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Date : 20230217


Dossier : IMM‑2471‑20

Référence : 2023 CF 240

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 17 février 2023

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

SAUNDRA EBANKS

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 28 avril 2020 par laquelle un agent principal a rejeté la demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire qu’elle avait présentée depuis le Canada.

[2] La décision de l’agent principal faisait suite au nouvel examen d’une précédente décision relative à une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire qui avait été renvoyée par consentement en raison de l’assistance possiblement inefficace du conseil.

[3] Pour les motifs qui suivent, la présente demande sera rejetée, car la demanderesse a eu une conduite répréhensible avant de se présenter devant la Cour.

II. Contexte factuel

[4] La demanderesse, qui est citoyenne jamaïcaine, était âgée de 66 ans ainsi que mère d’une fille adulte et grand-mère de deux petits-enfants vivant au Canada au moment de présenter sa première demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

[5] La demanderesse est entrée au Canada le 27 avril 2009 au moyen d’un visa de résident temporaire. Elle réside au Canada depuis.

[6] Le 30 septembre 2010, le statut de la demanderesse a expiré. La demanderesse a présenté une demande de prolongation, qui a été rejetée le 3 décembre 2010.

[7] Le 29 février 2012, la demanderesse a présenté une demande d’asile.

[8] La demanderesse a déposé sa première demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire le 29 juin 2012.

[9] La demande a été rejetée le 16 août 2012.

[10] Le 1er mars 2013, la demande d’asile de la demanderesse a été rejetée.

[11] En février 2014, la demanderesse a déposé une requête en sursis, qui a également été rejetée.

[12] Le 27 février 2014, la demanderesse ne s’est pas présentée en vue de son renvoi.

[13] Le 27 novembre 2017, la demanderesse a déposé une deuxième demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Celle-ci a été rejetée le 30 septembre 2019, puis la décision a été annulée par consentement le 5 février 2020.

[14] À la date de l’audition de la présente demande, le mandat d’arrestation lancé contre la demanderesse n’avait toujours pas été exécuté.

III. Questions en litige

[15] Le défendeur fait valoir que la présente demande devrait être rejetée pour deux motifs.

[16] Premièrement, la demanderesse ne s’est présentée ni à son renvoi prévu le 27 février 2014 ni à l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC]. Par conséquent, elle a eu une conduite répréhensible avant de se présenter devant notre Cour.

[17] Deuxièmement, le défendeur avance que, comme la demanderesse a omis de produire un affidavit personnel à l’appui de la présente demande, son mépris des lois canadiennes en matière d’immigration et de l’autorité de la Cour demeure inexpliqué.

[18] Je constate également que, dans les observations qu’elle a transmises à l’agent responsable de sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, la demanderesse explique ne pas s’être présentée à son renvoi par crainte de sa belle-famille. Toutefois, comme ces explications n’ont pas été fournies sous serment, la Cour ne peut les tenir pour vraies.

[19] Étant donné que je rejetterai la présente demande en raison de la conduite répréhensible de la demanderesse, je n’ai pas à analyser la décision au regard d’une norme de contrôle.

IV. Absence d’affidavit personnel

[20] La Cour est en droit de rejeter la demande ou d’accorder peu de poids à l’affidavit produit à l’appui de celle-ci (lequel a été souscrit par un employé du conseil de la demanderesse) : Règles des Cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22, art 10(2) et 12(1) [les Règles des Cours fédérales].

[21] Dans la décision Debbaneh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 865 [Debbaneh], le juge Shore rejette la demande dont il est saisi en raison de l’absence d’affidavit personnel. Au paragraphe 9, il cite et approuve l’opinion du juge Martineau, qui a déclaré ce qui suit au paragraphe 5 de la décision Fatima c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1086 :

[5] En premier lieu, on n’a pas déposé à la Cour, conformément au paragraphe 10(2) des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22, un affidavit de la demanderesse établissant les faits invoqués à l’appui de la demande de contrôle judiciaire. L’affidavit en date du 27 juillet 2017 d’une avocate travaillant à l’ancien cabinet d’avocats représentant la demanderesse n’est pas suffisant. Depuis que la demande d’autorisation a été accordée par la Cour, le 14 septembre 2017, aucune requête n’a été présentée du côté de la demanderesse ou de ses anciens procureurs aux fins de remplacer l’affidavit déficient de l’avocate par un affidavit de la demanderesse. Il s’agit d’un vice fatal (voir par ex Metodieva c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 132 NR 38, 28 ACWS (3d) 326 (CAF); Dhillon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 614 aux paras 4‑10; et jurisprudence citée dans ces décisions). La Cour n’a donc pas d’autre alternative que de rejeter sommairement la présente demande de contrôle judiciaire.

[22] Un examen de l’affidavit à l’appui, souscrit par un adjoint juridique, permet de faire la lumière sur l’absence d’affidavit personnel. L’adjoint juridique ne fait aucune affirmation qui irait au-delà de sa connaissance personnelle. Je ne crois donc pas que l’absence d’affidavit personnel constitue un vice fatal en l’espèce.

V. Conduite répréhensible

[23] Dans la décision Samaroo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1460 [Samaroo], le juge Zinn, après avoir constaté que le demandeur avait abusé du processus d’immigration à plus d’une reprise, a rejeté la demande de contrôle judiciaire de ce dernier au motif qu’il ne s’était pas conformé à la mesure de renvoi prise contre lui.

