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Date : 20230217


Dossier : IMM-5860-21

Référence : 2023 CF 239

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 17 février 2023

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

BALJEET SINGH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Baljeet Singh, sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 11 août 2021 par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté la demande qu’il a présentée afin qu’elle prononce le désistement de la demande de constat de perte de l’asile déposée par le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté (le ministre) en application du paragraphe 168(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). La SPR a déterminé qu’il n’y avait pas suffisamment de motifs pour conclure que le ministre s’était désisté de la demande de constat de perte de l’asile.

[2] Le demandeur soutient que la SPR a conclu à tort que les délais ayant précédé la mise au rôle de la demande de constat de perte de l’asile et la décision relative à la demande de déclaration de désistement ne constituaient pas un abus de procédure. Il affirme en outre que la SPR a manqué à son obligation d’équité envers lui en n’appliquant pas les Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256 (les Règles) également à toutes les parties et que la décision de rejeter la demande de déclaration de désistement est donc déraisonnable.

[3] Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que la décision de la SPR est raisonnable. La demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

I. Faits

A. Le demandeur

[4] Le demandeur est un citoyen de l’Inde âgé de 39 ans. Il est arrivé au Canada le 9 septembre 2009. Il a présenté une demande d’asile qui a été accueillie le 10 mars 2011 et est devenu résident permanent le 17 avril 2012. Le 1er août 2013, le consulat général de l’Inde à San Francisco (Californie) lui a délivré un passeport national.

[5] Le demandeur s’est rendu en Inde le 19 novembre 2013 et est revenu au Canada le 6 mars 2014. Le 7 mars 2014, il a déclaré à un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) qu’il était retourné en Inde parce qu’il pouvait y voyager en toute sécurité; il a précisé aussi qu’il avait eu l’intention d’y rester jusqu’en janvier 2014, mais qu’il n’avait pas pu revenir au Canada avant le 7 mars 2014 pour une raison d’ordre médical.

[6] Le 28 novembre 2013, le demandeur a épousé Prabjot Kaur (Mme Kaur), qui est également citoyenne de l’Inde. En avril 2014, il a présenté une demande visant à parrainer Mme Kaur afin que celle-ci puisse obtenir sa résidence permanente, mais cette demande n’a pas encore été traitée.

[7] Le 20 janvier 2015, le demandeur a déclaré à un autre agent de l’ASFC qu’il était retourné en Inde le 15 octobre 2014 pour rendre visite à sa famille, qu’il y était resté pendant 95 jours et qu’il savait qu’il n’était pas censé retourner en Inde, compte tenu de sa demande d’asile à l’égard de ce pays.

[8] Le 6 mars 2015, le ministre a demandé le constat de perte de l’asile du demandeur en vertu de l’article 108 de la LIPR. Le ministre alléguait que le demandeur s’était réclamé de la protection de l’Inde en y retournant deux fois et en recevant un passeport du consulat de l’Inde.

[9] Le 30 janvier 2020, la SPR a délivré aux parties un avis de convocation à l’audience relative à la demande de constat de perte de l’asile présentée par le ministre qui était prévue pour le 10 mars 2020. Le 28 février 2020, la SPR a rejeté la demande présentée par le demandeur afin d’obtenir un ajournement à cause d’un voyage déjà prévu.

[10] Le demandeur et son conseil étaient présents à l’audience relative au constat de perte de l’asile du 10 mars 2020. La conseil du ministre ne s’est pas présentée. Le conseil du demandeur a formulé des observations préliminaires sur la demande de constat de perte de l’asile et a demandé à la SPR de prononcer le désistement de cette demande en raison de l’absence de la conseil du ministre.

[11] Le 12 mars 2020, la SPR a écrit au ministre pour lui demander d’expliquer l’absence de sa conseil. Celle-ci a répondu dans une lettre datée du 20 mars 2020, où elle a attribué son absence à une [traduction] « erreur humaine » en disant qu’elle n’avait pas eu conscience du passage à l’heure avancée et que son inquiétude pour la santé de son époux avait pu l’empêcher de se rendre compte du changement d’heure. Elle a demandé qu’une nouvelle date d’audience soit fixée.

[12] Dans une lettre datée du 24 mars 2020, le conseil du demandeur a répondu à la conseil du ministre en y soulignant que l’explication donnée était insatisfaisante et que la conseil n’avait pas le pouvoir, en droit, de demander un ajournement à cette étape, après la tenue de l’audience. Il a demandé le prononcé du désistement, au motif que l’absence de la conseil avait causé un préjudice au demandeur, qu’elle constituait un abus de procédure et qu’aucun document ne corroborait les problèmes de santé de l’époux de la conseil.

[13] Le 5 octobre 2020, le conseil du demandeur a envoyé une lettre à la SPR pour faire le suivi de la demande de déclaration de désistement; y était jointe une lettre personnelle du demandeur décrivant en détail les difficultés causées par le délai. Le conseil du demandeur a transmis à la SPR des observations complémentaires, datées du 15 octobre 2020, concernant la demande de déclaration de désistement.

