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Date : 20230216


Dossier : IMM‑3687‑21

Référence : 2023 CF 228

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 16 février 2023

En présence de monsieur le juge Henry S. Brown

ENTRE :

VEERAPATHIRAN RAMACHANDIRAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Nature de l’affaire

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision du 5 mai 2021 par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR], laquelle avait conclu que le demandeur n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

II. Faits

[2] Le demandeur est citoyen de l’Inde et est âgé de 39 ans. Il demande l’asile pour trois motifs : 1) il sera persécuté par des membres de sa famille et de sa communauté dans la région de Thiruthuraipoondi, dans le Tamil Nadu, parce qu’il souhaite épouser une femme issue d’une caste inférieure; 2) il est membre d’un parti nationaliste hindou, une affiliation qui lui vaudra d’être pris pour cible par les musulmans; et 3) il est une personne d’intérêt pour la police, plus précisément le Bureau central d’enquête, qui le soupçonne de fomenter des attaques antimusulmanes ou de prendre part à de telles attaques.

[3] J’analyse ces allégations plus en détail ci-après. Premièrement, le demandeur soutient que sa famille a découvert la relation amoureuse qu’il entretenait avec sa petite amie issue d’une caste inférieure vers 2008. Il affirme que leur relation s’est poursuivie en secret pendant à peu près onze ans, jusqu’à son audience devant la SPR, et qu’il souhaite toujours épouser sa petite amie s’il retourne en Inde. Le demandeur affirme que, en août 2018, il a reçu un appel anonyme l’informant que sa petite amie et lui seraient assassinés s’ils poursuivaient leur relation.

[4] Par ailleurs, le demandeur avance que, en mai 2016, il a été agressé par des partisans d’un candidat politique musulman après une confrontation verbale avec eux, au cours de laquelle il avait déclaré que l’hindouisme devrait devenir la religion d’État en Inde. En août 2018, il aurait été maltraité par la police et aurait été averti une deuxième fois de ne pas se mêler de politique extrémiste.

[5] Le demandeur a alors décidé de quitter l’Inde. Il est arrivé au Canada le 12 novembre 2018 muni d’un visa de visiteur. En juin 2019, il a présenté une demande d’asile.

III. Décision faisant l’objet du présent contrôle

[6] En bref, la SAR a déterminé que le demandeur n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. La question déterminante était principalement celle de la crédibilité.

A. Document à l’appui expliquant l’affiliation politique

[7] Le demandeur a produit une lettre d’un parti politique indien indiquant qu’il avait été un [traduction] « partisan enthousiaste » du parti pendant 15 ans. La SPR lui a demandé de confirmer que le signataire de la lettre était bien le vice-président du parti. Toutefois, dans ses motifs, le tribunal a déclaré que le demandeur n’avait fourni [traduction]« aucun élément de preuve documentaire de la part du parti attestant qu’il appuyait [c]e parti ». La SAR a convenu avec le demandeur qu’il s’agissait d’une erreur, mais elle n’a pas jugé que cette erreur était déterminante dans le cadre de l’appel. Elle a fait remarquer que la lettre n’indiquait pas que le demandeur avait été menacé ou agressé par des musulmans en raison de son affiliation au parti. Compte tenu des considérations qui précèdent, elle n’a accordé qu’une faible valeur probante à la lettre pour ce qui est d’établir le bien-fondé des allégations du demandeur.

B. Allégation de partialité

[8] Le demandeur a présenté les affirmations suivantes à l’appui de son allégation selon laquelle la SPR avait fait preuve de partialité à son égard :

a) Le commissaire de la SPR a mis en doute la validité et l’authenticité de tous ses documents à l’appui. À un moment donné, le commissaire de la SPR a dit que [traduction] « n’importe qui peut écrire, n’importe qui peut signer, n’importe qui peut estampiller, n’importe qui peut produire » de tels documents. À un autre moment, la SPR a dit que l’appelant aurait dû imprimer des instructions provenant d’un site Web du gouvernement indien sur la procédure pour produire les certificats de caste.

b) Le commissaire de la SPR a interrompu le conseil pendant qu’il posait des questions à l’appelant et donc, le conseil [traduction] « n’a pas pu questionner l’appelant de façon ordonnée à cause de l’interruption du tribunal qui a absorbé près de 90 p. 100 de la durée totale de l’audience ».

c) À la fin de l’audience, le commissaire de la SPR a accepté la demande d’observations écrites du conseil, à transmettre au plus tard le 10 février 2020, mais il a précisé « pas de documents supplémentaires ».

