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Date : 20230213


Dossier : T-1910-21

Référence : 2023 CF 212

Ottawa (Ontario), le 13 février 2023

En présence de monsieur le juge Sébastien Grammond

ENTRE :

MONIKA MOLLEN LALO

demanderesse

et

COMITÉ D’APPEL DU CONSEIL DES INNUS DE EKUANITSHIT,

GEORGETTE MESTOKOSHO,

JULIE MESTOKOSHO,

YVETTE BELLEFLEUR,

CONSEIL DES INNUS DE EKUANITSHIT ET ADÉLINE BASILE

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Mme Basile a été élue au Conseil des Innus de Ekuanitshit. Mme Lalo a contesté l’élection de Mme Basile, alléguant que son casier judiciaire la rendait inéligible. Cependant, le Comité d’appel de la communauté a rejeté cette contestation, puisque Mme Lalo a été déclarée coupable d’une infraction sommaire et non d’un acte criminel.

[2] Mme Lalo sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision du Comité d’appel. Elle soutient que celui-ci n’était pas constitué conformément aux Coutumes électorales des Ekuanitshinnuat [les Coutumes] et qu’il a rendu une décision déraisonnable en concluant que seules les personnes déclarées coupables d’un acte criminel étaient inéligibles.

[3] Je rejette la demande de Mme Lalo. Celle-ci n’a pas démontré que le Comité d’appel était irrégulièrement constitué. De plus, le Comité d’appel a adopté une interprétation raisonnable de l’expression « dossier criminel » qui figure aux Coutumes. Puisque Mme Basile n’a été déclarée coupable que d’une infraction sommaire, il était raisonnable de conclure qu’elle n’avait pas de dossier criminel et qu’elle était donc éligible.

I. Contexte

[4] Les membres du Conseil des Innus de Ekuanitshit sont élus à tous les trois ans conformément aux Coutumes, adoptées en 1989 et modifiées à plusieurs reprises par la suite. L’article 5.1 des Coutumes établit les conditions d’éligibilité des candidats :

5.1. Éligibilité des candidats

1) Avoir 18 ans et plus lors de l’Assemblée des mises en candidature;

2) Être membre en règle de la communauté, i.e. être inscrit sur la liste des Innu d’Ekuanitshit;

3) Être de bonnes mœurs; Être sobre en y ajoutant « ne pas consommer d’alcool, ni de drogue. »

4) Vivre dans la communauté;

5) Ne pas avoir de dossier criminel;

6) Avoir obtenu une demande de pardon suite à une déclaration de culpabilité d’un acte criminel;

7) Les personnes ayant transférées leur numéro de bande à Ekuanitshit seront éligibles après avoir résidé trente-six (36) mois dans la communauté et ce, à partir de la date de résolution où leur demande de transfert a été accepté.

[5] Les dernières élections ont été tenues le 30 septembre 2021. La défenderesse, Mme Adéline Basile, a été élue au poste de conseillère.

[6] Or, en 1994, Mme Basile a été déclarée coupable de voies de fait, aux termes d’une poursuite intentée par voie de procédure sommaire. Au moment de présenter sa candidature, Mme Basile n’avait pas obtenu la suspension de son casier judiciaire (ce qu’on appelle communément le « pardon ») selon le processus établi par la Loi sur le casier judiciaire, LRC 1985, c C-47. Apprenant cela, la présidente des élections a consulté un avocat et a conclu qu’une infraction poursuivie par procédure sommaire ne donnait pas lieu à un « dossier criminel » visé par le paragraphe 5 de l’article 5.1 et ne faisait pas obstacle à la candidature de Mme Basile.