[14] Le 26 février 2021, le conseil du demandeur a déposé un bref de mandamus en vue d’obtenir une décision de la SPR relativement à la demande de déclaration de désistement. Par la suite, la Cour a demandé trois fois à la SPR de transmettre ses motifs, en vain.

[15] Le 5 août 2021, le conseil du demandeur a déposé un mémoire sans les motifs de la SPR. Le 13 août 2021, la SPR a rejeté la demande de déclaration de désistement présentée par le demandeur. Cette décision est l’objet de la demande de contrôle judiciaire en l’espèce.

B. La décision faisant l’objet du contrôle

[16] Dans sa décision du 11 août 2021, la SPR a refusé d’accueillir la demande du demandeur afin de prononcer le désistement de la demande de constat de perte de l’asile présentée par le ministre. La SPR s’est fondée sur le paragraphe 168(1) de la LIPR, qui est libellé ainsi :

[17] La SPR a souligné que l’article 65 des Règles fait état du processus de désistement, mais seulement dans les cas où le demandeur d’asile ne comparaît pas à son audience, et ne s’applique pas aux situations où c’est le conseil du ministre qui n’est pas présent. La SPR s’est donc tournée vers les Directives numéro 6 du président : Mise au rôle et changement de la date ou de l’heure d’une procédure (les directives numéro 6), selon lesquelles la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR) peut s’attendre à ce que les conseils soient disponibles pour présenter le cas de la partie à la date et à l’heure prévues, et si le conseil ne se présente pas, la CISR peut poursuivre l’affaire en l’absence du conseil, entamer la procédure de désistement ou prononcer le désistement de l’affaire. La SPR a reconnu qu’elle ne s’était prévalue d’aucune de ces trois options et qu’elle a plutôt demandé au ministre d’expliquer l’absence de sa représentante, tout en offrant au demandeur la possibilité de répondre à cette explication.

[18] La SPR a pris connaissance de l’observation du demandeur selon laquelle la conseil avait demandé une remise après le fait et, par conséquent, qu’elle devait obtenir l’autorisation de notre Cour avant de fixer une nouvelle date pour l’audience relative à la demande de constat de perte de l’asile. La SPR a conclu qu’il n’y avait pas eu d’audience parce qu’elle n’avait entendu ni les témoignages ni les observations finales des parties sur la demande de constat de perte de l’asile en cause. Par conséquent, elle a estimé qu’elle avait toujours compétence pour se prononcer sur la demande de déclaration de désistement et fixer une nouvelle date afin de poursuivre, au besoin, l’instance concernant le constat de perte de l’asile. Elle a conclu que le ministre n’avait exprimé aucune intention de se désister de sa demande de constat de perte de l’asile à l’égard du demandeur.

[19] La SPR a pris note de l’observation du demandeur, selon laquelle le motif invoqué par la conseil du ministre pour expliquer son défaut de se présenter à l’audience n’était pas crédible, mais elle n’a trouvé aucune raison de remettre en question la crédibilité de l’explication en question. Elle a constaté que, même si le demandeur a souligné l’absence de certificat médical étayant l’explication donnée par la conseil, soit que son époux était malade, il n’a fait allusion à aucune obligation selon laquelle ce genre de document devait être présenté. La SPR a conclu que la conseil du ministre avait établi les faits à l’appui de son explication et a rappelé qu’il est dans les habitudes de la SPR de ne pas mettre fin à l’instance lorsqu’une partie qui n’a pas comparu à l’audience démontre qu’elle est disposée à poursuivre l’affaire à la première occasion.

[20] La SPR a analysé les autres observations du demandeur concernant les difficultés engendrées par la prolongation de l’instance, notamment les problèmes financiers et le fait que les membres de la famille soient séparés. La SPR a conclu qu’il s’agissait de considérations d’ordre humanitaire qu’elle n’est pas habilitée à prendre en compte lorsqu’elle est saisie d’une demande de constat de perte de l’asile fondée sur l’article 108 de la LIPR. Elle a donc décidé de ne pas s’attarder aux autres observations du demandeur sur les prétendues difficultés imputables aux délais.

[21] En dernier lieu, la SPR a pris connaissance des observations du demandeur selon lesquelles le report de la décision relative à la demande de déclaration de désistement équivalait à un abus de procédure. Elle a souligné qu’il y a abus de procédure lorsque les procédures sont injustes au point qu’elles sont contraires à l’intérêt de la justice. Dans le cas du demandeur, le ministre a demandé le constat de perte de l’asile le 6 mars 2015 et l’audience relative à cette demande a eu lieu le 10 mars 2020. Le 21 février 2020, le demandeur a sollicité la remise de l’audience, parce qu’il était parti en Inde le 19 janvier 2020 et devait rentrer au Canada le 8 mars 2020, ce qui ne lui laissait pas suffisamment de temps, selon lui, pour se préparer en vue de l’audience du 10 mars. La SPR a constaté que cette demande de remise a été refusée le 2 mars 2020 et que le demandeur avait eu assez de temps pour se préparer à l’audience du 10 mars 2020 avant de se rendre à l’étranger.