d) Le commissaire de la SPR [traduction] « a questionné l’appelant de la manière dont les personnes accusées de crimes sont généralement interrogées. Le tribunal a posé des questions suggestives, et des questions sur le même point encore et encore ».

e) Le commissaire de la SPR a fait référence à de la documentation sur la communication parmi les forces policières en Inde. Or, il n’a pas cité cette documentation dans sa décision, et n’a pas donné de référence à son sujet pendant l’audience. L’appelant affirme que cela équivaut à [traduction] « fournir des renseignements trompeurs ou tenter d’obtenir des réponses en fournissant des renseignements trompeurs et erronés », étant donné qu’il a présenté des documents qui prouvent le contraire, soit que les forces policières communiquent entre elles.

f) Le commissaire de la SPR a déclaré que le critère de la véracité d’un récit est sa compatibilité avec la prépondérance des probabilités qu’une personne éclairée et douée de sens pratique peut d’emblée reconnaître comme raisonnable, mais selon l’appelant, [traduction] « le tribunal ne semble pas être une personne éclairée et douée de sens pratique et, par conséquent, cette reconnaissance d’emblée est difficilement possible ».

Motifs et décision, Section d’appel des réfugiés, à la p 9.

[9] La SAR a rejeté les affirmations du demandeur, concluant plutôt que le commissaire de la SPR avait semblé sincèrement motivé à comprendre le témoignage du demandeur. En ce qui concerne la remise en question, par la SPR, de l’authenticité de chaque document présenté par le demandeur, la SAR a conclu que la SPR s’était plutôt assurée, à juste titre, que le demandeur comprenait bien ses réserves et qu’il avait eu amplement l’occasion de les réfuter.

[10] Dans l’ensemble, la SAR a jugé que la preuve ne suffisait pas à établir que la SPR avait fait montre de partialité à l’égard du demandeur. Plus précisément, la SAR a jugé que le fait que le commissaire de la SPR eut renvoyé à des documents du cartable national de documentation sans fournir de numéro ne constituait pas une preuve de partialité. La SAR a également écarté l’affirmation du demandeur selon laquelle il avait été interrogé « comme l’aurait été une personne accusée d’un crime », estimant plutôt que le commissaire avait adopté un ton calme et respectueux. Sur la question du temps alloué, la SAR a jugé que l’affirmation du demandeur selon laquelle son conseil et lui avaient eu peur de parler pendant l’audience n’était pas étayée par l’enregistrement et la transcription déposés en preuve. Plus précisément, le tribunal de la SAR a fait remarquer que le conseil s’était vu accorder plus de 40 minutes pour poser ses questions, un temps qui est généralement considéré comme amplement suffisant. Qui plus est, la SAR n’a pas décelé d’acrimonie de part ou d’autre, précisant que, lorsque le conseil du demandeur avait jugé qu’une question avait été mal présentée à son client, il l’avait signalé directement au commissaire de la SPR.

[11] De même, la SAR n’a pas souscrit à l’affirmation du demandeur selon laquelle la SPR avait manqué au principe de justice naturelle parce que le commissaire avait indiqué qu’il ne voulait « pas de documents supplémentaires ». Selon la SAR, la SPR semblait avoir tenté d’insister sur le fait que le temps qu’elle avait accordé pour les observations ne visait pas à offrir la possibilité de présenter d’autres documents, mais se voulait plutôt une mesure d’adaptation raisonnable en remplacement des observations de vive voix, compte tenu des contraintes de temps. La SAR a également fait valoir que, si le demandeur avait présenté une demande au titre de l’article 50 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012‑256, le commissaire aurait été tenu d’en tenir compte. Le demandeur n’a pas non plus démontré qu’il avait d’autres documents en sa possession qu’il souhaitait présenter dans le délai prévu pour ses observations écrites.

[12] Compte tenu de tous les facteurs qui précèdent, la SAR a conclu qu’il n’y avait eu aucun manquement à l’équité procédurale ou au principe de justice naturelle.

