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Date : 20230117


Dossier : IMM-899-22

Référence : 2023 CF 66

[TRADUCTION FRANÇAISE RÉVISÉE PAR L’AUTEUR]

Ottawa (Ontario), le 17 janvier 2023

En présence de monsieur le juge Sébastien Grammond

ENTRE :

ISABELLA MARIA VARGAS VILLANUEVA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Mme Vargas a présenté une demande de visa en vue de faire des études au Canada. Un agent des visas a conclu que sa preuve de fonds était frauduleuse et il a rejeté sa demande pour fausse déclaration. La demanderesse sollicite maintenant le contrôle judiciaire de cette décision. J’accueillerai sa demande. Le dossier ne contient rien qui puisse justifier la conclusion selon laquelle la preuve de fonds était frauduleuse. De plus, l’agent n’a pas véritablement tenu compte des explications et de la preuve qu’a fournies Mme Vargas lorsqu’elle a été informée du problème.

I. Contexte

[2] En novembre 2020, Mme Vargas a présenté une demande de permis d’études en vue d’entreprendre, en septembre 2021, des études en commerce à l’Université York. Il semble qu’elle avait déjà terminé la première année du programme d’études en 2020-2021, vraisemblablement à distance.

[3] En janvier 2021, l’agent des visas a demandé à Mme Vargas de fournir une preuve démontrant qu’elle disposait de fonds suffisants pour subvenir à ses besoins durant ses études. Elle a envoyé une lettre datée du 11 janvier 2021 dans laquelle sa mère, Mme Villanueva, s’engageait à assumer ses dépenses et déclarait qu’elle détenait une somme de 190 000 dollars américains à cette fin à la Banco Popular Dominicano. À cette lettre était jointe une lettre de la Banco Popular, qui est au cœur de la présente affaire. Elle est datée du 21 septembre 2018 et est adressée à « Asociación La Nacional ». Elle indique que Mme Villanueva est titulaire d’un certificat d’une valeur de 11 385 000 pesos dominicains (environ 280 000 dollars canadiens).

[4] Le 16 avril 2021, Mme Vargas a été informée que sa demande avait été accueillie et qu’elle devait présenter son passeport pour achever la procédure. Cependant, le 11 mai 2021, elle a été informée que sa demande avait été rouverte en raison de renseignements reçus récemment. L’agent des visas a écrit ce qui suit : [traduction] « Je crains que la preuve de fonds (de la Banco Popular) au nom de votre mère, que vous avez fournie à l’appui de votre demande, soit frauduleuse. »

[5] Les notes consignées dans le Système mondial de gestion des cas [le SMGC] donnent une idée un peu plus précise de ces craintes. Une note consignée le 7 mai 2021 indique ce qui suit :

[traduction]
Une copie de la lettre de preuve des fonds détenus par la mère de la demanderesse principale a été envoyée par courriel à notre personne-ressource au sein de la Banco Popular, et cette personne a affirmé que la cliente figurait dans le système, mais qu’elle ne disposait pas du produit mentionné dans la lettre, que le produit n’existait pas dans le système et que la lettre n’avait pas été émise par l’institution.

[6] Il n’existe aucune trace des communications entre l’agent des visas et la personne‑ressource au sein de la Banco Popular. En revanche, le dossier certifié du tribunal [le DCT] contient un courriel de l’Université York en réponse à une demande d’authentification semblable.

[7] Une autre note consignée le 7 mai 2021 indique ce qui suit :

[traduction]
Une copie de la preuve des fonds détenus par le père de la demanderesse principale a été envoyée par courriel à notre personne-ressource au sein de la Banco Popular, et cette personne a indiqué que le client existait dans le système et qu’il disposait du produit dont le solde s’élevait à 184 293,14 dollars américains en date du 29 avril 2021.

[8] Cette note est très déroutante. Premièrement, le père de Mme Vargas est décédé en 2008 dans un accident de voiture. Deuxièmement, ni le DCT ni le dossier de demande ne contiennent une autre preuve de fonds produite par la Banco Popular à laquelle cette notre pourrait renvoyer.

