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Date : 20230215


Dossiers : T‐800‐21

T‐808‐21

Référence : 2023 CF 220

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 15 février 2023

En présence de monsieur le juge Favel

ENTRE:

KAREN MCCARTHY
ET LORNA JACKSON‐LITTLEWOLFE

demanderesses

et

PREMIÈRE NATION DE WHITEFISH LAKE NO 128

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Nature de l’affaire

[1] Karen McCarthy et Lorna Jackson‐Littlewolfe [les demanderesses] sont membres de la Première Nation de Whitefish Lake no 128 [la PNWL ou la défenderesse]. Mme McCarthy et la Band Members’ Alliance and Advocacy Association of Canada ont introduit l’instance dans le dossier de la Cour fédérale T‐800‐21; Mme Jackson‐Littlewolfe a introduit l’instance dans le dossier de la Cour fédérale T‐808‐21 [collectivement, les demandes]. Les demandes ont été réunies et constituent maintenant la présente instance devant la Cour.

[2] Les demanderesses sollicitent le contrôle judiciaire de deux décisions rendues par le comité d’appel de la PNWL [le comité]. Le 14 avril 2021, le comité a conclu que Mme McCarthy était inhabile à voter aux prochaines élections au sein de la PNWL, car elle avait recouvré son statut d’Indienne et son appartenance à la PNWL en vertu du projet de loi C‐31 [la décision relative à la politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31]. La PNWL soutient que, conformément à sa coutume, les membres qui ont recouvré leur statut en vertu du projet de loi C‐31 sont inhabiles à voter aux élections de la PNWL [la politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31 ou la politique].

[3] Le 20 avril 2021, le comité a conclu que Mme Jackson‐Littlewolfe était inhabile à présenter sa candidature aux postes de chef et de conseillère, car elle vit en union de fait [la décision relative à l’interdiction de l’union de fait] [collectivement, les décisions]. Le comité a rendu cette décision en application de l’alinéa 1c) des Saddle Lake Tribal Customs (les Coutumes tribales de Saddle Lake) [le Règlement sur les élections], lequel prévoit qu’[traduction] « aucune personne vivant en union de fait ne peut être éligible à une mise en candidature » [l’interdiction de l’union de fait ou l’interdiction].

[4] En guise de mesure, les demanderesses sollicitent notamment un jugement déclaratoire portant que la politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31, l’interdiction de l’union de fait et les décisions contreviennent au paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‐U.), 1982, c 11 [la Charte] [la Loi constitutionnelle de 1982]. Elles sollicitent également une ordonnance exigeant la tenue d’une nouvelle élection qui respecte la Charte.

[5] La PNWL soutient que la Charte ne s’applique pas à ses décisions en raison de l’article 25 de la Charte et que les demandes doivent être rejetées. Subsidiairement, si la Cour conclut que la PNWL a porté atteinte aux droits que tirent les demanderesses de l’article 15 de la Charte d’une manière qui ne peut se justifier au regard de l’article premier ni bénéficier de la protection de l’article 25, la PNWL demande à la Cour de suspendre les déclarations d’invalidité pour une période de 12 mois en ce qui concerne la politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31 et pour une période de six mois en ce qui concerne l’interdiction de l’union de fait.

[6] Les demandes de contrôle judiciaire sont accueillies pour les motifs suivants :

  1. Les décisions sont déraisonnables parce qu’elles sont illégales. Ni la politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31 ni l’interdiction de l’union de fait ne sont des coutumes de la PNWL. De plus, l’interdiction de l’union de fait est déraisonnable parce que le comité n’a pas pris en considération les droits que tire de la Charte Mme Jackson‐Littlewolfe.

  2. La Charte s’applique aux processus de sélection des dirigeants de la PNWL prévus par le Règlement sur les élections Règlement sur les élections.

  3. 3.L’article 25 de la Charte ne peut servir de bouclier quant à la politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31 ou l’interdiction de l’union de fait, car :

  • a.La politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31 crée une discrimination fondée sur le sexe. L’article 28 de la Charte, lequel protège l’égalité des genres « [i]ndépendamment des autres dispositions » de la Charte, empêche la PNWL d’invoquer l’article 25 comme bouclier quant à la politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31;

  • b.La PNWL n’a pas établi que l’interdiction de l’union de fait est l’une de ses coutumes adoptées en vertu de son droit inhérent à l’autonomie gouvernementale. L’article 25 ne peut servir de bouclier quant à une coutume qui porte atteinte à la Charte si celle‐ci n’a pas force de loi.

  1. La politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31 et l’interdiction de l’union de fait sont toutes deux contraires au paragraphe 15(1) de la Charte et ne peuvent se justifier au regard de l’article premier.

II. Contexte

[7] La réserve de la PNWL, laquelle a adhéré au Traité no 6, est située près de St. Paul, en Alberta. Les demanderesses mentionnent que la PNWL et la Première Nation de Saddle Lake no 125 [la PNSL] forment la Nation crie de Saddle Lake no 462 [la NCSL]. Selon la Loi sur les Indiens, LRC 1985, c I‐5 [la Loi sur les Indiens], la NCSL constitue une bande unique. Il s’agit d’une grande Première Nation qui compte environ 11 231 membres. Bien qu’elles fassent partie de la NCSL, la PNWL et la PNSL ont leurs propres réserves et conseils de bande qui tiennent des élections distinctes. La PNWL ne conteste pas cette qualification de la relation entre elle et la PNSL.

[8] La PNWL affirme néanmoins que le gouvernement canadien l’a fusionnée à tort avec la PNSL. Cette déclaration fait l’objet d’une instance devant la Cour fédérale dans le dossier T‐1728‐11. Qu’il suffise de dire que les parties en l’espèce reconnaissent que la relation entre la PNWL et la PNSL est imparfaite.

1) Historique de la procédure

[9] Les demanderesses avaient initialement désigné la NCSL à titre de défenderesse dans les deux demandes; cependant, les parties ont consenti à une ordonnance mettant hors de cause la NCSL à titre de défenderesse.

[10] Le 30 juillet 2021, la PNWL a demandé à ce que les demandes soient converties en actions. Les requêtes de la PNWL ont été rejetées le 20 octobre 2021, avec dépens. Le 25 février 2022, la Cour a rendu une ordonnance réunissant les demandes.

2) Les élections de la PNWL

[11] L’événement principal à l’origine des demandes est l’élection de 2021 aux postes de chef et de conseiller de la PNWL [l’élection], tenue le 29 avril 2021 et le 6 mai 2021, conformément au Règlement sur les élections.

[12] Le Règlement sur les élections, adopté dans les années 1950, régit la PNWL et la PNSL. Dans son introduction, le Règlement sur les élections prévoit que [traduction] « [t]ous les secteurs non visés par les éléments mentionnés dans la présente seront visés par la Loi sur les Indiens, comme il est indiqué aux articles 73 à 78 ».

[13] L’alinéa 2a) du Règlement sur les élections précise qui est éligible à voter aux élections. Il prévoit que [traduction] « [t]out membre de la bande âgé de plus de 21 ans le jour de l’élection peut voter, qu’il réside ou non dans la réserve; à l’exception des Indiennes détentrices de coupons rouges ».

[14] L’alinéa 1c) du Règlement sur les élections empêche les membres d’être présentés comme candidats au poste de chef ou de membre du conseil s’ils vivent en union de fait. Il est constant que l’interdiction de l’union de fait découle de valeurs chrétiennes et d’obligations morales.

[15] En 1990, la PNWL et la PNSL ont adopté conjointement une Résolution du conseil de bande [la RCB ou la RCB de 1990] selon laquelle toute modification du Règlement sur les élections doit être approuvée par les conseils de bande des deux Premières Nations.

[16] En 2017, la juge McVeigh a conclu que le Règlement sur les élections n’était pas adéquat (Shirt c Nation Crie de Saddle Lake, 2017 CF 364 [Shirt I]). Cette affaire ne concernait pas la PNWL. La Cour a enjoint la PNSL d’élaborer un nouveau processus pour établir l’éligibilité des candidats, d’évaluer l’éligibilité des demandeurs et, dans l’éventualité où une candidature serait jugée comme éligible, de tenir de nouvelles élections (aux paras 70 et 72). Les demandeurs dans l’affaire Shirt I n’ont pas fait valoir d’arguments constitutionnels.

[17] Plus tard au cours de la même année, la PNWL et la PNSL ont commencé à élaborer une nouvelle loi électorale. Mme Jackson‐Littlewolfe y a participé en tant que membre du groupe de travail de la PNWL. Dans son affidavit, Mme Jackson‐Littlewolfe explique que la nouvelle loi électorale était censée s’appliquer à la PNWL et à la PNSL. Cependant, en 2018, les dirigeants de la PNWL ont mis fin à leur participation. Mme Jackson‐Littlewolfe et Mme McCarthy ont toutes deux continué à assister aux réunions de la PNSL afin de travailler sur la nouvelle loi.

[18] En février 2019, les Aînés de la PNSL se sont entendus sur la version définitive du nouveau code électoral, le « code électoral fondé sur les coutumes tribales d’onihcikiskwapowin » [le nouveau code électoral]. Le nouveau code électoral n’interdit pas l’union de fait.

[19] La PNWL reconnaît que la PNSL a eu recours au nouveau code électoral lors des élections en 2019. Cependant, elle soutient que le nouveau code électoral a été adopté sans qu’elle soit consultée, contrairement à la RCB de 1990. Dans la décision Shirt c Nation Crie de Saddle Lake, 2022 CF 321 [Shirt II], laquelle a été rendue après que le nouveau code électoral eut été soi‐disant finalisé, la juge Strickland a noté le fait que les membres de la NCSL n’ont jamais ratifié le nouveau code électoral et que le Règlement sur les élections, la même loi qui est visée par les présentes demandes, continue de régir les élections de la PNSL (au para 3). Cette affaire ne concernait pas non plus la PNWL.

3) L’appartenance à la PNWL et le projet de loi C‐31

[20] Selon le profil de gouvernance tenu à jour par Relations Couronne‐Autochtones et Affaires du Nord Canada, la NCSL est une « bande visée par l’article 11 ». Cela signifie que, conformément à l’article 11 de la Loi sur les Indiens, le gouvernement fédéral peut ajouter des personnes à la liste des membres de la NCSL. En comparaison, les « bandes visées par l’article 10 » sont responsables de la tenue de leur propre liste des membres.

[21] Avant 1985, la Loi sur les Indiens comportait des dispositions discriminatoires qui empêchaient une Indienne inscrite de conserver son statut d’Indienne et de le transmettre à ses enfants si elle épousait un homme non inscrit. À l’inverse, si un Indien inscrit épousait une femme non inscrite, il pouvait conserver son statut et le transmettre à ses enfants (McIvor v Canada (Registrar of Indian and Northern Affairs), 2009 BCCA 153, aux para 15‐23 [McIvor]).

[22] Lorsque le gouvernement fédéral a déposé le projet de loi C‐31, Loi modifiant la Loi sur les Indiens, 1re session, 33e législature, 1985 [le projet de loi C‐31], dans un effort visant à remédier à la discrimination historique qui a privé de leur droit de vote des milliers de femmes et, par extension, leurs enfants, la PNWL a permis à tous les membres nouvellement émancipés de devenir membres à part entière. Malgré cela, et quoique la NCSL est une bande visée par l’article 11, la PNWL affirme que [traduction] « [l]es membres ayant pour origine le projet de loi C‐31 » [les membres visés par le projet de loi C‐31] n’ont pas le droit de voter à ses élections selon sa « coutume ». Elle soutient que la politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31 est sa coutume depuis l’entrée en vigueur du projet de loi C‐31.

III. Les décisions et les événements déclencheurs

[23] Mme McCarthy est née sans le statut d’Indienne parce que sa mère avait épousé un homme non inscrit en 1971. Elle a recouvré son statut et son appartenance à la NCSL et à la PNWL en vertu du projet de loi C‐31. Cependant, la politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31 rend Mme McCarthy inadmissible à voter aux élections de la PNWL.

[24] Lors de la première semaine de janvier 2021, la PNWL a affiché une liste des électeurs admissibles avant la tenue de l’élection. Mme McCarthy et ses enfants n’y figuraient pas. Mme McCarthy [traduction] « a interjeté appel de la liste électorale » dans une lettre du 12 janvier 2021, à laquelle était annexée une copie de son certificat de statut d’Indienne, et elle a demandé d’être ajoutée à la liste électorale. Mme McCarthy avait interjeté un appel semblable en 2017, lequel avait été rejeté par le comité. Elle n’a pas demandé le contrôle judiciaire de la décision de 2017.

[25] Le 14 avril 2021, Mme McCarthy a reçu une lettre du président du comité qui rejetait son appel. Cette lettre indiquait que, après avoir examiné [traduction] « les renseignements pertinents », le comité [traduction] « a jugé que le commis à l’inscription des membres a conclu à juste titre que vous êtes une membre visée par le projet de loi C‐31 ». Cette lettre ajoutait ce qui suit :

[traduction]

Selon la pratique courante et le droit coutumier de la [PNWL], les personnes visées par le projet de loi C‐31 ne sont pas admissibles à voter à une élection ou à un référendum puisque ce ne sont pas des électeurs. Par conséquent, nous avons le regret de vous informer que vous êtes jugée inadmissible à voter à l’élection, compte tenu des renseignements reçus du bureau des membres de la Whitefish Lake.

[26] Le 15 avril 2021, Mme Jackson‐Littlewolfe a accepté sa mise en candidature pour l’élection. Le 20 avril 2021, le président du comité a avisé Mme Jackson‐Littlewolfe qu’un appel avait été déposé pour contester sa mise en candidature en raison de l’interdiction de l’union de fait.

[27] Le 20 avril 2021, le président du comité a sollicité une réunion avec Mme Jackson‐Littlewolf afin de discuter de la décision du comité relativement à son éligibilité en tant que candidate. Mme Jackson‐Littlewolfe était présente à la réunion ce soir‐là et le comité lui a alors remis la lettre suivante qui était signée par tous les membres du comité :

[traduction]

À l’attention de Mme Lorna Jackson‐Littlewolfe

Veuillez prendre note que le comité d’appel a tenu une réunion dûment convoquée le 19 avril 2021, dans la salle du conseil, afin de se pencher sur les lettres dans lesquelles vous contestez les candidats. Conformément à l’alinéa 1c) du Règlement sur les élections fondé sur les coutumes tribales, il a été conclu que vous n’êtes pas une candidate éligible pour les élections de 2021, étant donné que vous vivez en union de fait.

[...]

Compte tenu de ce qui précède, le comité d’appel a jugé que vous n’êtes pas une candidate éligible [...]

[28] Dans son affidavit, Mme Jackson‐Littlewolfe déclare avoir dit au comité que notre Cour a invalidé le Règlement sur les élections à l’occasion de l’affaire Shirt I et que ce règlement est discriminatoire. Elle a aussi dit au comité que la PNSL avait mis en place le nouveau code électoral et qu’elle demanderait le contrôle judiciaire de la décision du comité.

[29] Le lendemain, Mme Jackson‐Littlewolfe a demandé au comité une autre lettre confirmant sa décision et une copie du procès‐verbal de la réunion du comité. Le président du comité lui a remis la lettre suivante :

[traduction]

À l’attention de Mme Lorna Jackson‐Littlewolfe

Veuillez prendre note que le comité d’appel a tenu une réunion dûment convoquée le 20 avril 2021, dans la salle du conseil, afin de se pencher sur votre éligibilité.

Tel que discuté hier soir dans la salle du conseil, vous n’êtes pas éligible aux élections de 2021 du conseil de la bande de la Première Nation de Whitefish Lake no 128 en vertu de l’alinéa 1c) du [Règlement sur les élections].

Nous sommes arrivés à la conclusion que nous allons maintenir l’exigence du [Règlement sur les élections] selon laquelle vous êtes jugée inéligible.

Compte tenu de ce qui précède, nous avons rendu la décision définitive d’omettre votre nom de la liste des candidats éligibles [...]

IV. La preuve et les questions préliminaires de recevabilité

[30] La preuve présentée par les parties est constituée uniquement de plusieurs affidavits d’Aînés et d’anciens membres du conseil de bande. Nul n’ayant été contre‐interrogé, le dossier comportait peu d’éléments de preuve permettant de statuer sur des questions d’une telle importance. Je résumerai de façon détaillée le dossier de preuve à la lumière de deux questions que notre Cour doit trancher. Premièrement, notre Cour doit déterminer si la politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31 et l’interdiction de l’union de fait sont des coutumes de la PNWL. Deuxièmement, notre Cour doit déterminer si la défenderesse possède des droits « ancestraux, issus de traités ou autres » qui font jouer l’article 25 de la Charte.