C. Conclusions sur la crédibilité

(1) Relation avec la petite amie

[13] La SAR a convenu avec la SPR que les présumées attaques contre le demandeur n’étaient pas crédibles. Plus précisément, la SAR a indiqué qu’aucune des lettres présentées par le demandeur n’appuyait précisément, comme l’on aurait pu s’y attendre, les allégations de ce dernier selon lesquelles il aurait été menacé en 2018 ou battu par des membres de sa famille et de sa communauté en 2008. De l’avis de la SAR, le demandeur a fourni des documents à l’appui émanant de personnes qui, comme sa petite amie, auraient dû être au courant de tout ce qui lui était arrivé, mais aucune d’entre elles n’a mentionné ses principales allégations. Le demandeur a avancé que la SPR avait commis une erreur en exigeant des éléments de preuve à l’appui comme elle l’avait fait. La SAR n’était pas de cet avis, déclarant que la conclusion de la SPR n’équivalait pas à exiger des éléments de preuve à l’appui lorsqu’aucun n’a été produit.

[14] De plus, la SAR a rejeté l’explication du demandeur selon laquelle il n’avait pas demandé à sa famille ou à ses amis d’écrire quoi que ce soit de précis dans leur lettre. D’après la SAR, sans dicter le contenu de la lettre, le demandeur aurait pu demander à sa petite amie, par exemple, de raconter leur expérience en tant que couple intercastes en Inde. La SAR a également relevé des incohérences dans l’affirmation du demandeur selon laquelle les membres de sa famille étaient souvent des agents de persécution, renvoyant plus particulièrement à l’affidavit du père du demandeur, qui ne permettait pas non plus de corroborer l’allégation du demandeur.

[15] La SAR a également mis en doute les affirmations du demandeur en se fondant sur la preuve relative à la situation dans le pays, selon laquelle ce serait normalement la personne de caste inférieure, et non celle de caste supérieure, qui serait ciblée par la famille de la personne de caste supérieure ou par sa propre famille. Le demandeur a fait valoir que la SPR avait procédé à un examen sélectif de la preuve relative à la situation dans le pays, sans tenir compte d’une autre référence à des situations où les deux personnes d’un couple intercastes avait été tuées. La SAR a rejeté cet argument, faisant remarquer que la SPR avait simplement mis en évidence une partie de la preuve portant sur ce qui se produit généralement plutôt que sur des cas particuliers. La SAR a refusé d’admettre de nouveaux éléments de preuve à cet égard, et le demandeur invoque ce refus à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire.

[16] Enfin, la SAR s’est penchée sur l’affirmation du demandeur selon laquelle la SPR avait conclu qu’il n’était pas crédible en raison d’invraisemblances perçues dans son récit. De l’avis de la SAR, le raisonnement de la SPR n’était pas fondé sur l’invraisemblance du récit, mais bien sur la qualité des éléments de preuve à l’appui du demandeur au vu de ses allégations écrites et de son témoignage de vive voix, ainsi que sur la documentation objective présentée.

(2) Risque lié à l’affiliation politique

[17] La SAR a reconnu que la SPR avait eu tort de déclarer que le demandeur n’avait pas fourni de lettre de la part du parti. Cela dit, la lettre n’a aidé aucun des deux tribunaux à établir le bien-fondé des allégations du demandeur selon lesquelles il avait eu des démêlés avec les musulmans en raison de son affiliation politique. De plus, la SAR a constaté que le demandeur avait passé sous silence son affiliation au parti politique dans ses formulaires d’immigration. En fait, dans l’un des formulaires, il était allé jusqu’à affirmer n’être associé à aucune organisation, y compris celles à vocation politique. Les mentions d’affiliations politiques plus générales qui figuraient dans le formulaire de fondement de la demande d’asile du demandeur ont été jugées vagues et génériques, compte tenu du fait que ce dernier prétendait avoir été membre du parti pendant 15 ans.

[18] La SAR a jugé que la preuve documentaire et les formulaires d’immigration du demandeur ne démontraient pas que ce dernier avait été membre d’un parti nationaliste hindou bien connu. De plus, la SAR a souscrit au raisonnement de la SPR qui expliquait que, comme le demandeur n’avait pas démontré son rôle au sein du parti, il n’y avait aucune raison qu’il soit pris pour cible par la police pour avoir prétendument causé des tensions avec la communauté musulmane de l’Inde.

[19] La SAR a également rejeté l’argument du demandeur selon lequel la SPR avait procédé à une évaluation excessivement minutieuse de la preuve et ignoré de fait la lettre de son ami, qui appuyait toutes ses allégations. Elle a toutefois remarqué quelques problèmes à l’égard de la lettre : l’auteur n’y précisait pas comment il avait connu le demandeur, il s’exprimait en des termes imprécis et ne donnait pas de détails sur les noms ou les dates, il n’indiquait pas comment il avait eu connaissance des renseignements qu’il fournissait, et la lettre comportait des incohérences apparentes quant au nombre d’attaques contre le demandeur. Compte tenu de ces réserves, la SAR a jugé que la lettre n’était pas un document à l’appui crédible et lui a accordé peu de poids.

