite désignée comme suit, immédiatement sous l'intitulé qui précède : [TRADUCTION] « AVIS DE REQUÊTE VISANT À OBTENIR UNE ORDONNANCE INTERLOCUTOIRE DE MANDAMUS » (en vertu de l'article 372.1 des Règles) » .

[2]                 Le demandeur poursuit en déclarant :


[TRADUCTION]

LA PRÉSENTE REQUÊTE vise à obtenir un bref de mandamus pour contraindre le défendeur à accorder au demandeur l'exemption provisoire prévue à l'article 56 jusqu'à ce que Santé Canada convainque les médecins du demandeur que l'ordonnance devrait être modifiée et que l'exemption devrait être révoquée.

LES MOYENS INVOQUÉS sont que le fait d'attendre que mon ordonnance soit exécutée     alors que trois médecins tentent de convaincre le pharmacien qu'ils ont raison porte atteinte à mon droit à la vie, alors qu'obtenir mon médicament alors que le pharmacien essaie de convaincre mes trois médecins de modifier leur ordonnance ne porte pas atteinte à ce droit.

[3]                 L'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale (la Loi) porte sur les demandes de contrôle judiciaire, alors que le paragraphe 18(1) de la Loi concerne la compétence exclusive en première instance que possède la Section de première instance pour accorder certaines réparations extraordinaires, notamment en décernant une injonction, un bref de certiorari, un bref de prohibition ou un bref de mandamus ou en rendant un jugement déclaratoire contre tout office fédéral.

[4]                 Le demandeur se représente lui-même et ne connaît malheureusement pas très bien la Loi sur la Cour fédérale ou les Règles de la Cour fédérale.


[5]                 À la lecture du très bref dossier de requête, il semble que le demandeur a l'intention de procéder par voie de demande de contrôle judiciaire tout en présentant en même temps une demande fondée sur l'article 18.2 en vue d'obtenir une ordonnance provisoire sous forme de bref de mandamus enjoignant au ministre de la Santé de lui accorder une exemption provisoire en vertu de l'article 56 (de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances (la LRCDS)), pour lui permettre d'utiliser de la marijuana à des fins médicales.

[6]                 L'article 18.1 de la Loi est ainsi libellé :



18.1 (1) Une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par le procureur général du Canada ou par quiconque est directement touché par l'objet de la demande.

(2) Les demandes de contrôle judiciaire sont à présenter dans les trente jours qui suivent la première communication, par l'office fédéral, de sa décision ou de son ordonnance au bureau du sous-procureur général du Canada ou à la partie concernée, ou dans le délai supplémentaire qu'un juge de la Section de première instance peut, avant ou après l'expiration de ces trente jours, fixer ou accorder.

(3) Sur présentation d'une demande de contrôle judiciaire, la Section de première instance peut_ :

a) ordonner à l'office fédéral en cause d'accomplir tout acte qu'il a illégalement omis ou refusé d'accomplir ou dont il a retardé l'exécution de manière déraisonnable;

b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu'elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l'office fédéral.

(4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises par la Section de première instance si elle est convaincue que l'office fédéral, selon le cas_ :

a) a agi sans compétence, outrepassé celle-ci ou refusé de l'exercer;

b) n'a pas observé un principe de justice naturelle ou d'équité procédurale ou toute autre procédure qu'il était légalement tenu de respecter;

c) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d'une erreur de droit, que celle-ci soit manifeste ou non au vu du dossier;

d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;

e) a agi ou omis d'agir en raison d'une fraude ou de faux témoignages;

f) a agi de toute autre façon contraire à la loi.

(5) La Section de première instance peut rejeter toute demande de contrôle judiciaire fondée uniquement sur un vice de forme si elle estime qu'en l'occurrence le vice n'entraîne aucun dommage important ni déni de justice et, le cas échéant, valider la décision ou l'ordonnance entachée du vice et donner effet à celle-ci selon les modalités de temps et autres qu'elle estime indiquées.

18.1 (1) An application for judicial review may be made by the Attorney General of Canada or by anyone directly affected by the matter in respect of which relief is sought.

