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Date : 20230206


Dossier : T-326-20

Référence : 2023 CF 168

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 6 février 2023

En présence de madame la juge Rochester

ENTRE :

GÉRALD McNICHOLS TÉTREAULT

demandeur

et

VILLE DE BOISBRIAND, LE QUARTIER FORESTIA INC. ET INVESTISSEMENTS KANATA INC.

défenderesses

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur, Gérald McNichols Tétreault, agit pour son propre compte. Il présente la présente requête par écrit en vertu des articles 51 et 369 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles], pour porter en appel une ordonnance de la juge responsable de la gestion de l’instance, la juge adjointe Alexandra Steele, qui a accueilli chacune des requêtes des défenderesses en radiation de la déclaration et rejeté la requête du demandeur en modification de sa déclaration [l’ordonnance].

[2] En résumé, le demandeur sollicite de la Cour, à titre de réparations, qu’elle : (i) proroge le délai de signification et de dépôt de son appel; (ii) suspende l’instance jusqu’à ce qu’une décision soit rendue; (iii) permette que son mémoire d’appel dépasse 30 pages; (iv) accueille sa requête pour déposer la déclaration modifiée, avec certaines modifications; (v) infirme l’ordonnance de radiation de sa déclaration et de ses réponses aux défenses, avec certaines modifications; (vi) rende un jugement déclaratoire portant que l’ordonnance reconnaissait effectivement ses droits d’auteur sur certaines œuvres littéraires et artistiques; (vii) examine la question de la crainte raisonnable de partialité découlant du contenu de l’ordonnance; (viii) lui adjuge les dépens.

[3] Pour les motifs qui suivent, la présente requête sera rejetée. Lorsque j’applique la norme de contrôle énoncée dans l’arrêt Corporation des soins de la santé Hospira c Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215 [Hospira], je conclus que rien ne justifie l’intervention de la Cour. La juge adjointe Steele n’a pas commis d’erreur dans son application du droit ni quant à ses conclusions de fait.

I. Le contexte

[4] Le demandeur est urbaniste et membre de l’Ordre des urbanistes du Québec. Il allègue que, de 2009 à 2012, il a été engagé par la défenderesse Investissements Kanata Inc. [Kanata] et a réalisé un concept de projet fondé sur l’intégration de l’agriculture dans un projet de développement à vocation mixte devant être situé à Boisbriand [le projet Kanata]. Le terrain en question est protégé à titre de terre agricole par la Commission de protection du territoire agricole du Québec [la CPTAQ]. Le projet n’a jamais dépassé l’étape de la proposition. Le demandeur allègue qu’en 2012, Kanata a refusé de renouveler son mandat et a annulé la proposition d’étude de faisabilité.

[5] De son côté, Kanata allègue qu’au début des années 2000, des discussions ont eu lieu pour un projet de développement d’un terrain appartenant à Kanata et à plusieurs autres, situé à Boisbriand. Kanata confirme qu’elle avait retenu les services du demandeur en 2009, afin de fournir un concept pour un aménagement. La première version du projet était connue sous le nom de « Projet Versailles » ou « Jardins du Roi ». Kanata allègue qu’en 2012, le demandeur a rebaptisé le projet « Écopolis » et a proposé une étude de faisabilité. Compte tenu des coûts, Kanata a décidé de ne pas aller de l’avant avec un projet de développement et a mis fin au mandat du demandeur.

[6] En 2017, Kanata a conclu une convention d’achat conditionnelle avec l’actionnaire majoritaire de la défenderesse Le Quartier Forestia Inc. [Forestia] pour les lots que Kanata détenait à Boisbriand. La défenderesse Forestia a été constituée le 22 juin 2017.

[7] Le demandeur allègue qu’en juin 2019, il a réalisé qu’un projet portant le nom « Forestia Le Quartier » [le projet Forestia] devait être situé dans la même région que l’ancien site du projet Kanata. Il allègue que le projet Forestia repose sur le concept d’intégration d’un volet agricole à un complexe domiciliaire, ce qui, plaide-t-il, était la caractéristique principale du projet Kanata. Le demandeur reproche à Forestia de s’être approprié de manière illicite son travail, et que cet acte illicite prétendu a été appuyé par la Ville de Boisbriand [la Ville] et permis par Kanata.

[8] Le 20 décembre 2019, le demandeur a enregistré une œuvre intitulée « Écopolis du Boisbriand » auprès de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada, dans la catégorie littéraire et artistique (numéro d’enregistrement 1165056) [l’œuvre]. Le demandeur prétend que l’œuvre est composée de 14 documents préparés entre 2009 et 2012, lesquels comprennent des rapports, des ententes, des lettres, ainsi qu’une présentation orale. Le demandeur souligne que, lorsqu’une recherche est effectuée, les plus courants des 94 mots clés qu’il a sélectionnés dans les 14 documents sont [traduction] « agr » (comme variations sur agriculture, agricole, agraire, etc.) et [traduction] « projet ».

[9] Le demandeur allègue que le projet Forestia annonce le volet agricole, mais en pratique le volet agricole et patrimonial naturel n’est pas pris en compte dans l’aménagement préliminaire de ce projet. Le demandeur allègue que Forestia viole non seulement son droit d’auteur, mais qu’elle porte aussi atteinte à la réputation de son idée même (en ne la réalisant pas correctement) et qu’elle cause donc préjudice au demandeur. Ce dernier allègue en outre que ses travaux dans le cadre du projet Kanata ont grandement augmenté la valeur immobilière du terrain qui avait été le site du projet Kanata. Le demandeur allègue que Kanata a bloqué injustement le projet Kanata, le privant ainsi de revenus qu’il aurait gagnés si le projet avait progressé, et qu’elle porte donc atteinte à sa réputation.