1) La preuve relative à la politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31

[31] Mme McCarthy a déposé cinq affidavits. Selon son propre affidavit, à sa connaissance, les dirigeants de la PNWL ont imposé unilatéralement la politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31 sans avoir consulté les membres de la PNWL. Elle déclare que les membres visés par le projet de loi C‐31 se sont constamment opposés à la politique et que, à la lumière de ses consultations avec des membres de la PNWL, ceux‐ci reconnaissent que la politique n’est pas une coutume. Mme McCarthy explique également que, depuis qu’elle a introduit la présente demande de contrôle judiciaire, elle est harcelée et que le conseil de bande de la PNWL a adopté une RCB visant à l’expulser de la maison qu’elle occupe et dont la bande est propriétaire.

[32] Trois anciens chefs de la PNWL ont produit des affidavits : l’Aîné Marvin Simon Sparklingeyes, Charles Brian Favel et Ernest Raymond Houle. Le dernier affidavit est signé par l’Aîné Charlie Adolphus Jackson. Dans ces affidavits, les déposants déclarent que, historiquement, la PNWL ne classait pas ses membres par catégories; au contraire, elle cherchait à traiter tous ses membres sur un pied d’égalité. Ils se sont aussi dits d’avis que la politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31 n’est pas une coutume de la PNWL. Ils expliquent que, après que le projet de loi C‐31 fut une loi, d’anciens dirigeants ont refusé le droit de vote aux membres visés par le projet de loi C‐31 sans avoir consulté les membres de la PNWL. Ils affirment qu’il ne s’agit pas d’une coutume de la PNWL que d’accorder à certains membres plus de droits qu’à d’autres. Ils affirment également ne pas appuyer la politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31 et disent croire que, selon le consensus des membres de la PNWL, tous les membres, y compris les membres visés par le projet de loi C‐31, doivent avoir le droit de voter.

[33] La PNWL a déposé deux affidavits. Le premier affidavit est signé par l’Aîné Ben Houle, lequel a été conseiller de la PNWL de 2005 à 2011. Le second affidavit est signé par l’Aîné Ed Cardinal, lequel intervient comme président du comité. L’Aîné Cardinal déclare que, dans les années 1980 et 1990, il était [traduction] « généralement reconnu » que seuls les [traduction] « Indiens visés par l’alinéa 6(1)a) de la Loi sur les Indiens » avaient le droit de voter. L’Aîné Ben Houle déclare que, avant 1985, [traduction] « il était de notoriété publique » et il s’agissait d’une [traduction] « conséquence naturelle » que les femmes perdaient leurs droits si elles épousaient un non‐Indien. Cependant, il affirme que cette pratique [traduction] « n’était pas une loi fondée sur l’histoire ou sur les traditions et coutumes de la Nation ».

[34] L’Aîné Ben Houle déclare également que, depuis l’entrée en vigueur du projet de loi C‐31, [traduction] « notre communauté a toujours été d’opinion que [les membres visés par le projet de loi C‐31] n’ont pas le droit de voter ou de participer aux élections ». L’Aîné Ben Houle et l’Aîné Cardinal affirment tous deux que la politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31 est appliquée de façon constante depuis 1985. De plus, ils affirment tous deux que jusqu’à la fin des années 1990, voire jusqu’au début des années 2000, un représentant des Affaires autochtones et du Nord Canada [AANC] intervenait comme président d’élection lors des élections de la PNWL et que la politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31 était alors en vigueur. Enfin, ils se sont tous deux dits d’avis que les membres de la PNWL devraient apporter des changements à la gouvernance de la PNWL.

2) La preuve relative à l’interdiction de l’union de fait

[35] Mme Jackson‐Littlewolfe a déposé quatre affidavits. Dans son propre affidavit, elle explique qu’elle était mariée auparavant, mais qu’elle vit maintenant en union de fait.

[36] Anneke Pingo a signé le deuxième affidavit, auquel sont annexées les données de recensement de 2016 concernant la PNWL.

[37] L’ancien chef et conseiller de la PNWL Ernest Houle a signé le troisième affidavit. Ernest Houle affirme que, [traduction] « traditionnellement, les dirigeants étaient choisis s’ils possédaient les qualités requises pour subvenir aux besoins de leur peuple et pour le protéger », non en fonction de leur état matrimonial. Il ne croit pas que l’interdiction de l’union de fait reflète les pratiques traditionnelles ou les coutumes de la PNWL, ni qu’elle repose d’une quelconque façon sur le Traité no 6. Il explique également que la PNWL a appliqué l’interdiction de l’union de fait de manière arbitraire en fonction du candidat proposé et du conseil de bande. Par exemple, en 1987, Charles Favel a été autorisé à se présenter comme candidat à une élection même s’il vivait en union de fait. Une situation semblable s’est produite en 2013. Ernest Houle déclare qu’il a eu des [traduction] « conversations détaillées » avec certains membres de la bande et il croit que la majorité des membres s’opposent à l’interdiction de l’union de fait. Enfin, il affirme que personne n’a contesté l’interdiction de l’union de fait parce que de nombreux membres ne disposent pas des ressources financières nécessaires et craignent des représailles.

[38] L’Aîné Sparklingeyes, le père de Mme Jackson‐Littlewolfe, a signé le dernier affidavit. L’Aîné Sparklingeyes affirme que l’interdiction de l’union de fait a été instaurée en 1953, après qu’un chef héréditaire [traduction] « eut quitté son épouse pour aller vivre avec une autre femme » en 1923. Il explique que cela [traduction] « heurtait les croyances chrétiennes de nombreux membres de la bande », ce qui les a amenés à ne plus vouloir de lui comme chef. L’Aîné Sparklingeyes estime que l’interdiction de l’union de fait ne reflète plus l’opinion de la majorité des membres de la PNWL. Il affirme être au courant que [traduction] « certaines personnes ne votent pas parce qu’elles ne croient pas que [les] élections sont justes, étant donné que les gens ne sont pas traités sur un pied d’égalité ».

[39] La PNWL a déposé deux affidavits, celui de Mme Shauna Jackson, l’adjointe administrative du conseil de bande de la PNWL, et celui de l’Aîné Ben Houle. L’affidavit de Mme Jackson ne comporte pas d’éléments de preuve se rapportant à l’interdiction de l’union de fait. Son affidavit a pour but de montrer que Mme Jackson‐Littlewolfe a interjeté appel de la nomination de deux candidats en 2014 parce qu’ils vivaient à l’extérieur de la réserve de la PNWL.

[40] L’Aîné Ben Houle déclare que l’interdiction de l’union de fait reflète les [traduction] « coutumes et pratiques traditionnelles » de la PNWL ainsi que ses [traduction] « pratiques historiques en matière de gouvernance ». Il rappel également avoir discuté avec le révérend Bill Jackson, un Aîné et ancien pasteur [l’Aîné Jackson], au sujet de l’interdiction de l’union de fait. Il déclare qu’il a appris ce qui suit de la part de l’Aîné Jackson, un membre de la PNWL âgé de 88 ans :

  • Le père de l’Aîné Jackson lui a dit que, en 1876, la réserve de la PNWL entourait une mission. En conséquence, la PNWL a adopté les enseignements de l’Église méthodiste, y compris la croyance qu’un homme ne doit avoir qu’une seule épouse;

  • Même lorsque la direction de la PNWL était régie par un système héréditaire, des membres respectés de la collectivité ont jugé que leurs dirigeants devaient être mariés;

  • Personne n’a [traduction] « vraiment remis en question » l’interdiction de l’union de fait du vivant de l’Aîné Jackson et la coutume était suivie [traduction] « religieusement »;

  • Le chef actuel et les membres de la PNWL, particulièrement les Aînés, sont satisfaits de l’interdiction de l’union de fait;

  • Un sondage a été effectué auprès des Aînés il y a six ou sept ans. La plupart, voire la totalité, des Aînés étaient en faveur du Règlement sur les élections actuel.

[41] Enfin, l’Aîné Ben Houle note qu’un représentant d’AANC intervenait comme président d’élection de la PNWL dans les années 1990, voire au début des années 2000.

a) La recevabilité de l’affidavit de l’Aîné Ben Houle dans le dossier T‐808‐21

[42] Mme Jackson‐Littlewolfe soutient que le témoignage de l’Aîné Ben Houle comporte des ouï-dire, à savoir des déclarations de l’Aîné Jackson et que cela est inapproprié puisque ce dernier était disponible pour faire une déclaration sous serment (Cowichan Tribes v Canada (AG), 2019 BCSC 1243, aux para 105‐108 [Cowichan]).

[43] La PNWL soutient que les récits oraux constituent des ouï‐dire de par leur nature même et que la preuve dans l’affidavit de l’Aîné Ben Houle est à la fois nécessaire et fiable. Elle affirme aussi que la règle de « la meilleure preuve » doit s’appliquer, ce qui permet à notre Cour d’admettre en preuve les récits oraux s’il s’agit de la meilleure preuve dont dispose une partie autochtone (Delgamuukw c Colombie‐Britannique, [1997] 3 RCS 1010 aux para 103‐106 [Delgamuukw]). Enfin, la PNWL soutient que les récits oraux exposés dans l’affidavit de l’Aîné Ben Houle satisfont aux critères consacrés par l’arrêt Mitchell c Ministre du Revenu national, 2001 CSC 33, au paragraphe 30 [Mitchell], car :

  1. Ils sont utiles, puisqu’ils dressent l’historique du Règlement sur les élections et de la gouvernance de la PNWL;

  2. Ils sont raisonnablement fiables et reposent sur un transfert des connaissances coutumières;

  3. Leur valeur probante l’emporte nettement sur tout effet préjudiciable qu’ils pourraient causer.

[44] Dans la décision Potts c Alexis Nakota Sioux Nation, 2019 CF 1121 [Potts], la juge McDonald a conclu que le ouï‐dire n’est pas nécessaire ou fiable lorsque la partie qui présente la preuve n’explique pas pourquoi les personnes ayant une connaissance réelle des événements n’ont pas fourni la preuve directe elles‐mêmes (au para 28).

[45] L’admission en preuve des récits oraux est appréciée au cas par cas (Delgamuukw, au para 87). Le juge doit être conscient des difficultés de preuve uniques auxquelles font face les parties autochtones qui revendiquent des droits constitutionnels (Mitchell, aux para 27‐28). Toutefois, cela ne signifie pas que les règles de preuve ne s’appliquent pas aux récits oraux (Mitchell, au para 29; Cowichan, au para 78). Le juge doit plutôt appliquer les règles de preuve avec souplesse, « d’une façon adaptée aux difficultés inhérentes à de telles réclamations » (Mitchell, au para 29).

[46] Les observations de la défenderesse m’ont convaincu et je conclus que l’affidavit de l’Aîné Ben Houle est admissible en preuve selon les critères de l’arrêt Mitchell (au para 30). Premièrement, la preuve est utile. Pour être utiles, les récits oraux doivent offrir « une preuve de pratiques ancestrales et de leur importance, qui ne pourrait être obtenue autrement » (Mitchell, au para 32). En l’espèce, la preuve porte sur la compréhension par l’Aîné Ben Houle de l’historique et de l’origine de l’interdiction de l’union de fait, et cette preuve ne dispose d’aucune autre source. À mon avis, que la preuve soit établie par l’Aîné Ben Houle ou par l’Aîné Jackson lui‐même, il s’agit toujours d’une preuve sous forme de récits oraux.

[47] Deuxièmement, la preuve est encore raisonnablement fiable (Mitchell, au para 33). L’Aîné Ben Houle, un Aîné de la PNWL, est une « source raisonnablement fiable » pour l’histoire de celle‐ci. Il a résidé toute sa vie sur le territoire de la PNWL, à part les quelques années où il a étudié au collège, et il discute avec les autres Aînés, notamment l’Aîné Jackson. Mme Jackson‐Littlewolfe n’a pas expliqué pourquoi une personne additionnelle ou un maillon supplémentaire dans la chaîne des récits oraux rend la preuve moins fiable.

[48] Enfin, « le préjudice [que la preuve] peut causer [ne] l’emporte [pas] sur sa valeur probante » (Mitchell, au para 30). Mme Jackson‐Littlewolfe n’a pas expliqué pourquoi elle subirait un préjudice si notre Cour admettait en preuve l’affidavit de l’Aîné Ben Houle. Mme Jackson‐Littlewolfe n’a pas contre‐interrogé l’Aîné Ben Houle, et rien n’indique non plus qu’elle aurait contre‐interrogé l’Aîné Jackson s’il avait signé son propre affidavit. Par ailleurs, vu le peu d’éléments de preuve permettant de statuer sur des questions d’une telle importance, l’affidavit de l’Aîné Ben Houle permet à notre Cour d’examiner des renseignements supplémentaires.

[49] Pour ces motifs, je déterminerai la valeur de l’affidavit de l’Aîné Ben Houle ainsi que le poids à accorder aux autres éléments de preuve. Je tire cette conclusion en gardant à l’esprit que les règles de preuve ont pour but de « promouvoir la recherche de la vérité et l’équité » et de « favoriser la justice » (Mitchell, au para 30).

V. Les questions en litige et la norme de contrôle

[50] Compte tenu des observations des parties, les questions à trancher sont :

  1. La politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31 et l’interdiction de l’union de fait sont‐elles des « coutumes » et, dans l’affirmative, les décisions sont‐elles respectivement légales?

  2. Le comité a‐t‐il fait abstraction des droits que tirent de la Charte les demanderesses?

  3. L’article 25 de la Charte peut-il être utilement invoqué par la PNWL?

    1. Les décisions de la PNWL relatives aux processus de sélection des dirigeants sont‐elles à l’abri d’un examen fondé sur la Charte?

    2. L’article 25 de la Charte peut‐il preserver la politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31 ou l’interdiction de l’union de fait?

  4. La politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31 ou l’interdiction de l’union de fait sont‐elles contraires au paragraphe 15(1) de la Charte?

  5. Dans l’affirmative, ces atteintes sont‐elles justifiées au regard de l’article premier de la Charte?

  6. Quelles sont les mesures appropriées?

[51] Vu les questions en litige 1 et 2, il y a contestation des décisions sous l’angle du droit administratif. Vu les questions en litige 4 et 5, il y a contestation de la constitutionnalité de la politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31 et de l’interdiction de l’union de fait (Canadian Centre for Bio‐Ethical Reform v City of Peterborough, 2016 ONSC 1972 au para 12). Notre Cour a compétence pour se prononcer sur ces deux arguments. Plus précisément, notre Cour peut examiner « des décisions prises aux termes des lois électorales d’une Première Nation, y compris lorsque ces lois sont dites "coutumières" » (Thomas c Première Nation One Arrow, 2019 CF 1663 au para 14). Notre Cour a également compétence pour déclarer les règlements sur les élections des Premières Nations inconstitutionnels et inopérants (Janvier c Première Nation des Chipewyans des Prairies, 2021 CF 539 au para 33).

[52] La première question en litige est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. La présomption d’application de la norme de la décision raisonnable vise l’interprétation de sa loi habilitante par le décideur administratif (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 25 [Vavilov]). En l’espèce, le comité a pris en considération le droit coutumier et a conclu que la politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31 constitue une pratique courante et une coutume de la PNWL et que l’interdiction de l’union de fait reflète essentiellement une coutume. Il faut faire preuve de déférence à l’égard des décideurs autochtones en ce qui a trait à la compréhension de leurs propres lois autochtones (Pastion c Première Nation Dene Tha’, 2018 CF 648 aux para 21‐23 [Pastion]).

[53] Quant à la deuxième question en litige, lorsqu’il est allégué que la décision du décideur administratif porterait atteinte aux droits garantis au demandeur par la Charte, le cadre d’analyse établi par les arrêts Doré c Barreau du Québec, 2012 CSC 12 [Doré] et École secondaire Loyola c Québec (Procureur général), 2015 CSC 12 [Loyola] s’applique (Vavilov, au para 57; Law Society of British Columbia c Trinity Western University, 2018 CSC 32 au para 57 [TWU 2018]). Habituellement, le cadre d’analyse des arrêts Doré/Loyola oblige le juge à appliquer une norme de contrôle fondée sur la retenue (Doré, aux para 54‐58; Canadian Broadcasting Corporation v Ferrier, 2019 ONCA 1025 au para 34 [Ferrier]). Toutefois, depuis l’arrêt Vavilov, la Cour d’appel de l’Ontario s’est dite d’avis que le refus ou le défaut du décideur de tenir compte d’un droit garanti par la Charte constituent des « questions de droit générales d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble » (Ferrier, au para 35, citant Vavilov, au para 17). Par conséquent, la deuxième question est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte.