(2) An application for judicial review in respect of a decision or order of a federal board, commission or other tribunal shall be made within thirty days after the time the decision or order was first communicated by the federal board, commission or other tribunal to the office of the Deputy Attorney General of Canada or to the party directly affected thereby, or within such further time as a judge of the Trial Division may, either before or after the expiration of those thirty days, fix or allow.

(3) On an application for judicial review, the Trial Division may

(a) order a federal board, commission or other tribunal to do any act or thing it has unlawfully failed or refused to do or has unreasonably delayed in doing; or

(b) declare invalid or unlawful, or quash, set aside or set aside and refer back for determination in accordance with such directions as it considers to be appropriate, prohibit or restrain, a decision, order, act or proceeding of a federal board, commission or other tribunal.

(4) The Trial Division may grant relief under subsection (3) if it is satisfied that the federal board, commission or other tribunal

(a) acted without jurisdiction, acted beyond its jurisdiction or refused to exercise its jurisdiction;

(b) failed to observe a principle of natural justice, procedural fairness or other procedure that it was required by law to observe;

(c) erred in law in making a decision or an order, whether or not the error appears on the face of the record;

(d) based its decision or order on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it;

(e) acted, or failed to act, by reason of fraud or perjured evidence; or

(f) acted in any other way that was contrary to law.

(5) Where the sole ground for relief established on an application for judicial review is a defect in form or a technical irregularity, the Trial Division may

(a) refuse the relief if it finds that no substantial wrong or miscarriage of justice has occurred; and

(b) in the case of a defect in form or a technical irregularity in a decision or order, make an order validating the decision or order, to have effect from such time and on such terms as it considers appropriate.


[7]                 Le paragraphe 18.1(2) de la Loi prévoit dans les termes les plus nets que la demande de contrôle judiciaire doit porter sur une décision et qu'elle doit être présentée dans les trente jours qui suivent la communication de la décision au demandeur.

[8]                 La décision à laquelle le demandeur fait allusion est datée du 17 mai 2001 et, pour en faciliter la compréhension, j'estime nécessaire de la reproduire en entier :


[TRADUCTION]

Le 17 mai 2001

M. Robert Néron

C.P. 1346

Hearst (Ontario)

P0L 1N0

Monsieur,

La présente fait suite à la demande que vous nous avez soumise en vue d'obtenir l'exemption prévue à l'article 56 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances (LRCDAS) pour pouvoir utiliser de la marijuana à des fins médicales. Nous désirons par la présente vous informer de notre intention de refuser votre demande d'exemption et vous donner l'occasion de réagir avant qu'une décision ne soit prise. Compte tenu des renseignements qui nous ont été soumis, nous estimons que votre demande ne répond pas aux exigences de l'article 56. Voici les motifs du refus projeté de votre demande :

   ·             Voici les conclusions que l'on trouve dans le rapport du Toronto Hospital Functional Restoration Program (programme de réadaptation fonctionnelle de l'hôpital de Toronto) : [TRADUCTION] « En ce qui concerne le bien-fondé du choix de ses médicaments, nous regrettons de ne pas être en mesure de donner notre avis, étant donné que nous n'avons pas d'expérience en ce qui concerne l'utilisation du Cesamet. Nous avons certaines préoccupations d'ordre général sur l'emploi simultané d'opioïdes, de benzodiazépines, de Cesamet et de marijuana. Ces préoccupations concernent notamment l'absence d'améliorations suffisantes pour ce qui est du soulagement de la douleur et de la réadaptation fonctionnelle et ce, malgré l'administration d'opioïdes puissants. Vous devriez peut-être envisager la possibilité de consulter un spécialiste en toxicomanie pour qu'il vous aide à déterminer si le traitement actuel est adapté et pour qu'il examine la possibilité qu'une dépendance soit créée » . Des copies des rapports de consultation concernant ces recommandations ont été réclamées dans une lettre adressée à votre médecin. Compte tenu des considérations qui précèdent, nous estimons qu'il est important de suivre la recommandation formulée par le Toronto Hospital Functional Restoration Program pour déterminer si l'utilisation de la marijuna serait indiquée dans votre cas.