[22] La SPR a reconnu que cinq années s’étaient écoulées entre le dépôt de la demande de constat de perte de l’asile par le ministre et la date de l’audience, mais elle a signalé que le demandeur, dans l’intervalle, n’avait pas demandé à ce qu’une date d’audience relative à cette demande soit fixée. Bien que le demandeur ait été proactif afin d’obtenir une déclaration de désistement et que le délai qui s’est écoulé avant la décision sur le désistement soit imputable à la SPR, il n’existe au bout du compte aucun fondement juridique permettant de conclure que ce délai constitue un abus de procédure. La SPR a jugé qu’il n’y avait pas suffisamment de motifs pour déclarer que le ministre s’était désisté de sa demande de constat de perte de l’asile.

II. Questions à trancher et norme de contrôle

[23] La demande de contrôle judiciaire en l’espèce soulève les questions suivantes :

  1. La décision de la SPR de rejeter la demande de déclaration de désistement présentée par le demandeur est-elle déraisonnable, y compris sa conclusion selon laquelle il n’y a pas eu abus de procédure?

  2. La SPR a-t-elle manqué à son obligation d’équité?

[24] Les parties s’entendent sur le fait que la norme de contrôle pour évaluer la décision de la SPR est celle de la décision raisonnable et que la norme de contrôle applicable à la question relative à l’équité procédurale est celle de la décision correcte. Je suis d’accord (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]; Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196 au para 35).

[25] Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable est empreint de déférence, mais demeure rigoureux (Vavilov, aux para 12–13, 75, 85). La cour de révision doit décider si la décision faisant l’objet du contrôle, aussi bien le raisonnement sous-jacent que son résultat, est transparente, intelligible et justifiée (Vavilov, au para 15). Une décision qui est raisonnable dans son ensemble est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85). La question de savoir si une décision est raisonnable dépend du contexte administratif, du dossier présenté au décideur et de l’incidence de la décision sur les personnes qui sont visées par celle-ci (Vavilov, aux para 88–90, 94, 133–135).

[26] Pour qu’une décision soit jugée déraisonnable, le demandeur doit démontrer qu’elle souffre de lacunes suffisamment capitales ou importantes (Vavilov, au para 100). Les erreurs que comporte une décision, ou les préoccupations qu’elle soulève, ne justifient pas toutes une intervention. La cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur et, à moins de circonstances exceptionnelles, elle ne doit pas modifier les conclusions de fait tirées par celui-ci (Vavilov, au para 125). Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ni accessoires par rapport au fond de la décision, ni constituer une « erreur mineure » (Vavilov, au para 100; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Mason, 2021 CAF 156 au para 36).

[27] La norme de la décision correcte, en revanche, est une norme de contrôle qui ne commande aucune déférence. Dans le contexte de l’équité procédurale, la question centrale est celle de savoir si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances, y compris les facteurs énumérés aux paragraphes 21 à 28 de l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54).

III. Analyse

[28] À mon avis, la SPR a effectué une évaluation raisonnable de l’allégation d’abus de procédure formulée par le demandeur et de la raison donnée par la conseil du ministre pour expliquer son défaut de se présenter à l’audience du 10 mars 2020. J’estime aussi que la SPR n’a pas manqué à son obligation d’équité procédurale.

A. La décision de la SPR est-elle déraisonnable?

[29] Le demandeur soutient qu’il n’était pas raisonnable pour la SPR de rejeter sa demande de déclaration de désistement visant la demande de constat de perte de l’asile présentée par le ministre. Il affirme que la SPR a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que le délai n’équivalait pas à un abus de procédure, et qu’elle n’a pas remis en question adéquatement les motifs donnés par la conseil du ministre pour justifier son absence, ou lorsqu’elle n’a pas analysé comme il se doit les incohérences dans les explications de la conseil.

(1) L’abus de procédure

[30] Le demandeur rappelle qu’il y a eu un intervalle de cinq ans entre la demande de constat de la perte d’asile présentée par le ministre et l’audition de cette demande prévue pour le 10 mars 2020 et que 17 mois de plus ont passé entre cette audition et le 11 août 2021, date à laquelle la SPR a statué sur la demande de déclaration de désistement présentée par le demandeur. Il s’est donc écoulé plus de six ans depuis le dépôt de la demande de constat de perte de l’asile. Selon le demandeur, cette situation a eu de graves conséquences pour lui en tant que personne protégée, puisqu’il n’a pas été en mesure d’exercer les droits dont jouissent les résidents permanents, comme parrainer des membres de sa famille ou demander la citoyenneté canadienne. Le demandeur soutient qu’il a attendu cinq ans avant que la date de l’audience relative au constat de la perte d’asile soit fixée pour que la conseil, en fin de compte, ne se présente même pas.