[54] Les autres questions en litige ne commandent pas l’application d’une norme de contrôle. Habituellement, la question de savoir si la loi habilitante de l’organisme décisionnel est contraire à la Charte et la question de savoir si une atteinte peut se justifier au regard de l’article premier sont des questions constitutionnelles qui sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte (Vavilov, au para 57). Cette norme s’applique aussi à la question de savoir si l’article 25 de la Charte produit les effets allégués par la défenderesse (Vavilov, aux para 55‐56). Toutefois, le comité ne s’est prononcé sur aucune de ces questions. Par conséquent, aucune norme de contrôle ne s’applique aux questions 3, 4 et 5. Cette distinction est plus théorique que pratique, car si « aucune norme de contrôle » ne s’applique, cela équivaut à procéder, sur le plan fonctionnel, à un contrôle selon la « norme de la décision correcte ».

[55] Je constate que le dossier n’indique pas que Mme McCarthy a directement mis en doute devant le comité la validité constitutionnelle de la politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31. De même, la PNWL n’a jamais invoqué de moyen de défense fondé sur l’article 25 de la Charte. Aucune des parties ne présente d’observations sur la question de savoir si de nouveaux arguments peuvent être soulevés pour la première fois dans le cadre du contrôle judiciaire (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61 aux para 22‐26; Forest Ethics Advocacy Association c Canada (Office national de l’énergie), 2014 CAF 245 aux para 28, 37‐46).

[56] Cela ne préoccupe pas Mme Jackson‐Littlewolfe, qui déclare avoir dit au comité que l’interdiction de l’union de fait est discriminatoire, voire inconstitutionnelle suivant la décision Shirt I.

[57] À mon avis, la jurisprudence étaye le point de vue selon lequel les parties peuvent invoquer des arguments constitutionnels pour la première fois lorsque les nouveaux arguments découlent de la décision administrative elle‐même (Fraser c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2021 CF 821 au para 29).

[58] Enfin, la sixième question en litige ne commande pas l’application d’une norme de contrôle, car elle se rapporte aux réparations que notre Cour peut ordonner.

VI. Analyse

A. La politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31 et l’interdiction de l’union de fait constituent‐elles des « coutumes » et, dans l’affirmative, les décisions sont‐elles respectivement légales?

1) La politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31

a) Le droit

[59] La partie qui invoque une coutume alléguée doit démontrer que cette coutume reflète le large consensus des membres de la Première Nation (Whalen c Première Nation no 468 de Fort McMurray, 2019 CF 732 au para 32 [Whalen I]; Bigstone c Big Eagle, [1992] ACF no 16). La juge Strickland a résumé les principes fondamentaux applicables au droit coutumier dans la décision Première Nation des Da’naxda’xw c Peters, 2021 CF 360 [Da’naxda’xw] :

[72] En résumé, pour qu’il y ait coutume, il faut la preuve d’une pratique et la manifestation de la volonté des membres de la Première Nation d’être liés par cette pratique. L’établissement de la coutume des bandes exige la preuve que la coutume est fermement établie, généralisée et suivie de manière uniforme et délibérée par une majorité des membres de la communauté, ce qui démontre un large consensus. Le chef et le conseil ne peuvent pas à eux seuls déterminer qu’un changement de circonstances comprend une nouvelle coutume, il doit exister un large consensus parmi les membres. De même, la coutume n’est pas immuable, mais tout changement exige un large consensus des membres. L’analyse visant à déterminer si une coutume jouit d’un large consensus est fondée sur des faits et un contexte précis, et la preuve peut démontrer qu’il n’y a pas de consensus. La coutume peut être démontrée par un événement unique comme un référendum ou un vote majoritaire, par une série d’événements, ou peut‐être par un acquiescement. Il incombe à la partie qui tente de démontrer une coutume de prouver qu’il existe un large consensus et l’existence d’une coutume au sein d’une bande et la question de savoir si elle a été modifiée avec l’accord substantiel de ses membres dépendront toujours des circonstances.

[Renvois omis. Non souligné dans l’original.]

b) Les positions des parties

[60] Mme McCarthy soutient que la PNWL n’a pas démontré que la politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31 reflète un large consensus parmi ses membres. Au contraire, les dirigeants ont imposé cette politique sans avoir consulté les membres de la PNWL. Mme McCarthy note également que rien dans le Règlement sur les élections ne restreint son droit de vote. Elle affirme que le Règlement sur les élections prévoit que la Loi sur les Indiens comble les lacunes et qu’elle aurait le droit de voter sous le régime de la Loi sur les Indiens.

[61] Au sujet des affidavits des Aînés Ben Houle et Ed Cardinal, la PNWL soutient que la politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31 est une coutume non écrite qui est en place depuis que le législateur a adopté le projet de loi C‐31. La PNWL ne présente pas d’observations sur la question de savoir s’il s’agit d’une coutume écrite.

c) Conclusion

[62] À mon avis, la décision relative à la politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31 est illégale, car il ne s’agit ni d’une coutume écrite ni d’une coutume non écrite de la PNWL.

[63] Mme McCarthy n’a pas tout à fait raison lorsqu’elle affirme dans son affidavit que le Règlement sur les élections ne prévoit [traduction] « rien au sujet du sexe des parents ou de sous‐catégories de membres qui pourraient ne pas être autorisés à voter ». Comme je l’ai mentionné ci‐dessus, l’alinéa 2a) du Règlement sur les élections prévoit que [traduction] « [t]out membre de la bande âgé de plus de 21 ans le jour de l’élection peut voter, qu’il réside ou non dans la réserve; à l’exception des Indiennes détentrices de coupons rouges » (non souligné dans l’original). Les parties n’ont pas présenté d’observations sur la question de savoir si les membres visés par le projet de loi C‐31 sont touchés par l’exception des « Indiennes détentrices de coupons rouges ». Je clarifierai le rapport entre les « Indiennes détentrices de coupons rouges » et les membres visés par le projet de loi C‐31.

[64] Dans la décision Daniels c Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2013 CF 6, inf en partie par 2014 CAF 101, conf par 2016 CSC 12, le juge Phelan a expliqué ainsi l’expression « Indiennes détentrices de coupons rouges » :

[460] Dans la loi de 1869 intitulée Acte pourvoyant à l’émancipation graduelle des Sauvages, à la meilleure administration des affaires des Sauvages et à l’extension des dispositions de l’acte, 81 Vict, c 43, le gouvernement fédéral avait introduit la règle législative d’exclusion par mariage, mais avait permis aux femmes qui avaient perdu leur statut des suites de l’application de cette règle de continuer à toucher des rentes. Cette disposition était demeurée en vigueur dans l’Acte des Sauvages de 1876, et la pratique administrative consistant à délivrer à ces femmes des cartes d’identité, connues sous le nom de « coupons rouges », était alors apparue.

[461] La Loi sur les Indiens avait été modifiée en 1951, et ces « Indiennes détentrices de coupons rouges » avaient eu l’obligation de commuer leurs rentes et de quitter les réserves. En fin de compte, ces femmes qui avaient perdu leur statut par suite d’un mariage, ainsi que leurs descendants de première génération, avaient récupéré leur statut, en 1985, en application du projet de loi C‐31.

[65] Essentiellement, le Règlement sur les élections prévoit que les femmes qui ont perdu leur statut et leur appartenance à la bande parce qu’elles ont épousé un non‐Indien n’ont pas le droit de voter. Comme l’a fait remarquer le juge Phelan, il s’agit des mêmes femmes, ainsi que leurs descendants, qui sont ensuite devenus les membres visés par le projet de loi C‐31.

[66] L’exception des « Indiennes détentrices de coupons rouges », qui tire son origine de la Loi sur les Indiens et de la politique du gouvernement, constituait sans doute une coutume écrite lorsque la PNWL a adopté le Règlement sur les élections. En outre, la politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31 pourrait découler de l’exception des « Indiennes détentrices de coupons rouges ». Je constate que l’affidavit de l’Aîné Ben Houle porte brièvement sur la situation des femmes [traduction] « ayant épousé un non‐Indien » et ayant reçu une certaine indemnité, et je présume qu’il fait référence à l’exception des « Indiennes détentrices de coupons rouges ». L’examen ne s’écarte pas trop du cadre de ces affirmations, y compris ce que l’on entend par [traduction] « ayant épousé un non‐Indien ».

[67] Cependant, même si ces deux affirmations sont véridiques, cela ne signifie pas que la politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31 est une coutume écrite de la PNWL. Comme je l’ai affirmé ci‐dessus, on peut se demander si l’exception des « Indiennes détentrices de coupons rouges » est une coutume écrite parce qu’il semble que la PNWL a simplement adopté des notions et des termes qui lui ont été imposés par la Loi sur les Indiens. La preuve ne révèle pas si cette disposition reflétait un large consensus au sein de la communauté lorsqu’elle a été adoptée dans les années 1950. Tel que résumé ci‐dessus, les divers affidavits n’apportent pas beaucoup d’éclaircissements à cet égard. À titre d’exemple, l’Aîné Ben Houle affirme également dans son affidavit que la pratique selon laquelle les femmes perdaient leurs droits si elles [traduction] « épousaient un non‐Indien » n’était pas [traduction] « fondée sur l’histoire ni les traditions ou coutumes » de la PNWL.

[68] De plus, il existe une distinction importante entre les « Indiennes détentrices de coupons rouges » et les membres visés par le projet de loi C‐31. Tandis que les « Indiennes détentrices de coupons rouges » ont perdu leur statut de membres en épousant un non‐Indien, les membres visés par le projet de loi C‐31 sont membres à part entière de la PNWL. Je suis d’accord avec Mme McCarthy pour dire que rien dans le Règlement sur les élections (hormis l’exception des « Indiennes détentrices de coupons rouges », laquelle est maintenant désuète) ou dans la Loi sur les Indiens ne restreint les droits démocratiques de certains membres. Par conséquent, je suis convaincu que la politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31 n’est pas une coutume écrite de la PNWL.

[69] De même, je conclus que ladite politique n’est pas une coutume non écrite de la PNWL.

[70] Les affidavits de l’Aîné Ben Houle et de l’Aîné Cardinal font état de coutumes de la PNWL qui remontent à au moins 26 années. L’Aîné Ben Houle déclare que, avant 1985, pour la PNWL, la coutume voulait que la femme perde ses droits si elle épousait un non‐Indien. De même, l’Aîné Cardinal déclare que, en 1996, il était [traduction] « généralement reconnu » que seuls les [traduction] « Indiens visés par l’alinéa 6(1)a) de la Loi sur les Indiens » avaient le droit de voter. J’accorde peu de poids à ces témoignages, étant donné qu’ils portent sur une soi‐disant coutume qui remonte à plusieurs décennies et qui repose sur une règle imposée qui a depuis été jugée inconstitutionnelle (McIvor). À mon avis, la question pertinente consiste à déterminer quelle coutume actuelle de la PNWL concerne les membres visés par le projet de loi C‐31, compte tenu que le droit coutumier peut changer avec le temps (Da’naxda’xw au para 72; Bande indienne de McLeod Lake c Chingee, [1998] ACF no 1185 au para 10 [Chingee]; Francis c Mohawk Council of Kanesatake, 2003 CFPI 115 au para 24 [Francis]).

[71] À cet égard, l’Aîné Ben Houle et l’Aîné Cardinal affirment tous deux que la politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31 s’applique depuis 1985. L’Aîné Ben Houle déclare que, depuis l’entrée en vigueur du projet de loi C‐31, [traduction] « [la] communauté a toujours été d’opinion que [les membres visés par le projet de loi C‐31] n’ont pas le droit de voter ou de participer aux élections », mais il n’explique pas comment il sait cela ni sur quoi repose cette affirmation. Il s’agit du seul élément de preuve présenté par la PNWL qui porte sur l’état actuel de la politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31.

[72] En revanche, Mme McCarthy déclare avoir consulté des membres de la PNWL pour connaître leur opinion au sujet de la politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31. Bien qu’il aurait pu s’avérer utile de produire davantage de témoignages des personnes qu’elle a consultées, il n’y a aucune raison de mettre en doute cette affirmation, compte tenu particulièrement de la participation de Mme McCarthy au sein du groupe de travail de la PNWL. Quoi qu’il en soit, elle affirme que ladite politique ne reflète pas la volonté des membres de la PNWL. Les affidavits de l’Aîné Sparklingeyes, de Charles Brian Favel et d’Ernest Raymond Houle corroborent le témoignage de Mme McCarthy. Toutes ces personnes déclarent ne pas appuyer la politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31.

[73] Après avoir pris en considération les témoignages contradictoires, je conclus que la PNWL n’a pas établi que la politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31 est une coutume appuyée par un large consensus au sein de la communauté. Par conséquent, la décision relative à ladite politique est déraisonnable parce qu’elle n’est pas fondée en droit.

[74] Cela est suffisant pour accueillir la demande de contrôle judiciaire dans le dossier T‐800‐21. Bien que j’aie conclu que la politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31 ne constitue pas une règle de droit, je statuerai néanmoins sur sa constitutionnalité.

[75] En terminant, j’aimerais également examiner la preuve présentée par la PNWL relativement à la supervision et à l’intervention des représentants d’AANC lors des élections de la PNWL à partir des années 1900 jusque dans les années 2000. À mon avis, leur participation n’a aucune incidence sur la question de savoir si la politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31 est enracinée dans la coutume. De plus, cela ne permet pas de légitimer ou de justifier les actes discriminatoires commis par la PNWL.

[76] Les questions entourant la politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31 et la décision y afférente constituent, malheureusement, un autre exemple des répercussions néfastes des lois et politiques issues du colonialisme que le gouvernement fédéral a imposées aux peuples autochtones. L’adoption par la PNWL de ces concepts coloniaux creuse davantage le fossé entre ses membres.

2) L’interdiction de l’union de fait

a) Les positions des parties

[77] Bien que ni Mme Jackson‐Littlewolfe ni la PNWL ne discutent directement cette question, je suis d’avis qu’il est nécessaire de déterminer si l’interdiction de l’union de fait, telle qu’énoncée à l’alinéa 1c) du Règlement sur les élections, est une coutume qui a été adoptée ou reconnue par un large consensus au sein de la PNWL. Bref, selon les observations de Mme Jackson‐Littlewolfe et les affidavits y afférents, l’interdiction de l’union de fait ne reflète pas correctement les pratiques traditionnelles ou les coutumes de la PNWL puisqu’elle a été adoptée sans la contribution ou la participation de ses membres. Pour sa part, la PNWL soutient que l’alinéa 1c) du Règlement sur les élections est suffisamment éloquent.

b) Conclusion

[78] À mon avis, l’interdiction de l’union de fait est illégale parce qu’elle ne fait pas partie des coutumes de la PNWL. La preuve dont dispose notre Cour démontre uniquement que l’exigence d’être marié afin d’occuper un poste de direction au sein de la PNWL a été consacrée par le Règlement sur les élections au milieu des années 1950. Il n’existe aucune preuve d’un large consensus au sein de la communauté, que ce soit actuellement ou antérieurement.

[79] À première vue, l’existence de l’alinéa 1c) du Règlement sur les élections porte à croire que les membres de la PNWL considèrent que cette disposition reflète un large consensus au sein de la PNWL. Cependant, la preuve es ten sens contraire. De plus, comme l’a noté Mme Jackson‐Littlewolfe, de nombreux membres de la PNWL ne disposent pas des ressources financières nécessaires pour contester la validité de l’interdiction de l’union de fait.

[80] Il incombe à la PNWL d’établir que l’interdiction de l’union de fait est l’une de ses coutumes. À ce chapitre, la PNWL a présenté un affidavit contenant les récits oraux de l’Aîné Jackson tels que relatés par l’Aîné Ben Houle. Rien dans cet affidavit ne permet de conclure que l’interdiction de l’union de fait est une coutume actuelle qui reflète un large consensus au sein de la PNWL. Dans son affidavit, il raconte l’évolution historique de l’interdiction de l’union de fait et il fait valoir que, du vivant de l’Aîné Jackson, [traduction] « personne n’a vraiment remis en question » la « coutume ».