   ·             Dans la lettre du 23 janvier 2001 que nous lui avons adressée, nous avons demandé à votre médecin, le docteur Proulx, de nous fournir de plus amples renseignements au sujet des thérapies qui avaient été essayées et des raisons pour lesquelles elles avaient été abandonnées, et au sujet des thérapies qui avaient été raisonnablement envisagées et des raisons pour lesquelles elles n'ont pas été essayées. Toutefois, comme il existe au Canada d'autres thérapies pour le soulagement de la douleur, il est important de démontrer que ces thérapies ont été essayées ou qu'elles ont été raisonnablement envisagées. Votre demande ne renferme pas de renseignements assez complets sur cet aspect.

Vous voudrez peut-être communiquer avec le docteur Proulx pour l'informer de nos intentions et fournir au soussigné tout renseignement ou observation complémentaire pour expliquer pourquoi votre demande ne devrait pas être refusée, compte tenu des raisons susmentionnées. Vous devez nous communiquer ces renseignements par écrit d'ici le 31 mai 2001. Si nous n'avons rien reçu d'ici cette date, votre demande sera refusée sans autre possibilité de répondre. Vous pouvez nous transmettre tout complément d'information par télécopieur au (613) 952-2196 ou par la poste à l'adresse ci-après indiquée. Assurez-vous de bien indiquer votre numéro de dossier dans toute correspondance.

Si vous avez des questions au sujet de la présente question, vous pouvez communiquer directement avec la Division de la coordination de l'évaluation et de la recherche au numéro (613) 954-6540 ou à l'adresse suivante :

Division de la coordination de l'évaluation et de la recherche

Programme de la stratégie antidrogue et des substances contrôlées

Direction générale de la santé environnementale et de la sécurité des consommateurs

Santé Canada

Indice de l'adresse : 3503B

Ottawa (Ontario)

K1A 1B9

Veuillez agréer, Monsieur, l'expression de mes sentiments distingués.                  

« J. Gomber »

Jody Gomber, Ph. D.

Directrice générale

Programme de la stratégie antidrogue

et des substances contrôlées


[9]                 Ainsi qu'il ressort de la lettre du 17 mai 2001, le demandeur a été informé qu'il devait produire certains documents au plus tard le 31 mai 2001, à défaut de quoi sa demande serait « refusée sans autre possibilité de répondre » .

[10]            Au moment où le demandeur a déposé ce qu'il appelle sa demande de contrôle judiciaire, aucune décision définitive n'avait encore été prise au sujet de sa demande fondée sur l'article 56. Je suis maintenant convaincu qu'une décision définitive a été prise, en l'occurrence un refus, et que cette décision pourra faire l'objet d'un contrôle judiciaire après l'expiration de tous les délais fixés pour la présentation de la preuve.

[11]            Le 1er juin 2001, après que la Cour eut entendu la présente demande, le défendeur a prorogé au 30 juillet 2001 le délai imparti au demandeur pour fournir les renseignements complémentaires réclamés dans la lettre du 17 mai 2001 (voir la lettre du 1er juin 2001 adressée à l'administrateur de la Cour).

[12]            Le 1er juin 2001, le demandeur a déposé un avis de requête par écrit en vue d'obtenir la prorogation du délai qui lui était imparti pour déposer un affidavit supplémentaire. Suivant l'article 361 des Règles, le défendeur a dix jours, à compter de la signification, pour déposer et signifier un dossier de requête. Il s'ensuit que le défendeur aurait jusqu'au 11 juin 2001 pour déposer et signifier une réponse.


[13]            Le défendeur ne conteste pas la requête visant à permettre au demandeur de déposer un affidavit supplémentaire.

[14]            Les articles 301 à 310 et suivants des Règles de la Cour fédérale prévoient la procédure que les parties doivent suivre lors du dépôt d'affidavits et précisent les délais à respecter.

[15]            Ainsi que je l'ai déjà dit, le demandeur se représente lui-même et il est évident qu'il ne sait absolument pas comment s'y prendre.

