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Date : 20230216


Dossier : IMM-4276-20

Référence : 2023 CF 226

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 16 février 2023

En présence de monsieur le juge McHaffie

ENTRE :

ASIF SHAFIQUE, JANICA SILLIA ET
JOSHUA ASIF, ALISHA ASIF ET RUBAIL ASIF, REPRÉSENTÉS PAR LEUR TUTRICE À L’INSTANCE, JANICA SILLIA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire du rejet de leur demande de visa de résident permanent à titre de membres parrainés de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières ou de la catégorie des personnes protégées à titre humanitaire outre-frontières. Leur demande de visa de résident permanent et leur demande d’asile étaient fondées sur les risques qu’ils prétendent courir en tant que chrétiens ayant été agressés à deux reprises en juin 2014 par des membres des talibans pendjabi en raison de leur travail auprès d’une fondation de bienfaisance au Pakistan. Ils soutiennent que l’agent d’immigration qui a rejeté leur demande a tiré des conclusions déraisonnables en matière de crédibilité en s’attardant à tort sur des incohérences inexistantes ou sans conséquence, en les examinant avec trop de zèle au cours de l’entrevue et en écartant les éléments de preuve corroborants.

[2] Malgré les arguments avisés de l’avocate et la force de certains de ces arguments concernant les conclusions de l’agent en matière de crédibilité, je conclus que la décision de l’agent était raisonnable à au moins un égard déterminant. L’agent a conclu que le demandeur principal, Asif Shafique, ne s’était pas conformé à l’exigence de répondre véridiquement aux questions qui lui ont été posées et, par conséquent, qu’il ne satisfaisait pas aux exigences du paragraphe 16(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Cette conclusion, fondée sur les réponses mensongères aux questions concernant les demandes de visa antérieures, était pleinement étayée par le dossier.

[3] Les demandeurs avaient joint à leur demande de visa de résident permanent une annexe A dûment remplie, intitulée « Antécédents / Déclaration ». Ce formulaire contient la question suivante :

6. Est-ce que vous-même ou, si vous êtes le requérant principal, l’un des membres de votre famille nommés sur la demande de résidence permanente au Canada : [...] d) avez déjà reçu le refus du statut de réfugié, un visa d’immigrant ou de résident permanent [...] ou de visiteur ou de résident temporaire pour aller au Canada ou dans tout autre pays ou territoire?

[Non souligné dans l’original]

[4] M. Shafique et son épouse, Janica Sillia, ont répondu « non » à cette question. Comme l’admettent les demandeurs, cela était inexact. Mme Sillia avait déjà présenté une demande de permis de travail afin de travailler pour l’oncle de M. Shafique et de prendre soin de la tante de M. Shafique, une citoyenne canadienne. Cette demande a été rejetée en janvier 2014, neuf mois avant que les demandeurs ne quittent le Pakistan et un peu plus de deux ans avant que leur demande de résidence permanente ne soit présentée en mars 2016, demande dans le cadre de laquelle l’oncle en question était un corépondant.

[5] Les demandeurs ont répété ce mensonge lors de l’entrevue. Selon les notes que l’agent a versées dans le Système mondial de gestion des cas [le SMGC], au début de l’entrevue, il a demandé à M. Shafique si lui ou un membre de sa famille avait [traduction] « déjà présenté une demande d’immigration ou de permis de travail, d’études ou de visiteur au Canada ou dans tout autre pays? ». Le demandeur a répondu par la négative. La question lui a été reposée et M. Shafique a de nouveau répondu : [traduction] « Non. [M]es enfants sont petits. » De même, l’agent a demandé à deux reprises à Mme Sillia si elle avait déjà présenté une demande de visa de travail, d’études ou de visiteur dans un pays, et elle a également répondu non.

[6] Vers la fin de l’entrevue, l’agent a dit à M. Shafique et à Mme Sillia qu’il n’était pas convaincu que les réponses à ces questions étaient vraies, car Mme Sillia avait présenté déjà une demande de permis de travail. Selon les notes versées au SMGC, Mme Sillia a d’abord réagi en répondant simplement [traduction] « oh », puis elle a confirmé qu’elle avait présenté une demande. M. Shafique a indiqué qu’en janvier 2014, Mme Sillia avait rempli les formulaires et que [traduction] « [c]’était un essai, ce n’était rien de sérieux. [...] Elle voulait aider quelqu’un au Canada en agissant comme aide-infirmière. »

[7] La lettre de refus de l’agent, adressée à M. Shafique, renvoyait à ces réponses et concluait que M. Shafique ne s’était pas conformé à l’obligation de répondre véridiquement à toutes les questions qui lui étaient posées. Comme le libellé particulier de la lettre est pertinent quant aux arguments des demandeurs, je reproduis ci‑dessous les paragraphes importants, qui suivent un extrait de l’article 96 et du paragraphe 16(1) de la LIPR et de l’article 147 et de l’alinéa 139(1)e) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le RIPR] :

[traduction]

Après avoir soigneusement évalué tous les facteurs relatifs à votre demande, je ne suis pas convaincu, dans l’ensemble, que vous avez établi l’existence d’une crainte fondée de persécution ou que vous avez été gravement et personnellement touchés par une guerre civile, un conflit armé ou une violation massive des droits de l’homme. Par conséquent, je ne suis pas convaincu qu’il existe une possibilité raisonnable ou des motifs solides permettant de conclure que vous appartenez à l’une des catégories réglementaires. Je ne suis pas non plus convaincu que vous vous êtes conformés à l’obligation de répondre véridiquement à toutes les questions qui vous ont été posées.