[31] Le demandeur fait valoir que la SPR l’a accusé à tort de ne pas avoir fait le nécessaire pour que le dossier avance : « dans l’intervalle, M. Singh n’a pas demandé à ce que soit fixée une date d’audience portant sur la demande du ministre ». Il estime qu’il n’a pas l’obligation de déployer de tels efforts et que toute responsabilité à cet égard incombe au ministre, car c’est lui qui a présenté la demande. La volonté de la SPR de lui reprocher les délais dans l’instance, conjuguée au manque d’intérêt apparent du ministre à prendre des mesures pour que la demande soit instruite rapidement, rend la décision de la SPR déraisonnable.

[32] Le demandeur affirme en outre que la SPR a mal interprété et négligé de prendre en considération la totalité de ses observations concernant la lenteur de l’instance, ce qui constituerait à son avis un abus de procédure. Dans ses motifs, la SPR analyse l’allégation d’abus de procédure formulée par le demandeur sous un seul angle, soit le temps qui s’est écoulé avant qu’elle se prononce sur la demande de déclaration de désistement. Le demandeur soutient que la SPR n’a pas tenu compte des cinq années supplémentaires qui ont précédé la mise au rôle de l’audience ni des difficultés que ce délai a causées au demandeur.

[33] Le demandeur est d’avis que la SPR, lorsqu’elle a évalué les difficultés découlant de ce délai, n’a pas suffisamment tenu compte des éléments de preuve et des arguments qu’il a présentés. Il souligne que la lettre dans laquelle la conseil du ministre expliquait les raisons de son absence précisait que le demandeur n’avait subi aucun préjudice parce qu’il avait déjà sollicité un ajournement avant l’audience du 10 mars 2020 afin d’avoir plus de temps pour se préparer, étant donné qu’il rentrait tout juste de l’Inde. Le demandeur reconnaît avoir demandé la remise de l’instance, mais il souligne que c’était pour rendre visite à son épouse, qui se trouvait dans un pays tiers parce que la demande de parrainage la visant était retardée jusqu’à ce que la demande de constat de perte de l’asile soit tranchée. Comme la demande de remise a finalement été rejetée, il est déraisonnable de prétendre que le demandeur a obtenu le résultat qu’il souhaitait grâce au délai supplémentaire engendré par l’absence de la conseil.

[34] Le demandeur soutient également que la SPR a dénaturé les éléments de preuve qu’il a présentés au sujet des difficultés attribuables au délai en les assimilant à une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Les difficultés invoquées par le demandeur dans sa demande de déclaration de désistement servaient à illustrer le grave préjudice causé par le délai. Le demandeur s’appuie sur les facteurs énoncés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Blencoe c Colombie-Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44 (Blencoe), soit : le délai écoulé par rapport au délai inhérent à l’affaire; les causes de la prolongation du délai inhérent à l’affaire; l’incidence du délai, comme le préjudice causé et les autres atteintes (au para 160). Or le demandeur fait valoir que le délai dans la présente instance n’était ni normal ni imputable à la complexité de l’affaire, que le ministre n’a fourni aucun motif valable justifiant la prolongation du délai et que le délai a eu une incidence négative importante sur lui. Il affirme que ces facteurs n’ont pas été pris en considération par la SPR dans son appréciation de la preuve dont elle disposait et qu’ils amènent à conclure que le délai constituerait donc un abus de procédure.

[35] Le défendeur fait valoir que l’évaluation, par la SPR, de l’allégation d’abus de procédure formulée par le demandeur est raisonnable et conforme à la jurisprudence pertinente. Il se fonde sur l’arrêt Blencoe pour souligner qu’il incombe au demandeur de démontrer qu’un délai est inacceptable « au point d’être oppressif et de vicier les procédures en cause » de manière à rendre « la situation […] à ce point viciée qu’elle constitue l’un des cas les plus manifestes » (aux para 120–121). À son avis, de simples allégations de préjudice ne suffisent pas à satisfaire à ce critère élevé énoncé dans l’arrêt Blencoe. Le défendeur se reporte aussi à la décision Bernataviciute c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 953, où la Cour fédérale a jugé qu’un délai de six ans n’était pas excessif, parce que des délais beaucoup plus longs n’ont pas été considérés comme un abus de procédure en l’absence d’éléments de preuve suffisants démontrant le préjudice qui en découlait directement (au para 34).