(3) Risque lié à la police

[20] La SAR a souscrit au raisonnement de la SPR selon lequel, comme le demandeur n’avait pas réussi à démontrer qu’il avait joué un rôle au sein du parti politique nationaliste, il n’avait pas prouvé qu’il était une personne d’intérêt pour la police en raison de ce rôle. Essentiellement, la SAR a conclu que le demandeur n’avait fourni aucun élément de preuve sur la situation dans le pays à l’appui de son affirmation selon laquelle la police présentait toujours un risque pour lui en raison de ses positions perçues comme étant antimusulmanes.

D. Analyse de la possibilité de refuge intérieur

[21] Comme elle a souscrit à la conclusion de la SPR sur le manque de crédibilité des allégations du demandeur, la SAR n’a pas eu à analyser la question de la possibilité de refuge intérieur.

E. Risque lié au fait de retourner en Inde en tant que demandeur d’asile débouté

[22] Le demandeur s’est dit préoccupé par les risques auxquels il pourrait être exposé s’il était renvoyé en Inde à titre de demandeur d’asile débouté et d’Indien d’origine tamoule. La SAR a relevé certaines incohérences dans les observations écrites du demandeur à cet égard, dans lesquelles celui-ci affirmait notamment qu’il était venu au Canada muni d’un titre de voyage et que de fausses accusations risquaient d’être portées contre lui. La SAR a fait remarquer que, d’après les éléments de preuve qu’il avait présentés, le demandeur était venu au Canada à l’aide de son propre passeport. En outre, il n’avait jamais fait mention de fausses accusations portées contre lui, ce qui donne à penser que les observations à cet égard n’avaient peut-être pas été formulées dans le cadre de l’affaire qui nous occupe.

[23] En ce qui a trait à l’origine tamoule du demandeur, la SAR a noté que ce dernier n’avait fourni aucun élément de preuve indiquant que les Tamouls indiens étaient traités différemment des autres Indiens lorsqu’ils retournaient dans leur pays.

IV. Question en litige

[24] La seule question en litige en l’espèce est de savoir si la décision de la SAR est raisonnable.

V. Norme de contrôle applicable

[25] Les parties conviennent, et c’est aussi mon avis, que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Dans l’arrêt Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, que la Cour suprême du Canada a rendu en même temps que l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], le juge Rowe, s’exprimant au nom des juges majoritaires, explique les attributs que doit présenter une décision raisonnable et les exigences imposées à la cour de révision qui procède au contrôle de la décision selon la norme de la décision raisonnable :

[31] La décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, par. 85). Par conséquent, lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, « une cour de révision doit d’abord examiner les motifs donnés avec “une attention respectueuse”, et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à [l]a conclusion » (Vavilov, par. 84, citant Dunsmuir, par. 48). Les motifs devraient être interprétés de façon globale et contextuelle afin de comprendre « le fondement sur lequel repose la décision » (Vavilov, par. 97, citant Newfoundland Nurses).

[32] La cour de révision devrait se demander si la décision dans son ensemble est raisonnable : « . . . ce qui est raisonnable dans un cas donné dépend toujours des contraintes juridiques et factuelles propres au contexte de la décision particulière sous examen » (Vavilov, par. 90). Elle doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci » (Vavilov, par. 99, citant Dunsmuir, par. 47 et 74, et Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5, par. 13).

[33] Lors d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, « [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov, par. 100). La partie qui conteste la décision doit convaincre la cour de justice que « la lacune ou la déficience [invoquée] [. . .] est suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] déraisonnable » (Vavilov, par. 100). […]

[Non souligné dans l’original.]

[26] Par ailleurs, dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada a clairement indiqué que, à moins de « circonstances exceptionnelles », le rôle de la Cour n’est pas d’apprécier à nouveau la preuve. De telles circonstances n’existent pas en l’espèce. La Cour suprême du Canada nous enseigne ceci :

[125] Il est acquis que le décideur administratif peut apprécier et évaluer la preuve qui lui est soumise et qu’à moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne modifient pas ses conclusions de fait. Les cours de révision doivent également s’abstenir « d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur » : CCDP, par. 55; voir également Khosa, par. 64; Dr Q, par. 41‑42. D’ailleurs, bon nombre des mêmes raisons qui justifient la déférence d’une cour d’appel à l’égard des conclusions de fait tirées par une juridiction inférieure, dont la nécessité d’assurer l’efficacité judiciaire, l’importance de préserver la certitude et la confiance du public et la position avantageuse qu’occupe le décideur de première instance, s’appliquent également dans le contexte du contrôle judiciaire : voir Housen, par. 15‑18; Dr Q, par. 38; Dunsmuir, par. 53.