En janvier 2014, votre épouse s’est vu refuser une demande de permis de travail qu’elle avait présentée dans le but de travailler pour votre oncle et de prendre soin de votre tante. Ni vous ni votre épouse n’avez mentionné ce rejet antérieur, contrevenant ainsi à l’obligation de répondre véridiquement à toutes les questions posées dans le formulaire de demande et lors de l’entrevue. Lorsque je vous ai fait part de cette préoccupation, vous avez déclaré qu’il ne s’agissait de rien de sérieux. Votre épouse a répondu qu’elle avait présenté une demande, mais qu’elle n’avait rien d’autre à ajouter. Ces réponses ne m’ont pas convaincu que l’omission était innocente. Je ne suis pas convaincu que vous avez satisfait à l’exigence de répondre véridiquement à toutes les questions qui vous ont été posées. De plus, cela a nui à votre crédibilité globale. Il y a très peu d’éléments de preuve documentaire au dossier à l’appui de l’allégation de persécution. Il y avait des incohérences entre votre témoignage et celui de votre épouse. Par exemple, les blessures précises que vous [le demandeur principal] avez décrites étaient différentes de celles décrites par votre épouse. Compte tenu des préoccupations générales en matière de crédibilité et des incohérences, et après avoir examiné vos réponses et celles de votre épouse à mes préoccupations, je ne suis pas convaincu que vous avez été attaqué et persécuté comme vous l’avez dit, et ce point constituait le fondement de votre demande. Par conséquent, vous ne satisfaites pas aux exigences de l’alinéa 139(1)e) du RIPR ni à celles du paragraphe 16(1) de la LIPR.

[Non souligné dans l’original]

[8] Une conclusion de non-conformité au paragraphe 16(1) de la LIPR, bien que discrétionnaire, est suffisante pour rejeter une demande de résidence permanente, y compris une demande fondée sur l’appartenance à la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières et à la catégorie des personnes protégées à titre humanitaire outre‑frontières : Osman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1279 aux para 1-3, 16-34; Barud c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1441 aux para 13-16; Muthui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 105 au para 32; Garcia Porfirio c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 794 aux para 39-46; Mescallado c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 462 au para 22.

[9] En fait, les demandeurs avancent deux arguments pour expliquer pourquoi la conclusion de l’agent selon laquelle M. Shafique ne s’est pas conformé au paragraphe 16(1) ne devrait pas être déterminante quant à leur demande. Premièrement, ils font valoir que le rejet de la demande par l’agent était fondé sur le paragraphe 16(1) de la LIPR et l’alinéa 139(1)e) du RIPR conjointement. Par conséquent, ils affirment que les erreurs commises par l’agent dans ses conclusions relatives à la crédibilité de leur exposé entachent l’ensemble de la décision et que l’agent n’aurait peut-être pas conclu que l’omission n’était pas innocente s’il n’avait pas commis ces erreurs. Renvoyant aux décisions Feradov et Balyokwabwe de notre Cour, ils font valoir que la Cour ne devrait pas présumer que l’issue aurait été la même, n’eût été des autres erreurs : Feradov c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 101 aux para 14, 23; Balyokwabwe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 623 au para 58.

[10] Je ne suis pas convaincu. À la lecture de la décision dans son ensemble, il est clair que l’agent a tiré une conclusion indépendante au sujet du paragraphe 16(1). Les préoccupations en matière de crédibilité soulevées dans cette conclusion ont ensuite été prises en compte dans l’analyse de l’allégation de persécution. À deux endroits, l’agent établit expressément une distinction entre ces conclusions ([traduction] « Je ne suis pas non plus convaincu que vous avez satisfait à l’exigence de répondre véridiquement à toutes les questions qui vous ont été posées. »; « De plus, cela a nui à votre crédibilité globale. » [Non souligné dans l’original]). La conclusion relative au paragraphe 16(1) est énoncée de façon claire et indépendante. Dans ce contexte, et contrairement à ce que les demandeurs affirment dans leurs observations, je ne peux dire que la conclusion finale selon laquelle M. Shafique ne satisfait pas aux exigences des deux dispositions signifie que chacune des conclusions était interdépendante ou qu’elles ont toutes été tirées conjointement.