[81] L’Aîné Ben Houle déclare que l’Aîné Jackson lui a dit que le chef actuel et les membres de la PNWL, particulièrement les Aînés, sont satisfaits de l’interdiction de l’union de fait. Il n’explique pas sur quoi est fondée l’affirmation de l’Aîné Jackson. De même, l’Aîné Ben Houle déclare qu’un sondage effectué auprès des Aînés il y a six ou sept ans a révélé que la plupart, voire la totalité, des Aînés étaient en faveur du Règlement sur les élections actuel. En toute déférence envers les Aînés et les dirigeants de la PNWL, la question n’est pas de savoir si eux seuls reconnaissent une soi‐disant coutume. Comme je l’ai mentionné ci‐dessus, la question à trancher est plutôt celle de savoir s’il y a une preuve de l’existence d’un consensus général parmi les membres de la PNWL. Je note au passage que la PNWL n’a pas fait valoir qu’il s’agit d’une coutume que ses Aînés ou ses dirigeants déterminent les lois autochtones qui s’appliquent à elle sans faire appel aux autres membres de la collectivité. Je constate également qu’aucun élément de preuve n’a trait au sondage et aux questions posées. Enfin, je constate par ailleurs que, selon le témoignage de Mme Jackson‐Littlewolfe, les Aînés de la PNSL n’ont pas approuvé l’interdiction de l’union de fait puisque cette disposition était absente du nouveau code électoral qui était envisagé.

[82] Par ailleurs, l’ancien chef et conseiller de la PNWL Ernest Houle déclare qu’il a eu des [traduction] « conversations poussées » avec des membres de la bande et qu’il croit que la majorité des membres s’opposent à l’interdiction de l’union de fait. Bien que cette affirmation ne soit pas corroborée par d’autres affidavits des personnes avec lesquelles il a eu ces conversations, cela démontre néanmoins que d’autres membres ont une opinion contraire à celle de l’Aîné Ben Houle. D’ailleurs, il resort du dossier que Mme Jackson‐Littlewolfe, Ernest Houle et l’Aîné Sparklingeyes sont tous en désaccord avec l’interdiction de l’union de fait. Comme je l’explique ci‐dessous, j’abonde dans le sens de Mme Jackson‐Littlewolfe et constate que le témoignage de l’ancien chef et conseiller de la PNWL Ernest Houle est corroboré par le fait que plus de la moitié des membres de la PNWL vivent dans des relations conjugales qui constituent des unions de fait. Je note aussi qu’Ernest Houle a affirmé que l’interdiction de l’union de fait a été appliquée de façon arbitraire et incohérente, tel qu’il ressort des deux exemples.

[83] Pour ces motifs, je préfère le témoignage de Mme Jackson‐Littlewolfe, aussi limité soit‐il. À mon avis, la PNWL n’a pas établi que l’interdiction de l’union de fait est l’une de ses coutumes. Par conséquent, je conclus que la décision relative à l’interdiction de l’union de fait est déraisonnable, car elle n’est pas fondée en droit. Je tire cette conclusion malgré les termes explicites de l’alinéa 1c) du Règlement sur les élections.

[84] Cela suffit pour accueillir la demande de contrôle judiciaire dans le dossier T‐808‐21. Ayant conclu que l’interdiction de l’union de fait n’est pas une règle de droit, je me pencherai néanmoins sur sa constitutionnalité.

B. Le comité a‐t‐il fait abstraction des droits garantis par la Charte aux demanderesses?

a) Le droit

[85] Habituellement, lorsque la décision administrative soulève la question des droits que tire l’intéressé de la Charte, la cour de contrôle apprécie le caractère raisonnable de cette décision en appliquant le cadre d’analyse consacré par les arrêts Doré/Loyola (TWU 2018, au para 57). Selon ce cadre d’analyse, la cour de contrôle doit répondre à deux questions. Tout d’abord, la décision administrative fait‐elle jouer la Charte en restreignant les protections que confère cette dernière (TWU 2018, au para 58; Loyola, au para 39)? Dans l’affirmative, la décision administrative est‐elle le fruit d’une mise en balance proportionnée des droits en cause protégés par la Charte compte tenu de la nature de la décision ainsi que des contextes légal et factuel (TWU 2018, au para 58; Loyola, au para 39; Doré, au para 57)?

[86] Il incombe d’abord au demandeur de démontrer que la décision administrative fait jouer l’article 15 de la Charte au motif qu’il y a restriction des droits qu’il en tire. Il incombe ensuite au défendeur d’établir que [traduction] « la restriction a été imposée en vue d’atteindre ses objectifs législatifs » et que les droits à l’égalité du demandeur n’étaient [traduction] « pas restreints plus qu’il n’est raisonnablement nécessaire compte tenu de ces objectifs législatifs » (Bio‐Ethical Reform, au para 15).

b) Les positions des parties

[87] Mme Jackson‐Littlewolfe soutient que la décision de l’exclure des candidats ne respecte pas le cadre d’analyse des arrêts Doré/Layola puisque le comité n’a pas mis en balance les droits qu’elle tire de la Charte par rapport aux intérêts divergents du gouvernement ou à d’autres droits consacrés par la Charte. Elle affirme que cela rend la décision relative à l’interdiction de l’union de fait incorrecte et/ou déraisonnable. De plus, Mme Jackson‐Littlewolfe soutient que même si le comité avait pris en considération les droits qu’elle tire de la Charte au regard de ses propres intérêts, la décision n’est pas proportionnée. En effet, l’imposition d’une certaine conception religieuse de la moralité aux personnes qui briguent un poste ne saurait constituer un objectif gouvernemental valable (R c Big M Drug Mart Ltd, [1985] 1 RCS 295, à la p 351 [Big M]).

[88] La PNWL soutient que la décision relative à l’interdiction de l’union de fait est correcte et/ou raisonnable puisque le comité ne jouissait d’aucune latitude pour rendre sa décision. Elle affirme que l’alinéa 1c) du Règlement sur les élections est absolu et que le comité était lié par les « contraintes juridiques » du régime législatif (Vavilov, aux para 99 et 101). Il n’était pas loisible au comité de se pencher sur les droits que tire de la Charte Mme Jackson‐Littlewolfe étant donné le caractère non équivoque du Règlement sur les élections (Vavilov, au para 120).

[89] Il est révélateur que la PNWL n’a relevé aucun « objectif législatif » pouvant justifier cette restriction.

c) Conclusion

[90] D’entrée de jeu, je dois faire quelques observations sur la norme de contrôle. Le cadre d’analyse consacré par les arrêts Doré et Loyola est fondé, du moins en partie, sur la reconnaissance du fait que « le décideur administratif qui exerce un pouvoir discrétionnaire en vertu de sa loi constitutive apporte généralement une expertise au processus de mise en balance de la protection conférée par la [Charte] et des objectifs en cause prévus par la loi » (TWU 2018, au para 79). Je reconnais que les comités d’appel des élections des Premières Nations sont souvent composés de membres de la collectivité, y compris d’Aînés. Il se peut que ces comités n’aient pas une formation juridique canadienne officielle ou la même « expertise » que les autres décideurs administratifs en ce qui concerne la Charte ou la mise en balance requise par le cadre d’analyse consacré par les arrêts Doré et Loyola. Toutefois, notre Cour a reconnu à plusieurs reprises que les décideurs autochtones sont les mieux placés pour interpréter et appliquer les lois autochtones (Pastion, aux para 21‐23; Linklater c Première Nation Thunderchild, 2020 CF 1065 au para 51 [Linklater]). Ils sont certainement les mieux placés pour connaître les « objectifs en cause prévus par la loi » (TWU 2018, au para 79). Par conséquent, les cours de révision ne doivent pas imposer aux décideurs autochtones une norme de perfection lorsqu’elles effectuent un contrôle selon le cadre consacré par les arrêts Doré et Loyola (Vavilov, au para 91).

[91] En l’espèce, cependant, rien n’indique que le comité ait tenu compte des droits que tire Mme Jackson‐Littlewolfe de la Charte ou qu’il ait tenté de mettre en balance la restriction de ces droits et un objectif gouvernemental ou un objectif prévu par la loi. Par conséquent, comme la Cour d’appel de l’Ontario, je conclus que cette question appelle un contrôle selon la norme de la décision correcte (Ferrier, au para 35). La déférence dont notre Cour doit faire preuve à l’égard de la décision du comité est restreinte.

[92] Comme je l’ai mentionné ci‐dessus, la PNWL soutient que la décision relative à l’interdiction de l’union de fait était correcte et/ou raisonnable puisque l’alinéa 1c) du Règlement sur les élections est non équivoque et que, par conséquent, il n’était pas loisible au comité d’ignorer ce texte explicite et d’examiner les droits que tire de la Charte Mme Jackson‐Littlewolfe. À mon humble avis, l’observation de la PNWL est sans fondement. À la lumière de cette observation, je ne peux que supposer que la PNWL reconnaît que la décision relative à l’interdiction de l’union de fait a une incidence sur les droits que tire de l’article 15 Mme Jackson‐Littlewolfe. Par conséquent, la première étape du cadre consacré par les arrêts Doré et Loyola est franchie.

[93] L’argument de la PNWL découle logiquement de sa position selon laquelle la PNWL n’est pas assujettie à la Charte. Toutefois, pour les motifs exposés ci‐dessous aux paragraphes 114 à 132 du présent jugement, je rejette la these portant que la Charte ne s’applique pas aux élections de la PNWL. La Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale ont confirmé que la Charte s’applique aux lois électorales coutumières des Premières Nations (Taypotat c Taypotat, 2013 CAF 192 [Taypotat]; Linklater, au para 33). Tant qu’il en est ainsi, les Premières Nations, les conseils de bande et les organismes auxquels ils ont délégué leur pouvoir sont liés par la doctrine des arrêts Doré et Loyola (TWU 2018, au para 59). La PNWL n’a présenté aucune observation pour me convaincre de m’écarter de cette jurisprudence qui me lie.

[94] À mon avis, la jurisprudence de la Cour suprême du Canada n’enseigne pas que les « contraintes juridiques » d’une loi habilitante donnent le droit à un organisme administratif de se soustraire de l’application de la Charte, comme le soutient la défenderesse. Au contraire, la Constitution canadienne est certainement une « contrainte juridique » fondamentale. Comme le note la Cour suprême du Canada dans l’arrêt TWU 2018 :

[57] [...] Le pouvoir délégué doit être exercé « à l’aune des garanties constitutionnelles et des valeurs que comportent celles‐ci » (Doré, par. 35). [...] Le cadre d’analyse établi dans les arrêts Doré et Loyola vise à faire en sorte que les protections conférées par la Charte soient respectées le plus possible compte tenu des objectifs visés par la loi dans un contexte administratif particulier. De cette manière, les droits garantis par la Charte ne sont pas moins vigoureusement protégés dans un cadre d’analyse de droit administratif.

[...]

[59] [...] Étant donné que les protections conférées par la Charte sont mises en cause, la cour de révision doit être convaincue que la décision est le fruit d’une mise en balance proportionnée des protections en cause conférées par la Charte et du mandat pertinent prévu par la loi.

[Non souligné dans l’original.]

[95] Ce texte n’est pas de nature facultative. J’abonde dans le sens de Mme Jackson‐Littlewolfe et conclus que, lorsque les droits que tire l’intéressé de la Charte sont mis en cause, un organisme administratif doit tenir compte de ces droits et tenter d’établir une mise en balance proportionnée des restrictions de ces droits et de l’objectif en cause prévu par la loi. La deuxième étape du cadre d’analyse consacré par les arrêts Doré et Loyola n’est pas franchie parce que le comité n'a pas fait cette mise en balance. Cette erreur fatale est une autre raison pour laquelle notre Cour doit annuler la décision relative à l’interdiction de l’union de fait.

C. La défenderesse peut-elle invoquer utilement l’article 25 de la Charte?

a) Le droit

[96] Les parties font remarquer à juste titre que les tribunaux se sont peu penchés sur la portée de l’article 25 de la Charte.

[97] Dans l’arrêt Corbiere c Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 RCS 203 [Corbiere], la juge L’Heureux‐Dubé, qui s’exprimait au nom de la minorité, a conclu ce qui suit : « L’article 25 de la Charte s’applique lorsque des droits ancestraux ou issus de traités garantis par l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 sont en litige, ou quand la réparation demandée dans le cadre d’une contestation fondée sur la Charte pourrait porter atteinte à d’«autres» droits ou libertés des peuples autochtones du Canada. Ce passage montre que les droits visés à l’art. 25 sont plus étendus que ceux visés à l’art. 35, et qu’il peut s’agir de droits d’origine législative » (au para 52, non souligné dans l’original).

[98] L’affaire Corbiere portait sur une contestation fondée sur l’article 15 du paragraphe 77(1) de la Loi sur les Indiens qui exigeait qu’un membre d’une bande « réside ordinairement » sur la réserve pour avoir qualité pour voter. La bande indienne de Batchewana n’a commencé à appliquer le paragraphe 77(1) que dans les années 1970. Lorsque le législateur fédéral a adopté le projet de loi C‐31, le nombre de membres de la bande vivant hors réserve a considérablement augmenté. Les juges majoritaires de la Cour suprême n’ont pas examiné la question de l’application de l’article 25 de la Charte, sauf pour mentionner qu’ils abondaient dans le sens des juges minoritaires sur ceci : l’intervenant n’avait pas démontré que l’article 25 s’appliquait (au para 20). Les juges minoritaires ont conclu que l’article 25 ne s’appliquait pas parce que l’intervenant n’avait pas démontré que le projet de loi C‐31 était contraire à des droits ancestraux ou issus de traités (aux para 51‐52). Ils ont rejeté l’argument de l’intervenant selon lequel le paragraphe 77(1) de la Loi sur les Indiens était un droit d’origine législative qui protégeait le droit des groupes autochtones à l’autonomie gouvernementale (au para 52).

[99] L’analyse la plus approfondie de l’article 25 faite par la Cour suprême se trouve dans l’arrêt R c Kapp, 2008 CSC 41 [Kapp]. Dans l’affaire Kapp, des pêcheurs commerciaux non autochtones ont contesté, sur le fondement de l’article 15, la constitutionnalité d’un programme gouvernemental qui accordait aux pêcheurs autochtones le droit exclusif de pêcher le saumon pendant 24 heures. Ce programme était un droit d’origine législative visant la reconnaissance des droits de pêche autochtones.

[100] Les juges majoritaires de la Cour suprême ont noté par une observation incidente que l’expression « autres “droits ou libertés” » peut inclure des droits émanant de la Proclamation royale de 1763 (R.‐U.), LRC 1985, App II, no 1 ou d’accords sur les revendications territoriales, mais que les droits protégés par l’article 25 doivent probablement être de « nature constitutionnelle » (Kapp, au para 63). Par conséquent, les juges majoritaires craignaient qu’un droit d’origine législative ne bénéficie pas de la protection de l’article 25. Les juges majoritaires ont également douté que l’article 25 sert de bouclier contre les demandes fondées sur la Charte ou s’il n’est simplement qu’une « disposition servant à interpréter des droits » (aux para 64‐65). Les juges majoritaires ont finalement refusé de répondre à cette question en concluant que le paragraphe 15(2) de la Charte réglait la question (au para 61).

[101] En revanche, le juge Bastarache a analysé l’article 25 dans ses motifs concordants. Il a conclu que l’article 25 n’est pas un canon d’interprétation, mais un bouclier, et qu’à son avis, l’article 25 empêchait les appelants de faire valoir un moyen fondé sur l’article 15 (aux para 76‐77). Il a également conclu que l’article 25 ne protège pas uniquement les droits qui sont de « nature constitutionnelle » (au para 102). À son avis, l’article 25 protège les droits qui sont propres aux peuples autochtones en raison de leur statut spécial, y compris « les droits d’origine législative qui visent à protéger les intérêts relatiliés à la culture, au territoire, à l’autonomie gouvernementale », « à la souveraineté autochtones » et « au processus des traités » (aux para 103, 105, non souligné dans l’original). Il a expliqué que l’article 25 joue lorsque « les protections établies dans la [Charte] à l’endroit des individus diminuerai[en]t l’identité distinctive, collective et culturelle d’un groupe autochtone » (au para 89, non souligné dans l’original). Il a toutefois fait remarquer que ce bouclier n’est pas absolu. La portée de l’article 25 est plutôt restreinte par l’article 28 de la Charte (au para 97). Je reviendrai sur ce point.