[9] La lettre reçue par Mme Vargas le 11 mai 2021 est ce que l’on appelle communément une lettre d’équité procédurale. Elle informait Mme Vargas des craintes de l’agent et lui indiquait qu’elle disposait de 30 jours pour présenter une réponse. La description un peu plus précise de ces craintes contenue dans les notes consignées dans le SMGC n’a été communiquée à Mme Vargas que beaucoup plus tard au cours du processus.

[10] Dans les semaines qui ont suivi, Mme Vargas a fourni une autre lettre de sa mère. Dans cette lettre, Mme Villanueva expliquait que l’argent nécessaire pour payer les études de Mme Vargas avait été détenu dans un certificat auprès de la Banco Popular, mais que ce compte avait été fermé et que l’argent avait été déplacé vers un autre compte au nom de M. Vargas, l’oncle de Mme Vargas. Elle présentait ensuite ses excuses pour la confusion occasionnée par la situation. Mme Vargas a aussi fourni une lettre produite par la Banco Popular le 27 mai 2021, adressée au [traduction] « Consulat du Canada ». Cette lettre expliquait que le certificat initial, d’une valeur de 11 385 000 pesos, avait été annulé le 8 juillet 2020 et que les fonds avaient été déplacés vers le compte de M. Vargas. Cette lettre ne renvoyait pas explicitement à la lettre de 2018 de la Banco Popular.

[11] Le 25 novembre 2021, un autre agent des visas a réexaminé l’affaire et est parvenu à la conclusion que Mme Vargas avait fait une fausse déclaration, en contravention de l’article 40 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], pour les motifs suivants :

[traduction]
À la suite de la vérification, la demanderesse a été informée que la lettre avait été qualifiée de frauduleuse par l’institution censée l’avoir émise. La réponse de la demanderesse, selon laquelle le compte avait été fermé et les fonds déplacés vers un autre compte dans une devise différente, était appuyée par une lettre à ce sujet, une fois de plus prétendument émise par la Banco Popular. Cependant, les nouveaux renseignements fournis ne traitaient pas des renseignements reçus dans le contexte de la vérification faite auprès de la Banco Popular, vérification qui avait permis d’établir que Mme Clara G. Villanueva n’était pas titulaire du compte décrit dans les documents présentés initialement à l’appui de la demande ou que la lettre initiale n’avait pas été émise par la Banco Popular.

J’ai examiné les renseignements fournis et je suis convaincu, d’après la vérification faite auprès de la Banco Popular, que le document initial fourni comme preuve de fonds était frauduleux. Le document fourni aurait pu amener l’agent à croire que la demanderesse disposait de fonds suffisants pour financer son projet d’études au Canada, alors que cela n’avait, en réalité, pas été démontré.

[12] Si l’agent a écrit que la deuxième lettre provenait [traduction] « prétendument » de la Banco Popular, il n’a pas communiqué avec la personne-ressource pour vérifier l’authenticité de cette lettre.

[13] Mme Vargas a demandé le réexamen de la décision défavorable, mais sa demande a été rejetée. Elle sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision par laquelle l’agent des visas a rejeté sa demande de permis d’études.

II. Analyse

[14] La demande de Mme Vargas sera accueillie parce que la décision de l’agent de rejeter sa demande de visa était déraisonnable. L’agent n’a pas fourni de motifs pour justifier la conclusion déterminante selon laquelle la lettre de la Banco Popular n’était pas authentique, et l’examen du dossier ne donne aucune indication quant à la justification de cette conclusion. L’agent n’a pas non plus tenu compte des explications fournies par Mme Vargas en réponse à la lettre d’équité procédurale.

[15] Avant d’expliquer les raisons pour lesquelles j’arrive à cette conclusion, il est utile de parler brièvement de la portée du contrôle judiciaire. Le rôle de la cour de révision n’est pas de se mettre à la place du décideur, d’apprécier à nouveau la preuve ou d’exercer le pouvoir discrétionnaire conféré au décideur. Son rôle est plutôt de s’assurer que la décision est justifiée, transparente et intelligible, et qu’elle respecte les contraintes factuelles et juridiques auxquelles le décideur est assujetti : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au paragraphe 99, [2019] 4 RCS 653 [Vavilov]. Elle doit aussi s’assurer que la décision a été rendue au terme d’un processus équitable.