[7] La demanderesse, Mme Lalo, a porté en appel le résultat de l’élection en alléguant que Mme Basile était inéligible, en raison de sa déclaration de culpabilité de 1994. Après avoir reçu les observations écrites de Mme Basile, le Comité d’appel constitué en vertu de la section 8 des Coutumes a rejeté l’appel. Les passages pertinents de la décision du Comité se lisent ainsi :

CONSIDÉRANT les dispositions de l’article 5.1 5) et 5.1 6) des Coutumes électorales des Ekuanitshinnuat et plus particulièrement relativement à l’absence de définition du terme « dossier criminel »;

CONSIDÉRANT que lors de l’élection de 2018 deux candidats non-élus avaient été acceptés comme éligibles malgré des antécédents d’infractions sommaires;

CONSIDÉRANT que les dispositions des Coutumes électorales des Ekuanitshinnuat devront être précisées par l’assemblée générale des membres de la communauté de Ekuanitshit concernant les dossiers criminels;

Le Comité d’appel rejette la demande d’appel concernant l’éligibilité de la candidate élue Mme Adeline Basile.

Le Comité d’appel recommande fortement que cette élue fasse une demande de pardon dans les meilleurs délais afin de respecter ses responsabilités d’Élue et de représentante politique de la communauté de Ekuanitshit.

[8] Mme Lalo sollicite maintenant le contrôle judiciaire de cette décision. Elle affirme que le Comité d’appel était illégalement constitué, puisque l’une de ses membres, Mme Yvette Bellefleur, n’était pas « [u]ne personne neutre ne provenant pas de la communauté et n’ayant aucun intérêt dans les élections », comme l’exige l’article 8.1 des Coutumes. De plus, elle soutient que le Comité d’appel aurait dû conclure que Mme Basile était inéligible en raison de son casier judiciaire.

II. Analyse

[9] Je rejette la demande de Mme Lalo, puisque celle-ci échoue à démontrer que la composition du Comité d’appel était contraire aux Coutumes ou que le Comité d’appel a rendu une décision déraisonnable concernant l’éligibilité de Mme Basile.

[10] Avant de fournir les motifs détaillés pour lesquels je suis parvenu à cette conclusion, il est utile de préciser le rôle de notre Cour lorsqu’elle statue en contrôle judiciaire. En ce qui a trait au fond de la décision, notre rôle n’est pas de réévaluer le dossier à partir de zéro, mais plutôt de se demander si le décideur administratif—ici, le Comité d’appel—a rendu une décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 RCS 653 [Vavilov]. Pour autant que le Comité d’appel ait respecté les contraintes qui encadrent son pouvoir décisionnel, notre Cour doit considérer que la décision qu’il a rendue est raisonnable. Lorsqu’il s’agit d’interpréter un texte législatif, comme les Coutumes, il est possible que plus d’une interprétation soit raisonnable. Dans ce cas, il appartient au Comité d’appel, et non à notre Cour, de choisir entre ces interprétations : Vavilov, aux paragraphes 120 à 124; Porter c Boucher-Chicago, 2021 CAF 102 aux paragraphes 26 à 28 [Porter]; Pastion c Première nation Dene Tha’, 2018 CF 648 aux paragraphes 22 à 28, [2018] 4 RCF 467 [Pastion]. Par contre, lorsque le contrôle porte sur le caractère équitable du processus suivi par le Comité d’appel, la norme du caractère raisonnable ne s’applique pas. Au lieu de cela, « [l]a cour qui apprécie un argument relatif à l’équité procédurale doit se demander si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances » : Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au paragraphe 54, [2019] 1 RCF 121. Dans tous les cas, il appartient au demandeur de faire la preuve des moyens qu’il invoque : Vavilov, au paragraphe 100.

A. La composition du Comité d’appel

[11] Le premier moyen invoqué par Mme Lalo a trait à la composition du Comité d’appel. Selon l’article 8.1 des Coutumes, ce comité doit être composé d’un aîné, d’une « personne de la communauté ayant une très bonne connaissance des valeurs et des traditions », ainsi que d’« [u]ne personne neutre ne provenant pas de la communauté et n’ayant aucun intérêt dans les élections ». Mme Lalo soutient que Mme Bellefleur ne satisfait pas ces conditions, puisqu’elle réside dans la communauté depuis plus de dix ans, qu’elle est la belle-sœur du chef et qu’elle est employée du Conseil.

