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Date : 20230207

Dossier : IMM-351-22

Référence : 2023 CF 173

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 7 février 2023

En présence de madame la juge Aylen

ENTRE :

HAIPING ZHOU

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur, un citoyen chinois de 40 ans, craint d’être persécuté par les autorités chinoises en raison de ses croyances religieuses en tant que membre de l’Église du Dieu Tout-Puissant [la CAG]. Il sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 3 janvier 2022 par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté son appel de la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR]. La SPR a conclu que le demandeur n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger, aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Dans sa décision de rejeter l’appel du demandeur, la SAR a convenu avec la SPR que la question déterminante était la crédibilité.

[2] Le demandeur affirme que la décision de la SAR était déraisonnable pour les motifs suivants : i) les documents à l’appui présentés par le demandeur ont été jugés non authentiques uniquement sur la base d’autres conclusions défavorables en matière de crédibilité, sans que ceux‑ci aient été soumis à une analyse indépendante ni soupesés par rapport aux autres conclusions; ii) la SAR a mal évalué les déclarations du demandeur concernant ses connaissances religieuses et a procédé à un examen trop microscopique de celles-ci; iii) une importance excessive a été accordée aux divergences entre l’entrevue du demandeur au point d’entrée et son témoignage.

[3] Comme en ont convenu les parties, chacune des questions mentionnées précédemment est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Lorsqu’elle effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit décider si la décision faisant l’objet du contrôle, y compris son raisonnement et son résultat, est transparente, intelligible et justifiée. Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti [voir l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 15, 85]. La Cour n’interviendra que si elle est convaincue que la décision souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence [voir la décision Adeniji-Adele c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 418 au para 11].

[4] Bien que le demandeur ait soulevé plusieurs questions dans la présente demande, je conclus que la question déterminante est celle de l’examen par la SAR des documents à l’appui présentés par le demandeur. Je conclus que l’évaluation des documents à l’appui par la SAR était déraisonnable et que cette évaluation a influé sur les conclusions y afférentes.

[5] À l’appui de sa demande d’asile, le demandeur a présenté les éléments suivants : i) un reçu estampillé par le Bureau de la sécurité publique [le BSP] relativement au paiement par le demandeur d’une amende pour avoir distribué des dépliants religieux illégaux; ii) une lettre d’avertissement du BSP datée du 27 décembre 2018, dans laquelle il était indiqué que le demandeur avait été surpris en juin 2018 en train de distribuer des dépliants illégaux et qu’il avait été amené au poste du BSP pour être interrogé, qu’il avait été relâché après avoir reçu une amende et été sommé de cesser toute activité illégale, qu’il avait été ramené au BSP en décembre 2018 et de nouveau sommé de cesser ses activités sectaires; iii) une assignation à comparaître délivrée par le BSP datée du 1er avril 2019, dans laquelle il était allégué que le demandeur n’avait pas respecté la mise en garde du BSP de s’abstenir de se livrer à des activités liées à la CAG [collectivement, les documents à l’appui].

[6] La SPR a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, les documents à l’appui présentés par le demandeur n’étaient pas authentiques et elle ne leur a accordé aucun poids. La SPR a déclaré que, compte tenu des nombreuses autres conclusions relatives à la crédibilité concernant des questions fondamentales relatives à la demande d’asile du demandeur, ces éléments soulevaient des doutes quant à l’authenticité des documents à l’appui. La SPR a également fait observer ce qui suit : i) le demandeur a démontré qu’il a eu accès à des documents frauduleux, étant donné qu’il a tenté d’entrer au Canada au moyen d’un passeport taïwanais frauduleux; ii) les documents frauduleux sont faciles à obtenir en Chine, et la province du Fujian, d’où est originaire le demandeur, est considérée comme présentant un risque particulièrement élevé en ce qui concerne les documents frauduleux.