[10] Le 2 mars 2020, le demandeur a déposé une déclaration dans laquelle il désignait Kanata, Forestia et la Ville comme défenderesses. Le demandeur réclame 24 000 000 $ pour appropriation illicite de propriété intellectuelle et violation de droit d’auteur; 500 000 $ en dommages‑intérêts punitifs de chaque défenderesse pour les dissuader de commettre d’autres violations et [traduction] « sanctionner [leur] conduite irréfléchie, cavalière et illégale »; des honoraires d’avocats estimés à 500 000 $. Dans ses réponses aux trois défenses, le demandeur a modifié sa déclaration, de telle sorte qu’elle comporte des réclamations pour : (i) bris de contrat; (ii) perte d’une occasion commerciale; (iii) divulgation non autorisée de renseignements commerciaux sensibles protégés par le droit d’auteur; (iv) dommages-intérêts punitifs pour tromperie, omission d’agir de bonne foi, mensonges, abus de confiance, fausses allégations; (v) dépens du litige; (vi) dommages-intérêts moraux, blessure profonde résultant de l’échec du projet Kanata, humiliation, perte de réputation, sentiments de trahison, manque de respect, souffrance ainsi que tromperie et découragement causés aux membres de l’équipe du demandeur. Le montant révisé de la réclamation du demandeur est de 15 836 724 $.

[11] Kanata allègue qu’elle n’est pas affiliée et n’a pas participé au concept, à la conception, à la promotion ou à la réalisation du projet Forestia, ni n’a communiqué aucun des documents relatifs au projet Kanata.

[12] Forestia allègue qu’elle n’avait aucune connaissance du demandeur ni du concept pour le projet Kanata décrit dans la déclaration du demandeur et les documents qui l’accompagnent. Elle ajoute qu’elle a conçu, avec des experts qu’elle a engagés, le projet Forestia et qu’elle n’était pas au courant des travaux antérieurs exécutés dans le cadre du projet Kanata. Forestia plaide que son projet est différent du projet Kanata et qu’en tout état de cause, le demandeur n’a pas le monopole des idées de développement urbain ni n’en est propriétaire du droit d’auteur. Elle allègue que son projet n’a pas été approuvé par la CPTAQ et qu’ainsi, toute action est prématurée.

[13] La Ville allègue que sa seule participation au projet Forestia est d’avoir analysé le projet et de l’avoir soutenu devant la CPTAQ, afin de faire modifier le zonage du site du projet et de l’exclure de la zone agricole. La Ville ajoute qu’elle n’a jamais utilisé le matériel provenant du projet Kanata, ni ne l’a fourni à Forestia. La Ville plaide que le demandeur ne peut sérieusement prétendre avoir créé le concept d’agriculture urbaine.

[14] Les défenderesses plaident que le demandeur n’a pas allégué une seule violation du droit d’auteur, à savoir que les défenderesses auraient reproduit l’œuvre, à supposer même qu’elle existe, ou une partie de celle-ci.

[15] Le 23 octobre 2020, après la clôture de la procédure écrite, les défenderesses ont déposé chacune une requête en radiation de la déclaration et ont sollicité un jugement déclaratoire portant que l’instance constituait un abus de procédure.

[16] Le 28 janvier 2021, la juge adjointe Steele a été désignée juge responsable de la gestion de l’instance.

[17] Le 15 février 2021, le demandeur a cherché à signifier une déclaration modifiée aux défenderesses, ce à quoi elles se sont opposées.

[18] À la suite d’une conférence de gestion de l’instance tenue le 16 avril 2021, la juge adjointe Steele a ordonné que les requêtes en radiation des défenderesses et la requête du demandeur en modification de sa déclaration (modifiée le 15 mars 2021) soient entendues ensemble le 27 mai 2021.

[19] Le 3 mars 2022, la juge adjointe Steele a rendu l’ordonnance, qui :

  • a rejeté la requête du demandeur pour modifier la déclaration, avec dépens en faveur des défenderesses;

  • a accueilli les requêtes en radiation des défenderesses;

  • a radié la déclaration déposée le 2 mars 2020, sans autorisation de modification;

  • a radié les réponses du demandeur déposées le 17 juin 2020, sans autorisation de modification;

  • a fourni des observations sur la question des dépens.

[20] Le 4 mai 2022, le demandeur a déposé un avis de requête pour interjeter appel de l’ordonnance.

[21] Je souligne que le demandeur n’est pas représenté dans le cadre de la présente requête, ainsi que des requêtes qui ont fait l’objet de l’ordonnance. En ce qui concerne la déclaration et la déclaration modifiée, le demandeur était représenté par Me Charles O’Brien de Lorax Litigation.

II. La norme de contrôle

[22] Les décisions rendues sur les requêtes en radiation sont de nature discrétionnaire (Feeney c Canada, 2022 CAF 190 [Feeney]). La norme de contrôle applicable à un appel porté en vertu de l’article 51 des Règles, contre une ordonnance discrétionnaire d’un juge adjoint est énoncée aux paragraphes 64, 66 et 79 de l’arrêt Hospira. De telles ordonnances doivent être examinées selon la norme applicable en appel dans les causes civiles (Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33) et « ne devraient être infirmées que lorsqu’elles sont erronées en droit, ou fondées sur une erreur manifeste et dominante quant aux faits » (Hospira, au para 64). Les questions mixtes de droit et de fait sont contrôlées selon la norme de l’erreur manifeste et dominante, tandis que les questions de droit et les questions mixtes de droit et de fait contenant une question de droit isolable sont assujetties à la norme de la décision correcte (Worldspan Marine Inc c Sargeant III, 2021 CAF 130 au para 48).