[16] Dans le contexte particulier des conclusions de fausse déclaration au titre de l’article 40 de la Loi, trois principes interreliés se dégagent de la jurisprudence de notre Cour et sont pertinents en l’espèce.

[17] Premièrement, une conclusion de fausse déclaration doit être fondée sur une « preuve claire et convaincante » : Jain c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 562 au paragraphe 14; Vahora c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 778 au paragraphe 29; Munoz Gallardo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1304 [Munoz Gallardo] au paragraphe 17; Brar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1522 au paragraphe 10. Il ne suffit pas d’avoir un simple soupçon ou même des motifs raisonnables de croire.

[18] Deuxièmement, si les agents des visas ne sont généralement tenus de fournir qu’un minimum de motifs, ils doivent fournir des motifs plus détaillés lorsqu’ils tirent des conclusions de fausse déclaration : Likhi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 171 au paragraphe 27; Gill c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1441 aux paragraphes 6 et 7; Munoz Gallardo, au paragraphe 16. Il en est ainsi parce que les conséquences de telles conclusions sont plus graves qu’un simple refus de visa : Vavilov, au paragraphe 133.

[19] Troisièmement, avant de tirer une conclusion de fausse déclaration, un agent des visas doit donner un avis au demandeur et lui donner l’occasion de présenter des observations : Bayramov c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 256 au paragraphe 15. L’avis « doit contenir suffisamment de détails pour que le demandeur sache à quoi il doit répondre » (ibid.).

[20] En l’espèce, les motifs de l’agent ne renvoient à aucune « preuve claire et convaincante » démontrant que la première lettre de la Banco Popular était frauduleuse, et le dossier n’en contient aucune. Le seul renseignement pertinent est la mention, dans la note consignée dans le SMGC le 7 mai 2021, que [traduction] « la lettre n’avait pas été émise par l’institution ». Cependant, rien n’indique le fondement de cette affirmation catégorique. La lettre elle-même ne montre aucun signe évident de falsification. Nous ne savons pas quelles vérifications l’employé de la banque a effectuées. Il se pourrait fort bien que l’employé ait simplement tiré cette conclusion du fait que le numéro de compte était invalide; autrement dit, si les renseignements qui figuraient sur la lettre étaient inexacts, la lettre devait avoir été falsifiée. Il existe toutefois d’autres explications possibles. La banque pourrait avoir commis une erreur en émettant la lettre. L’employé qui a vérifié l’authenticité de la lettre pourrait avoir mal interprété les renseignements qu’elle contenait, par exemple en négligeant le fait qu’elle avait été rédigée deux ans plus tôt et qu’elle n’était peut-être plus à jour. Comme les courriels échangés entre l’agent des visas et l’employé de la banque n’ont pas été conservés dans le dossier, nous ne le savons tout simplement pas.

[21] Cette affaire est semblable à la décision Albrifcani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 355 [Albrifcani], dans laquelle il a été conclu que la simple mention d’un processus d’assurance de la qualité ou « AQ » dans les notes consignées dans le SMGC était tout à fait insuffisante pour étayer une conclusion de fausse déclaration. Dans cette affaire, « le dossier ne cont[enait] aucune explication ni preuve par affidavit provenant du défendeur quant à savoir ce qu’[était] une AQ, comment elle [avait] été menée en l’espèce, pourquoi il n’y [avait] pas de trace du processus de vérification au dossier ou pourquoi les résultats appuyaient la conclusion selon laquelle l’IELTS soumis était frauduleux » (idem., au paragraphe 26). Bien que l’agent des visas, en l’espèce, ait communiqué avec un employé de la Banco Popular, nous ne savons rien des mesures que l’employé a prises pour arriver à la conclusion que la lettre n’avait pas été émise par l’institution.