[Non souligné dans l’original.]

[27] En outre, la Cour d’appel fédérale a récemment réitéré, dans l’arrêt Doyle c Canada (Procureur général), 2021 CAF 237, que le rôle de notre Cour n’est pas d’apprécier à nouveau la preuve :

[3] La Cour fédérale avait tout à fait raison d’agir ainsi. Selon ce régime législatif, le décideur administratif, en l’espèce le directeur, examine seul les éléments de preuve, tranche les questions d’admissibilité et d’importance à accorder à la preuve, détermine si des inférences doivent en être tirées, et rend une décision. Lorsqu’elle effectue le contrôle judiciaire de la décision du directeur en appliquant la norme de la décision raisonnable, la cour de révision, en l’espèce la Cour fédérale, peut intervenir uniquement si le directeur a commis des erreurs fondamentales dans son examen des faits, qui minent l’acceptabilité de la décision. Soupeser à nouveau les éléments de preuve ou les remettre en question ne fait pas partie de son rôle. S’en tenant à son rôle, la Cour fédérale n’a relevé aucune erreur fondamentale.

[4] En appel, l’appelant nous invite essentiellement dans ses observations écrites et faites de vive voix à soupeser à nouveau les éléments de preuve et à les remettre en question. Nous déclinons cette invitation.

[Non souligné dans l’original.]

VI. Analyse

[28] Je ne traiterai que de deux des questions soulevées par le demandeur, à savoir les nouveaux éléments de preuve et la partialité. En bref, je ne suis pas convaincu du bien-fondé des autres questions.

A. Nouveaux éléments de preuve

[29] Le demandeur soutient que la SAR a déraisonnablement refusé d’admettre de nouveaux éléments de preuve, à savoir un affidavit de son père indiquant que le mariage intercastes imminent du demandeur et de sa future épouse suscitait de l’opposition au sein de leur communauté. Il s’agissait d’un élément important, puisque la SPR et la SAR avaient conclu que le récit du demandeur manquait de crédibilité au vu de la preuve sur la situation dans le pays indiquant que, dans le cadre d’un mariage intercastes, c’est la personne de caste inférieure qui est normalement la cible de violence, et non celle de caste supérieure, comme en l’espèce.

[30] À la fin de l’audience, la SPR a autorisé le dépôt d’observations écrites supplémentaires, mais a précisé qu’elle n’admettrait pas d’autres documents. En réponse à la demande du conseil de prolonger le délai pour présenter des observations écrites, le commissaire de la SPR a spécifié qu’il n’admettrait « pas de documents supplémentaires ». Faisant valoir que le conseil qui le représentait lors de cette audience n’était pas avocat, mais consultant en immigration, le demandeur avance que celui-ci avait suivi les indications de la SPR et n’avait pas présenté de nouveaux éléments de preuve devant ce tribunal, mais plutôt devant la SAR.

[31] Le demandeur soutient que les nouveaux éléments de preuve contenus dans l’affidavit de son père auraient pu faire contrepoids à la preuve sur la situation dans le pays indiquant que seul l’époux de caste inférieure ferait l’objet de critiques.

[32] Il ne fait aucun doute, et les deux parties en conviennent, que l’affidavit du père n’était pas un nouvel élément de preuve en ce sens que celui-ci était accessible au moment de l’audience devant la SPR. Cependant, le demandeur affirme que l’admission de cet élément de preuve aurait pu être envisagée suivant la « troisième voie » qu’offre le paragraphe 110(4) de la LIPR, qui autorise la SAR à admettre de nouveaux éléments de preuve que la personne en cause « n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances ». Le paragraphe 110(4) de la LIPR dispose :

Éléments de preuve admissibles

(4) Dans le cadre de l’appel, la personne en cause ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’elle n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet.

[Non souligné dans l’original.]

[33] Je n’ai aucune hésitation à conclure que la SAR n’a pas examiné les nouveaux éléments de preuve sous cet angle. Toutefois, l’analyse ne s’arrête pas là.