[102] La Cour d’appel du Yukon a récemment suivi l’interprétation du juge Bastarache selon laquelle l’article 25 est plutôt un [traduction] « bouclier » qu’une [traduction] « lentille » ou [traduction] un « outil d’interprétation » (Dickson v Vuntut Gwitchin First Nation, 2021 YKCA 5 au para 143, autorisation de pourvoi devant la CSC accordée, 39856 (28 avril 2022) [Dickson CA]). Cette interprétation a ensuite été par l’arrêt R c Desautel, 2021 CSC 17 (au para 39). En cas de conflit, l’article 25 accorde la préséance aux droits collectifs — ancestraux, issus de traités et « autres » droits — sur les droits personnels garantis par la Charte (Dickson CA, aux para 143‐44; MacNutt c Bande indienne de Shubenacadie, 1995 CanLII 1164 (TCDP) au para 43 (CAF)). De plus, la Cour d’appel a conclu que la mise en balance des considérations relatives à l’article premier n’est pas appropriée au titre de l’article 25 (au para 146).

[103] L’affaire Dickson CA et la présente affaire soulèvent des questions de nature similaire. En 1993, la Vuntut Gwitchin First Nation [VGFN] a signé un accord sur les revendications territoriales et une entente sur l’autonomie gouvernementale avec le Canada et le Yukon. La Cour d’appel a fait remarquer que, bien que l’accord sur les revendications territoriales constitue un traité aux termes de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, l’entente sur l’autonomie gouvernementale ne l’est pas. Conformément à cet accord et cette entente, la VGFN a adopté une constitution [la constitution de la VGFN] qui prévoit une condition de résidence selon laquelle tous les membres du conseil de la VGFN doivent résider à Old Crow — le siège de son gouvernement — dans les 14 jours suivant leur élection. La constitution de la VGFN a également confirmé que certains droits, qui sont similaires à ceux de la Charte, seraient respectés. Incidemment, la constitution de la Première Nation dans l’affaire Linklater contenait également des dispositions semblables.

[104] L’appelante dans l’affaire Dickson CA était membre de la VGFN qui résidait à Whitehorse. La condition de résidence empêchait l’appelante de présenter sa candidature au poste de conseillère. Invoquant l’arrêt Corbiere, l’appelante a intenté une action en jugement déclaratoire selon laquelle cette condition était incompatible avec le paragraphe 15(1) de la Charte, ne pouvait être justifiée au regard de l’article premier et était donc inopérante. La VGFN a invoqué de nombreux moyens de défense, notamment que la Charte ne s’applique pas à elle ni à la constitution de la VGFN et, dans le cas d’une atteinte au droit garanti par le paragraphe 15(1), l’article 25 de la Charte met l’atteinte à l’abri d’une contestation (au para 5).

[105] Le juge siégeant en son cabinet a conclu que la Charte s’applique à la VGFN et à la constitution de la VGFN. Il a conclu que la condition de résidence, sans le délai de 14 jours, ne portait pas atteinte aux droits garantis à l’appelante par le paragraphe 15(1) et, subsidiairement, que même s’il y avait une atteinte, l’article 25 de la Charte s’appliquerait alors de façon à mettre la condition de résidence « à l’abri » d’une conclusion de violation de ce droit. En même temps, il a conclu que le délai de 14 jours portait atteinte aux droits à l’égalité de l’appelante et que l’atteinte n’était pas justifiée au regard de l’article premier. Il a déclaré que le délai était invalide et inopérant et a suspendu la déclaration d’invalidité pendant une période de 18 mois pour permettre à la VGFN de réviser la condition de résidence.

[106] La Cour d’appel a conclu :

  1. La Charte s’applique à la condition de résidence. Le juge siégeant en son cabinet n’a pas commis d’erreur en concluant que la condition de résidence est une « loi » au sens de l’article 32 de la Charte, de sorte que la Charte s’applique à la condition de résidence (aux para 83‐99);

  2. Contrairement aux conclusions du juge siégeant en son cabinet, la condition de résidence portait atteinte aux droits à l’égalité de l’appelante en application du paragraphe 15(1) de la Charte et n’était pas justifiée au regard de l’article premier (aux para 100‐117);

  3. Le juge siégeant en son cabinet n’a pas commis d’erreur en concluant que l’article 25 de la Charte « protégeait » le droit de la VGFN d’adopter la condition de résidence. La preuve a établi que le mode traditionnel utilisé par la VGFN pour choisir ses dirigeants constituait une partie distinctive et importante de sa culture et un droit qui « concerne » les peuples autochtones du Canada. Dans les circonstances, l’application du paragraphe 15(1) porterait atteinte au droit de la VGFN de se gouverner elle‐même conformément à ses propres valeurs et traditions (aux para 143‐49);

  4. Le juge siégeant en son cabinet a commis une erreur en ne concluant pas que le délai de 14 jours était également protégé par l’article 25 (aux para 154‐58).

[107] La Cour d’appel a également reconnu qu’il faut déterminer au [traduction] « cas par cas » l’approche analytique à adopter pour les affaires dans lesquelles est invoqué l’article 25 (au para 151). Dans l’arrêt Kapp, le juge Bastarache a défini une analyse en trois étapes pour l’application de l’article 25 : 1) déterminer s’il y a atteinte à la Charte à première vue; 2) évaluer le « droit autochtone » afin de déterminer s’il relève de l’article 25; 3) déterminer s’il existe un véritable conflit entre le droit garanti par la Charte et le « droit autochtone » (au para 111). Dans certains cas, il est inutile de procéder à une analyse complète fondée sur l’article 15 (Dickson CA, au para 151).

[108] Comme nous l’avons vu dans la section Contexte des présents motifs, le régime législatif de la PNWL n’est pas complexe, contrairement au régime législatif examiné dans l’arrêt Dickson CA.

1) Les décisions de la PNWL relative aux processus de sélection des dirigeants sont elles à l’abri d’un examen fondé sur la Charte?

a) Les positions des parties

[109] La PNWL soutient que, comme la VGFN dans l’arrêt Dickson CA, la PNWL a un droit inhérent à l’autonomie gouvernementale qui ne relève pas de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et qui la soustrait entièrement de l’application de la Charte. La PNWL soutient qu’elle était un groupe titulaire de droits avant la signature du Traité no 6 et qu’elle a promulgué des coutumes relatives à la gouvernance pour assurer sa survie culturelle.

[110] La PNWL affirme que l’expression « autres » droits à l’article 25 protège les droits inhérents et que le droit à l’autonomie gouvernementale est inhérent (Gamblin c Conseil de la Nation des Cris de Norway House, 2012 CF 1536 au para 34 [Gamblin]; Whalen I, au para 32). La PNWL soutient que son droit inhérent de se gouverner selon la coutume ne découle pas d’un pouvoir législatif ou d’un pouvoir délégué du gouvernement fédéral.

[111] La PNWL soutient que notre Cour doit interpréter l’article 25 à la lumière de l’interprétation faite par la Cour suprême du Canada de l’article 29 de la Charte. L’article 29, qui est semblable à l’article 25, se lit comme suit : « Les dispositions de la présente charte ne portent pas atteinte aux droits ou privilèges garantis en vertu de la Constitution du Canada concernant les écoles séparées et autres écoles confessionnelles ». La PNWL affirme que la Cour suprême enseigne que l’article 29 a pour effet de protéger certains droits et privilèges d’un examen fondé sur la Charte (Renvoi relatif au projet de Loi 30, An Act to Amend the Education Act (Ont.), [1987] 1 RCS 1148; Adler c Ontario, [1996] 3 RCS 609. La PNWL soutient qu’un Autochtone ne peut pas invoquer la Charte contre sa propre Première Nation. Autrement, il y aurait abrogation de son droit inhérent à l’autonomie gouvernementale ou dérogation à ce droit, contrairement au libellé explicite de l’article 25.

[112] La PNWL reconnaît que les droits ancestraux ne peuvent porter atteinte aux droits à l’égalité fondés sur le sexe en application du paragraphe 35(4) de la Loi constitutionnelle de 1982 et de l’article 28 de la Charte. Cependant, la PNWL soutient que ces limites ne s’appliquent pas à elle parce que son droit inhérent à l’autonomie gouvernementale est antérieur à la Charte et n’a jamais été éteint. De plus, la PNWL est d’avis que les coutumes qui font l’objet d’un large consensus par les membres de la collectivité doivent être protégées même si elles portent atteinte aux droits d’une personne garantis par la Charte.

[113] Mme Jackson‐Littlewolfe soutient que la Charte s’applique à la PNWL parce qu’en tant que gouvernement des Premières Nations, la PNWL exerce des pouvoirs qui relèvent de la compétence du législateur federal (Loi constitutionnelle de 1867 (R.‐U.), 30 et 31 Vict., c 3, art 91(24), réimprimé dans LRC 1985, annexe II, no 5 [Loi constitutionnelle de 1867]). Par conséquent, la PNWL est assujettie à la Charte en application de l’article 32 (Godbout c Longueuil (Ville), [1997] 3 RCS 844 au para 48; Dickson CA, aux para 83‐99).

[114] Mme McCarthy soutient que l’article 25 n’a pas comme objectif de soustraire les Premières Nations à l’application de la Charte de sorte que les Canadiens autochtones ne puissent pas présenter de demandes fondées sur la Charte contre leur propre Première Nation (Kapp, au para 99, le juge Bastarache, dissident). Elle note que la Cour a toujours appliqué la Charte dans les affaires portant sur les élections des Premières Nations (Cardinal c Première Nation des Cris de Bigstone, 2018 CF 822 [Cardinal]; Clifton c Hartley Bay (Président d’élection), 2005 CF 1030 [Clifton]; Thompson c Première Nation Leq’á:mel, 2007 CF 707; Joseph c Première nation Dzawada’enuxw (Tsawataineuk), 2013 CF 974).

b) Conclusion

[115] J’abonde dans le sens des demanderesses : la Charte s’applique aux processus de sélection des dirigeants de la PNWL en vertu du paragraphe 32(1) de la Charte. Dans l’arrêt Eldridge c Colombie‐Britannique (Procureur général), [1997] 3 RCS 624 [Eldridge], la Cour suprême du Canada a conclu que le paragraphe 32(1) s’applique dans l’une des deux circonstances suivantes :

[44] [...] Premièrement, il peut être décidé que l’entité elle‐même fait partie du «gouvernement» au sens de l’art. 32. Une telle conclusion requiert l’examen de la question de savoir si l’entité dont les actes ont suscité l’allégation d’atteinte à la Charte peut ‐‐ soit de par sa nature même, soit à cause du degré de contrôle exercé par le gouvernement sur elle ‐‐ être à juste titre considérée comme faisant partie du «gouvernement» au sens du par. 32(1). En pareil cas, toutes les activités de l’entité sont assujetties à la Charte, indépendamment du fait que l’activité en cause pourrait à juste titre être qualifiée de «privée» si elle était exercée par un acteur non gouvernemental. Deuxièmement, une activité particulière d’une entité peut être sujette à révision en vertu de la Charte si cette activité peut être attribuée au gouvernement.

[Non souligné dans l’original.]

[116] À mon avis, le paragraphe 32(1) s’applique aux processus de sélection des dirigeants de la PNWL parce que la PNWL est un gouvernement ou qu’elle exerce les fonctions d’un gouvernement. Comme l’a fait la Cour dans l’arrêt Dickson CA et comme je l’ai expliqué ci‐dessous, je m’abstiens de déterminer la source de l’autonomie gouvernementale de la PNWL en tirant cette conclusion. Au contraire, dans ce qui suit, j’en arrive à cette conclusion, peu importe si le pouvoir de la PNWL de se gouverner découle d’un droit inhérent ou d’une loi fédérale.

(i) Le paragraphe 32(1) de la Charte s’applique aux nations autochtones qui exercent des droits inhérents à l’autonomie gouvernementale.

[117] Du point de vue des Premières Nations, le droit à l’autonomie gouvernementale n’est pas accordé par la Couronne et ne peut être retiré (Kent McNeil, « The Jurisdiction of Inherent Right Aboriginal Governance », Centre national pour la gouvernance des Premières Nations, 2007, aux p 1‐3). Il s’agit plutôt d’un droit inhérent constitué de pouvoirs conférés par le Créateur que les nations autochtones ont toujours possédés (Gordon Christie, « Obligations, Decolonization and Indigenous Rights to Governance », Canadian Journal of Law & Jurisprudence, vol 27, aux p 259‐278; Canada, Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones, vol 2, Une relation à redéfinir (Ottawa : ministre des Approvisionnements et Services du Canada, 1996) à la p 109).

[118] D’un point de vue juridique canadien, le droit inhérent des peuples autochtones à l’autonomie gouvernementale découle de leur statut spécial (Kapp, au para 103, juge Bastarache, dissident). Comme je l’ai récemment indiqué dans la décision Labelle c Première Nation Chiniki, 2022 CF 456 [Chiniki] :

[traduction]

[10] La compétence inhérente des Premières Nations est indépendante du cadre constitutionnel du Canada, bien qu’elle ait la même origine que l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982[...] C’est‐à‐dire qu’elle découle « du fait que, avant l’arrivée des Européens en Amérique du Nord, les peuples autochtones vivaient en sociétés distinctives, possédant leurs propres coutumes, pratiques et traditions » (R c Van der Peet, [1996] 2 RCS 507 au para 44).

[119] À mon avis, il ne fait aucun doute que le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale concerne la protection des intérêts relatifs à la « culture, au territoire, à l’autonomie gouvernementale, à la souveraineté autochtones » et « au processus des traités » (Kapp, aux para 103, 105, le juge Bastarache, dissident).

[120] Quoi qu’il en soit, à mon humble avis, j’estime que l’arrêt Dickson CA est plus instructif que l’arrêt Kapp parce qu’il porte sur un argument relatif aux droits inhérents plutôt que sur un droit d’origine législative. Cela dit, les facteurs qui distinguent clairement l’affaire Dickson CA de la présente affaire sont que, dans l’affaire Dickson CA, la VGFN avait un accord de règlement qui reconnaissait son droit à l’autonomie gouvernementale et qui avait force de loi en vertu de lois fédérales et territoriales. La VGFN avait également une constitution exhaustive. Dans l’arrêt Dickson CA, la Cour d’appel a refusé de déterminer la [traduction] « source » de l’autonomie gouvernementale de la Première Nation. La Cour d’appel a plutôt conclu que, quelle que soit la [traduction] « source » de la compétence de la VGFN, l’article 25 protégeait la condition de résidence. J’en comprends donc que, même si la VGFN n’avait pas négocié avec succès un accord de règlement, dans les circonstances en l’espèce, l’article 25 mettrait la condition de résidence à l’abri d’une conclusion de violation de ce droit.

[121] Devant le juge siégeant en son cabinet, la VGFN, citant l’arrêt Corbiere, a concédé que, si elle était une [traduction] « bande » au sens de la Loi sur les Indiens qui se gouvernait selon la coutume, elle serait assujettie à la Charte (Dickson CA, au para 90). Cependant, la VGFN a soutenu qu’elle était différente d’une bande au sens de la Loi sur les Indiens parce qu’elle [traduction] « n’appliquait pas les coutumes autorisées par la Loi sur les Indiens ou toute autre loi fédérale, mais plutôt ses droits et pratiques inhérents et historiques, qui sont maintenant reconnus dans l’entente définitive et l’entente sur l’autonomie gouvernementale (et non accordés par les ententes) » (Dickson CA, au para 90, non souligné dans l’original). Par conséquent, la VGFN a fait valoir que la Charte ne s’appliquait pas à elle ni à sa constitution.

[122] S’appuyant sur la jurisprudence de la Cour, la PNWL avance essentiellement le même argument, soit que la Loi sur les Indiens ne confère pas à la PNWL le pouvoir de se gouverner selon la coutume. Elle reconnaît plutôt le droit inhérent de la PNWL de se gouverner selon la coutume. Par conséquent, la PNWL soutient qu’elle n’est pas assujettie à Charte.