[36] Il soutient en outre que le demandeur se méprend sur les motifs de la SPR concernant l’allégation d’abus de procédure. La SPR a tenu compte de trois facteurs importants pour déterminer s’il y avait eu abus de procédure ou pas : la propre demande de remise du demandeur a jeté un doute quant à l’existence d’un préjudice causé par le délai; le demandeur n’a pas facilité la tenue d’une audience ni déposé de plainte auprès de la SPR pendant les cinq années d’attente; le demandeur a démontré qu’il était capable d’être proactif quand ça lui convenait, notamment pour présenter sa demande de déclaration de désistement. Le défendeur fait valoir que la SPR a le droit d’examiner ces facteurs et qu’elle a raisonnablement jugé que le demandeur n’avait pas satisfait au critère élevé permettant de conclure que le délai avait entraîné un abus de procédure.

[37] Le défendeur estime que la SPR a raisonnablement conclu que les considérations d’ordre humanitaire ne doivent pas être prises en compte dans les instances relatives à un constat de perte de l’asile et que ce principe s’applique aussi à la demande de déclaration de désistement qui a été présentée relativement au constat de perte de l’asile en cause. Il souligne que le demandeur fait état de difficultés générales, comme la séparation des membres de la famille, et n’a pas présenté d’éléments de preuve décrivant l’incidence du délai sur l’équité du processus d’audience.

[38] Selon le défendeur, il convient que la Cour tienne compte du rôle joué par le demandeur dans la prolongation du délai en présentant sa demande de déclaration de désistement. Il souligne par ailleurs que la conseil du ministre, dans sa lettre du 20 mars 2020 à la SPR et dans sa lettre du 10 octobre 2020, a demandé une remise de l’audience relative au constat de perte de l’asile, ce qui démontre la volonté du ministre de poursuivre l’affaire et les efforts déployés par la conseil pour [traduction] « remettre le dossier sur les rails ».

[39] Je suis d’accord avec le défendeur. À mon avis, la SPR n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle dans son appréciation de l’allégation du demandeur selon laquelle le délai dans la présente instance constitue un abus de procédure. Le défendeur rappelle à juste titre que le critère préliminaire permettant de conclure qu’un délai constitue un abus de procédure est élevé, comme le souligne la Cour suprême dans l’arrêt Blencoe (aux para 119–120). Bien qu’il soit faux de conclure, d’après moi, qu’il ressort de l’arrêt Blencoe qu’un délai équivaudra seulement à un abus de procédure lorsque l’équité de l’audience est directement compromise, je souscris bien à l’argument selon lequel cet arrêt souligne qu’il est rare qu’un délai – même beaucoup plus long qu’en l’espèce – soit assez long pour entraîner un abus de procédure en l’absence de la preuve claire d’un préjudice direct causé par le délai. Dans cet arrêt, la Cour suprême s’est exprimée en ces termes aux paragraphes 115 et 120 :

115 Je serais disposé à reconnaître qu’un délai inacceptable peut constituer un abus de procédure dans certaines circonstances, même lorsque l’équité de l’audience n’a pas été compromise. Dans le cas où un délai excessif a directement causé directement un préjudice psychologique important à une personne ou entaché sa réputation au point de déconsidérer le régime de protection des droits de la personne, le préjudice subi peut être suffisant pour constituer un abus de procédure. L’abus de procédure ne s’entend pas que d’un acte qui donne lieu à une audience inéquitable et il peut englober d’autres cas que celui où le délai cause des difficultés sur le plan de la preuve. Il faut toutefois souligner que rares sont les longs délais qui satisfont à ce critère préliminaire. Ainsi, pour constituer un abus de procédure dans les cas où il n’y a aucune atteinte à l’équité de l’audience, le délai doit être manifestement inacceptable et avoir directement causé un préjudice important. Il doit s’agir d’un délai qui, dans les circonstances de l’affaire, déconsidérerait le régime de protection des droits de la personne. La question difficile dont nous sommes saisis est de savoir quel « délai inacceptable » constitue un abus de procédure.

[…]

120 Pour conclure qu’il y a eu abus de procédure, la cour doit être convaincue que [TRADUCTION] « le préjudice qui serait causé à l’intérêt du public dans l’équité du processus administratif, si les procédures suivaient leur cours, excéderait celui qui serait causé à l’intérêt du public dans l’application de la loi, s’il était mis fin à ces procédures » (Brown et Evans, op. cit., à la p. 9‑68). Le juge L’Heureux‑Dubé affirme dans Power, précité, à la p. 616, que, d’après la jurisprudence, il y a « abus de procédure » lorsque la situation est à ce point viciée qu’elle constitue l’un des cas les plus manifestes. À mon sens, cela s’appliquerait autant à l’abus de procédure en matière administrative. Pour reprendre les termes employés par le juge L’Heureux‑Dubé, il y a abus de procédure lorsque les procédures sont « injustes au point qu’elles sont contraires à l’intérêt de la justice (p. 616). « Les cas de cette nature seront toutefois extrêmement rares » (Power, précité, à la p. 616). Dans le contexte administratif, il peut y avoir abus de procédure lorsque la conduite est tout aussi oppressive.

[Non souligné dans l’original.]