[16]            Le demandeur a joint un affidavit à sa demande. Voici ce qu'il déclare aux paragraphes 2, 3, 4, 5, 9, 10, 11, 13, 15 et 16 :

[TRADUCTION]

2. Mon état de santé me justifie de demander l'exemption prévue à l'article 56 en vue d'obtenir l'autorisation de fumer de la marijuana. Je souffre de rétrocolis spastique (dystonie) à la suite d'un accident de travail que j'ai subi en 1997. En 1998, je mesurais 5'7" et je pesais 187 livres. Je mesure maintenant 5'3" et je pèse 116 livres. Ma tête doit demeurer inclinée vers l'arrière aussi loin que possible et mes épaules sont soulevées aussi haut que possible. Elles sont complètement immobilisées par des spasmes intenses et une douleur chronique que les médicaments conventionnels ne réussissent pas à soulager. Je souffre aussi de nausées, d'une perte d'appétit, de stress, de tremblements aux deux mains et à la tête, de douleurs aux articulations, de fatigue et d'insomnie. Je souffre aussi de pertes d'équilibre, d'étourdissements et de vision trouble.


3. J'utilise de la marijuana pour soulager la douleur constante causée par les spasmes. La marijuana soulage la fatigue et m'aide avec mon problème d'insomnie. Elle atténue ma dépression, stimule mon appétit et renouvelle mon énergie. Les spasmes me réveillent au milieu de la nuit et je n'arrive pas à me rendormir. Le matin, lorsque je me lève, j'ai besoin de cannabis pour soulager les nausées causées par ma mauvaise alimentation (un petit repas par jour) et par tous les médicaments conventionnels que je prends. Le cannabis est le seul médicament efficace et sans danger qui m'aide à soulager les spasmes intenses que je dois endurer vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Je fume du cannabis, je cuisine au cannabis et je me fais des infusions de cannabis pour soulager ces malaises et pour en arriver à réduire ou à éliminer les médicaments sur ordonnance que je prends et qui risquent d'entraîner une dépendance.

4. Même la marijuana et les médicaments qui me sont prescrits ne suffisent pas. J'aimerais vivre une vie normale sans tous ces médicaments, mais je n'ai pas le choix. J'aime la vie et j'aime être avec les gens que j'aime, mon fils, ma fille et la femme qui partage ma vie depuis neuf ans, mais je suis malade depuis trois ans. C'est très dur. Je vis une journée à la fois et je prie Dieu chaque jour pour qu'aujourd'hui soit meilleur qu'hier. Je le remercie de pouvoir compter sur le cannabis pour m'aider et me fortifier.

5. Le 8 janvier 2001, mon médecin a transmis par télécopieur ma demande à Santé Canada. Le 9 janvier 2001, un mandat de perquisition a été décerné sur la foi de la dénonciation sous serment de l'agente Julie Prudhomme de la Police provinciale de l'Ontario, qui déclarait qu'il existait des raisons de croire que [TRADUCTION] « le 9 janvier 2001 ou vers cette date, Robert Néron a illégalement produit du cannabis (marijuana), commettant ainsi l'acte criminel prévu au paragraphe 7(2) de la Loi » . Toute la marijuana dont je me servais à des fins médicinales à été saisie.

9. Le 19 avril 2001, j'ai appris qu'un pharmacien de Santé Canada avait demandé le 23 février 2001 au docteur Proulx de lui fournir de plus amples renseignements au sujet de TOUS les traitements qui avaient été essayés puis abandonnés, et au sujet de TOUS les TRAITEMENTS qui avaient envisagés et des raisons pour lesquelles on ne les avait pas essayés avant de recourir à la marijuana. Le docteur Proulx n'a pas encore donné suite à cette lettre et il n'a pas pu être joint. Santé Canada n'était pas en mesure de prendre une décision et il me fallait attendre que le docteur Proulx se soit prononcé avant de pouvoir exécuter mon ordonnance. Ni Santé Canada ni la Cour fédérale ne m'ont fait savoir qu'ils jugeaient ma demande incomplète avant mon deuxième voyage à Ottawa pour comparaître devant le juge Rouleau le 12 avril, me forçant ainsi à me taper inutilement la distance aller-retour de 2 100 km qui sépare Hearst d'Ottawa