[11] Je ne peux pas non plus conclure que le caractère déraisonnable des autres conclusions de l’agent concernant la crédibilité a eu pour effet de vicier la décision dans son ensemble. Les demandeurs admettent que leurs réponses au sujet du visa antérieur sont fausses. C’est ce fait reconnu qui a servi de fondement à la conclusion de l’agent quant à la véracité des réponses à ce sujet, et non les conclusions relatives à la crédibilité au sujet des attaques de juin 2014. La conclusion selon laquelle l’omission n’était pas innocente n’était pas non plus fondée sur les autres conclusions en matière de crédibilité. Elle était expressément fondée sur les réponses données par M. Shafique et Mme Sillia aux préoccupations soulevées par l’agent lors de l’entrevue. Même si une partie ou la totalité des autres conclusions en matière de crédibilité étaient déraisonnables, ce que je n’ai pas besoin de déterminer, je ne peux pas conclure que ce caractère déraisonnable nuirait à la conclusion, tirée de façon indépendante, selon laquelle les réponses n’étaient pas véridiques.

[12] Deuxièmement, les demandeurs soutiennent que la question relative au permis de travail ne concernait pas le fond de la demande d’asile. Ils invoquent la jurisprudence de la Cour et font valoir que les conclusions en matière de crédibilité ne devraient pas être fondées sur des questions non pertinentes ou accessoires, mais plutôt sur celles qui sont suffisamment déterminantes : Sheikh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CanLII 15200 (CF) aux para 23-24; Afonso c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 51 au para 25-26, 42; Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 510 au para 68; voir aussi la décision plus récente Apena c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 91 aux para 3, 32, 38-41.

[13] Là encore, je ne suis pas d’accord. La Cour d’appel fédérale a souligné que l’exigence de franchise reflétée dans l’obligation de répondre véridiquement aux questions posées est un « principe prépondérant » de la LIPR : Sidhu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CAF 169 aux para 17, 70; voir aussi Chamma c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 29 au para 39; Bodine c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 848 au para 41, citant Baro c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1299 au para 15. Contrairement à l’article 40 de la LIPR, qui porte sur l’interdiction de territoire pour fausses déclarations, le paragraphe 16(1) n’impose pas un seuil d’importance; seule la pertinence est requise : Mescallado, aux para 16-22; Garcia Porfirio, au para 45; Muthui, au para 32.

[14] À mon avis, tant les questions sur les visas antérieurs que celles sur les réponses mensongères par lesquelles les demandeurs ont omis de divulguer qu’ils avaient déjà présenté une demande de visa afin de venir travailler pour des membres de la famille au Canada cinq mois avant les incidents allégués en juin 2014 satisfont à l’exigence de pertinence pour ce qui est de la demande de visa de résident permanent des demandeurs. Même si la demande était fondée sur une demande d’asile qu’ils avaient présentée en tant que membres de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières ou de la catégorie des personnes protégées à titre humanitaire outre-frontières, il était pertinent d’obtenir un aperçu complet et véridique des antécédents des demandeurs en matière d’immigration pour évaluer leur demande.

[15] Je conclus donc que l’agent a tiré une conclusion distincte, déterminante et raisonnable selon laquelle la demande des demandeurs devrait être rejetée pour non‑respect du paragraphe 16(1) de la LIPR. Comme cette question était à elle seule déterminante quant à l’issue de la demande, elle l’est également quant à l’issue de la présente demande de contrôle judiciaire, quels que soient les arguments des demandeurs au sujet des conclusions que l’agent a tirées relativement à la crédibilité de leur demande d’asile.

[16] Bien que je n’aie pas à trancher la question, je fais remarquer qu’au moins quelques-uns des arguments des demandeurs concernant la crédibilité semblent fondés. Dans sa lettre de décision, l’agent n’a souligné qu’une incohérence concernant les divergences entre les témoignages de M. Shafique et de Mme Sillia au sujet des blessures de M. Shafique, mais dans ses notes, il a mentionné avoir soulevé plusieurs préoccupations en matière de crédibilité auprès des demandeurs à l’audience. Certaines de ces préoccupations, comme le fait que Mme Sillia n’avait pas mentionné une marque sur le visage de l’un des agresseurs et la préoccupation au sujet du récit initial que M. Shafique a fait des propos tenus par les agresseurs lors de la première attaque, ne semblent pas concerner une incohérence, à moins de faire preuve d’un excès de zèle. Une autre semble découler d’une certaine confusion chez l’agent quant aux blessures décrites. Comme je le mentionne plus haut, je n’ai pas besoin de déterminer si ces conclusions en matière de crédibilité sont déraisonnables ou si, dans l’ensemble et dans le contexte des réponses mensongères données concernant la demande de visa, il était déraisonnable pour l’agent de rejeter la demande en se fondant sur l’alinéa 139(1)e). Toutefois, le rejet de la présente demande ne doit pas être interprété comme un endossement des motifs de l’agent sur ces questions.

[17] La demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.

[18] Aucune des parties n’a proposé de question à certifier, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4276-20

LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Nicholas McHaffie »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4276-20

 

INTITULÉ :

ASIF SHAFIQUE ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 9 février 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MCHAFFIE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 16 février 2023

 

COMPARUTIONS :

Barbara Jackman

POUR LES DEMANDEURS

Brad Gotkin

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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