[22] Tant dans la décision Albrifcani qu’en l’espèce, il convient de considérer les tiers à qui l’on a demandé d’authentifier un document comme des témoins. Ils ne sont pas eux-mêmes des décideurs; ils fournissent plutôt des renseignements au décideur. L’agent, à qui il revient de prendre la décision, doit tout de même examiner ces renseignements afin de comprendre le fondement des conclusions tirées par le tiers. Étant donné que le dossier ne contient aucune trace de l’évaluation faite par l’agent ou du raisonnement suivi par le tiers, la décision est tout sauf transparente et elle peut difficilement être considérée comme intelligible ou justifiable.

[23] À l’audience, le ministre a beaucoup insisté sur le fait que Mme Vargas n’avait jamais expressément réfuté l’affirmation selon laquelle la lettre de 2018 n’avait pas été produite par la Banco Popular. Cependant, comme je l’expliquerai plus loin, la lettre d’équité procédurale n’informait pas Mme Vargas de cette crainte précise. Autrement dit, compte tenu de ce qu’elle savait, Mme Vargas pouvait raisonnablement comprendre que les craintes de l’agent portaient sur l’exactitude des renseignements contenus dans la lettre ou sur le fait qu’ils n’étaient pas à jour. Rien ne laissait entendre que la crainte de l’agent quant au caractère frauduleux de la lettre comportait deux volets qui devaient être traités séparément, soit l’exactitude et l’authenticité. Il aurait été normal pour Mme Vargas de présumer que les craintes de l’agent découlaient du fait que la lettre de 2018 n’était pas à jour en ce qui concernait le compte dans lequel les fonds étaient détenus. Par conséquent, la manière dont Mme Vargas a répondu à la lettre d’équité procédurale ne peut pas être considérée comme un aveu que la lettre de 2018 n’était pas authentique.

[24] À mon avis, le passage disant [traduction] « n’a pas été émise par l’institution » contenu dans la lettre de décision du 15 décembre 2021 n’était pas suffisant pour faire comprendre à Mme Vargas qu’elle devait faire en sorte de dissiper deux craintes distinctes. Par conséquent, je ne peux rien déduire du fait qu’elle n’ait pas abordé cette question dans sa demande de réexamen. Quoi qu’il en soit, le genre d’aveu implicite que le ministre cherche maintenant à établir est loin de constituer la « preuve claire et convaincante » nécessaire pour étayer une conclusion de fausse déclaration.

[25] La décision est donc déraisonnable, car une conclusion déterminante n’est pas expliquée et n’est pas étayée par la preuve au dossier. Comme l’a déclaré la Cour suprême au paragraphe 98 de l’arrêt Vavilov :

Lorsque le décideur omet de justifier, dans les motifs, un élément essentiel de sa décision, et que cette justification ne saurait être déduite du dossier de l’instance, la décision ne satisfait pas, en règle générale, à la norme de justification, de transparence et d’intelligibilité.

[26] De plus, j’ai des réserves quant au caractère équitable du processus suivi par l’agent des visas. Bien que Mme Vargas n’ait pas invoqué explicitement un manquement à l’équité procédurale, il n’existe pas toujours de séparation étanche entre le fond et le processus. En l’espèce, le manque de précision de la lettre d’équité procédurale et le fait que la réponse de Mme Vargas n’a apparemment pas été prise en compte ont très probablement amené l’agent à prendre une décision sans tenir compte de la preuve pertinente.

[27] L’un des principaux objectifs de l’obligation de donner un avis est de garantir la qualité et l’exactitude du processus décisionnel en permettant au demandeur de contredire les conclusions préliminaires de l’agent : Nicholson c Haldimand-Norfolk Regional Police Commissioner, [1979] 1 RCS 311 à la p 328. Autrement dit, l’équité procédurale rend possible une décision raisonnable. Pour ce faire, l’avis doit fournir au demandeur une description précise des conclusions préliminaires ou, comme on le dit souvent, de la « preuve à réfuter » : Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 au paragraphe 22; May c Établissement Ferndale, 2005 CSC 82 aux paragraphes 117 et 118, [2005] 3 RCS 809; Cordero c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 24 au paragraphe 20.

