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Date : 20230215


Dossier : IMM-4050-22

Référence : 2023 CF 218

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 15 février 2023

En présence de madame la juge Sadrehashemi

ENTRE :

AMIN SHOHRATIFAR

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Amin Shohratifar (M. Shohratifar), est un citoyen de l’Iran âgé de 23 ans. En novembre 2021, il a présenté une demande de permis d’études en vue d’obtenir un diplôme en administration des affaires au Collège Humber de Toronto, en Ontario. Le 31 décembre 2021, un agent (l’agent) d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada a rejeté sa demande. L’agent n’était pas convaincu qu’il quitterait le Canada à la fin de son séjour pour les raisons suivantes : il n’avait pas de liens suffisants avec son pays d’origine, il n’avait pas démontré qu’il disposait de fonds suffisants pour suivre le programme, le programme ne constituait pas une dépense raisonnable compte tenu de sa situation socioéconomique et son projet d’études n’était pas raisonnable compte tenu de ses antécédents d’études et d’emploi.

[2] M. Shohratifar conteste ces conclusions. Il allègue principalement que l’agent s’est mépris sur la preuve dont il disposait. Je suis d’accord avec M. Shohratifar. L’agent n’a pas examiné des éléments de preuve pertinents qui allaient à l’encontre de ses conclusions et il n’a pas expliqué à M. Shohratifar le fondement de certaines de ces conclusions principales à la lumière de la preuve. Étant donné que je suis d’avis que la décision de l’agent était déraisonnable et qu’une nouvelle décision doit être rendue sur ce fondement, il est inutile que je me penche sur l’argument relatif à l’équité procédurale soulevé par M. Shohratifar.

[3] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

II. Question en litige et norme de contrôle applicable

[4] En contrôle judiciaire, la question déterminante est de savoir si la conclusion de l’agent selon laquelle il n’était pas convaincu que M. Shohratifar quitterait le Canada à la fin de la période de séjour autorisée est raisonnable. Les deux parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la Cour suprême du Canada a confirmé que la norme de la décision raisonnable est présumée s’appliquer lorsqu’il s’agit d’examiner des décisions administratives sur le fond. La présente affaire ne soulève aucune question qui justifierait de s’écarter de cette présomption.

III. Analyse

[5] L’exigence selon laquelle un agent doit être convaincu qu’une personne qui présente une demande en vue d’étudier au Canada ne dépassera pas la période de séjour autorisée est énoncée aux paragraphes 11(1) et 20(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, et à l’alinéa 216(1)b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227. L’agent a fondé sa décision selon laquelle M. Shohratifar n’était pas susceptible de quitter le Canada à la fin de sa période de séjour autorisée sur trois facteurs : son projet d’études, sa situation socioéconomique et l’absence de liens suffisamment forts avec son pays d’origine.

[6] Pour apprécier le caractère raisonnable d’une décision, une cour de révision doit tenir compte du cadre institutionnel dans lequel la décision a été rendue (Vavilov, aux para 91, 103). Les agents des visas sont appelés à examiner un volume élevé de demandes de permis d’études. Bien que les motifs n’aient pas à être approfondis, la décision d’un agent doit être transparente, justifiée et intelligible (Vavilov, au para 15). Les motifs doivent faire état d’une « analyse rationnelle », de sorte que la personne visée par la décision puisse comprendre le fondement de celle-ci (Vavilov, au para 103; voir aussi Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 77 au para 17; Samra c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 157 au para 23; et Rodriguez Martinez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 293 aux para 13-14).

[7] J’estime que l’analyse faite par l’agent de chacun de ces trois facteurs (le projet d’études, la situation socioéconomique et les liens avec le pays d’origine) était déraisonnable. Soit l’agent s’est fondamentalement mépris sur la preuve dont il disposait, soit il n’a pas expliqué de façon cohérente la manière dont il est parvenu à une conclusion.

A. Projet d’études

[8] Selon l’agent, le projet d’études de M. Shohratifar [traduction] « ne sembl[ait] pas raisonnable compte tenu [de ses] antécédents d’études et d’emploi [...] ». En plus d’affirmer que M. Shohratifar avait un piètre dossier scolaire, l’agent n’a pas expliqué en quoi ses antécédents d’études et d’emploi rendaient son projet d’études déraisonnable. La preuve dont disposait l’agent indiquait que M. Shohratifar avait entrepris des études pour obtenir un diplôme en soins infirmiers, une décision qu’il disait principalement attribuable à ses parents. Après deux semestres (au cours desquels, comme l’a noté l’agent, il n’avait pas particulièrement bien réussi), il a abandonné parce qu’il n’aimait pas le programme et qu’il ne voulait pas poursuivre dans ce domaine. Par la suite, il a travaillé comme directeur adjoint dans un hôtel. Dans la lettre qu’il avait présentée à l’agent, il expliquait que son intérêt pour l’administration des affaires était né de son travail à l’hôtel.