[40] Notre Cour a appliqué ce critère préliminaire dans le contexte de l’immigration. Dans la décision Ching c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2018 CF 839 (Ching), le juge Diner a déclaré que la Cour a appliqué à la fois l’approche décrite par la majorité dans l’arrêt Blencoe et celle proposée par les juges dissidents et conclu, en fin de compte, que « l’une ou l’autre de ces méthodes est appropriée, étant donné que toutes les deux impliquent une analyse contextuelle de toutes les circonstances pertinentes au retard en cause » (au para 85). Dans l’arrêt Torre c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 48, la Cour d’appel fédérale a conclu que le demandeur « ne pouvait se contenter de vagues allégations voulant que le délai ait mis en péril son intégrité physique et psychologique […] sans aucune preuve à cet égard » (au para 5).

[41] Le demandeur n’a pas fourni d’éléments de preuve suffisants pour démontrer que la SPR n’avait pas appliqué la jurisprudence pertinente. Les motifs reflètent le souci d’effectuer l’« analyse contextuelle » nécessaire lorsque l’abus de procédure est invoqué (Ching, au para 85). Étant donné que les observations du demandeur au sujet de l’abus de procédure portent sur l’incidence du délai, ce qui est un des trois facteurs énoncés dans l’arrêt Blencoe, il est raisonnable que la SPR tienne compte des éléments qui peuvent miner la preuve relative aux difficultés. Il s’agit notamment de la volonté du demandeur en l’espèce de prolonger davantage l’instance en présentant une demande de déclaration de désistement; de sa demande de remise; de son silence apparent au cours de la période précédant la mise au rôle de l’audience relative à la demande de constat de perte de l’asile, alors qu’il avait déployé des efforts pour obtenir une déclaration de désistement de cette demande. Je ne veux pas minimiser la difficulté causée au demandeur par le fait qu’il a été tenu longtemps séparé de son épouse. Cette situation malheureuse, toutefois, ne signifie pas que le demandeur a fourni des éléments de preuve suffisants pour démontrer que le délai d’environ six ans ayant suivi le dépôt de la demande de constat de perte de l’asile est injuste au point d’être contraire à l’intérêt de la justice (Blencoe, au para 120).

[42] Une partie importante des longues observations du demandeur sur cette question semble viser à obtenir une réappréciation de la preuve dont disposait la SPR. Dans ses observations, le demandeur analyse à nouveau les éléments de preuve présentés à la SPR au regard de chacun des facteurs décrits dans l’arrêt Blencoe et semble répéter ses observations concernant l’abus de procédure. Toutefois, il n’appartient pas à la Cour, lorsqu’elle effectue le contrôle selon la norme de la décision raisonnable, d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur (Vavilov, au para 125). Les cours de révision doivent également « s’abstenir de trancher elles-mêmes la question en litige », car la cour qui applique la norme de la décision raisonnable « ne se demande […] pas quelle décision elle aurait rendue à la place du décideur administratif » et « ne cherche pas à déterminer la “solution correcte” au problème » (Vavilov, au para 83). Par conséquent, je conclus que les observations du demandeur sur la question de l’abus de procédure ne révèlent pas d’erreur susceptible de contrôle dans les motifs de la SPR.

[43] J’estime toutefois que la lenteur de la SPR dans la présente affaire est troublante. Il est difficile de justifier pourquoi la mise au rôle de l’audience relative au constat de perte de l’asile a tardé pendant cinq ans ou pourquoi la SPR a eu besoin de 17 mois pour se prononcer sur la demande de déclaration de désistement. Même s’il est raisonnable de conclure que ce délai ne constituait pas un abus de procédure en l’espèce, il ne s’ensuit pas que des délais inutilement longs devraient être la norme et qu’ils sont acceptables.

(2) L’analyse de la lettre transmise par la conseil du ministre

[44] Le demandeur soutient que la lettre dans laquelle la conseil du ministre explique pourquoi elle ne s’est pas présentée à l’audience du 10 mars 2020 manque de crédibilité. La conseil du ministre a fait valoir qu’elle ne s’était pas rendu compte du passage à l’heure avancée et que son oubli pouvait être attribuable à l’hospitalisation de son mari. Selon le demandeur, il est invraisemblable que personne aux bureaux de la CISR n’ait remarqué le changement d’heure entre le 8 et le 10 mars, d’autant plus que toutes les horloges électroniques se seraient ajustées automatiquement. En outre, il fait valoir que la conseil n’a pas déclaré avec assurance qu’elle était inquiète pour son mari, mais bien que c’était une explication « possible ». À son avis, la SPR n’a pas remis en question les explications données par la conseil et les a acceptées sans une analyse critique, ce qui rend la décision déraisonnable.