[12] Même si Mme Lalo présente la question comme ayant trait à l’interprétation d’une disposition des Coutumes, il est évident que la question relève de l’équité procédurale, plus particulièrement de l’exigence d’impartialité. Si l’article 8.1 exige la présence d’une « personne neutre ne provenant pas de la communauté et n’ayant aucun intérêt dans les élections », c’est sans aucun doute en vue d’assurer un degré accru d’impartialité, étant donné la petite taille de la communauté.

[13] Un motif péremptoire conduit au rejet des prétentions de Mme Lalo : elle a fait défaut de contester la composition du Comité d’appel en temps utile. La Cour d’appel fédérale a récemment réitéré la règle bien établie selon laquelle « les arguments d’équité procédurale doivent normalement être soulevés à la première occasion, c’est-à-dire dès que la partie devient consciente de la possibilité de le faire » : 11316753 Canada Association c Canada (Transports), 2023 CAF 28 au paragraphe 85. Mme Lalo n’a pas allégué qu’elle ignorait l’identité des membres du Comité d’appel. La manière dont elle a adressé sa demande d’appel laisse supposer qu’elle en connaissait l’identité. De plus, ces personnes ont été élues lors d’une assemblée générale des membres de la communauté. On peut donc présumer que leur identité était généralement connue. Mme Lalo aurait donc dû exprimer son désaccord avec la composition du Comité d’appel au plus tard au moment de déposer sa demande d’appel. Elle ne pouvait attendre de recevoir une décision défavorable. Cette seule raison suffit à rejeter ce premier moyen de Mme Lalo.

[14] De toute manière, Mme Lalo n’a pas démontré que le Comité d’appel était irrégulièrement constitué. À l’audience, les parties m’ont présenté des observations concernant la norme de contrôle appropriée. Il ne m’est pas nécessaire de trancher cette question, puisque même si l’on envisage l’affaire sous l’angle de l’équité procédurale, Mme Lalo n’a pas prouvé que Mme Bellefleur ne satisfaisait pas les critères de l’article 8.1 des Coutumes et n’a pas non plus établi l’existence d’une crainte raisonnable de partialité.

[15] Mme Lalo soutient d’abord que Mme Bellefleur « provient » de la communauté puisqu’elle y réside depuis plus de dix ans. Je ne suis pas d’accord. Le verbe « provenir » connote l’origine. Lorsque l’on lit les Coutumes dans leur ensemble, il est évident que l’expression « provenant de la communauté » signifie une personne qui est membre de la Première Nation d’Ekuanitshit, peu importe son lieu de résidence. Des expressions différentes, comme « vivre dans la communauté » ou « résider dans la communauté », sont employées pour renvoyer au concept de résidence, notamment aux articles 5.1 et 7.1. Il n’est pas contesté que Mme Bellefleur est membre d’une autre Première Nation. Elle ne « provient » donc pas de la communauté d’Ekuanitshit, même si elle y réside.

[16] Mme Lalo s’en prend également au fait que Mme Bellefleur est la belle-sœur du chef et qu’elle occupe un emploi au Conseil. Cependant, ces seuls faits ne suffisent pas à mettre en doute sa neutralité ou à conclure qu’elle possède un intérêt dans le résultat des élections. Aucune preuve concrète ne démontre qu’elle aurait favorisé un candidat en particulier. Dans le cadre de son emploi, elle ne se rapporte pas directement au Conseil. Dans une communauté telle Ekuanitshit, le Conseil (et ses organismes ou entreprises affiliées) est souvent le principal employeur. Le simple fait d’être employé du Conseil ne suffit pas à faire la preuve d’un conflit d’intérêts ou d’une absence de neutralité.