[24] Dans l’affaire Samaroo, le mandat d’arrestation contre le demandeur avait été lancé moins d’un an avant que la Cour ne rende sa décision. Dans l’affaire Debbaneh, il avait été lancé moins de deux ans avant la décision de la Cour. Toutefois, en l’espèce, le mandat d’arrestation visant la demanderesse est resté inexécuté pendant huit ans. Autrement dit, la demanderesse a fait fi de la loi pendant une longue période.

[25] La demanderesse soutient ne pas s’être présentée à son renvoi en raison d’une crainte légitime envers sa belle-famille. La SPR a examiné les allégations de la demanderesse à cet égard en 2013, les jugeant contradictoires et, en définitive, non crédibles.

[26] Comme les autorités canadiennes ont déjà examiné et rejeté l’argument de la demanderesse portant que sa belle-famille présentait un risque pour elle, la crainte invoquée ne constitue pas un fondement solide à la décision de la demanderesse de ne pas se présenter à son renvoi.

[27] Je conclus que le fait que la demanderesse n’a pas expliqué de façon légitime pourquoi elle ne s’était présentée ni à son renvoi et ni à l’ASFC pendant près d’une décennie démontre un mépris évident des autorités canadiennes de l’immigration et des lois canadiennes en matière d’immigration. Ses actions témoignent d’une conduite répréhensible.

VI. Réponse de la demanderesse

[28] D’après la réponse de la demanderesse, il n’est pas clair si celle-ci fait valoir que le défendeur, par ses arguments relatifs à l’affidavit personnel ou à la conduite répréhensible, ou les deux, tente de combler les lacunes de la décision.

[29] Quoi qu’il en soit, contrairement à ce qu’affirme la demanderesse, les arguments relatifs à la conduite répréhensible et à l’absence d’affidavit personnel mis de l’avant par le défendeur n’équivalent pas à une tentative de combler les « lacunes de » la décision de l’agent.

[30] Le défendeur n’exhorte pas la Cour à compléter ou à étayer une décision déficiente au moyen de nouveaux arguments. Les arguments relatifs à la conduite répréhensible et à l’affidavit personnel visent plutôt à démontrer pourquoi la Cour doit refuser de procéder au contrôle judiciaire de la décision, étant donné l’inconduite de la demanderesse et son manquement aux Règles des Cours fédérales. Ces arguments n’équivalent pas à une tentative d’« étayer » une décision déraisonnable.

[31] La position subsidiaire de la demanderesse voulant que la Cour doit exercer son pouvoir discrétionnaire d’instruire la demande de contrôle judiciaire n’est pas convaincante.

[32] Au paragraphe 10 de la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Thanabalasingham, 2006 CAF 14, la Cour d’appel fédérale indique que, lorsque le demandeur qui se présente devant la Cour n’a pas eu une conduite irréprochable, la Cour doit examiner divers facteurs pour déterminer si la demande doit être entendue malgré tout.

[33] Les facteurs à prendre en compte dans cet exercice sont les suivants : la gravité de l’inconduite du demandeur et la mesure dans laquelle cette inconduite menace la procédure en cause, la nécessité d’une dissuasion à l’égard d’une conduite semblable, la nature de l’acte prétendument illégal de l’administration et la solidité apparente du dossier, l’importance des droits individuels concernés, et les conséquences probables pour le demandeur si la validité de l’acte administratif contesté est confirmée.

[34] Comme je le mentionne plus haut, l’inconduite de la demanderesse est grave, car celle-ci n’a pas quitté le Canada à la fin de la période de séjour autorisée, ne s’est pas présentée à son renvoi après que la Cour a rejeté sa requête en sursis et ne s’est pas rendue aux autorités canadiennes pendant une longue période après la délivrance du mandat d’arrestation à son endroit.

[35] Le fait que la demanderesse a présenté sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire après avoir omis de se présenter en vue de son renvoi permet d’établir un lien étroit entre son inconduite et la présente demande de contrôle judiciaire. La nécessité d’une dissuasion à l’égard d’une conduite semblable constitue un facteur clé en l’espèce.

VII. Conclusion

[36] Le dossier de la demanderesse et le dossier certifié du tribunal sont suffisamment étoffés pour permettre à la Cour d’examiner les erreurs alléguées par la demanderesse au vu du dossier : Ling c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2003 CF 1198 aux para 12‑14).

[37] Après avoir procédé à un tel examen, j’estime que la solidité apparente du dossier de la demanderesse est douteuse.

[38] Les droits individuels en cause et les conséquences probables pour la demanderesse sont des considérations importantes, comme l’a fait valoir cette dernière. Toutefois, compte tenu du profond mépris de la demanderesse pour les autorités et les lois canadiennes, tel qu’il est décrit plus haut, ces considérations ne suffisent pas à écarter la conduite répréhensible de cette dernière.

[39] Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[40] Aucune question n’a été proposée aux fins de certification.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑2471‑20

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« E. Susan Elliott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2471‑20

 

INTITULÉ :

SAUNDRA EBANKS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 3 MARS 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ELLIOTT

 

DATE DES MOTIFS :

Le 17 FÉVRIER 2023

 

COMPARUTIONS :

Osborne G. Barnwell

 

Pour la demanderesse

 

Jocelyn Espejo‑Clarke

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Osborne G. Barnwell

Avocat

North York (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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