[123] J’abonde dans le sens de la PNWL : notre Cour a reconnu que la Loi sur les Indiens ne confère pas aux Premières Nations le droit d’adopter le droit coutumier autochtone. Comme je l’ai dit dans la décision Chiniki :

[traduction]

[11] La Cour a déjà conclu que « [l]e droit coutumier des bandes est considéré comme une loi fédérale dont l’application est assujettie au pouvoir de surveillance de la Cour fédérale » (Shotclose c Première Nation Stoney, 2011 CF 750 au para 68 [Shotclose]). Bien que cela soit vrai, à mon avis, l’article 2 de la Loi sur les Indiens reconnaît la compétence inhérente des Premières Nations en matière d’autonomie gouvernementale, qui découle de leurs ordres juridiques et modèles de gouvernance traditionnels. Autrement dit, bien que l’article 2 de la Loi sur les Indiens impose un modèle de gouvernance fondé sur les élections aux Premières Nations, il n’accorde pas aux Premières Nations le droit de tenir des élections selon leur coutume (Pastion c Première nation Dene Tha’, 2018 CF 648 au para 7 [Pastion]. Comme l’a récemment expliqué le juge Grammond dans la décision Bertrand c Première Nation Acho Dene Koe, 2021 CF 287 [Bertrand] :

[36] La Loi sur les Indiens précise que le conseil d’une Première Nation est « choisi selon la coutume de [la bande] » à moins que le régime électoral prévu aux articles 74 à 80 ne soit expressément applicable à cette Première Nation. Ce faisant, le législateur a renvoyé à un ensemble de normes qui trouvent leur source et leur légitimité en dehors du système juridique canadien et que l’on peut qualifier de droit autochtone : Gamblin c Conseil de bande de la nation crie de Norway House, 2012 CF 1536, au paragraphe 34; Pastion c Première Nation Dene Tha’, 2018 CF 648 au paragraphe 7, [2018] 4 RCF 467 [Pastion]. Dans Bone c Sioux Valley Indian Band No 290, [1996] ACF no 150 (CF 1re inst) au paragraphe 33 [Bone], le juge Heald a déclaré que la Loi sur les Indiens :

[...] n’accorde pas à une bande le pouvoir de créer une coutume pour sélectionner ses conseillers. [Elle] reconnaît plutôt qu’une bande indienne possède des coutumes qui remontent à des décennies, sinon des siècles, et qui peuvent porter sur le choix de son chef et de ses conseillers.

[124] De même, dans la décision Gamblin, le juge Mandamin a affirmé ce qui suit :

[34] Le conseil de la [Norway House Cree Nation [NHCN] est un conseil coutumier de Première Nation. La capacité de la NCNH de légiférer en matière de leadership et de gouvernance ne provient pas de la Loi sur les Indiens ou d’un autre pouvoir législatif. Elle est plutôt le fruit de l’exercice du droit ancestral de cette Première Nation de faire ses propres lois en matière de gouvernance. [...] On peut en conclure que la compétence du conseil de la NCNH de s’occuper de la gouvernance des affaires de la NCNH ne provient pas nécessairement d’une source législative comme Loi sur les Indiens.

[125] À la lumière de cette jurisprudence, je reconnais que la PNWL a un droit inhérent à l’autonomie gouvernementale en ce qui concerne la sélection de ses dirigeants. Par conséquent, je conclus que l’article 25 de la Charte s’applique au droit inhérent à l’autonomie gouvernementale de la PNWL, même en l’absence d’un accord de règlement ou d’une constitution détaillée comme dans l’affaire Dickson CA. À mon avis, l’arrêt Dickson CA discute directement l’argument de la PNWL au sujet de l’applicabilité de la Charte.

[126] Dans l’arrêt Dickson CA, la Cour d’appel a conclu que le juge siégeant en son cabinet n’avait pas commis d’erreur en concluant que le paragraphe 32(1) de la Charte s’appliquait à la VGFN (au para 98). Le juge siégeant en son cabinet a conclu que [traduction] « l’exercice de la compétence législative et l’application de la constitution par la VGFN » assujettissent la condition de résidence au paragraphe 32(1), qu’il s’agisse [traduction] « à titre de gouvernement » ou à titre d’entité exerçant, de par leur nature, des activités gouvernementales (Dickson CA, au para 91). Plus précisément, même si le droit à l’autonomie gouvernementale de la VGFN était un droit inhérent, il faisait toujours partie du [traduction] « droit constitutionnel canadien » en partie en raison du processus des traités (Dickson CA, au para 91).

[127] Ni le juge siégeant en son cabinet ni la Cour d’appel n’ont tenté de répondre à [traduction] « la question fondamentale et de déterminer la source des droits et de la compétence de la VGFN » (aux para 91‐93). En effet, la Cour d’appel a déclaré qu’un tel exercice serait [traduction] « peut‐être futile » (au para 93). La Cour d’appel a conclu ainsi :

[traduction]

[98] Dans toutes les circonstances, je suis convaincu que le juge siégeant en son cabinet n’a commis aucune erreur en tenant pour acquis qu’en adoptant la condition de résidence, le conseil de la VGFN exerçait « de par sa nature même » des pouvoirs gouvernementaux au sens de l’article 32 de la Charte et que la Charte — qui comprend bien entendu l’article 25 — s’applique donc à la condition de résidence. À mon avis, c’est le cas, quelle que soit la source de la compétence que la VGFN peut maintenant exercer en vertu de l’entente sur l’autonomie gouvernementale et de la constitution.

[Non souligné dans l’original.]

[128] Je retiens ce raisonnement en l’espèce. La PNWL n’est évidemment pas un [traduction] « parlement » ni une [traduction] « législature » provinciale au sens de l’article 32 de la Charte (Dickson CA, au para 84). Cependant, la PNWL est une nation visée par le Traité no 6 dont les membres sont également citoyens canadiens. Malgré la conclusion que j’ai tirée à l’égard de la constitutionnalité du Règlement sur les élections, de toute évidence, la PNWL a adopté ses propres lois autochtones lorsqu’elle a abandonné le système de gouvernance héréditaire, ce qui démontre encore davantage l’exercice de ses pouvoirs gouvernementaux. À mon avis, ces mesures sont suffisantes pour que la PNWL soit qualifiée à juste titre de « gouvernement » en application du paragraphe 32(1) (Eldridge, au para 44).

(ii) Le paragraphe 32(1) de la Charte s’applique aux bandes indiennes exerçant un pouvoir gouvernemental en application de la Loi sur les Indiens.

[129] Dans l’arrêt Taypotat, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’une bande indienne qui tient ses élections selon la coutume constitue une « entité gouvernementale sui generis » en application du paragraphe 32(1) de la Charte et qu’elle est assujettie à l’examen de la Charte (aux para 36‐37). La Cour d’appel fédérale a également conclu que la Première Nation exerçait ses pouvoirs gouvernementaux en application de la Loi sur les Indiens et d’autres lois fédérales promulguées sous l’autorité du Parlement (au para 36).

[130] Dans l’arrêt Dickson CA, la Cour d’appel a résumé en ces termes l’arrêt Taypotat :

[traduction]

[86] L’applicabilité du paragraphe 32(1) aux Premières Nations dans le contexte de la Loi sur les Indiens a été examinée dans l’arrêt Taypotat c Taypotat [...] La question en litige était de savoir si une disposition de la Kahkewistahaw Election Act qui exige une scolarité minimale pour être éligible aux charges publiques était contraire au paragraphe 15(1) de la Charte. À ce titre, le conseil de la Première Nation jouait un rôle clé dans la gestion des terres de réserve, disposait de vastes pouvoirs de réglementation et était chargé de la gestion de nombreux programmes gouvernementaux fédéraux (Taypotat, au para 36). La Cour a jugé, sur ce fondement, que le conseil était « clairement une entité gouvernementale sui generis » qui intervient comme un « gouvernement » en vertu des lois fédérales et dans des domaines relevant de la compétence fédérale du Parlement [...] La [Cour d’appel fédérale] s’est exprimée en ces termes :

Comme nous l’avons vu, bon nombre d’interventions gouvernementales touchant les vies d’Autochtones vivant dans des réserves résultent des décisions de conseils de bande prises en vertu de la Loi sur les Indiens ou en vertu d’autres lois fédérales ou dans le cadre de programmes fédéraux. En tant que citoyens canadiens, les Autochtones ont droit tout autant que tous les autres citoyens aux garanties et aux avantages des droits et libertés énoncés dans la Charte, dont la protection contre les violations commises par leurs propres gouvernements intervenant en vertu de lois fédérales et dans des domaines relevant de la sphère de compétence fédérale.

En outre, les droits et libertés visés par la Charte seraient inefficaces si les membres du conseil pouvaient être choisis d’une manière contraire à la Charte. Je suis certain que si une Première nation adoptait un code électoral communautaire limitant l’éligibilité aux charges publiques aux hommes de la communauté, un tel code serait invalidé en vertu de l’article 15 de la Charte. Autrement, un ghetto juridique serait créé, dans lequel les Autochtones auraient droit à moins de droits et libertés constitutionnels fondamentaux que ceux dont jouissent tous les autres citoyens canadiens. [aux para 38‐39...]

[87] Notamment, l’arrêt Taypotat a fait l’objet d’un pourvoi devant la Cour suprême du Canada (voir Première Nation de Kahkewistahaw c Taypotat, 2015 CSC 30) et il a été infirmé, mais seulement au motif que les dispositions contestées ne contrevenaient pas à première vue à l’article 15. La juge Abella, s’exprimant au nom de la Cour, n’a aucunement mentionné l’article 32 et a tout simplement tenu pour acquis que l’article 15 s’appliquait.

[Non souligné dans l’original.]

[131] Dans l’affaire Taypotat, la Première Nation avait mené ses élections en application du paragraphe 74(1) de la Loi sur les Indiens jusqu’en 2011 (au para 10). La Cour d’appel a [traduction] « signalé que l’application de la doctrine de la jurisprudence Corbiere et de l’article 15 de la Charte ne peut pas être éludée par l’adoption par une Première Nation d’un code électoral » (Dickson CA, au para 86). La Cour d’appel fédérale s’est exprimée en ces termes :

[37] [...] Le fait que le ministre ait pris des mesures pour révoquer l’arrêté pris en application du paragraphe 74(1) de la Loi sur les Indiens de manière à permettre à la Première nation de déterminer elle‐même son code électoral ne soustrait pas celui‐ci à l’assujettissement à la Charte. En effet, nul gouvernement doit pouvoir se soustraire aux obligations imposées par la Charte en conférant tout simplement ses pouvoirs à une autre entité : êt Eldridge c. Colombie‐Britannique (Procureur général), précité, au paragraphe 42; êt Godbout c. Longueuil, précité, au paragraphe 48. En conséquence, l’application de la doctrine de la jurisprudence Corbiere (et du paragraphe 15(1) de la Charte) ne peut pas être éludée par l’adoption par une Première nation d’un code électoral à la suite de la révocation d’un arrêté pris en application du paragraphe 74(1) de la Loi sur les Indiens.

[132] Pour cette raison, les lois électorales coutumières adoptées et appliquées par une Première Nation, comme c’est le cas pour la PNWL, ne peuvent se soustraire à l’examen fondé sur la Charte. Je remarque, cependant que, contrairement à l’affaire Taypotat, la PNWL n’a jamais tenu ses élections sous le régime de la Loi sur les Indiens. Selon l’affidavit de Mme Jackson‐Littlewolfe, comme il est indiqué ci‐dessus, la PNWL était régie par un système de gouvernance héréditaire jusqu’à un moment donné dans les années 1950, moment où elle a adopté son Règlement sur les élections coutumier. Dans son affidavit, l’Aîné Ben Houle confirme cette évolution des modes de gouvernance.

[133] Indépendamment de cette distinction, il est loisible à notre Cour de conclure que la PNWL exerce son pouvoir gouvernemental dans la « sphère de compétence fédérale » (Taypotat, au para 36). Premièrement, bien que le Règlement sur les élections relève du droit coutumier, il incorpore expressément par renvoi les articles 73 à 78 de la Loi sur les Indiens. Par conséquent, la gouvernance de la PNWL est réglementée, du moins en partie, par des lois qui relèvent de la compétence fédérale. Deuxièmement, même si la PNWL a un « conseil de bande coutumier », elle fait partie de la PNSL, une bande reconnue au titre de la Loi sur les Indiens. À ce titre, le conseil de la PNWL joue toujours un rôle clé dans la gestion des terres de réserve, dispose de vastes pouvoirs de réglementation et est chargé de la gestion de nombreux programmes gouvernementaux fédéraux (Taypotat, au para 36). Par conséquent, je conclus que la PNWL est une entité gouvernementale sui generis qui agit en tant que gouvernement en vertu des lois fédérales et dans des domaines relevant de la compétence du Parlement conformément au paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867.

2) L’article 25 de la Charte peut‐il servir de boucler quant à la politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31 ou l’interdiction de l’union de fait?

a) Les positions des parties

[134] La défenderesse soutient que l’article 25 constitue un bouclier contre les incidences de la Charte sur les droits ancestraux, les droits issus de traités et « autres » droits en leur donnant préséance sur les autres droits garantis par la Charte. La PNWL affirme que [traduction] « la décision des membres collectifs de la nation de définir des traditions, des coutumes et des conditions applicables à la sélection des dirigeants de la nation » justifie les atteintes à la Charte.

[135] Bien que Mme McCarthy rejette l’idée que l’article 25 sert de bouclier quant à la politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31, elle convient que l’article 25 de la Charte peut protéger certains droits de « nature constitutionnelle » contre une allégation de discrimination (Kapp, au para 63). Toutefois, à son avis, la discrimination fondée sur le sexe bénéficie d’un niveau de protection unique aux termes de l’article 28 de la Charte et du paragraphe 35(4) de la Loi constitutionnelle de 1982 (Kapp, au para 97, le juge Bastarache, dissident).

[136] Mme Jackson‐Littlewolfe soutient que l’article 25 n’est d’aucune utilité à la PNWL parce que la PNWL n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve selon lesquels l’interdiction de l’union de fait a trait à un droit autochtone, issu d’un traité ou autre (Cunningham v Alberta (Minister of Aboriginal Affairs and Northern Development, 2009 ABCA 239 [Cunningham], inf par 2011 CSC 37). Elle affirme que la PNWL devrait établir l’existence d’un droit ancestral, issu d’un traité ou autre qui [traduction] « interdit expressément aux membres » en union de fait d’exercer un poste de dirigeant (Cunningham, au para 72). À son avis, la PNWL n’a pas établi un tel droit.

[137] Au contraire, Mme Jackson‐Littlewolfe affirme que le dossier de la preuve démontre que l’interdiction de l’union de fait a été adoptée dans les années 1950, qu’elle ne reflète pas les pratiques autochtones traditionnelles et qu’elle n’est pas liée aux droits issus de traités ou aux coutumes antérieures au contact avec les Européens. De plus, elle fait remarquer que l’interdiction ne peut refléter la volonté ou les pratiques actuelles des membres étant donné que la majorité des personnes en couple au sein de la PNWL vivent en unions de fait. Mme Jackson Littlewolfe soutient que, dans son affidavit, l’Aîné Ben Houle affirme sans ambages que le Règlement sur les élections reflète les coutumes, les traditions et les pratiques historiques de gouvernance de la PNWL et que cette affirmation repose sur des déclarations constituant du ouï‐dire. Elle soutient que cette preuve n’est pas suffisante pour permettre à notre Cour de tirer des conclusions relativement aux arguments de la PNWL fondés sur l’article 25.

[138] La PNWL rejette la position de Mme Jackson‐Littlewolfe puisque, à son avis, il y a suffisamment d’éléments de preuve pour établir ce droit. La PNWL soutient que, dans son affidavit, l’Aîné Ben Houle établit l’[traduction] « histoire politique de la PNWL à compter de 1876 », y compris [traduction] l’« approche communautaire du leadership et de la gouvernance ».

b) Conclusion

[139] J’abonde dans le sens des demanderesses et conclus que, dans ce cas particulier, l’article 25 de la Charte ne peut servir de bouclier quant à la politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31 et quant à l’interdiction de l’union de fait.

[140] Premièrement, l’article 25 ne peut s’appliquer pour servir de bouclier quant à la politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31, car, comme le concède la PNWL, cette politique crée une discrimination fondée sur le sexe (McIvor, aux para 87‐94). L’article 28 de la Charte prévoit qu’« [i]ndépendamment des autres dispositions de la présente charte, les droits et libertés qui y sont mentionnés sont garantis également aux personnes des deux sexes ». Comme l’a remarqué le juge Bastarache dans l’arrêt Kapp :

[97] Le bouclier est‐il absolu? Bien sûr que non. Premièrement, il est restreint par l’art. 28 de la Charte, qui établit l’égalité des sexes « [i]ndépendamment des autres dispositions de la présente charte ». Deuxièmement, il est limité à son objet, les droits et libertés garantis par la Charte étant juxtaposés aux droits et libertés des peuples autochtones. L’arrêt R. c. Van der Peet, [1996] 2 R.C.S. 507, donne au par. 46 des précisions utiles à cet égard.

