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Date : 20150312


Dossier : IMM-740-14

Référence : 2015 CF 313

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 12 mars 2015

En présence de madame la juge Mactavish

ENTRE :

ABDUL KHALIL ALEAF, RAIHANA ALEAF et TAYEBA ALEAF et ABDUL SABOOR ALEAF (représentés par leur tuteur à l’instance ABDUL KHALIL ALEAF)

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1] La demande de résidence permanente d’Abdul Khalil Aleaf en tant que membre de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention ou de celle des personnes de pays d’accueil parce qu’un agent des visas a conclu que l’histoire de M. Aleaf n’était pas crédible. L’agent n’a pas conclu que M. Aleaf était interdit de territoire au Canada pour des motifs liés à la sécurité.

[2] M. Aleaf sollicite le contrôle judiciaire de la décision de l’agent des visas. Dans le cadre de cette demande, le ministre a présenté au titre de l’article 87 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, une requête demandant l’interdiction de la divulgation des renseignements caviardés de certaines parties du dossier certifié du tribunal (DCT) au motif que leur divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale ou à celle d’autrui. En réponse à la requête du ministre, M. Aleaf a présenté sa propre requête demandant la nomination d’un avocat spécial pour protéger ses intérêts sur le fondement de l’article 87. Ces motifs ne concernent que la requête de M. Aleaf.

[3] Pour les motifs qui suivent, je conclus que les considérations d’équité et de justice naturelle n’exigent pas la nomination d’un avocat spécial en l’espèce. Par conséquent, la requête de M. Aleaf sera rejetée.

I. Analyse

[4] Les dispositions relatives à l’avocat spécial de la LIPR ont été adoptées à la suite de l’arrêt de la Cour suprême du Canada Charkaoui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, [2007] 1 R.C.S. 350. Dans l’arrêt Charkaoui, la Cour suprême a conclu que, vu les importants intérêts relatifs au droit à la liberté en jeu dans les procédures de certificat de sécurité, la justice fondamentale exige que la personne nommée dans le certificat bénéficie d’une divulgation complète des éléments de preuve produits contre elle, ou qu’il faut trouver une « autre façon de l’informer pour l’essentiel » (voir Charkaoui, par. 61).

[5] Bien que les modifications à la LIPR adoptées à la suite de l’arrêt Charkaoui rendent la nomination d’avocats spéciaux obligatoire dans les procédures de certificat de sécurité, dans d’autres types de dossiers d’immigration, la nomination d’avocats spéciaux est laissée à la discrétion du juge du procès désigné. En d’autres termes, l’article 87.1 de la LIPR confère à la Cour le pouvoir discrétionnaire de nommer un avocat spécial lorsqu’elle « est d’avis que les considérations d’équité et de justice naturelle requièrent » une telle nomination afin de protéger les intérêts d’un demandeur.

[6] Plusieurs facteurs doivent être soupesés pour déterminer si l’équité et la justice naturelle exigent la nomination d’un avocat spécial pour protéger les intérêts de la personne dans une situation donnée. Aucun facteur ne sera nécessairement déterminant à lui seul – la Cour doit plutôt mettre en équilibre toutes les considérations concurrentes afin d’en arriver à un résultat juste : Freeman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1065, par. 18; Farkhondehfall c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1064, par. 31.

[7] Je reconnais que cette question est sans aucun doute d’une grande importance pour M. Aleaf et sa famille. Cependant, comparativement aux affaires de certificat de sécurité, il n’y a en jeu en l’espèce aucun droit garanti par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, qui constitue l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11. Cette conclusion tient au fait que « la Charte ne confère généralement pas de droits aux non-citoyens à l’extérieur du Canada » : Tabingo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 377, [2014] 4 R.C.F. 150, par. 75; Toronto Coalition to Stop the War c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2010 CF 957, [2012] R.C.F. 413, par. 81 et 82.

[8] Je reconnais qu’il existe de rares exceptions à ce principe, lorsque, par exemple, le non-Canadien est effectivement présent au Canada ou fait l’objet d’un procès criminel au Canada : R c. Hape, 2007 CSC 26, [2007] 2 R.C.S. 292; Slahi c. Canada (Ministre de la Justice), 2009 CF 160, conf. par 2009 CAF 259, autorisation de pourvoi refusée [2009] C.S.C.R. no 444. Aucune des exceptions énoncées dans la jurisprudence ne s’applique en l’espèce. M. Aleaf n’est pas au Canada et il n’est pas citoyen canadien. Il n’est pas en détention ni en instance de procès au Canada, et il n’est pas question de son renvoi du Canada vers une destination où sa vie ou sa liberté serait menacée.

