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Date : 20230210


Dossier : IMM-9557-21

Référence : 2023 CF 198

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 10 février 2023

En présence de monsieur le juge Favel

ENTRE:

ALI RIVAZ

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Nature de l’affaire

[1] Ali Rivaz [le demandeur] sollicite le contrôle judiciaire, au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, de la décision du 25 décembre 2021 par laquelle un agent d’immigration [l’agent] a rejeté la demande de permis d’études qu’il avait présentée en vue de suivre un programme d’études supérieures double en technologie de l’information et des communications et en analyse de données au Collège Douglas [la décision]. L’agent n’était pas convaincu que le demandeur quitterait le Canada à la fin de son séjour compte tenu du but de sa visite et de ses liens familiaux.

[2] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

II. Contexte

[3] Le demandeur, un citoyen iranien de 28 ans, est célibataire et n’a personne à sa charge. En 2016, il a obtenu un baccalauréat en technologie de l’information de l’Université Salman Farsi. En 2018, il a commencé à travailler chez Shiraz Machine Company en tant qu’employé responsable des affaires informatiques. Son employeur lui a offert de le promouvoir au poste de gestionnaire du Service des technologies de l’information à condition qu’il fasse davantage d’études au Canada.

[4] Le 9 septembre 2021, le demandeur a été admis à un programme d’études supérieures double d’une durée de deux ans en technologie de l’information et des communications et en analyse de données au Collège Douglas. Aux alentours du 17 septembre 2021, il a présenté une demande de permis d’études. Le 13 octobre 2021, il a acquitté la totalité des droits de scolarité pour la première année.

III. Décision faisant l’objet du contrôle judiciaire

[5] L’agent a rejeté la demande du demandeur parce qu’il n’était pas convaincu que celui-ci quitterait le Canada à la fin de son séjour compte tenu du but de sa visite et de ses liens familiaux au Canada et en Iran.

[6] Les notes consignées par l’agent dans le Système mondial de gestion des cas sont reproduites ci-dessous :

[traduction]

J’ai examiné la demande. Je ne suis pas convaincu que le demandeur quitterait le Canada à la fin de son séjour à titre de résident temporaire. Je souligne ce qui suit : - le client est célibataire et mobile, il n’est pas bien établi et il n’a personne à sa charge. Étant donné les raisons familiales ou économiques qu’il aurait de rester au Canada, ces raisons pourraient l’emporter sur les liens qu’il a dans son pays d’origine. Le demandeur principal présente une demande en vue d’étudier la technologie de l’information et des communications au Collège Douglas. Il est déjà titulaire d’un baccalauréat en technologie de l’information et il travaille actuellement comme spécialiste en TI. Compte tenu de ses études et de son expérience de travail, je ne suis pas convaincu que le demandeur ne profite pas déjà des avantages de ce programme. Étant donné les études antérieures et la carrière actuelle du demandeur principal, je ne suis pas convaincu qu’il s’agit d’une progression raisonnable de ses études. Après avoir soupesé les facteurs à prendre en considération dans la présente demande, je ne suis pas convaincu que le demandeur quittera le Canada à la fin de sa période de séjour autorisée. Pour les motifs qui précèdent, je rejette la présente demande.

IV. Questions en litige et norme de contrôle applicable

[7] Il convient de formuler les questions en litige ainsi :

  1. La décision était-elle raisonnable?

  2. Y a-t-il eu manquement à l’équité procédurale?

[8] Les deux parties conviennent que la norme qui s’applique au contrôle de la décision sur le fond est celle de la décision raisonnable. En l’espèce, la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable n’est pas réfutée par la primauté du droit ou par une intention claire du législateur (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 16-17).

[9] Pour juger si une décision est raisonnable, la cour de révision doit « se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, au para 99). Une décision peut être déraisonnable si la logique globale du décideur comporte une faille décisive ou si elle ne peut être justifiée au regard du droit et des faits pertinents (Vavilov, aux para 102, 105). Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable (Vavilov, au para 100).

[10] Compte tenu de ma conclusion selon laquelle la décision était déraisonnable, comme je l’explique ci-dessous, j’estime inutile d’examiner les observations du demandeur sur le manquement à l’équité procédurale.

V. Analyse

A. La décision de l’agent était-elle raisonnable?

1) Position du demandeur

[11] La décision n’est pas transparente, intelligible ou justifiée en raison de l’absence d’explications de la part de l’agent concernant diverses conclusions.

