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Date : 20230220


Dossier : T-1079-22

Référence : 2023 CF 244

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 20 février 2023

En présence de madame la juge Sadrehashemi

ENTRE :

YOUSEF ALEXANDER ZAGHLOUL

demandeur

et

L’AGENCE DU REVENU DU CANADA

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Yousef Alexander Zaghloul (M. Zaghloul), a présenté une demande de Prestation canadienne de la relance économique [la PCRE]. L’Agence du revenu du Canada [l’ARC] a conclu qu’il n’était pas admissible, parce qu’il ne satisfaisait pas au critère du revenu minimum de 5 000 $ pour l’année 2019, 2020 ou au cours des douze mois précédant la date à laquelle la première demande avait été présentée. M. Zaghloul a demandé un deuxième examen. Le 28 avril 2022, l’agent de l’ARC chargé du deuxième examen a confirmé la décision initiale, et a conclu que M. Zaghloul n’était pas admissible à la PCRE.

[2] M. Zaghloul conteste la deuxième décision dans la présente instance en contrôle judiciaire. Tout d’abord, il soutient que l’ARC a manqué à l’équité procédurale en ne l’informant pas qu’il lui incombait de démontrer qu’il avait effectivement reçu les montants figurant sur les factures qu’il avait soumises. Il soutient que, s’il avait su que cela constituait un problème pour l’ARC, il aurait expliqué, comme il l’a fait en contrôle judiciaire, que les factures soumises avaient été acceptées par l’entreprise, mais qu’elles n’avaient pas encore été payées en raison des difficultés financières de cette dernière.

[3] Deuxièmement, M. Zaghloul soutient qu’il était déraisonnable que l’ARC n’accepte pas les factures à titre de preuve de revenu, même s’il n’existait aucune preuve de paiement, parce qu’au Canada, l’impôt sur le revenu est calculé suivant la méthode de la comptabilité d’exercice et non selon celle de la comptabilité de caisse.

[4] L’argument de M. Zaghloul concernant le bien‑fondé de la demande repose sur sa prétention relative au manquement à l’équité procédurale. Devant l’ARC, M. Zaghloul n’a pas présenté les observations ou les éléments de preuve soumis à la Cour concernant les difficultés financières de l’entreprise, et il a soutenu que le revenu à des fins de la PCRE devrait être calculé selon la méthode de la comptabilité d’exercice plutôt que celle de la comptabilité de caisse. M. Zaghloul explique qu’il n’a pas présenté ces observations ou ces éléments de preuve à l’ARC, parce que cette dernière ne l’avait pas informé que ses factures ne constituaient pas une preuve suffisante ni qu’il devait présenter une preuve de paiement.

[5] La question de l’équité procédurale est donc déterminante. Si je conclus qu’il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale et que M. Zaghloul savait ce qu’il lui fallait démontrer, il n’existe alors aucun fondement pour conclure que la décision était déraisonnable puisque les arguments et les éléments de preuve dont je disposais n’ont pas été présentés à l’ARC. Toutefois, si je conclus qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale, M. Zaghloul devrait avoir la possibilité de présenter des observations à l’ARC au sujet des problèmes de trésorerie de l’entreprise, de sa promesse de le payer et de la nécessité de tenir compte de son revenu calculé suivant la méthode de la comptabilité d’exercice.

[6] Après avoir soigneusement examiné le dossier, y compris les notes de l’ARC concernant les conversations téléphoniques avec M. Zaghloul et les affidavits déposés dans le cadre de la procédure de contrôle judiciaire, je suis convaincue que M. Zaghloul savait ce qu’il lui fallait démontrer, et qu’il n’y a donc pas eu manquement à l’équité procédurale.

[7] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

II. Le contexte

[8] En 2019 et en 2020, M. Zaghloul était travailleur autonome et fournissait du soutien technique à NTG Clarity Networks, une entreprise de prestation de services de centres de données et de réseaux de télécommunications. Il a aussi travaillé comme livreur de repas pour l’entreprise SkipTheDishes. Il souffre du diabète de type 1 et d’asthme. Pendant la pandémie, il n’a pas pu continuer à travailler en raison de l’existence d’un risque élevé de contracter la COVID‑19.