[7] La SAR a convenu que la SPR avait commis une erreur dans son examen des documents à l’appui, et a déclaré ce qui suit au paragraphe 11c) de ses motifs :

Je conviens avec l’appelant que, lorsque la Commission met en doute l’authenticité d’un document, elle doit soumettre celui-ci à une analyse indépendante. J’estime également que la SPR a commis une erreur en s’appuyant sur ses conclusions antérieures quant à la crédibilité au moment d’évaluer les documents à l’appui. Après avoir analysé de nouveau les documents, je constate que je n’ai aucune raison de conclure qu’ils sont frauduleux. Cela ne signifie pas pour autant que je peux conclure qu’ils sont authentiques : je ne suis pas outillé pour entreprendre une analyse judiciaire de divers documents provenant de divers endroits dans le monde. Je soupèserai les documents par rapport aux problèmes de crédibilité de l’appelant dans le cadre de mon évaluation globale de la crédibilité afin d’établir si la demande d’asile est authentique.

[Non souligné dans l’original.]

[8] En l’espèce, les documents à l’appui, s’ils étaient authentiques, démontreraient de façon concluante que le demandeur est recherché par les autorités chinoises. Par conséquent, la SAR était tenue d’examiner directement les documents à l’appui avant de tirer une conclusion générale en matière de crédibilité, ce qui l’obligeait à tirer une conclusion, d’une manière ou d’une autre, quant à l’authenticité des documents à l’appui [voir Ren c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1402, au para 25]. Dire que rien ne permet de conclure que les documents à l’appui sont frauduleux, puis laisser entendre que cela ne veut pas dire que les documents sont authentiques revient à renoncer à cette obligation. De plus, la prétention selon laquelle, en fait, la SAR n’est pas en mesure d’apprécier l’authenticité des documents est intenable. La SPR et la SAR évaluent régulièrement l’authenticité de pareils documents en fonction des renseignements sur la situation dans le pays qui s’y rapportent, tels qu’ils sont énoncés dans le cartable national de documentation, et la Cour a jugé qu’elles sont bien placées pour le faire [voir, par exemple, Gong c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 163; Gong c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1160; Kahumba c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 551 au para 37]. La SAR n’a pas soumis les documents à l’appui à une analyse indépendante, et c’est le même manquement qu’elle a reproché à la SPR.

[9] De plus, même si la SAR a laissé entendre qu’elle soupèserait les documents à l’appui en fonction de ses réserves quant à la crédibilité du demandeur au moment de procéder à son évaluation de la crédibilité globale, elle a simplement indiqué ce qui suit dans son appréciation de la crédibilité globale :

[12] À la lumière des problèmes de crédibilité de l’appelant ainsi que des documents qu’il a présentés, j’estime que, dans l’ensemble, l’appelant manque de crédibilité. Je suis d’avis qu’il n’était pas un adepte authentique de la CAG en Chine, qu’il n’a pas été poursuivi par le PSB et qu’il n’est pas exposé à une possibilité sérieuse de persécution ni à une probabilité de subir tout autre préjudice pour ce motif.

[Non souligné dans l’original.]

[10] Même si la SAR avait adopté une démarche adéquate à l’égard de l’évaluation des documents à l’appui (ce qui n’était pas le cas), j’estime que, au bout du compte, la SAR, dans ses motifs, a manqué de transparence quant au poids qu’elle a effectivement accordé aux documents à l’appui et à la manière dont ils ont été pris en compte pour en arriver à sa conclusion en matière de crédibilité.

[11] Les erreurs mentionnées précédemment dans l’évaluation par la SAR des documents à l’appui rendent la décision de la SAR déraisonnable. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision de la SAR sera annulée, et l’affaire sera renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvelle décision.

[12] Aucune des parties n’a proposé de question à certifier, et je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-351-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Section d’appel des réfugiés pour nouvelle décision.

  2. Les parties n’ont proposé aucune question à certifier et l’affaire n’en soulève aucune.

« Mandy Aylen »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-351-22

INTITULÉ :

HAIPING ZHOU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 FÉVRIER 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE AYLEN

DATE DES MOTIFS :

LE 7 FÉVRIER 2023

COMPARUTIONS :

Michael Korman

Pour le demandeur

Asha Gafar

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Michael Korman

Avocat

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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