[12] Premièrement, la conclusion de l’agent quant aux liens familiaux du demandeur au Canada et en Iran est vague et non fondée, ce qui constitue une erreur importante et susceptible de contrôle (Rahmati c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 778 au para 18). La preuve au dossier contredit directement la conclusion de l’agent. De plus, même si le demandeur a des liens familiaux étroits au Canada, cela ne devrait pas justifier un refus (Bteich c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1230 [Bteich] au para 34).

[13] Deuxièmement, l’agent n’a fourni aucune explication à l’appui de son affirmation selon laquelle le demandeur n’était « pas bien établi » et il n’a donné aucun aperçu du critère appliqué pour parvenir à cette conclusion (Afuah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 596 au para 13; Vavilov, au para 121). L’agent n’a pas expliqué pourquoi la preuve fournie ne permettait pas d’établir l’établissement du demandeur, même si une telle explication est exigée lorsque la preuve en question indique le contraire (Rodriguez Martinez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 293 [Rodriguez Martinez] au para 15; Ayeni c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1202 [Ayeni] au para 28).

[14] De plus, la décision s’appuyait à la fois sur une généralisation non fondée et sur un raisonnement déraisonnable concernant le fait que le demandeur était célibataire et mobile et qu’il n’avait personne à sa charge (Onyeka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 336 [Onyeka] au para 48).

[15] Quatrièmement, l’agent n’a pas examiné les éléments de preuve favorables à la demande du demandeur, notamment la preuve du paiement des droits de scolarité importants et la lettre d’admission (Iyiola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 324 [Iyiola] au para 19; Kheradpazhooh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1097 au para 18). Rien n’indique que le demandeur ne se conformerait pas au droit canadien (Cervjakova c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1052 [Cervjakova] au para 12).

[16] Enfin, l’agent a mal interprété la preuve lorsqu’il a évalué le but de la visite du demandeur (Peiro c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1146 aux para 21-23; Tang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1284 au para 29 [Tang]; Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 77 aux para 15, 17, 20).

2) Position du défendeur

[17] La décision est raisonnable. L’agent a examiné et soupesé les éléments de preuve concernant le plan d’études du demandeur, ses liens familiaux, son établissement et ses perspectives de carrière. Par ses arguments, le demandeur tente simplement d’amener la Cour à apprécier à nouveau la preuve. Compte tenu de la preuve dont il disposait, il était loisible à l’agent de conclure que le demandeur ne quitterait pas le Canada à la fin de ses études (Chhetri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 872 au para 9).

[18] Le demandeur n’affirme pas qu’il ne pourrait pas suivre le programme proposé en Iran, il dit seulement que les ressources accessibles sont désuètes. De plus, le demandeur n’a pas fourni de raison pour expliquer pourquoi de telles études internationales sont nécessaires à son avancement professionnel, et rien n’indique clairement que la promotion s’accompagne d’une hausse de salaire ou d’un changement dans les responsabilités. Le demandeur n’a pas fourni de détails au sujet de ses aspirations ou des avantages particuliers qu’il compte tirer du programme d’études, comme l’exige la jurisprudence (Ali c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2018 CF 702 au para 19; Akomolafe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 472 [Akomolafe] au para 21).

[19] Les liens du demandeur au Canada, notamment sa tante, une citoyenne canadienne, et sa sœur, une étudiante étrangère au pays, justifient que l’agent ait accordé un poids important aux raisons qui inciteraient le demandeur à rester au Canada. L’agent a, à raison, comparé et examiné la déclaration du demandeur selon laquelle il avait l’intention de retourner en Iran à la fin de ses études et sa déclaration contradictoire selon laquelle le permis d’études le rendrait admissible à la résidence permanente.

[20] Il ressort clairement de la loi qu’un agent des visas est présumé avoir soupesé et examiné l’ensemble de la preuve qui lui a été soumise, jusqu’à preuve du contraire. Ce n’est pas le cas en l’espèce (Boughus c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 210 au para 41; Ahmed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1083 au para 34). Le demandeur ne s’est tout simplement pas acquitté de son fardeau de fournir à l’agent tous les renseignements pertinents (Tabari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1046 [Tabari] au para 24).