[9] M. Zaghloul a présenté une demande de PCRE pour treize périodes de deux semaines, soit du 27 septembre au 24 octobre 2020, du 14 février au 3 juillet 2021 et du 26 septembre au 9 octobre 2021. Dans sa demande, il a soumis des copies de factures qu’il avait envoyées à NTG Clarity Networks, datées du 16 février 2020 et du 1er avril 2020, pour des montants de 4 000 $ et de 3 462,91 $, respectivement, ainsi qu’une copie d’un relevé de compte de SkipTheDishes montrant un revenu de 1 237,09 $. M. Zaghloul a également présenté sa déclaration de revenus pour 2019, faisant état d’un revenu de 6 100 $, et sa déclaration de revenus pour 2020 indiquant un revenu de 18 700 $. Le 26 juin 2021, M. Zaghloul a, une fois de plus, présenté les mêmes factures et le même relevé de compte.

[10] Le 2 novembre 2021, l’ARC a informé M. Zaghloul par lettre qu’il n’était pas admissible à la PCRE, parce qu’il ne satisfaisait pas au critère du revenu minimum de 5 000 $ pour l’année 2019, 2020 ou au cours des douze mois précédant la date de sa première demande.

[11] Le 23 novembre 2021, le demandeur a sollicité un deuxième examen de la décision de l’ARC. Il a de nouveau joint les documents qu’il avait présentés en juin 2021. Le 30 mars 2022, l’agent de l’ARC chargé du deuxième examen a appelé M. Zaghloul et lui a demandé de fournir des relevés bancaires démontrant qu’il satisfaisait au critère du revenu minimum. Le 18 avril 2022, M. Zaghloul a de nouveau présenté ses factures, et a joint une copie de ses relevés bancaires.

[12] Dans une lettre datée du 28 avril 2022, l’agent de l’ARC chargé du deuxième examen a confirmé la décision initiale, après avoir conclu que M. Zaghloul n’était pas admissible à la PCRE, parce qu’il ne respectait pas le critère du revenu minimum de 5 000 $ pour l’année 2019, 2020 ou au cours des douze mois précédant la date de sa première demande. Le rapport sur le deuxième examen indique que les relevés bancaires de M. Zaghloul montraient qu’en 2019 et en 2020, il avait gagné un revenu de 2 294,48 $ et de 1 237 $ de SkipTheDishes, respectivement, mais qu’ils ne démontraient pas que les factures soumises à NTG Clarity Networks avaient été payées. L’ARC n’a donc pas été en mesure de confirmer que M. Zaghloul satisfaisait au critère du revenu minimum, et a conclu qu’il n’était pas admissible à la PCRE.

III. Les questions en litige et la norme de contrôle applicable

[13] La question déterminante dans la présente instance en contrôle judiciaire est de savoir si l’ARC a manqué à l’équité procédurale en omettant d’informer M. Zaghloul qu’il devait fournir une preuve de paiement relativement aux factures qu’il avait présentées. Cette question ne concerne pas le bien‑fondé de la décision. La présomption générale d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable ne s’applique pas aux questions d’équité procédurale (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 23 et 77). La question à laquelle il faut répondre est de savoir si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54; Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196 au para 35).

IV. Analyse

[14] La PCRE a permis de fournir un soutien financier direct aux personnes admissibles résidant au Canada qui ont été touchées par la pandémie de COVID‑19 pour toute période de deux semaines située entre le 27 septembre 2020 et le 23 octobre 2021. Les résidents devaient satisfaire aux critères d’admissibilité pour chacune des périodes de deux semaines. Le critère d’admissibilité en cause dans la présente instance en contrôle judiciaire est celui du revenu énoncé aux alinéas 3(1)d) à f) de la Loi sur les prestations canadiennes de relance économique, LC 2020, c 12, art 2 [la LPCRE], qui exige que le demandeur démontre que son revenu s’élevait à au moins 5 000 $ pour l’année 2019, 2020 ou au cours des douze mois précédant la date à laquelle la première demande a été présentée.