10. Le docteur Proulx a, dans la mesure où il le jugeait nécessaire, déjà fourni les renseignements qui suivent sur le principal formulaire de demande lui-même :

« Section E : À remplir par le médecin

v. Toutes les thérapies qui ont été essayées et raisons pour lesquelles elles ont été abandonnées

vi. Thérapies qui ont été raisonnablement envisagées et raisons pour lesquelles elles n'ont pas été utilisées. »


11. Le pharmacien de Santé Canada exige maintenant que le docteur Proulx réponde de nouveau aux mêmes questions, mais qu'il réponde mieux cette fois-ci, du moins à la satisfaction du pharmacien qui l'interroge, à défaut de quoi le pharmacien refusera de prescrire au patient le médicament que ses trois médecins lui ont prescrit. Tout comme il serait ridicule qu'un chef de projet ait à convaincre le magasinier des raisons pour lesquelles il a commandé des tuyaux de quatre pouces de diamètre plutôt que des tuyaux de deux pouces pour un écoulement déterminé, il serait tout autant ridicule qu'un médecin ait à convaincre le pharmacien des raisons pour lesquelles il prescrit tel ou tel médicament. Bien sûr, tout comme il est loisible au magasinier de suggérer aux ingénieurs de modifier leurs plans, de même, les pharmaciens de Santé Canada sont libres de suggérer que les trois médecins de M. Néron modifient leur ordonnance. Mais tout comme on ne permettra jamais au magasinier de s'ingérer dans le choix des matériaux prescrits, de même on ne devrait jamais laisser le pharmacien s'immiscer dans le choix du traitement prescrit. Le ministre de la Santé, Allan Rock, est le magasinier et ni lui ni son personnel n'ont le pouvoir d'exiger des médecins de leur fournir des explications sur des questions que les médecins sont les mieux placés pour juger.

13. La question centrale est la suivante : le tribunal m'obligera-t-il à attendre pour exécuter mon ordonnance que mes trois médecins aient réussi à convaincre le pharmacien du ministre, ou le tribunal me permettra-t-il d'obtenir mon médicament en attendant que le pharmacien du ministre réussisse à convaincre les médecins de modifier leur ordonnance ? Qu'on la considère comme une exemption temporaire ou préliminaire, le tribunal pourrait la révoquer si le pharmacien démontre que mes trois médecins ont tort. Ne m'obligez pas à attendre que mes trois médecins prouvent que le pharmacien a tort. Le ministre ne doit pas me refuser mon médicament tant qu'il n'est pas fermement convaincu que mes médecins ont raison. Ne lui permettez de me refuser mon médicament qu'après qu'il aura démontré que mes médecins ont tort.

15. Les délais revêtent une importance capitale parce que, dans la lettre dans laquelle il m'a signifié son intention de me refuser ce médicament, le ministre n'a accordé à mon médecin que jusqu'au 31 mai, soit seulement 13 jours, pour réunir TOUS les documents et comptes rendus exigés, à défaut de quoi ma demande sera officiellement refusée sans que j'aie d'autre possibilité de répondre. J'ignore si je vais pouvoir obtenir un rendez-vous dans les treize prochains jours et encore moins si je vais pouvoir obtenir l'avis écrit de mon médecin sur toutes les questions soulevées, mais la Cour m'aiderait si elle obligeait Santé Canada à démontrer que mon médecin a tort au lieu d'obliger celui-ci à démontrer qu'il a raison. Ce n'est pas le magasinier qui devrait diriger la pharmacie, mais bien le médecin.

16. Le présent affidavit est souscrit à l'appui d'une requête en bref de mandamus forçant le défendeur à accorder une exemption provisoire en vertu de l'article 56 tant que Santé Canada n'aura pas convaincu les médecins que mon ordonnance devrait être modifiée et que l'exemption n'aura pas été révoquée au motif que m'obliger à attendre pour exécuter mon ordonnance que les trois médecins aient réussi à convaincre le pharmacien qu'ils ont raison porte atteinte à mon droit à la vie, alors que le fait d'obtenir mon médicament pendant que le pharmacien essaie de convaincre mes médecins de modifier leur ordonnance ne viole pas mes droits.