[23] L’exercice du pouvoir discrétionnaire par un juge adjoint fait intervenir l’application de normes juridiques aux faits tels qu’on les trouve. Aux fins du cadre de l’arrêt Housen, l’exercice du pouvoir discrétionnaire constitue une question de droit et de fait (Mahjoub c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 157 [Mahjoub] au para 72). De telles questions mixtes de droit et de fait, y compris l’exercice du pouvoir discrétionnaire, peuvent être annulées uniquement aux motifs d’une erreur manifeste et dominante, à moins qu’une erreur à l’égard d’une question de droit ou de règle de droit isolable ne soit présente (Mahjoub, au para 74).

[24] L’erreur manifeste et dominante est une norme qui appelle un degré élevé de retenue (Feeney, au para 4). Par erreur « manifeste », on entend une erreur évidente, et par erreur « dominante », une erreur qui touche directement à l’issue de l’affaire (Canada c South Yukon Forest Corporation, 2012 CAF 165 [South Yukon] au para 46). Lorsque l’on invoque une erreur manifeste et dominante, on ne peut se contenter de tirer sur les feuilles et les branches et laisser l’arbre debout. On doit faire tomber l’arbre tout entier (South Yukon, au para 46; Mahjoub, au para 61).

[25] La juge adjointe Steele est la juge responsable de la gestion de l’instance dans la présente procédure. Comme l’a affirmé mon collègue le juge Andrew D. Little, dans le cadre d’un appel fondé sur l’article 51 des Règles, « le juge responsable de la gestion de l’instance connaît très bien les questions et les faits particuliers de l’instance » et ses décisions « doivent être traitées avec déférence, surtout en ce qui concerne les questions où les faits dominent » (Hughes c Canada (Commission des droits de la personne), 2020 CF 986 au para 67).

III. Analyse

[26] Dans l’ensemble, je conclus que le demandeur n’a pas clairement établi une erreur susceptible de contrôle de la part de la juge adjointe Steele. Il est évident que le demandeur ne souscrit pas au contenu de l’ordonnance; toutefois, cela est insuffisant en soi pour satisfaire au critère énoncé ci-dessus.

A. Les allégations faites par le demandeur quant à la partialité de la part de la juge adjointe Steele

[27] À titre préliminaire, le demandeur allègue que la juge adjointe Steele aurait été partiale. Plus particulièrement, il allègue que le contenu de l’ordonnance suscite une crainte raisonnable de partialité de la part de la juge adjointe. À titre d’exemple, la juge adjointe Steele a conclu que le contenu de la déclaration modifiée ne lui permettait pas de conclure que les modifications demandées corrigeraient les lacunes décelées dans la déclaration. Le demandeur affirme qu’il estimait que cette conclusion de la juge adjointe Steele était un jugement de valeur méprisant, gratuit, frivole et inutilement vexatoire. Il soutient que la Cour a adopté la position des défenderesses et a entrepris avec elles un effort collectif pour détruire, par tous les moyens, ce qu’il considère comme étant une réclamation valable de sa part. Le fait que la Cour a refusé de lui donner l’occasion de modifier la déclaration est, selon lui, une preuve de partialité. Le demandeur soutient que le rejet de sa requête en modification correspond en fait au refus de la Cour de l’entendre sur la base de motifs superficiels, scandaleux, frivoles et vexatoires.

[28] Une allégation de partialité met en cause le fondement même du système judiciaire. Elle remet en question non seulement l’intégrité personnelle de la juge adjointe Steele en l’espèce, mais aussi celle de l’administration de la justice tout entière (Coombs c Canada (Procureur général), 2014 CAF 222) :

[14] En outre, les appelants s’en sont pris à plusieurs reprises à l’intégrité du protonotaire, de la juge et de la Cour fédérale […]. Les allégations des appelants sont très graves, et elles ne doivent pas être prises à la légère. Une allégation de partialité met en effet en cause le fondement même du système judiciaire. Les allégations des appelants remettent en question non seulement l’intégrité personnelle du protonotaire et de la juge, mais aussi celle de l’administration de la justice tout entière […].

[Renvois omis.]

[29] Le critère pour déterminer s’il y a partialité réelle ou crainte raisonnable de partialité de la part d’un décideur est bien établi. Aux pages 394 et 395 de l’arrêt Committee for Justice and Liberty c L’Office national de l’énergie, [1978] 1 RCS 369, la Cour suprême du Canada explique ce qui suit :

[L]a crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d’appel, ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique […]. »

[…] Toutefois, les motifs de crainte doivent être sérieux […] [et non ceux] d’« une personne de nature scrupuleuse ou tatillonne ».

[30] Plus récemment, la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Firsov c Canada (Procureur général), 2022 CAF 191, a confirmé que le critère était le suivant :

[56] Il s’agit de savoir « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? » : Commission scolaire francophone du Yukon, district scolaire #23 c. Yukon (Procureure générale), 2015 CSC 25, aux paras. 20, 21 et 26.

[31] Dans l’arrêt Cojocaru c British Columbia Women’s Hospital and Health Centre, 2013 CSC 30 [Cojocaru], la Cour suprême du Canada explique que la présomption d’impartialité judiciaire est forte et ne peut être facilement réfutée :

[15] Les décisions judiciaires bénéficient d’une présomption d’intégrité et d’impartialité — le juge est présumé avoir honoré son serment en accomplissant sa tâche. Cette présomption découle du serment que prête le juge de rendre un verdict impartial entre les parties et contribue à la finalité des instances judiciaires.