[45] Le demandeur soutient en outre que la SPR a conclu à tort qu’il était « dans [ses] habitudes » de poursuivre l’instance lorsqu’une partie absente à l’audience a démontré qu’elle était disposée à poursuivre l’affaire. À son avis, cette conclusion n’est fondée sur aucun élément de preuve démontrant que la conseil du ministre était effectivement disposée à poursuivre l’affaire, puisque la conseil n’a déployé aucun effort pour que la demande de constat de perte de l’asile soit mise au rôle, qu’elle était absente à l’audience du 10 mars 2020 et qu’elle n’a pas demandé que soit tranchée rapidement la demande de déclaration de désistement présentée par le demandeur. Le demandeur estime que la conduite de la conseil dénote clairement son manque d’intérêt à poursuivre l’affaire, fait que la SPR a omis, à tort, d’évaluer adéquatement.

[46] Le défendeur estime que le demandeur, vu l’ensemble des observations qu’il a présentées sur la crédibilité des motifs invoqués par la conseil du ministre pour expliquer son absence à l’audience, demande en fait à la Cour de réévaluer la véracité de l’explication donnée et, par conséquent, d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur. Il fait valoir, en se reportant à l’arrêt Vavilov, que ce n’est pas le rôle de la Cour lorsqu’elle effectue le contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Je suis d’accord. Encore une fois, les observations sur cette question visent pour l’essentiel à demander à la Cour qu’elle apprécie de nouveau la preuve dont disposait la SPR. Si aucun élément de preuve précis ne permet de conclure que la SPR a commis une erreur susceptible de révision, le contrôle selon la norme de la décision raisonnable n’a pas pour but de permettre à la cour de révision d’apprécier à nouveau la preuve afin de parvenir à un certain résultat (Vavilov, au para 125).

[47] Je rejette également les motifs précis pour lesquels le demandeur attaque la crédibilité de la conseil du ministre et des explications qu’elle a fournies pour justifier son absence à l’audience. Je n’excuse pas l’absence de la conseil et je n’en minimise pas non plus la gravité ni le délai supplémentaire qu’elle a causé. Cela étant dit, je conclus que l’argument du demandeur selon lequel la conseil, par sa conduite, a démontré qu’elle n’était pas disposée à poursuivre l’instance relative à la demande de constat de perte de l’asile n’est pas fondé. Le demandeur semble contester la crédibilité de la conseil et sa volonté de poursuivre l’affaire sous-jacente en s’appuyant sur des actes ou des omissions qui ne sont pas imputables à la conseil.

[48] Par exemple, le demandeur soutient que la conseil n’a rien fait pour que la demande de constat de perte de l’asile soit inscrite au rôle au cours des cinq années qui se sont écoulées entre le dépôt de la demande et la date de l’audience, soit le 10 mars 2020. Toutefois, il ne présente aucun élément de preuve établissant que le défendeur avait l’obligation positive de prendre de telles mesures, même après avoir soutenu que la SPR avait souligné déraisonnablement sa propre omission à lui de s’y employer de son côté au cours de ces cinq années et que ce commentaire de la SPR ne reposait sur aucune preuve d’une telle responsabilité. Le demandeur affirme également que la conseil du ministre n’a déployé aucun effort en vue d’obtenir rapidement une décision de la SPR sur la demande de déclaration de désistement. Or cette demande provenait du demandeur lui-même. Si la Cour devait souscrire au principe que la partie requérante est tenue de prendre des mesures pour solliciter une décision rapide, c’est au demandeur en l’espèce, vu qu’il a demandé la déclaration de désistement, et non au ministre, que cette obligation incomberait. À mon avis, la SPR a effectué une évaluation raisonnable de l’explication donnée par la conseil du ministre.

[49] La conseil du ministre a expliqué que son absence était attribuable à une erreur humaine. Les observations du demandeur, où celui-ci met en doute la crédibilité de cette erreur humaine en accusant essentiellement la conseil de ne pas être sincère quand elle invoque la confusion causée par le passage à l’heure d’été et la maladie de son époux, s’apparentent à une attaque personnelle à peine voilée contre elle. Il aurait été plus utile pour la Cour que le demandeur fournisse une raison tangible de douter de l’explication de la conseil.

B. La SPR a-t-elle manqué à son obligation d’équité?

[50] Le demandeur affirme qu’il n’est pas opportun pour la SPR d’invoquer le paragraphe 168(1) de la LIPR, parce qu’il n’est pas le demandeur dans le cadre de la demande de constat de perte de l’asile présentée par le ministre. Par conséquent, le paragraphe 168(1) s’applique au ministre et fait en sorte que la SPR doit déterminer s’il y a eu désistement en raison du défaut du ministre, notamment son absence à l’audience. Le demandeur souligne en outre que la SPR a commis une erreur en n’invoquant pas les articles 69 et 70 des Règles, où elle est investie du pouvoir de régler toute situation qui n’est régie par aucune règle précise.