[Non souligné dans l’original.]

[141] Comme j’ai conclu que la Charte s’applique au Règlement sur les élections de la PNWL, l’article 28 limite clairement l’application de l’article 25 en ce qui concerne la politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31.

[142] En ce qui concerne l’interdiction de l’union de fait, Mme Jackson‐Littlewolfe cite l’arrêt Cunningham pour appuyer sa thèse selon laquelle il doit y avoir un fondement de preuve approprié pour que le juge invoque l’article 25. J’abonde dans le sens de Mme Jackson‐Littlewolfe pour dire que la PNWL n’a pas démontré qu’elle possède un [traduction] « droit ancestral, issu de traités ou autre » de choisir ses dirigeants d’une manière qui est discriminatoire envers les membres vivant en union de fait et qui les exclut.

[143] Dans l’arrêt Cunningham, la Cour d’appel de l’Alberta a observé :

[traduction]

[72] Je n’examinerai pas la question de savoir si l’affaire se conforme à l’approche décrite dans l’arrêt Kapp, car je conviens qu’il n’y a pas vraiment de fondement de preuve qui entraînerait l’analyse de l’article 25, qui est déclenché lorsque les droits « ancestraux ou issus de traités » sont touchés. Un fondement de preuve est essentiel à l’analyse des questions relatives à la Charte... En l’espèce, la preuve devrait établir un droit ancestral qui exclut expressément les membres en raison de leur statut d’Indien... Aucune preuve n’a été présentée à cet égard...

[Renvois omis.] [Non souligné dans l’original.]

[144] Avec égards, je rejette l’idée qu’une Première Nation qui veut invoquer l’article 25 doit établir un droit ancestral ou issu d’un traité pour faire jouer l’article 25. Les droits visés par l’article 25 sont plus étendus que ceux visés par l’article 35 parce que l’article 25 mentionne expressément les « autres » droits (Corbiere, au para 52, le juge L’Heureux‐Dubé, dissident; Kapp, au para 102, le juge Bastarache, dissident; Dickson CA, aux para 145‐146). La nature de la preuve requise dépend de la nature du droit et doit être appréciée au cas par cas (Dickson CA, au para 74; Kapp, au para 65). Il est clair que des éléments de preuve seront toujours requis. En l’espèce, la PNWL affirme que son droit à l’autonomie gouvernementale et à la sélection de ses dirigeants selon la coutume est un droit inhérent qui relève de la catégorie des « autres » droits.

[145] Vraisemblablement, pour établir un droit garanti par l’article 35, il doit exister un fondement de preuve pour satisfaire aux divers critères consacrés par la Cour suprême en ce qui concerne le titre ancestral, les droits ancestraux et les droits issus de traités. Ce fondement de preuve sera différent — et certainement plus lourd — en ce qui concerne ce qui est requis pour établir un droit d’origine législative, comme ce fut le cas dans l’affaire Kapp (juge Bastarache, dissident).

[146] De même, à mon avis, il doit exister un fondement de preuve lorsqu’un groupe autochtone revendique un « autre droit », comme le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale selon la coutume. La Cour fédérale examine régulièrement les éléments de preuve concernant le droit coutumier lorsque les membres d’une Première Nation ne s’entendent pas sur la teneur ou la portée de leurs coutumes. Autrement dit, notre Cour doit déterminer si la partie qui s’appuie sur la coutume alléguée a suffisamment démontré que la coutume reflète un large consensus au sein des membres de la Première Nation (Whalen I, au para 32).

[147] Je reconnais que, dans l’arrêt Dickson CA, le juge siégeant en son cabinet a examiné les activités traditionnelles de gouvernance et d’élaboration de lois de la VGFN et a noté que, selon la coutume et la pratique de la VGFN [traduction] « depuis des temps immémoriaux, les dirigeants des Gwitchin Vuntut résident sur le territoire de la VGFN » (Dickson CA, aux para 9, 27, non souligné dans l’original). Toutefois, je considère que les conclusions de faits du juge siégeant en son cabinet sont celles dont la Cour est saisie dans l’affaire Dickson CA. À mon avis, je ne crois pas que cette observation impose l’obligation de démontrer l’existence du droit avant le contact avec les Européens au titre de l’article 25, comme il est exigé au titre de l’article 35. En effet, comme je l’ai mentionné précédemment, le droit coutumier peut évoluer au fil du temps afin de répondre aux besoins changeants des collectivités autochtones (Da’naxda’xw, au para 72; Chingee, au para 10; Francis, au para 24). Cette conclusion correspond à l’approche de la Cour d’appel dans l’arrêt Dickson CA. Plus précisément, la Cour d’appel n’a pas imposé l’obligation de démontrer l’existence du droit avant le contact avec les Européens, mais a tenu compte de l’objectif moderne de la condition de résidence :

[traduction]

[147] Même si l’on accepte l’observation incidente des juges majoritaires dans l’arrêt Kapp selon laquelle la loi contestée doit être « de nature constitutionnelle » pour bénéficier de la protection de l’article 25, je suis d’avis que la condition de résidence fait effectivement partie du droit « constitutionnel ». Évidemment, elle est prévue par la constitution, mais, plus fondamentalement, elle vise clairement à refléter et à promouvoir les traditions et les coutumes particulières de la VGFN en matière de gouvernance et de leadership — une question d’une importance fondamentale pour une petite Première Nation située dans un endroit vaste et éloigné. La preuve est persuasive : parmi les caractéristiques distinctes de la société des Gwitchin Vuntut, il y a l’importance qu’elle accorde, et qu’elle a toujours accordée, au lien de ses dirigeants avec la terre, son attente d’une interaction personnelle continue entre les dirigeants et les autres, et son désir de résister à l’« attraction » d’influences extérieures. En ce sens, l’adoption par la Première Nation de la condition de résidence constitue l’exercice d’un droit qui, dans sa forme moderne, « concerne les peuples autochtones du Canada ».

[Non souligné dans l’original.]

[148] Dans le contexte du droit coutumier, j’abonde dans le sens du juge Bastarache pour dire que la question appropriée est de savoir si la prétendue coutume vise, en ce moment, « l’identité distinctive, collective et culturelle d’un groupe autochtone ». À mon avis, il n’est pas important que la coutume ait existé avant le colonialisme ou qu’elle soit le produit du colonialisme, comme dans la présente affaire. Ce qui importe, c’est qu’il y ait un large consensus au sein de la collectivité où ces coutumes ont force de loi.

[149] En fin de compte, je conclus que l’article 25 de la Charte ne peut pas servir de bouclier quant à une « coutume » édictée en vertu du droit inhérent des Premières Nations à l’autonomie gouvernementale si cette coutume n’est pas appuyée par un large consensus au sein de la collectivité.

[150] Pour les motifs exposés ci‐dessus aux paragraphes 77 à 83 du présent jugement, j’ai conclu que l’interdiction de l’union de fait n’est pas une coutume de la PNWL et, par conséquent, qu’elle est illégale. Il s’ensuit nécessairement que l’article 25 de la Charte ne soustrait pas l’interdiction de l’union de fait à l’assujettissement à la Charte.

[151] Je tiens à noter qu’il peut y avoir des situations au sein d’une collectivité des Premières Nations où la preuve établit certaines exigences en matière de leadership, y compris, par exemple, des exigences relatives aux langues autochtones qui peuvent empêcher certaines personnes de poser leur candidature à un conseil de bande. Sous réserve de la preuve dans le contexte d’une affaire particulière, cette exigence linguistique pourrait être à l’abri d’un examen au regard de la Charte, particulièrement compte tenu des lois fédérales visant à protéger les langues autochtones et des efforts des Premières Nations pour en faire de même (voir p. ex., Loi sur les langues autochtones, LC 2019, c 23). Notre Cour peut examiner une telle initiative d’une façon différente qu’elle le ferait pour des dispositions qui ne concernent pas directement l’intégrité de l’identité propre à une Première Nation.

D. La politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31 ou l’interdiction de l’union de fait contreviennent‐elles au paragraphe 15(1) de la Charte?

a) Le droit

[152] Étant donné que l’article 25 ne peut pas servir de bouclier quant à la politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31 et quant à l’interdiction de l’union de fait, il convient d’examiner les arguments des demanderesses fondés sur la Charte.

[153] Pour prouver une atteinte à l’article 15 de la Charte, les demanderesses doivent démontrer que la politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31 et l’interdiction de l’union de fait :

  1. créent une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue;

  2. imposent un fardeau ou nie un avantage d’une manière qui a pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’accentuer le désavantage (Fraser c Canada (Procureur général), 2020 CSC 28 au para 27 [Fraser]).

[154] Le critère demeure le même dans le contexte de la loi électorale d’une Première Nation. Dans l’arrêt Cardinal, la Cour a énoncé le critère à deux volets applicable pour établir une atteinte aux droits garantis par l’article 15 de la Charte :

[47] La Cour suprême du Canada a récemment réitéré le cadre analytique en deux volets utilisé pour déterminer si une loi porte atteinte à la garantie d’égalité en application du paragraphe 15(1) de la Charte. Le premier volet de l’analyse consiste donc « à se demander si, à première vue ou de par son effet, une loi crée une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue [...] Le second volet de l’analyse est axé sur les désavantages arbitraires — ou discriminatoires —, c’est‐à‐dire sur la question de savoir si la loi contestée ne répond pas aux capacités et aux besoins concrets des membres du groupe et leur impose plutôt un fardeau ou leur nie un avantage d’une manière qui a pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’accentuer le désavantage dont ils sont victimes » (arrêt Première Nation de Kahkewistahaw c. Taypotat, 2015 CSC 30, [2015] 2 R.C.S. 548, aux paragraphes 19 et 20; voir également l’arrêt Québec (Procureure générale) c. Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux, 2018 CSC 17, [2018] 1 R.C.S. 464, au paragraphe 25; arrêt Québec (Procureur général) c. A, 2013 CSC 5, [2013] 1 R.C.S. 61, aux paragraphes 323 à 325; arrêt Withler c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 12, [2011] 1 R.C.S. 396, au paragraphe 30; arrêt R. c. Kapp, 2008 CSC 41, [2008] 2 R.C.S. 483, au paragraphe 17).

b) Les positions des parties

[155] Mme McCarthy soutient que la politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31 établit explicitement une discrimination fondée sur le sexe et tente de faire renaître la discrimination que le projet de loi C‐31 visait à éliminer (McIvor, aux para 87‐94). Elle soutient que notre Cour doit suivre l’enseignenent du juge McKay professé à l’occasion de l’affaire Scrimbitt c Conseil de la bande indienne de Sakimay, [2000] 1 CF 513, [1999] ACF No 1606 [Sakimay]. Dans la décision Sakimay, le juge MacKay a conclu que la politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31 de la bande de Sakimay établissait une distinction discriminatoire fondée sur le sexe (aux para 50‐51, 70, 78). Mme McCarthy soutient également que le Règlement sur les élections ne divise pas les membres en différentes catégories. Elle affirme qu’elle est membre de la PNWL au même titre que les autres membres et qu’elle a donc le droit de voter.

[156] Mme Jackson‐Littlewolfe soutient que l’interdiction de l’union de fait porte atteinte aux droits à l’égalité qu’elle tire de l’article 15 en raison de son état matrimonial, un motif analogue (Miron c Trudel, [1995] 2 RCS 418,; Québec (Procureur général) c A, 2013 CSC 5, [2013] 1 RCS 61, aux para 316‐318 [Quebec c A]). Elle soutient que l’interdiction crée une distinction explicite en limitant ses droits démocratiques par rapport à ceux des personnes qui ne sont pas mariées. Elle affirme que cette discrimination renforce et accentue son désavantage sur les plans financier, social et psychologique (Fraser, aux para 27, 76). Mme Jackson‐Littlewolfe réitère que la majorité des membres de la PNWL qui sont en couple vivent en union de fait. Elle affirme que, parmi tous les candidats admissibles, environ un sur quatre n’a pas le droit de se présenter sa candidature aux élections. Par conséquent, l’interdiction a pour effet d’élargir, au lieu de rétrécir, le désavantage au fil du temps (Québec c A, au para 332).

[157] La PNWL reconnaît que la politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31 et l’interdiction de l’union de fait portent atteinte aux droits à l’égalité que tirent les demanderesses de l’article 15.

c) Conclusion

[158] Comme l’ont fait les défenderesses dans l’affaire Clark c Conseil de bande de la Première Nation d’Abegweit, 2019 CF 721 [Clark], la PNWL reconnaît que la politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31 et l’interdiction de l’union de fait sont contraires à l’article 15 de la Charte. Indépendamment de cette concession, et étant donné la conclusion que j’ai tirée concernant l’effet de l’article 25 de la Charte, je dois quand même procéder à une analyse au titre de l’article 15, comme je l’ai fait dans la décision Clark.

[159] Pour réitérer, les demanderesses doivent d’abord démontrer que la loi attaquée crée une distinction fondée sur l’un des motifs énumérés à l’article 15 de la Charte ou un motif analogue (Chipesia c Premières Nations de la rivière Blueberry, 2019 CF 41 au para 58 [Chipesia]). Les questions relatives à la transmission du statut d’Indien ont été décrites comme de la discrimination fondée sur le sexe (McIvor, aux para 92‐93). De même, je conclus que la politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31 crée une distinction entre les membres de la PNWL en raison de la discrimination historique dont sont victimes les femmes qui ont épousé des hommes non inscrits.

[160] Quatre motifs analogues ont été reconnus par la jurisprudence, notamment l’état matrimonial (Chipesia, au para 58). De toute évidence, l’interdiction de l’union de fait crée également une distinction entre les membres de la PNWL.

[161] Je passe maintenant à la deuxième partie de l’analyse et je conclus que la politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31 empêche certains membres de la PNWL de participer à l’administration de leur collectivité en les privant de leur droit de voter. Les affidavits de l’Aîné Sparklingeyes, de Brian Favel et d’Ernest Houle le démontrent, tout comme les actes de la PNWL.

[162] De même, l’interdiction de l’union de fait empêche les membres de la PNWL vivant en union de fait de participer à l’administration de leur collectivité en raison de la notion erronée selon laquelle ils sont inaptes à diriger leur collectivité ou incapables de le faire. L’affidavit de Mme Jackson‐Littlewolfe établit clairement le traitement discriminatoire, tout comme le Règlement sur les élections lui‐même.

[163] Je conclus que les deux volets du critère sont satisfaits et que la politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31 et l’interdiction de l’union de fait sont contraires à l’article 15 de la Charte.

E. Dans l’affirmative, ces atteintes sont‐elles justifiées au regard de l’article premier de la Charte?

1) Le droit

[164] L’article premier de la Charte permet à une entité gouvernementale de porter atteinte aux droits garantis par la Charte en démontrant que la loi est une limite raisonnable qui peut être justifiée dans une société libre et démocratique. Premièrement, la PNWL doit démontrer que la restriction des droits garantis par la Charte est imposée par une règle de droit (Frank c Canada (Procureur général), 2019 CSC 1 aux para 36‐37 [Frank]). La PNWL doit ensuite présenter une preuve « forte et persuasive » portant que les infractions sont justifiées (R c Oakes, [1986] 1 RCS 103 aux pp 138‐140, [Oakes]). Selon le critère établi dans l’arrêt Oakes, la PNWL doit démontrer ce qui suit :

  1. Les objectifs de la politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31 et de l’interdiction de l’union de fait sont urgents et réels.

  2. L’atteinte aux droits que tirent les demanderesses de la Charte a un lien rationnel avec les objectifs.

  3. L’atteinte au droit ou au privilège ne dépasse pas ce qui est raisonnablement nécessaire pour atteindre les objectifs.

  4. Il y a proportionnalité entre les effets bénéfiques et les effets préjudiciables de l’atteinte (Oakes, aux pp 138‐40; Frank, au para 38).

[165] J’appliquerai ce cadre à la politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31 et à l’interdiction de l’union de fait.

2) Politique sur le vote en vertu du projet de loi C‐31

a) Les positions des parties

[166] Mme McCarthy soutient que la politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31 ne peut être sauvegardée par l’article premier parce qu’elle ne résulte pas d’une règle de droit. Elle réitère que la politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31 n’est pas une coutume et déclare qu’une politique non écrite qui n’a pas force de loi ne peut résulter « d’une règle de droit » (Sakimay, au para 70).