[17] Pour les mêmes motifs, Mme Lalo n’a pas démontré que la présence de Mme Bellefleur au sein du Comité d’appel donnait lieu à une crainte raisonnable de partialité. Il est bien connu que les exigences en matière d’impartialité doivent être appréciées en fonction de la petite taille de communautés telle Ekuanitshit : Sparvier c Bande indienne Cowessess, [1993] 3 CF 142 (1re inst) aux pages 167 et 168. La Cour d’appel fédérale a statué que « le simple fait qu’un membre du comité [d’appel] soit un employé de la bande ne soulève pas de crainte raisonnable de partialité » : Johnny c Bande indienne d’Adams Lake, 2017 CAF 146 au paragraphe 41. Dans l’affaire Assu c Chickite, [1999] 1 CNLR 14, aux paragraphes 53 à 56, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a affirmé qu’à eux seuls, les liens familiaux au sein d’une Première Nation ne donnaient pas lieu à une crainte raisonnable de partialité.

B. Les antécédents judiciaires de Mme Basile

[18] Le second moyen de Mme Lalo a trait au casier judiciaire de Mme Basile. Elle soutient que le Comité d’appel aurait dû conclure que celle-ci était inéligible, en raison d’une déclaration de culpabilité à une accusation de voies de fait, en 1994.

[19] J’estime que Mme Lalo a tort. Il était raisonnable pour le Comité d’appel de considérer que l’article 5.1 des Coutumes ne vise que les actes criminels, et non les infractions punissables par procédure sommaire. Puisque Mme Basile a été déclarée coupable d’une infraction sommaire, il était raisonnable de conclure à son éligibilité.

[20] Pour bien comprendre cela, il est utile de préciser d’entrée de jeu la distinction que le droit criminel canadien établit entre les concepts d’« acte criminel » et d’« infraction sommaire ». Le Code criminel, LRC 1985, c C-46, prévoit deux procédures distinctes pour la poursuite des infractions : la « mise en accusation » et la « procédure sommaire ». Il n’est pas nécessaire d’exposer en détail les différences entre ces deux types de procédure, sauf pour dire que la procédure sommaire entraîne une peine maximale de deux ans moins un jour d’emprisonnement, alors qu’il n’y a aucune limite lorsque l’infraction est poursuivie par mise en accusation. Le texte de loi qui crée l’infraction précise si celle-ci peut être poursuivie par mise en accusation ou par procédure sommaire. Pour certaines infractions, appelées « infractions hybrides », c’est le poursuivant qui choisit au cas par cas si l’infraction sera poursuivie par mise en accusation ou par procédure sommaire. De manière générale, ce sont les infractions les moins graves qui sont poursuivies par procédure sommaire.

[21] Comme l’indique le paragraphe 34(1) de la Loi d’interprétation, LRC 1985, c I-21, le concept d’« acte criminel » est souvent utilisé comme synonyme d’« infraction poursuivie par mise en accusation », par opposition aux « infractions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire » ou, en langage plus concis, aux « infractions sommaires » :

34 (1) Les règles suivantes s’appliquent à l’interprétation d’un texte créant une infraction :

34 (1) Where an enactment creates an offence,

a) l’infraction est réputée un acte criminel si le texte prévoit que le contrevenant peut être poursuivi par mise en accusation;

(a) the offence is deemed to be an indictable offence if the enactment provides that the offender may be prosecuted for the offence by indictment;

b) en l’absence d’indication sur la nature de l’infraction, celle-ci est réputée punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire;

(b) the offence is deemed to be one for which the offender is punishable on summary conviction if there is nothing in the context to indicate that the offence is an indictable offence; and

c) s’il est prévu que l’infraction est punissable sur déclaration de culpabilité soit par mise en accusation soit par procédure sommaire, la personne déclarée coupable de l’infraction par procédure sommaire n’est pas censée avoir été condamnée pour un acte criminel.

(c) if the offence is one for which the offender may be prosecuted by indictment or for which the offender is punishable on summary conviction, no person shall be considered to have been convicted of an indictable offence by reason only of having been convicted of the offence on summary conviction.