[…]

[20] La norme à laquelle il faut satisfaire pour réfuter la présomption d’intégrité et d’impartialité judiciaires est exigeante. Cette présomption a une importance considérable, et le droit ne devrait pas imprudemment évoquer la possibilité de partialité du juge, dont l’autorité dépend de cette présomption […].

[…]

[22] Le cadre d’analyse fondamental d’un recours fondé sur la prétention que le juge n’a pas rendu une décision de façon indépendante et impartiale peut se résumer comme suit. Il s’agit d’un recours de nature procédurale, qui porte principalement sur la question de savoir si le droit du plaideur à une instruction impartiale et indépendante des questions en litige a été violé. Il existe une présomption d’intégrité et d’impartialité judiciaires. Il s’agit d’une forte présomption, qui n’est pas facilement réfutable. Il incombe à la personne qui conteste le jugement de réfuter la présomption au moyen d’une preuve convaincante démontrant qu’une personne raisonnable informée de toutes les circonstances pertinentes conclurait que le juge ne s’est pas formé une opinion sur les questions en litige et ne les a pas tranchées de façon impartiale et indépendante.

[Renvois omis.]

[32] C’est au demandeur, celui qui invoque la partialité, qu’il incombe de réfuter la présomption au moyen d’une preuve convaincante démontrant qu’une personne raisonnable informée de toutes les circonstances pertinentes conclurait que la juge adjointe Steele ne s’est pas formée une opinion sur les questions en litige et ne les a pas tranchées de façon impartiale et indépendante (Cojocaru, au para 22).

[33] Après avoir examiné les arguments du demandeur, qui sont fondés sur le texte de l’ordonnance et sur son expérience de ses échanges avec la juge adjointe Steele à l’audience, je conclus qu’il n’a pas réussi à présenter une preuve susceptible de satisfaire au seuil élevé nécessaire pour réfuter la présomption d’intégrité et d’impartialité judiciaires. J’ai également pris note du contenu de la pièce X du dossier de requête du demandeur, soit ses transcriptions de certains extraits de l’audience du 27 mai 2021.

[34] Le fait qu’un membre de la Cour, en l’espèce la juge adjointe Steele, ne soit pas d’accord avec l’argument d’un plaideur et qu’elle le rejette n’est pas, en soi, de la partialité. En définitive, la juge adjointe Steele a souscrit à la position des défenderesses plutôt qu’à celle du demandeur. Compte tenu des documents dont je dispose, je ne suis pas convaincue qu’il existe une crainte raisonnable de partialité dans la présente affaire.

B. Le défaut du demandeur de déposer un avis de requête dans les dix jours suivant l’ordonnance

[35] L’ordonnance a été rendue le 3 mars 2022. Le demandeur a signifié et déposé son avis de requête pour interjeter appel le 4 mai 2022. Conformément au paragraphe 51(2) des Règles, l’avis de requête aurait dû être déposé dans les dix jours suivant la date à laquelle l’ordonnance a été rendue.

[36] Dans ses observations initiales, le demandeur affirme qu’il n’a pas respecté l’échéance en raison de difficultés liées à l’obtention d’une confirmation de signification, qu’il n’était pas représenté par avocat et que l’affaire est complexe. Dans ses observations en réplique, le demandeur affirme que, puisqu’il était déjà en retard, il a décidé de prendre le temps de bien analyser l’ordonnance et de présenter un document conforme.

[37] Les défenderesses soutiennent qu’il n’est pas dans l’intérêt de la justice de permettre une prorogation de délai, aux motifs que le demandeur n’a fourni aucune circonstance justifiant le délai, qu’il cherche simplement à plaider à nouveau sa requête, qu’il n’a pas identifié d’erreur susceptible de contrôle et que l’appel est abusif.

[38] Dans l’arrêt Alberta c Canada, 2018 CAF 83, la Cour d’appel fédérale a énoncé les critères utiles pour déterminer s’il est dans l’intérêt de la justice d’accorder une prorogation :

[44] Dans Canada (Procureur général) c. Hennelly (1999), 244 N.R. 399 (C.A.F.) (Hennelly), la Cour a énuméré quatre questions pertinentes quant à l’exercice du pouvoir discrétionnaire pour permettre la prorogation de délai en vertu de l’article 8 des Règles :

(1) Le requérant a‑t‑il démontré une intention constante de poursuivre l’instance?

(2) L’instance est-elle bien fondée?

(3) Le défendeur subit‑il un préjudice en raison du retard?

(4) Le requérant a‑t‑il une explication raisonnable pour justifier le retard?

[45] Ces questions sont utiles pour déterminer si l’octroi d’une prorogation est dans l’intérêt de la justice, parce que la considération primordiale ou le véritable critère est, en fin de compte, que la justice soit rendue entre les parties (Grewal c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 2 C.F. 263 (C.A.), aux pages 277 à 279). Ainsi, l’arrêt Hennelly ne fournit pas une liste exhaustive de questions ou de facteurs pouvant être pertinents dans une affaire donnée, et l’omission de donner une réponse positive à l’une des quatre questions susmentionnées n’est pas nécessairement déterminante (Canada (Procureur général) c. Larkman, 2012 CAF 204, au paragraphe 62).

[39] Le demandeur manifeste bel et bien une intention constante de poursuivre l’appel, et je conclus que les défenderesses n’ont pas subi de préjudice en raison du retard.

[40] Le fait que le demandeur n’est pas représenté ne constitue pas, en soi, un motif raisonnable pour expliquer son retard, pas plus que le fait de choisir de prendre une période additionnelle d’un mois et demi pour rédiger un document plus réfléchi et complet.