[167] Au moment où Mme McCarthy a présenté le dossier de sa demande, elle ne connaissait pas l’objectif que ferait valoir la PNWL pour justifier la politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31. Mme McCarthy soutient que l’atteinte faite par la politique n’est pas minimale parce que la politique impose une interdiction générale d’un intérêt important et fondamental – le droit de vote (Corbiere, au para 80). Elle soutient que la PNWL aurait pu adopter un code d’appartenance ou un code électoral module selon différentes catégories de membres (Corbiere, au para 103). Mme McCarthy affirme qu’il ne s’agit pas d’une atteinte minimale parce que les membres visés par le projet de loi C‐31 ont toujours des liens avec la PNWL (Frank). Mme McCarthy n’a pas présenté d’observations sur le quatrième volet du critère consacré par l’arrêt Oakes.

[168] La PNWL soutient que la politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31 résulte d’une règle de droit. La PNWL soutient que les faits de l’affaire Sakimay se distinguent de l’espèce parce que la Première Nation dans cette affaire n’a pas déposé « une preuve suffisante pour établir [la] coutume » (au para 68). La PNWL soutient que, dans la présente affaire, notre Cour dispose de deux affidavits démontrant [traduction] « la justification, la longévité et l’acceptation » de la politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31 par les membres.

[169] Elle soutient également que la politique est justifiée. La PNWL soutient que [traduction] l’« objectif urgent et réel » de la politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31 concerne le droit de la PNWL à l’autonomie gouvernementale et à la prise de décisions collectives. À l’appui de cette position, la PNWL note que l’Aîné Ben Houle affirme que l’approche de la PNWL à l’égard des membres [traduction] « exclus par le mariage mixte » est antérieure à l’entrée en vigueur du projet de loi C‐31. À part cette affirmation, la PNWL ne fait aucune observation sur le lien rationnel entre la politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31 et cet objectif. La PNWL ne présente pas non plus d’observations sur l’atteinte minimale que constitue la politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31. En ce qui concerne le quatrième volet du critère consacré par l’arrêt Oakes, la PNWL soutient qu’il y a proportionnalité entre les effets bénéfiques et les effets préjudiciables de la politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31. Plus précisément, la PNWL soutient que la volonté collective des membres de la nation de se gouverner et de contrôler les droits de vote conformément à sa coutume l’emporte sur les droits démocratiques des personnes.

b) Conclusion

[170] Ayant conclu que la politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31 n’est pas une coutume de la PNWL, j’abonde dans le sens de Mme McCarthy et conclus que l’atteinte ne résulte pas d’une règle de droit. Par conséquent, la décision Sakimay est tout à fait pertinente :

Dans l’arrêt [R c Therens, [1985] 1 RCS 613, 18 DLR (4th) 655], le juge Le Dain, dissident sur d’autres motifs, a énoncé le raisonnement suivant au sujet de l’article premier, raisonnement que la Cour suprême a subséquemment endossé :

L’exigence que la restriction soit prescrite par une règle de droit vise surtout à faire la distinction entre une restriction imposée par la loi et une restriction arbitraire. Une restriction est prescrite par une règle de droit au sens de l’art. 1 si elle est prévue expressément par une loi ou un règlement, ou si elle découle nécessairement des termes d’une loi ou d’un règlement, ou de ses conditions d’application. La restriction peut aussi résulter de l’application d’une règle de common law.

[66] En l’espèce, ni la Loi sur les Indiens ni le code d’appartenance à la bande de Sakimay adopté en vertu de la Loi n’incorporent la politique de Sakimay relative au projet de loi C‐31, et cette politique de même que les mesures qui se fondent sur elle ne sont pas prescrites par une règle de droit au sens défini par le juge Le Dain. En fait, la Loi sur les Indiens exclut expressément les dispositions du code d’appartenance qui incorporeraient la politique de Sakimay qui va à l’encontre de l’intention du législateur et des mesures qu’il a prises en adoptant le projet de loi C‐31. Il n’existe aucune résolution du conseil de bande de Sakimay ni aucun procès‐verbal d’une réunion du conseil ou de ses décisions, du moins aucune n’a été produite devant la Cour, qui autorise le conseil à refuser à la demanderesse le droit de voter.

[171] On peut en dire autant en l’espèce. La politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31 restreint de façon arbitraire les droits de Mme McCarthy garantis par la Charte et cette violation ne reflète pas le large consensus au sein des membres de la PNWL. Il n’est donc pas nécessaire de prendre en considération le critère consacré par l’arrêt Oakes.

3) Interdiction de l’union de fait

a) Les positions des parties

[172] Mme Jackson‐Littlewolfe ne présente pas d’observations sur la question de savoir si les limites imposées par l’interdiction de l’union de fait résultent d’une règle de droit. Elle soutient que l’objectif de l’interdiction de l’union de fait est de veiller à ce que les dirigeants adhèrent à certaines mœurs religieuses. Bien que Mme Jackson‐Littlewolfe ne fournisse pas non plus d’observations sur la question de savoir si cet objectif est urgent et réel, elle affirme qu’il ne peut pas s’agir d’un objectif gouvernemental légitime. Mme Jackson‐Littlewolfe affirme également qu’une interdiction générale ne constitue pas une atteinte minimale. Enfin, elle soutient qu’il n’y a pas de proportionnalité entre les avantages et les inconvénients d’interdire à un quart des électeurs de la PNWL de présenter leur candidature aux élections.

[173] La PNWL réitère les mêmes observations que celles qui concernent la politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31. La PNWL ajoute seulement que l’interdiction de l’union de fait vise à s’assurer que les dirigeants sont [traduction] « stables et engagés à fonder une famille au sein de la collectivité ». La PNWL ajoute également que l’interdiction constitue une atteinte minimale parce qu’il est [traduction] « nécessaire » de porter atteinte [traduction] « de façon raisonnable » aux droits d’une personne [traduction] « pour donner préséance aux droits collectifs ».

b) Conclusion

[174] Je conclus que l’interdiction de l’union de fait n’est pas justifiée au regard de l’article premier.

[175] À mon avis, les limites imposées par l’interdiction de l’union de fait ne résultent pas d’une règle de droit parce qu’il ne s’agit pas d’une coutume de la PNWL. Subsidiairement, j’abonde également dans le sens de Mme Jackson‐Littlewolfe pour conclure que l’interdiction de l’union de fait n’a pas d’objectif gouvernemental légitime.

[176] L’objectif de l’interdiction de l’union de fait se caractérise davantage comme l’imposition d’une obligation morale religieuse aux candidats. La PNWL soutient que l’interdiction de l’union de fait vise à s’assurer que les dirigeants soient [traduction] « stables et engagés à fonder une famille au sein de la collectivité », ce qui découle de valeurs chrétiennes. Les affidavits de l’Aîné Sparklingeyes et de l’Aîné Ben Houle le confirment. La PNWL n’a pas fait valoir que l’objectif est d’ordre laïque.

[177] Je suis sensible au fait que certaines communautés autochtones adhèrent aux valeurs chrétiennes en raison du colonialisme et de décennies de politiques et de lois assimilationnistes, y compris les pensionnats. Cela dit, dans la mesure où la Charte s’applique aux lois électorales des Premières Nations, j’abonde dans le sens de Mme Jackson‐Littlewolfe pour conclure qu’une obligation morale religieuse ne peut pas être un objectif gouvernemental valide. Le juge Dickson s’est penché sur ce point dans l’arrêt Big M à la p 351 :

...la diversité des formes que prennent la croyance et l’incroyance ainsi que les différences socio‐culturelles des Canadiens, le Parlement fédéral n’a pas compétence en vertu de la Constitution pour adopter une loi privilégiant une religion au détriment d’une autre.

Peut‐être qu’à une époque où l’on croyait encore à l’existence de quelque déité à laquelle toute la collectivité était soumise, l’imposition du conformisme en matière religieuse pouvait constituer un objectif gouvernemental légitime, mais depuis l’adoption de la Charte ce n’est plus le cas. La Charte reconnaît à tous les Canadiens le droit de déterminer, s’il y a lieu, la nature de leurs obligations religieuses et l’état ne peut prescrire le contraire.

[178] Lorsqu’il a examiné l’article premier de la Charte, le juge Dickson a rejeté l’explication de laïcité fournie par les appelants en faisant remarquer que, « par son caractère véritable », la loi contestée met en jeu une « question religieuse ». La Cour suprême a conclu : « Ayant conclu que la Loi a pour objet de rendre obligatoire l’observance religieuse, nous n’avons pas à nous prononcer sur la question de savoir si l’art. 1 pourrait rendre valide une loi de ce genre [...] » (à la p 353).

[179] Je note que l’arrêt Big M concernait un argument fondé sur l’alinéa 2a) de la Charte et non un moyen tiré de l’article 15. L’avocat de Mme Jackson‐Littlewolfe cite l’arrêt Bi M sans mentionner cette distinction. À mon avis, il n’y a aucune raison pour que l’analyse du juge Dickson concernant les objectifs valables du gouvernement ne puisse pas être appliquée dans le cadre d’un moyen tiré de l’article 15. Bien que la présente affaire comporte d’autres motifs protégés par la Charte, l’arrêt Big M est instructif en l’espèce parce que l’objectif du gouvernement était de nature religieuse. À mon avis, c’est ce qui est le plus important dans le cadre d’une analyse fondée sur l’article premier.

[180] En fin de compte, la PNWL n’a pas rempli le premier volet du critère consacré par l’arrêt Oakes parce que l’imposition d’une obligation religieuse aux candidats n’est pas un objectif gouvernemental valide. Il n’est donc pas nécessaire de prendre en considération les autres volets du critère consacré par l’arrêt Oakes.

F. Quelles sont les mesures appropriées?

[181] Mme McCarthy reconnaît qu’ordonner la tenue d’une nouvelle élection constitue un recours exceptionnel; toutefois, elle soutient qu’une telle ordonnance est justifiée en l’espèce puisque la politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31 prive les membres de leur droit de vote depuis des décennies; le chef et le conseil actuels n’ont pas été élus par l’ensemble des membres de la PNWL; la PNWL a maintenu la politique malgré la décision rendue par notre Cour à l’occasion de l’affaire Sakimay; les demanderesses ont présenté de nombreuses demandes afin de mettre fin à la conduite discriminatoire; ordonner la tenue d’une nouvelle élection rétablirait la confiance des membres dans les pratiques électorales de la PNWL. Mme McCarthy affirme également qu’elle ne peut obtenir une autre réparation parce que le processus d’appel prévu par le Règlement sur les élections n’est pas fondé sur la coutume (Shirt I, aux para 43‐49).

[182] Mme Jackson‐Littlewolfe soutient que notre Cour a compétence pour rendre un jugement déclaratoire portant que l’interdiction de l’union de fait et la décision du comité sont contraires aux droits qu’elle tire de l’article 15 de la Charte, comme je l’ai fait dans la décision Clark. Elle affirme que notre Cour devrait ordonner à la PNWL d’utiliser le nouveau code électoral ou de créer son propre règlement conforme à la Charte.

[183] Enfin, les deux demanderesses soutiennent qu’elles ont droit à l’adjudication des dépens sur la base d’un montant forfaitaire élevé parce qu’il y a déséquilibre important du pouvoir entre les parties, y compris l’accès aux ressources financières. De plus, elles affirment que ces demandes comportent d’importantes questions d’intérêt public (Whalen c Première Nation no 468 de Fort McMurray, 2019 CF 1119 aux para 17, 21, 27, 30, 32, 35 [Whalen II]). Les demanderesses indiquent également qu’elles sont disposées à présenter d’autres observations sur les dépens.

[184] La PNWL demande à notre Cour de ne pas ordonner la tenue d’une nouvelle élection si elle conclut qu’il y a eu une atteinte injustifiée aux droits que tirent les demanderesses de la Charte et que cette atteinte n’est pas protégée par l’article 25 (Clifton; Clark). La PNWL soutient que le chef et le conseil ont été légitimement élus par des centaines, voire des milliers, de membres de la PNWL et ordonner la tenue d’une nouvelle élection priverait ces membres de leur droit de vote. La PNWL soutient également qu’ordonner la tenue d’une nouvelle élection lorsque le chef et le conseil sont à plus de la moitié de leur mandat milite contre la convocation d’une nouvelle élection.

[185] Subsidiairement, dans le dossier no T‐800‐21, la PNWL demande à notre Cour de suspendre la déclaration d’invalidité pour une période de 12 mois afin que la PNWL puisse fixer son propre code d’appartenance conformément à l’article 10 de la Loi sur les Indiens et prendre des mesures pour modifier le Règlement sur les élections. La PNWL déclare que, selon le paragraphe 10(4) de la Loi sur les Indiens, un nouveau code d’appartenance ne privera pas les demanderesses de l’appartenance à la Première Nation et constituera une démarche appuyée par les membres. Dans le dossier no T‐808‐21, la PNWL demande à notre Cour de suspendre la déclaration d’invalidité pendant six mois afin de permettre à la PNWL de tenir un référendum sur l’interdiction de l’union de fait. La PNWL ne s’oppose pas à ce que notre Cour conserve sa compétence sur cette affaire.

[186] Notre Cour annule les décisions parce que la politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31 et l’interdiction de l’union de fait ne constituent pas des coutumes de la PNWL. Notre Cour n’ordonnera pas la tenue de nouvelles élections. À mon avis, la PNWL aura besoin de temps pour examiner l’incidence du présent jugement et de ses motifs sur le Règlement sur les élections.

[187] Notre Cour déclare que la politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31 et l’interdiction de l’union de fait sont inconstitutionnelles et inopérantes. Notre Cour suspend la déclaration d’invalidité afin que la PNWL puisse a) adopter son propre code d’appartenance conformément à l’article 10 de la Loi sur les Indiens portant sur les droits d’appartenance à la Première Nation dans les 12 mois et b) modifier le Règlement sur les élections d’une manière qui reflète le large consensus des membres de la PNWL dans un délai de six mois afin de préparer les prochaines élections.

[188] Notre Cour ordonne aux avocats de présenter des observations supplémentaires sur la question des dépens, comme il est énoncé dans l’ordonnance ci‐après.

VII. Conclusion

[189] Pour tous ces motifs, les demandes de contrôle judiciaire sont accueillies.


JUGEMENT dans les dossiers T‐800‐21 et T‐808‐21

LA COUR DÉCIDE :

  1. Les demandes de contrôle judiciaire dans les dossiers T‐800‐21 et T‐808‐21 sont accueillies. Les décisions sont déraisonnables parce qu’elles sont illégales.

  2. La Charte s’applique aux processus de sélection des dirigeants de la PNWL, comme ils sont définis dans le Règlement sur les élections.

  3. Ni la politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31 ni l’interdiction de l’union de fait n’est protégée par l’article 25 de la Charte.

  4. La politique sur le vote aux termes du projet de loi C 31 et l’interdiction de l’union de fait sont contraires au paragraphe 15(1) de la Charte et ne sont pas justifiées au regard de l’article premier.

  5. La Cour déclare que la politique sur le vote aux termes du projet de loi C‐31 et l’interdiction de l’union de fait sont inconstitutionnelles et inopérantes. Les déclarations d’invalidité sont suspendues pendant une période de sept mois après la date du présent jugement.

  6. La Cour ordonne que de nouvelles observations soient présentées sur les dépens. Les demanderesses signifieront et déposeront leurs observations sur les dépens au plus tard le 3 mars 2023. La défenderesse signifiera et déposera ses observations sur les dépens au plus tard le 21 mars 2023. Les observations ne dépasseront pas 10 pages.

« Paul Favel »

Juge

Traduction certifiée conforme

François Brunet

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

T‐800‐21 et T‐808‐21

INTITULÉ :

KAREN MCCARTHY ET LORNA JACKSON‐LITTLEWOLFE c PREMIÈRE NATION DE WHITEFISH LAKE NO 128

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 14 juin 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FAVEL

DATE DES MOTIFS :

Le 15 février 2023

COMPARUTIONS :

Orlagh O’Kelly

POUR LA DEMANDERESSE

(KAREN MCCARTHY)

Marty Moore

POUR LA DEMANDERESSE

(LORNA JACKSON‐LITTLEWOLFE)

 

Ian Bailey

Pour la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Roberts O’Kelly Law + ADR

Edmonton (Alberta)

POUR LA DEMANDERESSE

(KAREN MCCARTHY)

Justice Centre for Constitutional Freedoms

Calgary (Alberta)

POUR LA DEMANDERESSE

(LORNA JACKSON‐LITTLEWOLFE)

 

Bailey & Wadden LLP

Edmonton (Alberta)

Pour la défenderesse

 

 

 

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