[9] Il est difficile de comprendre comment l’agent est parvenu à la conclusion que le projet d’études n’était pas raisonnable dans ces circonstances. L’agent n’a fourni aucune justification expliquant ce qui, dans les antécédents d’études ou d’emploi de M. Shohratifar, rendait le projet d’études de celui-ci déraisonnable. Une explication s’imposait.

B. Situation socioéconomique

[10] L’absence d’explication pose également problème en ce qui a trait à la conclusion de l’agent concernant la situation socioéconomique de M. Shohratifar et le caractère raisonnable des frais d’études. La preuve au dossier comprenait ce qui suit : une preuve du paiement de la moitié des frais de scolarité de la première année du programme d’études de M. Shohratifar; une lettre de l’employeur de son père indiquant le salaire de celui-ci; des actes de propriété au nom de son père; un relevé bancaire indiquant que son père disposait d’environ 107 000 $ CA à la banque.

[11] L’agent a conclu que M. Shohratifar n’avait pas démontré la suffisance ou la disponibilité des fonds pour le programme. Il a aussi conclu qu’en raison de la [traduction] « situation socioéconomique » de M. Shohratifar, le programme ne constituait pas une dépense raisonnable.

[12] Encore une fois, ces conclusions ne sont pas expliquées. Devant moi, les parties ont adopté des positions opposées sur la question de savoir si la preuve démontrait clairement l’existence de ressources financières suffisantes pour financer le programme. Le problème mis en lumière par leurs positions est que l’agent n’a pas expliqué comment il était parvenu à la conclusion que le demandeur ne disposait pas de fonds suffisants. La preuve peut être interprétée de différentes façons. En contrôle judiciaire, il n’appartient pas à la Cour de spéculer sur les raisons pour lesquelles l’agent est parvenu à cette conclusion (Vavilov, au para 97). Les justifications offertes par le défendeur à l’audience relative au contrôle judiciaire visaient à combler les lacunes dans les motifs de l’agent. Il était déraisonnable pour l’agent de ne pas expliquer pourquoi il avait conclu que M. Shohratifar ne disposait pas de fonds suffisants et que, selon ce point de vue sur ses finances, le programme ne constituait pas une dépense raisonnable.

C. Liens avec le pays de résidence

[13] La conclusion de l’agent selon laquelle M. Shohratifar n’avait pas de liens suffisamment forts avec l’Iran n’est pas non plus expliquée ni étayée par la preuve. Le seul fondement de cette conclusion dans les motifs de l’agent est la remarque selon laquelle M. Shohratifar était célibataire et mobile et n’avait personne à sa charge. La Cour a, à maintes reprises, déclaré que le fait qu’un demandeur soit célibataire et qu’il n’ait personne à sa charge ne devrait pas, sans autre analyse, constituer un motif pour tirer une inférence défavorable (Barril c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 400 au para 20).

[14] Il n’est fait aucune mention des divers éléments permettant de conclure que M. Shohratifar a manifestement des liens avec l’Iran, notamment le fait qu’il y vit avec ses parents et ses frères et sœurs, qu’il n’a vécu que dans ce pays et que c’est là qu’il a fait ses études et a acquis son expérience de travail. En outre, M. Shohratifar a fait part de son intention de retourner en Iran pour y poursuivre sa carrière et y faire sa vie. L’agent n’a mentionné aucun de ces faits et éléments de preuve pertinents, qui tendent à contredire la conclusion défavorable qu’il a tirée. Une telle omission est également déraisonnable (Jafari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 183 aux para 18-20).


IV. Dispositif

[15] La demande de contrôle judiciaire sera accueillie. Aucune des parties n’a proposé de question aux fins de certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4050-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. L’affaire est renvoyée à un autre décideur pour qu’il rende une nouvelle décision.

  3. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« Lobat Sadrehashemi »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4050-22

INTITULÉ :

AMIN SHOHRATIFAR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 8 FÉVRIER 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SADREHASHEMI

DATE DES MOTIFS :

LE 15 FÉVRIER 2023

COMPARUTIONS :

Ramanjit Sohi

Pour le demandeur

Jocelyne Mui

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raman Sohi Law Corporation

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le défendeur

 

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