[41] À mon avis, la question déterminante est de savoir si l’appel a un certain fondement. Compte tenu des points soulevés par le demandeur dans son dossier de requête et sa réplique, je suis convaincue que le présent appel n’est pas fondé et qu’il n’est pas dans l’intérêt de la justice d’accorder une prorogation. Néanmoins, étant donné qu’il s’agit d’une requête écrite qui a été exposée en entier, je vais analyser plus en détail le bien-fondé du présent appel ci-dessous.

C. Le bien-fondé de l’appel

[42] La juge adjointe Steele a accueilli chacune des requêtes des défenderesses en radiation de la déclaration et a rejeté la requête du demandeur en modification de sa déclaration.

[43] En définitive, la juge adjointe a conclu que le demandeur n’avait pas allégué quelle partie de l’œuvre prétendue avait été reproduite par Forestia. La juge adjointe a conclu que, bien que le demandeur ait allégué que la notion de composante agricole du projet Forestia avait été empruntée à son travail, il s’agissait d’une allégation fondée sur une idée, plutôt que sur l’expression d’une idée. La juge adjointe Steele s’est appuyée sur le paragraphe suivant de l’arrêt Cinar Corporation c Robinson, 2013 CSC 73 :

[24] La [Loi sur le droit d’auteur] protège toute œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique originale (art. 5). Elle protège l’expression des idées dans ces œuvres, et non les idées comme telles : CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada, 2004 CSC 13, [2004] 1 R.C.S. 339, par. 8. Une œuvre originale est l’expression d’une idée qui résulte de l’exercice du talent et du jugement : CCH, par. 16. La violation du droit d’auteur consiste à s’approprier cette originalité sans autorisation.

[44] La juge adjointe a souligné qu’une action fondée sur la violation du droit d’auteur exigeait une allégation selon laquelle un défendeur avait reproduit une œuvre ou une portion importante d’une œuvre, plutôt qu’une idée ou un concept. Elle a déterminé que le demandeur n’alléguait pas que les défenderesses plagiaient des fragments précis d’un ou plusieurs textes, dessins ou plans, mais il alléguait plutôt qu’elles plagiaient un thème ou concept central, soit celui du volet agricole du projet.

[45] La juge adjointe Steele a conclu que l’absence d’allégations selon lesquelles les défenderesses auraient reproduit en tout ou en partie l’œuvre littéraire et artistique prétendue était fatale à la réclamation. Par conséquent, la juge adjointe Steele a conclu que l’action du demandeur pour violation du droit d’auteur ne révélait aucune cause d’action valable, était vouée à l’échec et devait donc être radiée.

[46] Quant à la déclaration modifiée, la juge adjointe Steele a fait remarquer qu’elle était contenue dans trois volumes totalisant 1 656 pages. Elle l’a trouvée confuse, longue, difficile à suivre, ni raisonnable, ni proportionnelle, eu égard à la nature ou à la complexité de l’affaire. La juge adjointe Steele a conclu que les modifications proposées ne permettaient pas aux défenderesses de répondre adéquatement et ne permettaient pas non plus à la Cour de mener adéquatement l’instance. La juge adjointe a noté que la déclaration modifiée était signée par un avocat, et a conclu que le demandeur savait ou aurait dû savoir que le document n’était pas conforme et que les modifications proposées n’avaient aucune chance raisonnable d’être acceptées.

[47] Après avoir lu attentivement la déclaration et la déclaration modifiée, je ne suis pas convaincue que la juge adjointe Steele a commis une erreur manifeste et dominante concernant la façon dont elle a apprécié et qualifié le contenu des actes de procédure du demandeur.

[48] Ce que le demandeur semble ne pas comprendre, c’est que, malgré le très grand volume de documents dans sa déclaration, sa déclaration modifiée et la documentation qui y est jointe, il n’allègue pas en détail comment l’œuvre, ou une partie importante de celle-ci, a été reproduite. Il formule de nombreuses allégations générales selon lesquelles [traduction] « sa propriété intellectuelle avait été appropriée de manière illicite par les défenderesses », mais n’affirme jamais qu’une partie précise de l’œuvre a été copiée au-delà d’une notion ou d’une idée générale, soit le volet agricole.

[49] Le demandeur prétend que l’œuvre est constituée de 14 documents préparés entre 2009 et 2012, lesquels comprennent des rapports, des ententes, des lettres, ainsi qu’une présentation orale. Dans sa déclaration, il affirme que l’ensemble de la documentation contient 249 références au [traduction] « radical “agr” comme dans agriculture, agricole, agraire, agronome, agronomie, etc. » qui [traduction] « confirme que l’intégration d’un volet agricole est la caractéristique innovatrice essentielle qui permet de différencier le [projet Kanata] de tout autre projet au Canada ». Je souligne qu’il est acquis au débat que le terrain que l’on cherche à développer est en fait un terrain agricole dont la Ville et Forestia ont cherché à faire modifier le zonage.

[50] Outre le fait de mentionner expressément la présence d’« agr » dans la documentation comme fondement de l’intégration d’un volet agricole dans le projet, le demandeur ne fournit aucune référence précise dans la déclaration quant aux portions de l’œuvre qui seraient reproduites en totalité ou en partie.