[22] Mme Lalo attaque la décision du Comité sous deux angles. Elle s’en prend d’abord à la motivation de la décision, qu’elle estime déficiente. Elle soutient ensuite qu’il était déraisonnable d’interpréter le concept de « dossier criminel », à l’article 5.1 des Coutumes, comme ne visant que les actes criminels et non les infractions sommaires.

[23] Quant à la première question, il est vrai que les motifs du Comité d’appel, que j’ai reproduits plus haut, sont succincts, voire laconiques. Cependant, cela n’est pas en soi un motif de révision judiciaire, même lorsque la question porte sur l’interprétation d’un texte de loi. Au paragraphe 123 de l’arrêt Vavilov, la Cour suprême enseigne que :

[…] il se peut que le décideur administratif n’examine pas expressément dans ses motifs le sens d’une disposition pertinente, mais que la cour de révision soit en mesure de discerner l’interprétation adoptée à la lumière du dossier et de se prononcer sur le caractère raisonnable de cette interprétation.

[24] À la lecture du dossier, il me paraît évident que le Comité d’appel était « conscient » de la question (Vavilov, au paragraphe 120) et qu’il a interprété l’article 5.1 des Coutumes comme ne visant que les actes criminels et non les infractions sommaires. Les observations écrites de Mme Basile étaient entièrement fondées sur cette distinction. Elles s’appuyaient sur les dispositions de la Loi d’interprétation citées plus haut, sur l’emploi de l’expression « acte criminel » au paragraphe 6 de l’article 5.1, sur un avis juridique donné quelques années auparavant et sur le traitement de cas semblables lors de l’élection de 2018. Tout indique que le Comité était d’accord avec les observations de Mme Basile. Ainsi, le premier considérant des motifs du Comité d’appel souligne la difficulté interprétative qui découle de l’absence de définition de « dossier criminel » et mentionne le paragraphe 6 de l’article 5.1. Le deuxième considérant solutionne cette difficulté en se fondant sur l’interprétation donnée lors des élections de 2018, à savoir que seuls les actes criminels sont pris en considération. À la lumière de tous ces indices, le fondement de la décision du Comité d’appel ne laisse aucune place à l’ambiguïté. Le Comité d’appel n’avait pas à formuler ses conclusions comme l’aurait fait une cour de justice.

[25] Mme Lalo soutient néanmoins que le troisième considérant des motifs du Comité d’appel laisse entendre que celui-ci aurait abdiqué sa responsabilité d’interpréter les Coutumes en suggérant que celles-ci soient précisées par l’assemblée générale des membres. Je ne donne pas une telle portée à ces remarques. Les Coutumes ont été modifiées à plusieurs reprises dans un passé récent, apparemment pour solutionner diverses difficultés interprétatives. Il est tout à fait légitime que le Comité d’appel attire l’attention de l’assemblée générale sur la question afin que celle-ci puisse avoir le dernier mot en ce qui a trait aux élections futures. Néanmoins, le Comité d’appel a bel et bien tranché la question relativement à l’élection de 2021. De la même manière, la recommandation faite à Mme Basile d’obtenir un pardon ne signifie pas que le Comité d’appel a refusé d’appliquer les Coutumes. Le Comité d’appel pouvait fort bien constater que Mme Basile était éligible selon les Coutumes, tout en lui faisant cette recommandation pour des motifs politiques ou moraux.

[26] Cela m’amène à la question déterminante du dossier : était-il raisonnable d’interpréter l’expression « dossier criminel » comme excluant les infractions sommaires?