[51] Selon le demandeur, la SPR a reconnu que les directives numéro 6 du président s’appliquent de façon égale aux deux parties, mais il soutient qu’elle a conclu à tort qu’il n’avait fait état d’aucun fondement juridique obligeant la conseil du ministre à fournir des éléments de preuve qui corroborent les explications qu’elle a données pour justifier son défaut de comparution. Le demandeur se reporte au texte des directives numéro 6 du président : « [s]i une demande de changement de la date ou de l’heure d’une procédure est présentée pour des raisons médicales, autres que celles liées à un conseil, la demande doit être étayée par un certificat médical », et il soutient que des explications détaillées sont nécessaires en l’absence de certificat médical. Il souligne que, d’après la jurisprudence de la Cour, les règles s’appliquent de manière égale à toutes les parties et qu’il n’y a aucune raison d’imposer aux parties des normes différentes dans les instances administratives; il s’appuie à cette fin sur les décisions Abi‑Mansour c Canada (Passeport), 2015 CF 363, et Qita c Conseil de réglementation des consultants en immigration du Canada, 2020 CF 671. Le demandeur prétend que la SPR s’est livrée à une application inégale de ses règles qui est inéquitable du point de vue de la procédure.

[52] Le défendeur soutient que la décision de la SPR est raisonnable sur le plan procédural. La SPR était en droit de faire un choix procédural lorsqu’elle a suspendu l’audience relative au constat de perte de l’asile, qu’elle a demandé à la conseil d’expliquer son absence, qu’elle a accordé au demandeur la possibilité de répondre à cette explication et qu’elle a donné aux deux parties l’occasion de présenter d’autres observations dont elle tiendrait compte afin de trancher la demande de déclaration de désistement. Le défendeur soutient que ces mesures respectent l’obligation d’équité procédurale et les principes de justice naturelle.

[53] Le défendeur avance en outre que la SPR avait le droit d’examiner le fondement de la demande de déclaration de désistement, conformément au vaste pouvoir résiduel qui lui a été conféré de gérer ses propres procédures. Selon le défendeur, la SPR peut décider de la meilleure façon de procéder dans les affaires dont elle est saisie, pourvu qu’elle agisse équitablement et respecte les règles de justice naturelle (Lakhani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 612 au para 12).

[54] Le défendeur soutient que l’observation du demandeur ne tient pas compte du libellé clair des dispositions pertinentes, qui renvoient à plusieurs reprises au « demandeur d’asile ». Il estime que le demandeur, avec cet argument, reproche en fait à la SPR d’avoir tenté de traiter les deux parties sur un pied d’égalité – ce qui est contraire à son argumentation – en ayant permis à la conseil du ministre d’expliquer son absence, puis donné au demandeur la possibilité de répondre à cette explication et statué ensuite sur la demande de déclaration de désistement. Selon le défendeur, la Cour a toujours conclu que le paragraphe 168(1) de la LIPR s’appliquait aux demandeurs d’asile et le demandeur n’a fourni aucune jurisprudence démontrant le contraire. La SPR a considéré, et c’était raisonnable de le faire, que les deux demandes de la conseil du ministre visant à reporter l’audience relative au constat de perte de l’asile constituaient l’expression de son intention de poursuivre l’affaire, et elle a raisonnablement jugé que les explications données par la conseil étaient crédibles.

[55] Je suis d’avis que la SPR n’a pas manqué à son obligation d’équité procédurale. Bien que le demandeur souligne à juste titre que la SPR a le pouvoir discrétionnaire de prendre les mesures nécessaires dans les cas non régis par une règle précise, ce pouvoir discrétionnaire ne garantit pas que l’issue sera favorable au demandeur. La SPR a exercé ce pouvoir discrétionnaire en s’appuyant sur l’article 54 des Règles et sur les directives numéro 6 du président, en soulignant, comme il était raisonnable de le faire, que l’article 168 de la LIPR mentionne seulement l’« intéressé » et l’article 65 des Règles, le « demandeur d’asile », et en expliquant son raisonnement de façon transparente et intelligible dans ses motifs (Vavilov, au para 15). La SPR a demandé à la conseil du ministre d’expliquer son absence, a demandé par la suite au demandeur d’y répondre puis a accordé aux deux parties la possibilité de présenter d’autres observations sur la demande de déclaration de désistement. Ces mesures dénotent l’égalité de traitement dont ont bénéficié les parties dans l’évaluation de la demande.

IV. Conclusion

[56] Le rejet, par la SPR, de la demande présentée par le demandeur en vue d’obtenir une déclaration de désistement relative à la demande de constat de perte de l’asile déposée par le ministre est raisonnable et ne donne pas lieu à un manquement à l’équité procédurale. La demande de contrôle judiciaire en l’espèce sera donc rejetée. Aucune question n’a été soumise aux fins de certification, et je suis d’accord que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-5860-21

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire en l’espèce est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Shirzad A. »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5860-21

INTITULÉ :

BALJEET SINGH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 NOVEMBRE 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 17 FÉVRIER 2023

COMPARUTIONS :

Rekha McNutt

POUR LE DEMANDEUR

Maria Green

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Caron & Partners LLP

Avocats

Calgary (Alberta)

 

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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