[51] Le demandeur prétend que l’ordonnance mentionne faussement qu’il n’a pas identifié ce qui avait été [traduction] « emprunté » par Forestia. Le demandeur affirme que le paragraphe 47 de la déclaration précise en fait six éléments empruntés. Il vaut la peine de citer plusieurs paragraphes de la déclaration, dont le paragraphe 47, pour situer le contexte :

[traduction]

45. Le projet annoncé le 20 juin 2019 par Le Quartier Forestia sur un terrain appartenant en partie à Kanata repose sur l’intégration d’un volet agricole à un projet de complexe domiciliaire de 5 000 maisons. C’est l’emprunt direct de la principale caractéristique du concept Écopolis du Boisbriand. C’est le franchissement d’une ligne rouge par Kanata qui aurait dû informer officiellement Forestia de l’existence du projet Écopolis, les promoteurs du district Forestia et la ville de Boisbriand, puisque les propriétaires actuels du site, dont KANATA ainsi que la Ville de Boisbriand, sont bien informés de la propriété des droits d’auteur du demandeur qui a été reconnu dans les ententes successives signées entre Kanata et le demandeur. Il est impossible que le promoteur n’ait pas été informé des droits d’auteur touchant la spécificité de l’œuvre Écopolis du Boisbriand.

46. Le projet Écopolis du Boisbriand a considérablement augmenté la valeur foncière des terrains appartenant à Kanata, SENC Dubois et Alain Poudrette. Cette plus-value était toutefois conditionnelle à la réalisation de la démarche décrite dans l’œuvre littéraire du projet Écopolis du Boisbriand. Le soutien littéraire d’Écopolis a été en partie emprunté sans autorisation pour créer la description du projet Forestia et Ville de Boisbriand.

47. L’appropriation illicite réalisée par Quartier Forestia, soutenue par la Ville de Boisbriand et autorisée par Kanata, touche le concept général, le volet agricole, le volet érablière, le volet places de marché et services publics ainsi que le volet résultant de la participation de la ville. Le Quartier Forestia écarte complètement le volet agricole et patrimoine naturel. De plus, la composante majeure de l’agriculture qu’annonce Quartier Forestia dans ses textes n’est pas prise en compte dans sa conception de développement préalable. Il n’y a aucune mention d’agriculture dans le plan préliminaire de Forestia. Voir la pièce P-44.

48. L’utilisation de la proposition d’un volet agricole qui est la caractéristique principale du support de description du projet Écopolis, non seulement viole-t-elle le droit d’auteur du demandeur, mais elle porte aussi atteinte à la réputation de l’idée même et, par conséquent, nuit au demandeur dont la réalisation du projet expérimental demeure la seule possibilité d’obtenir les approbations requises pour que le projet se concrétise.

[52] Le demandeur prétend que l’appropriation illicite touche le [traduction] « concept général » et il énumère un certain nombre d’éléments, dont le volet agricole. À mon avis, le demandeur semble prétendre que l’appropriation illicite du volet agricole par Forestia touche le concept général et les volets connexes de son concept et qu’il porte atteinte au bout du compte à la réputation de son idée.

[53] En outre, le demandeur plaide maintenant en appel que le [traduction] « volet érablière » qu’il a décrit comme un élément [traduction] « emprunté » à l’œuvre par Forestia et la Ville, mais cela contredit l’énoncé dans sa déclaration modifiée. Le demandeur prétend dans sa déclaration modifiée que la protection du volet érablière, de la forêt d’érables et des cours d’eau est exigée par la loi et que [traduction] « [p]our cette raison, le demandeur ne les considère pas comme le résultat d’une appropriation illicite, mais une obligation juridique pour tout promoteur » (déclaration modifiée, au para 8.55.11, aux pages 266, 267, 1165-1167, du dossier de requête). La déclaration modifiée confirme plus loin que la [traduction] « protection de l’érablière » est [TRADUCTION] « une application obligatoire de la loi sur la protection de l’environnement ».

[54] Dans la déclaration modifiée, il est déclaré que Forestia a emprunté directement le volet d’un marché public et que, selon le concept du demandeur, il s’agissait d’un volet essentiel pour créer une relation entre l’agriculture et la vie de quartier (ibid, au para 8.55.11). Toutefois, le demandeur prétend ensuite [traduction] « [qu’]en fin de compte, vous réalisez que le marché public dans le projet de Forestia est une coquille vide au milieu d’un terrain de stationnement pour le transport en commun » (ibid, au para 8.55.11). Quoi qu’il en soit, le demandeur n’a pas précisé dans ses observations en appel en quoi la notion d’avoir un marché public et des services publics dans un projet de développement de plusieurs milliers de maisons était protégée par le droit d’auteur ni comment la juge adjointe Steele avait commis une erreur en ne reconnaissant pas qu’elle pouvait être protégée comme telle.

[55] De même, je ne peux conclure que la juge adjointe Steele a pas commis d’erreur en omettant de traiter explicitement, dans l’ordonnance, de notions ou d’idées aussi générales que le [traduction] « concept général »,le [traduction] « volet des places de marché et des services publics » ainsi que le [traduction] « volet résultant de la participation de la ville », mentionnées au paragraphe 47 de la déclaration. Comme il a déjà été souligné, la juge adjointe Steele a traité en détail du [traduction] « volet agricole » dans l’ordonnance.

[56] Le demandeur fait valoir que, si la juge adjointe Steele avait autorisé sa requête en modification de la déclaration, celle-ci aurait réglé les questions relatives à la déclaration. Or, après examen, la déclaration modifiée du demandeur souffre du même vice ultime que sa déclaration. Je ne suis pas convaincue que la juge adjointe Steele a commis une erreur en ne permettant pas au demandeur de tenter de remédier aux vices de sa déclaration avec sa déclaration modifiée.