[9] Étant donné que l’article 7 de la Charte n’est pas en cause en l’espèce, la question en litige relève donc de l’équité procédurale en common law.

[10] Comme l’a fait observer la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, 1999 CanLII 699, le contenu de l’obligation d’équité varie selon le contexte précis du litige.

[11] Comme je l’ai mentionné plus haut, la décision en litige en l’espèce est d’une importance considérable pour M. Aleaf et sa famille, un facteur qui montre qu’on lui doit un degré plus élevé d’équité procédurale. Il en va de même pour le fait que la LIPR ne prévoit pas d’appel relativement à la décision faisant l’objet du contrôle : voir Mekonen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1133, par. 17.

[12] Cela dit, il existe d’autres facteurs qui limitent l’obligation d’équité procédurale due aux demandeurs de visa, dont M. Aleaf : Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 345, [2002] 2 C.F. 413, par. 30 et 31. En particulier, la décision de l’agent des visas en l’espèce n’a privé M. Aleaf d’aucun droit puisqu’en tant qu’étranger, il n’a pas le droit d’entrer au Canada : Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Chiarelli, [1992] 1 R.C.S. 711, 1992 CanLII 87, par. 24. Cela réduit le degré d’obligation en matière d’équité procédurale auquel M. Aleaf avait droit : Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 297, 2000 CanLII 16793, par. 38 à 41.

[13] Il est également pertinent de noter que la quantité de renseignements non divulgués à M. Aleaf est limitée. Comme l’a fait observer la Cour dans Segasayo c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 585, dans les affaires de certificat de sécurité, la quantité de renseignements qui ne sont pas divulgués à la personne visée par le certificat est généralement importante. De plus, la personne nommée dans le certificat n’aura aucun moyen de connaître la quantité de renseignements qui ne sont pas divulgués : voir Segasayo, par. 28. En revanche, en l’espèce, le dossier du tribunal compte quelque 156 pages et il n’y a du caviardage que sur quelques pages.

[14] Comme le fait observer le juge Noël dans Dhahbi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 347, dans des affaires comme celle-ci, les renseignements caviardés du dossier ajoutent souvent peu d’éléments aux questions en litige. Les exemples donnés par le juge Noël comprennent des renvois aux techniques d’enquête, les méthodes administratives et d’opération, les noms et numéros de téléphone du personnel du SCRS et des renseignements concernant les relations entre le SCRS et d’autres organismes au Canada et à l’étranger (par. 24). Bon nombre des renseignements caviardés en l’espèce correspondent à cette description.

[15] De plus, un examen du dossier certifié du tribunal non caviardé révèle que M. Aleaf a déjà eu accès à une grande partie des renseignements contenus dans le dossier et a été informé de la nature des doutes du ministre relativement à ses activités passées.

[16] Enfin, les questions soulevées par le défendeur dans sa requête présentée au titre de l’article 87 semblent limitées et la Cour est manifestement bien placée pour examiner sans l’intervention d’un avocat spécial les arguments de sécurité nationale avancés en l’espèce.

II. Conclusion

[17] Compte tenu de tout ce qui précède, je conclus que les considérations d’équité et de justice naturelle n’exigent pas la nomination d’un avocat spécial en l’espèce. En conséquence, la requête de M. Aleaf est rejetée.

[18] La Cour tiendra toutefois une audience ex parte à huis clos en application des dispositions de l’alinéa 83(1)c) de la LIPR afin de déterminer si la divulgation des renseignements caviardés pourrait effectivement porter atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui.

 


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la requête de M. Aleaf demandant la nomination d’un avocat spécial est rejetée.

« Anne L. Mactavish »

Juge

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross, jurilinguiste


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-740-14

 

INTITULÉ :

ABDUL KHALIL ALEAF c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

REQUÊTE ÉCRITE EXAMINÉE À OTTAWA (ONTARIO), CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS :

Le 12 mars 2015

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Timothy Wichert

 

Pour les demandeurs

 

Brad Gotkin

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman, Nazami and Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

William F. Pentney

Sous-procureure générale du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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