[27] À cet égard, les arguments de Mme Basile, que le Comité a manifestement acceptés, sont fondés sur des méthodes reconnues d’interprétation des lois. Ils paraissent raisonnables, car ils sont logiques et respectent les contraintes que le texte des Coutumes ou les autres éléments du dossier font peser sur la décision. Même si le Comité d’appel n’était pas tenu d’appliquer la Loi d’interprétation pour dégager le sens des Coutumes, il lui était loisible de s’en inspirer pour comprendre le contexte juridique dans lequel s’insère l’emploi des concepts de « dossier criminel » et d’« acte criminel ». Comme la Cour suprême le souligne dans l’arrêt Vavilov, aux paragraphes 129 à 131, on s’attend généralement à ce que les décideurs administratifs tranchent des cas semblables de la même manière. Pour cette raison, le Comité d’appel pouvait se fonder sur la pratique antérieure des présidents d’élection, même si celle-ci n’avait pas fait l’objet d’une décision du Comité d’appel.

[28] En réalité, Mme Lalo demande à notre Cour d’imposer sa propre interprétation de l’expression « dossier criminel ». À l’audience, elle a soutenu que l’interprétation adoptée par le Comité est fondée sur une distinction excessivement technique que les membres de la communauté ne comprennent pas. Elle a également affirmé que l’esprit des Coutumes est de rendre inéligible toute personne déclarée coupable d’une infraction, peu importe qu’il s’agisse d’un acte criminel ou d’une infraction sommaire.

[29] Les prétentions de Mme Lalo sont sans doute raisonnables, en ce sens qu’elles constituent des arguments interprétatifs plausibles, mais les motifs retenus par le Comité le sont également. Dans une telle situation, il n’appartient pas à la Cour d’imposer sa propre interprétation ni de décider quelle interprétation serait la plus raisonnable. Comme il a été indiqué dans les affaires Porter et Pastion, ce rôle appartient au Comité d’appel. La décision du Comité d’appel est raisonnable, et cela suffit à rejeter la demande de contrôle judiciaire de Mme Lalo.

[30] Mme Lalo critique également le processus de délibération du Comité d’appel. Les membres de celui-ci ont été interrogées à ce sujet dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire. Leur témoignage révèle qu’elles songeaient initialement à accueillir l’appel de Mme Lalo, mais qu’elles se sont ravisées après avoir consulté un avocat. De plus, elles ont été incapables d’expliquer clairement la distinction entre actes criminels et infractions sommaires.

[31] Cette preuve ne rend pas la décision déraisonnable. Mme Lalo reconnaît que les membres du Comité d’appel pouvaient solliciter des conseils juridiques. On ne peut leur demander de réciter de mémoire le fondement juridique des conseils qu’elles ont obtenus. On ne saurait non plus leur reprocher d’avoir remis en question leur impression initiale après avoir obtenu de tels conseils.

III. Conclusion

[32] Puisque le Comité d’appel était constitué conformément à l’article 8.1 des Coutumes et qu’il a rendu une décision raisonnable concernant l’interprétation de l’expression « dossier criminel », la demande de contrôle judiciaire de Mme Lalo sera rejetée.

[33] Mme Basile ne réclame pas de dépens. Aucune ordonnance ne sera donc rendue à cet égard.


JUGEMENT dans le dossier T-1910-21

LA COUR STATUE que :

1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2. Aucune ordonnance n’est rendue quant aux dépens.

« Sébastien Grammond »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

T-1910-21

INTITULÉ :

MONIKA MOLLEN LALO c COMITÉ D’APPEL DU CONSEIL DES INNUS DE EKUANITSHIT, GEORGETTE MESTOKOSHO, JULIE MESTOKOSHO, YVETTE BELLEFLEUR, CONSEIL DES INNUS DE EKUANITSHIT ET ADÉLINE BASILE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Québec (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 février 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GRAMMOND

DATE DES MOTIFS :

LE 13 février 2023

COMPARUTIONS :

Alexandra B. Lapointe

Pour la demanderesse

 

Alexis Wawanoloath

Annie Neashish

POUR LA DÉFENDERESSE

(ADÉLINE BASILE)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Beauvais Truchon

Québec (Québec)

Pour la demanderesse

 

Neashish & Champoux s.e.n.c.

Wendake (Québec)

POUR LA DÉFENDERESSE

(ADÉLINE BASILE)

 

 

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