[57] À titre d’exemple, le demandeur fait des allégations générales selon lesquelles les défenderesses [traduction] « se sont approprié de manière illicite la propriété intellectuelle littéraire et artistique du demandeur » (au para 8.56.13, à la p 274); elles se sont approprié de manière illicite [traduction] « des concepts et des orientations » qui sont devenus [traduction] « une ode à l’agriculture urbaine » (au para 8.56.14, aux p 274, 275); [traduction] « l’importance était d’avoir une proposition agricole non compromettante pour mettre en valeur la quintessence de la propriété intellectuelle innovatrice du demandeur » (au para 8.56.17, à la p 276).

[58] Dans la déclaration modifiée, le demandeur consacre les paragraphes 8.56.23 à 8.56.32 à préciser sa position selon laquelle le [traduction] « volet agricole » n’est pas simplement une idée neutre, mais constitue plutôt l’élément essentiel de sa propriété intellectuelle. Il compare cela à la [traduction] « haute couture », une sculpture, un tableau ou un morceau de musique, et fait valoir que même prendre une portion de son idée équivaut à voler un morceau [traduction] « d’un tableau de Léonard, d’une sculpture de Michel-Ange ou d’une robe Saint-Laurent » qui serait immédiatement reconnu. Le demandeur prétend que ce volet n’est pas simplement une idée s’apparentant à un club de golf, un terrain de cricket, une forêt de cerfs, un casino, un parc à roulettes ou une marina, mais qu’il constitue plutôt [traduction] « une partie essentielle de la quintessence du [projet Kanata][, et] [ce que] les défenderesses Ville de Boisbriand et Forestia ont pillé de la propriété intellectuelle du demandeur n’est pas seulement un volet agricole, c’est la quintessence du [projet Kanata] ».

[59] Aux paragraphes 8.65.1 et suivants de la déclaration modifiée (aux pages 328-335), le demandeur reproduit la recherche par mots‑clés des documents composant l’œuvre prétendue mentionnés dans la déclaration, y compris les mots qui sont des variations du mot « agriculture ». Le demandeur joint également un tableau reprenant la fréquence des mots‑clés issus de documents relatifs au projet Forestia qu’il décrit comme [traduction] « une série de documents que l’on qualifie de “publicité”, dans le sens où il s’agit d’un corpus contenant tout ce qui a été rendu public à propos de ce projet par le promoteur immobilier, y compris des articles de journaux ou des reportages radiophoniques qui décrivent ce projet ou y ou font référence ». Le demandeur allègue ensuite que le mot-clé le plus souvent utilisé pour le projet Forestia est [traduction] « projet » avec 92 occurrences, suivi de [traduction] « agr » avec 74 occurrences. Le demandeur allègue que l’utilisation du terme [traduction] « agriculture » dans la publicité de Forestia témoigne de l’appropriation illicite de la [traduction] « propriété intellectuelle, littéraire et artistique » du demandeur.

[60] Comme je l’ai mentionné, à mon avis, ce qui précède ne suffit pas à démontrer que la juge adjointe Steele a commis une erreur manifeste et dominante en ne permettant pas au demandeur de chercher à corriger les vices de sa déclaration en l’autorisant à déposer sa déclaration modifiée.

[61] Le demandeur prétend en appel que l’ordonnance n’a pas mentionné un certain nombre d’éléments clés de la déclaration modifiée, notamment des allégations de collusion, une entente tacite entre Kanata et Forestia, une preuve circonstancielle de la participation personnelle et professionnelle d’un ancien maire et d’un directeur de la Ville ainsi qu’une preuve documentaire de contrefaçon. Après avoir examiné les paragraphes mentionnés par le demandeur, je ne suis pas convaincue que la juge adjointe a commis une erreur en ne mentionnant pas expressément ces parties de la déclaration modifiée. À titre d’exemple, aux paragraphes 8.60.1 et suivants de la déclaration modifiée (aux p 316 à 331), le demandeur compare le texte de divers documents publiés côte à côte sous forme de tableau, mais la comparaison se fait entre les descriptions antérieures du projet Forestia et les descriptions ultérieures du projet Forestia. L’objectif semble être de démontrer que la publicité autour du projet Forestia a changé avec l’ajout d’un volet agricole au projet. Le demandeur ne fournit pas de comparaison de son œuvre prétendue avec le matériel publié sur le projet Forestia. Le contenu de ces paragraphes ne sert pas à démontrer une erreur manifeste et dominante de la part de la juge adjointe.

[62] Le demandeur prétend que la juge adjointe Steele a cherché à discréditer sa déclaration modifiée en faisant mention du fait qu’elle comportait 1 656 pages. Il affirme qu’elle était composée de trois volumes, mais qu’une fois que l’on enlève les tables des matières, les images, les tableaux et les éléments de preuve, il ne reste que 223 pages de faits allégués. Je ne considère pas que la description de la déclaration modifiée faite par la juge adjointe Steele constitue une erreur susceptible de contrôle. Les tableaux, images et pièces sont répartis dans chacun des trois volumes et fréquemment insérés parmi les faits allégués. Selon un principe bien établi, un membre de la Cour est présumé avoir examiné tous les documents portés à sa connaissance (Gordon c Canada, 2023 CAF 12 au para 16), et il ne s’agissait donc pas d’une erreur manifeste et dominante de la part de la juge adjointe de mentionner le nombre total de pages dont elle disposait.

[63] Le demandeur prétend que la Cour a reconnu son droit d’auteur sur le projet Kanata au paragraphe 48 de l’ordonnance et que cette reconnaissance est une conclusion majeure qui aurait dû être énoncée comme faisant partie de l’ordonnance. Contrairement à ce que prétend le demandeur, la juge adjointe Steele n’a pas tiré de conclusion sur ses droits dans l’œuvre prétendue. Dans le cadre de son analyse sur les requêtes en radiation, elle a plutôt tenu pour avérés, à bon droit, les faits allégués dans la déclaration.