3) Conclusion

[21] Je conclus que la décision est déraisonnable. Non seulement l’agent a omis d’examiner la preuve dont il disposait, mais il a également omis d’expliquer correctement diverses conclusions concernant les liens familiaux du demandeur, son établissement et le but de la visite. Le simple fait que des liens familiaux pourraient inciter le demandeur à rester au Canada ne suffit pas à justifier le refus de lui accorder un visa d’étudiant (Tang, au para 29). Le juge Shore a traité de la manière d’évaluer les liens familiaux dans la décision Bteich :

[34] [...] l’agent en l’espèce n’aurait pas dû tirer de conclusions défavorables en raison des liens familiaux du demandeur au Canada. Au contraire, il aurait dû considérer le soutien financier que lui procurent les membres de sa famille comme un facteur favorable. À tout le moins, l’agent aurait dû justifier son raisonnement, car il n’est pas raisonnable d’inférer que le demandeur restera illégalement au Canada pour la simple raison que plusieurs membres de sa famille y sont bien établis.

[22] En l’espèce, le dossier établissait qu’une sœur du demandeur étudiait au Canada, mais que ses deux parents et un frère ou une sœur vivaient en Iran. La Cour n’arrive pas à comprendre les raisons qui ont motivé la conclusion de l’agent concernant les liens familiaux du demandeur.

[23] Le défendeur invoque la décision Akomolafe à l’appui de son argument selon lequel le demandeur n’a pas fourni de détails au sujet de ses aspirations ou des avantages particuliers qu’il compte tirer de son programme d’études. La présente affaire se distingue de la décision Akomolafe puisque le plan d’études du demandeur semble plus détaillé. Plus précisément, il fait mention d’une possibilité d’avancement professionnel sous la forme d’une promotion. Je ne parviens pas à suivre le raisonnement de l’agent quant aux raisons pour lesquelles la preuve présentée est insuffisante.

[24] Rien n’indique que le demandeur ne se conformerait pas au droit canadien (Cervjakova, au para 12). Le demandeur a effectivement mentionné que le programme de visa d’étudiant pourrait éventuellement donner lieu à la résidence permanente, mais il a aussi expliqué que ce n’était pas son but immédiat et qu’il cherchait à employer les voies appropriées.

[25] De même, je conviens que l’agent n’a pas tenu compte des éléments de preuve favorables à la demande du demandeur, notamment la preuve du paiement des droits de scolarité importants et la lettre d’admission d’un établissement désigné (Iyiola au para 19; Kheradpazhooh, au para 18).

[26] De plus, l’agent s’est appuyé sur des généralisations non fondées au sujet des demandeurs qui sont célibataires et mobiles et qui n’ont personne à leur charge pour parvenir à une conclusion concernant le niveau d’établissement du demandeur en Iran (Onyeka, au para 48). La décision Onyeka se distingue de la présente affaire parce que le demandeur n’avait aucun lien au Canada. En l’espèce, cependant, les liens du demandeur au Canada sont insuffisants pour appuyer la conclusion de l’agent étant donné la preuve contradictoire concernant, notamment, son emploi et ses liens familiaux en Iran. En fait, comme il est mentionné dans la décision Onyeka, les expressions « célibataire », « mobile » et « sans personne à charge » s’appliquent probablement à la plupart des étudiants.

[27] Il est vrai que le fardeau de présenter des éléments de preuve incombait au demandeur (Tabari, au para 24). Toutefois, l’agent devait tout de même expliquer pourquoi la preuve fournie était insuffisante (Rodriguez Martinez, au para 15; Ayeni, au para 28).

[28] Je juge que la décision, lorsqu’elle est interprétée dans son ensemble, ne satisfait pas à la norme de la décision raisonnable (Vavilov, aux para 99-101). Les décisions relatives à des permis d’études n’exigent pas de longs motifs, mais la jurisprudence exige que l’agent s’assure que les motifs tiennent compte de la preuve du demandeur et, lorsque la preuve est jugée insuffisante, qu’ils expliquent adéquatement en quoi cette preuve n’atteint pas le seuil applicable (Ayeni, au para 28).

VI. Conclusion

[29] La demande de contrôle judiciaire sera accueillie. La décision de l’agent n’est ni intelligible, ni transparente, ni justifiée, car elle ne tient pas compte des éléments de preuve du demandeur.

[30] Aucune des parties n’a proposé de question aux fins de certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-9557-21

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision.

  2. Il n’y a pas de question de portée générale à certifier.

« Paul Favel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-9557-21

INTITULÉ :

ALI RIVAZ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 24 août 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FAVEL

DATE DES MOTIFS :

Le 10 février 2023

COMPARUTIONS :

Samin Mortazavi

Pour le demandeur

Jessica Ko

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pax Law Corporation

Avocats

North Vancouver (Colombie‑Britannique)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le défendeur

 

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