[15] Selon l’article 6 de la LPCRE, le demandeur doit fournir au ministre tout renseignement que ce dernier peut exiger relativement à la demande de PCRE. L’agent chargé du deuxième examen a demandé à M. Zaghloul de fournir une preuve de paiement de ses factures et ses relevés bancaires pour 2019. M. Zaghloul s’est conformé à cette demande, et a fourni ses relevés bancaires. Il n’a toutefois pas expliqué que NTG Clarity Networks avait accepté ses factures, mais ne l’avait pas encore rémunéré pour le travail qu’il avait effectué en raison des problèmes de trésorerie de l’entreprise. Il n’a pas non plus expliqué son point de vue selon lequel il n’était pas tenu de fournir une preuve de paiement, parce que l’ARC devrait calculer le revenu suivant la méthode de la comptabilité d’exercice.

[16] Dans le cadre du contrôle judiciaire, M. Zaghloul a fait valoir qu’il ne savait pas que l’ARC avait besoin d’une preuve de paiement de ses factures, et qu’elle avait des préoccupations à l’égard de celles-ci. Il a précisé que, s’il l’avait su, il aurait fourni un affidavit d’un agent financier de NTG Clarity Networks et son propre affidavit expliquant les circonstances ayant mené au non‑paiement de ses factures, comme il l’a fait en contrôle judiciaire.

[17] Il est difficile de concilier l’affirmation de M. Zaghloul avec les dossiers de l’ARC et les demandes de renseignements supplémentaires de cette dernière concernant les factures. L’ARC a expressément demandé des relevés bancaires, et M. Zaghloul a acquiescé à cette demande. Les notes documentant la conversation téléphonique de l’agent chargé du deuxième examen avec M. Zaghloul le 30 mars 2022 indiquent ce qui suit : [traduction] « nous avons demandé au bénéficiaire de nous fournir ses relevés bancaires afin de confirmer qu’il satisfait au critère du revenu minimum de 5 000 $ ». De même, il ressort du rapport sur le deuxième examen que l’agent chargé de l’examen a demandé à M. Zaghloul de lui fournir ses relevés bancaires au cours de l’appel téléphonique du 30 mars 2022 [traduction] « pour établir si son revenu s’élevait à au moins 5 000 $ en 2019 ».

[18] À part la confirmation de son revenu, le but pour lequel, selon ce que croyait M. Zaghloul, l’ARC s’intéressait à ses relevés bancaires n’est pas clair. La demande de relevés bancaires doit également être examinée dans un contexte plus large, soit celui du deuxième examen dans le cadre duquel M. Zaghloul avait déjà été informé que l’ARC n’acceptait pas la prétention selon laquelle son revenu s’élevait à au moins 5 000 $ au cours de la période visée.

[19] Je suis convaincue, dans les circonstances de l’espèce, que M. Zaghloul savait ce qu’il lui fallait démontrer et qu’il n’a pas fourni à l’ARC les renseignements supplémentaires pertinents lorsque cette dernière lui a demandé de présenter une preuve de revenu. Rien ne permet de conclure qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. La défenderesse n’a pas sollicité de dépens. Dans les circonstances de l’espèce, aucuns dépens ne sont adjugés.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T‑1079‑22

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Lobat Sadrehashemi »

Juge

Traduction certifiée conforme

Espérance Mabushi, M.A. Trad. Jur.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1079-22

 

INTITULÉ :

YOUSEF ALEXANDER ZAGHLOUL c L’AGENCE DU REVENU DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 JANVIER 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SADREHASHEMI

 

DATE DES MOTIFS :

LE 20 FÉVRIER 2023

 

COMPARUTIONS :

Yousef Alexander Zaghloul

 

POUR LE DEMANDEUR,

POUR SON PROPRE COMPTE

W. Natasha Tso

 

POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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