[64] Enfin, un point sur la question de la langue. Le demandeur s’oppose à la description que la juge adjointe Steele a faite, au paragraphe 19, de la déclaration modifiée, dans laquelle elle a fait remarquer que le texte modifié était difficile à suivre, que la ligne de démarcation entre les faits, les critiques et les opinions était floue, et qu’elle avait eu du mal à cerner l’objet et l’intention d’un certain nombre de modifications, y compris ce qui était remplacé, corrigé ou complété et ce qui était nouveau.

[65] Le demandeur plaide que ce commentaire de la juge adjointe est inexplicable, compte tenu du fait qu’il a produit une demande de 62 pages à la demande du greffe et [traduction] « en français » [souligné dans l’original] expliquant les modifications et faisant des liens entre les paragraphes de la déclaration et de la déclaration modifiée. Cette demande, qui est structurée comme un mémoire, figure au dossier de requête, à la pièce H.

[66] La déclaration et la déclaration modifiée sont rédigées en anglais. Les défenses des défenderesses sont en français. Le demandeur semble soutenir qu’il a préparé le document figurant à la pièce H en français, afin de s’assurer qu’il serait compris. Je tiens à assurer au demandeur que les dossiers comme le présent, où il y a des documents dans les deux langues officielles, sont assignés aux membres de la Cour qui sont bilingues. La juge adjointe Steele et moi sommes des membres bilingues de la Cour.

[67] Néanmoins, compte tenu de ce qui semble être la préoccupation du demandeur et du fait qu’il est important que le demandeur comprenne bien les motifs pour lesquels sa requête en appel est rejetée, j’ai rédigé le présent jugement en anglais. Une traduction en français suivra.

IV. Conclusion

[68] Le demandeur a le fardeau d’établir que la juge adjointe a commis une erreur de droit ou une erreur manifeste et déterminante. D’après le dossier de requête dont je suis saisie, il ne l’a pas fait. Par conséquent, la requête en annulation de l’ordonnance de la juge adjointe Steele sera rejetée.

V. Les dépens

[69] Les défenderesses sollicitent les dépens, mais n’ont pas fait de représentations quant au quantum. Elles soutiennent que la requête en appel constituait un abus de procédure, vu sa longueur et l’absence des erreurs susceptibles de contrôle prétendues. Le demandeur a simplement soutenu que les dépens adjugés dans l’ordonnance étaient prématurés.

[70] Il n’y a aucune raison en l’espèce de s’écarter de la pratique habituelle qui consiste à adjuger les dépens aux parties qui ont gain de cause, les défenderesses.

[71] En vertu du paragraphe 400(1) des Règles, la Cour a le pouvoir discrétionnaire de déterminer le montant des dépens, de les répartir et de désigner les personnes qui doivent les payer. Dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire, la Cour peut tenir compte des facteurs énoncés au paragraphe 400(3) des Règles, notamment : le résultat de l’instance; l’importance et la complexité des questions en litige; le fait que l’intérêt public dans la résolution judiciaire de l’instance justifie une adjudication particulière des dépens; la conduite d’une partie qui a eu pour effet d’abréger ou de prolonger inutilement la durée de l’instance; toute autre question qu’elle juge pertinente. La Cour peut fixer tout ou partie des dépens en se reportant au tarif B et adjuger une somme globale au lieu ou en sus des dépens taxés (paragraphe 400(4) des Règles).

[72] Dans les circonstances, je conclus qu’une adjudication des dépens en faveur des défenderesses, à titre de parties ayant obtenu gain de cause, fondée sur la colonne III du tarif B est appropriée (article 407 des Règles).


JUGEMENT dans le dossier T-326-20

LA COUR STATUE :

  1. La requête du demandeur en annulation de l’ordonnance de la juge adjointe Steele, datée du 3 mars 2022, radiant sa déclaration sans permission de la modifier, rejetant sa requête en modification de sa déclaration et radiant ses réponses aux défenses des défenderesses, avec dépens, est par les présentes rejetée;

  2. Les défenderesses se voient chacune adjuger les dépens, en fonction de la colonne III du tarif B (article 407 des Règles).

« Vanessa Rochester »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-326-20

INTITULÉ :

GÉRALD McNICHOLS TÉTREAULT c VILLE DE BOISBRIAND ET AL

REQUÊTE PRÉSENTÉE PAR ÉCRIT EXAMINÉE À OTTAWA (ONTARIO), CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROCHESTER

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

 

LE 6 février 2023

OBSERVATIONS ÉCRITES PAR :

Gérald McNichols Tétreault

Pour le DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

Grace Mahoney

POUR LA DÉFENDERESSE

VILLE DE BOISBRIAND

Denis Cloutier

POUR LA DÉFENDERESSE

LE QUARTIER FORESTIA INC.

Mathieu Piché-Messier

Stéphane Gascon

POUR LA DÉFENDERESSE

INVESTISSEMENTS KANATA INC.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bélanger Sauvé S.E.N.C.R.L.

Montréal (Québec)

POUR LA DÉFENDERESSE

VILLE DE BOISBRIAND

Caïn Lamarre S.E.N.C.R.L.

Montréal (Québec)

POUR LA DÉFENDERESSE

LE QUARTIER FORESTIA INC.

Borden Ladner Gervais S.E.N.C.R.L.

Montréal (Québec)

POUR LA DÉFENDERESSE

INVESTISSEMENTS KANATA INC.

 

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