[17]            Ainsi que le paragraphe 16 de son affidavit le démontre, le demandeur prie la Cour d'enjoindre au demandeur -- je suppose qu'il veut dire le ministre de la Santé -- de lui accorder « une exemption provisoire en vertu de l'article 56 » .

[18]            À l'audience, on m'a remis une lettre écrite le 30 mai 2001 par le docteur Bertrand Proulx, le médecin du demandeur, qui déclare notamment ce qui suit :

[TRADUCTION]                                                                        Le 30 mai 2001

À qui de droit

OBJET : Robert NÉRON

Votre dossier OCS172801

J'ai reçu le 22 mai 2001 une copie de la lettre adressée à M. Néron le 17 mai 2001 par Santé Canada.

Je cite un extrait du premier paragraphe de cette lettre :

« [...] vous informer de notre intention de refuser votre demande » visant à obtenir l'exemption prévue à l'article 56 de la (LRCDAS) en vue d'utiliser de la marijuana à des fins médicales.

Cette lettre, dans laquelle apparaît mon nom, ne m'a pas été télécopiée.

Il m'est donc impossible de respecter l'échéance du 31 mai 2001 qui m'a été fixée pour produire des renseignements ou des observations supplémentaires pour expliquer les raisons pour lesquelles la demande de M. Néron ne devrait pas être refusée.

Je me vois donc forcé de me prononcer en faveur de la requête présentée par M. Néron en vue d'obtenir un bref de mandamus contraignant le défendeur à accorder à M. Néron une exemption provisoire en vertu de l'article 56 tant que je n'aurai pas répondu entièrement aux questions de Santé Canada et que je n'aurai pas recommandé l'utilisation de la marijuana à des fins médicales.

Je vous prie d'agréer l'expression de mes sentiments distingués.

« B. Proulx »

Bertrand Proulx, M.D., C.M., C.C.F.P.


[19]            L'affidavit supplémentaire que le demandeur dépose en l'espèce est celui qu'il a lui-même souscrit le 1er juin 2001. Le demandeur joint à son affidavit plusieurs pièces, notamment une copie de sa demande d'exemption prévue à l'article 56 en date du 8 janvier 2001 qui renferme, à la section E, une déclaration dans laquelle son médecin explique les raisons pour lesquelles il estime que le demandeur devrait se voir accorder l'exemption prévue à l'article 56.

[20]            Ainsi que je l'ai déjà précisé, le demandeur estime qu'en vertu de l'article 372 des Règles de la Cour fédérale, j'ai la compétence pour rendre l'ordonnance provisoire de mandamus qu'il réclame.

[21]            L'article 372 des Règles dispose :


372. (1) Une requête ne peut être présentée en vertu de la présente partie avant l'introduction de l'instance, sauf en cas d'urgence.

Engagement

372(2)

(2) La personne qui présente une requête visée au paragraphe (1) s'engage à introduire l'instance dans le délai fixé par la Cour.


372. (1) A motion under this Part may not be brought before the commencement of a proceeding except in a case of urgency.

Undertaking to commence proceeding

372(2)

(2) A party bringing a motion before the commencement of a proceeding shall undertake to commence the proceeding within the time fixed by the Court.


L'article 372 se trouve à la partie 8 des Règles qui est intitulée : Sauvegarde des droits - Preservation of Rights in Proceedings.


[22]            Je suis convaincu que, même si je disposais d'éléments de preuve suffisants pour pouvoir accorder l'ordonnance provisoire demandée, l'article 372 des Règles est conçu de manière à sauvegarder les droits du demandeur en cas d'urgence en attendant l'issue de l'instance.