[34] Comme la SAR l’a évoqué, rien n’indique que le demandeur souhaitait déposer en preuve l’affidavit de son père jusqu’à environ un mois après que la SPR eut rendu sa décision. Par conséquent, je suis d’avis que l’affidavit du père est un exemple classique, mais infructueux, de tentative inadmissible, par une partie insatisfaite d’une décision, d’enchaîner les remises en cause en cherchant à faire admettre de nouveaux éléments de preuve au dossier afin de relancer l’affaire en fonction de ceux-ci dans le cadre d’un appel devant un tribunal supérieur. Les nouvelles dispositions relatives à la preuve prévues à l’article 110 de la LIPR n’autorisent pas ce genre d’entreprise.

[35] Qui plus est, comme l’a reconnu le conseil, le fait est que les soi-disant nouveaux éléments de preuve ne sont pas nouveaux. Ce fait n’est pas contesté. Les nouveaux éléments auraient tout aussi bien pu être ajoutés à l’affidavit principal du père que le demandeur avait déposé auprès de la SPR. Le fait qu’ils ne soient pas nouveaux est fatal à la plainte du demandeur.

[36] En outre, la SAR a expliqué son objection en détail :

[36] Quoi qu’il en soit, la règle 43 des Règles de la Section de la protection des réfugiés prévoit dans quelles circonstances les documents présentés après l’audience peuvent être admis. Peu importe ce que la SPR a déclaré à la fin de l’audience, si l’appelant avait présenté une demande au titre de la règle 50, le commissaire de la SPR aurait été tenu d’en tenir compte. De plus, l’appelant n’a pas démontré qu’il avait d’autres documents en sa possession qu’il souhaitait présenter dans le délai prévu pour ses observations écrites (jusqu’au 10 février 2020), mais qu’il a été empêché de le faire. Les nouveaux éléments de preuve qu’il a tenté de faire admettre en appel (l’affidavit et la photographie de son père) datent de mars 2020. Par conséquent, l’idée que l’appelant se soit vu empêché de présenter des documents est quelque peu théorique.

[37] Je me dois également de rappeler que les consultants en immigration, tout comme les avocats qui pratiquent le droit de l’immigration, de même que le public en général sont censés connaître la loi. En effet, les consultants et les avocats en immigration prétendent être bien informés des questions comme celle qui nous occupe. Ce que la SAR nous indique, et je suis d’accord, est que les commentaires qu’a fait la SPR à la fin de l’audience n’avaient aucune portée juridique. Il ne fallait donc pas s’y fier.

[38] Dans ces circonstances, je n’ai pas de difficulté à conclure que le second affidavit du père n’aurait pas pu être admis suivant la troisième voie offerte par le paragraphe 110(4) de la LIPR. La conclusion de la SAR à ce sujet est tout à fait raisonnable et ne justifie pas un contrôle judiciaire.

B. Allégation de partialité

[39] Le demandeur soulève la question de la partialité ou de la crainte raisonnable de partialité. La Cour suprême du Canada a défini le critère juridique applicable à la question de la « crainte raisonnable de partialité » dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty c L’Office national de l’énergie, [1978] 1 RCS 369, dans lequel le juge de Grandpré, dissident, a déclaré ceci :

La Cour d’appel a défini avec justesse le critère applicable dans une affaire de ce genre. Selon le passage précité, la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d’appel, ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, M. Crowe, consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »

[…]

Toutefois, les motifs de crainte doivent être sérieux et je suis complètement d’accord avec la Cour d’appel fédérale qui refuse d’admettre que le critère doit être celui d’« une personne de nature scrupuleuse ou tatillonne ».

[Non souligné dans l’original.]

[40] En toute déférence, l’allégation de partialité formulée par le demandeur n’a aucun fondement en l’espèce. La SAR a attentivement examiné cette question aux paragraphes 28 à 37 de ses motifs, que je n’ai pas besoin de compléter.

VII. Conclusion

[41] Pour les motifs qui précèdent, la demande sera rejetée.

VIII. Question à certifier

[42] Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale, et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑3687‑21

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant : La présente demande est rejetée, aucune question de portée générale n’est certifiée et aucuns dépens ne sont adjugés.

« Henry S. Brown »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑3687‑21

INTITULÉ :

VEERAPATHIRAN RAMACHANDIRAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 FÉVRIER 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

DATE DES MOTIFS :

LE 16 FÉVRIER 2023

COMPARUTIONS :

Michael Crane

POUR LE DEMANDEUR

Rishma Bhimji

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Michael Crane

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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