[23]            Or, la question dont je suis saisi ne porte pas sur la sauvegarde d'un droit. Le demandeur ne perdra aucun droit si je ne rends pas l'ordonnance provisoire demandée. Il s'ensuit tout simplement -- et je ne veux pas minimiser le sérieux de sa requête -- que le demandeur devrait présenter une demande de contrôle judiciaire en déposant et en signifiant une telle demande avec des affidavits à l'appui souscrits par lui-même et par son ou ses médecins, si c'est ce qu'il souhaite, et présenter ensuite une demande en vertu du paragraphe 18(2) de la Loi, là encore en présentant les éléments de preuve nécessaires.

[24]            En pareil cas, le défendeur se verrait accorder un bref délai pour produire sa preuve, en raison de l'urgence de la question.


[25]            Dans le cas précis qui nous occupe, je suis disposé à permettre que la demande dont je suis saisi serve d'introduction à une demande de contrôle judiciaire. Je suis disposé à permettre au demandeur de me soumettre des éléments de preuve suffisants et un ou plusieurs affidavits, pour démontrer l'urgence de l'affaire et pour établir, au moyen d'affidavits détaillés souscrits par un ou plusieurs médecins, les raisons pour lesquelles il faut lui permettre d'utiliser de la marijuana à des fins médicales.

[26]            La Cour accorde au demandeur un délai de dix jours à compter d'aujourd'hui pour déposer tout autre affidavit qu'il peut désirer déposer et signifier à l'appui de sa demande.

[27]            Il incombe au demandeur de déposer ces éléments de preuve aussi rapidement que possible. Dans les dix jours de la signification des affidavits, le défendeur déposera, s'il le désire, tout autre affidavit qu'il souhaite soumettre à la Cour.

[28]            Le demandeur devrait présenter à la Cour une demande d'instruction accélérée, demande que, j'en suis sûr, la Cour examinera attentivement, compte tenu du sérieux de la présente requête.

[29]            J'estime nécessaire de formuler certaines commentaires au sujet de l'attitude du demandeur et des personnes qui ont participé avec lui à l'audition de sa demande et qui ont elles-mêmes présenté des requêtes sur le même sujet.


[30]            Il faut bien comprendre que, pour le moment, la culture et l'utilisation de marijuana, même à des fins médicales, constitue un infraction criminelle au Canada, sauf lorsque son utilisation est permise en vertu de l'article 56 de la LRCDAS. En conséquence, pour obtenir la permission d'utiliser de la marijuana pour des raisons médicales, l'intéressé doit démontrer par des preuves suffisantes qu'il a besoin de marijuana pour soulager la douleur ou atténuer les nausées. Par ailleurs, le défendeur est tenu de ne pas faire obstacle à de telles demandes de manière à rendre illusoire le recours prévu à l'article 56. Le défendeur doit, d'abord et avant tout, s'assurer que la demande qui est présentée en l'espèce par le demandeur sera examinée dans les plus brefs délais, et non dans plusieurs mois comme il semble que ce soit le cas en l'espèce.

[31]            En second lieu, ce type de demande devrait faire l'objet d'une analyse généreuse et bienveillante, et non d'un examen restrictif ou étroit. Si le demandeur est malade, tout doute devrait et doit être résolu en faveur du demandeur.

                                     O R D O N N A N C E

[32]            En conséquence, pour les motifs ci-dessus exposés, la demande dont la Cour est saisie sera considérée comme une demande de contrôle judiciaire de la décision datée du 17 mai 2001.


[33]            Suivant les Règles de la Cour fédérale, les délais applicables commencent à courir aujourd'hui, à moins qu'ils ne soient abrégés en vertu de la présente décision.

« Max M. Teitelbaum »                                                                                                                                                                                                                            Juge

Calgary (Alberta)

Le 21 juin 2001

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL. L., Trad. a.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                  T-850-01

INTITULÉ DE LA CAUSE : ROBERT NÉRON

c.

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                  Le 31 mai 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE prononcés par le juge Teitelbaum

EN DATE DU :                                     21 juin 2001

ONT COMPARU :

M. Robert Néron                                                              POUR LE DEMANDEUR

M. Alain Préfontaine                                                          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Robet Néron                                                                POUR LE DEMANDEUR

Hearst (Ontario)

M. Morris Rosenberg                                                        POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

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