[28] L’avis donné à Mme Vargas le 11 mai 2021 indiquait simplement que l’agent craignait que « la preuve de fonds [...] soit frauduleuse ». Comme il a été mentionné au paragraphe 34 de la décision Albrifcani, une telle affirmation n’informait pas adéquatement la demanderesse de la nature des craintes de l’agent. L’agent aurait dû expliquer clairement qu’il avait deux craintes distinctes, la première concernant l’exactitude des renseignements contenus dans la lettre et la deuxième concernant l’authenticité de cette lettre. Si l’agent avait fourni ces explications, Mme Vargas aurait pu, par exemple, demander à la banque de confirmer qu’elle avait bien émis la lettre de 2018 et de confirmer également l’exactitude de son contenu.

[29] Surtout, pour que l’obligation de donner un avis soit utile, le décideur doit s’efforcer de comprendre la réponse du demandeur et être disposé à réexaminer les conclusions initiales de son enquête. En fait, s’il y a obligation de donner un avis, c’est précisément parce que l’évaluation initiale d’un agent peut être erronée et que l’obtention de renseignements supplémentaires peut permettre de corriger une erreur. Ainsi, lorsqu’il reçoit des observations en réponse à une lettre d’équité procédurale, l’agent doit être disposé à remettre en question sa propre conclusion initiale. Il doit se demander : « Se peut-il que je me sois trompé? ».

[30] Je reconnais que cet exercice peut s’avérer difficile lorsqu’une conclusion de fausse déclaration est en jeu. Un agent peut légitimement ressentir une indignation morale lorsqu’il découvre ce qu’il croit être une fausse déclaration. Il peut penser, comme le ministre l’a soutenu à l’audience, qu’une fausse déclaration ne peut jamais être corrigée ou [traduction] « couverte » en fournissant plus tard des renseignements exacts et authentiques. La malhonnêteté présumée d’un demandeur peut fort bien entraîner un biais de confirmation chez l’agent. L’agent doit toutefois garder l’esprit ouvert et se demander si les nouveaux renseignements reçus jettent un doute sur la conclusion initiale de fausse déclaration au lieu de constituer simplement une tentative de « couvrir » une fausse déclaration. Il doit envisager la possibilité que le demandeur n’ait pas, en réalité, fait de fausse déclaration.

[31] En l’espèce, les notes consignées dans le SMGC ne montrent pas que l’agent a examiné ou tenu compte de la réponse de Mme Vargas à la lettre d’équité procédurale. Premièrement, l’agent a déclaré que la réponse [traduction] « ne trait[ait] pas des renseignements [...] [selon lesquels la mère de Mme Vargas] n’était pas titulaire du compte décrit dans les documents présentés initialement ». Cette affirmation est toutefois inexacte : l’essence de la réponse de Mme Vargas était que sa mère était bel et bien titulaire du compte décrit dans la première lettre lorsque la banque l’avait émise en 2018.

[32] Deuxièmement, l’agent a aussi déclaré que la réponse de Mme Vargas ne traitait pas de la crainte selon laquelle la lettre n’avait pas été émise par la Banco Popular. Cependant, cette affirmation ne tenait pas compte du fait que Mme Vargas avait démontré que les renseignements contenus dans cette lettre étaient exacts au moment où celle-ci avait été rédigée en 2018. Si l’inexactitude des renseignements était la seule raison pour laquelle la lettre avait été jugée frauduleuse, la réponse de Mme Vargas était donc complète. Comme je l’ai expliqué ci-dessus, si d’autres motifs justifiaient la conclusion initiale selon laquelle la lettre n’était pas authentique, ils ne ressortent pas du dossier et ils n’ont jamais été communiqués à Mme Vargas, qui ne pouvait donc pas y répondre.

[33] Un troisième problème découle du fait que le dossier semble indiquer que personne dans cette affaire ne s’est rendu compte que la première lettre de la Banco Popular avait été rédigée en 2018 et qu’elle n’était peut-être plus à jour. Il s’agissait pourtant de la prémisse de base de la démonstration faite par Mme Vargas selon laquelle elle n’avait fait aucune fausse déclaration. Il était difficile d’apprécier la réponse de Mme Vargas équitablement sans tenir compte de ce fait. Même lors de l’audition de la présente demande, l’avocate du ministre semblait ignorer la date à laquelle la lettre avait été produite.

[34] Cela soulève une question sérieuse quant à savoir si l’agent a véritablement examiné la réponse de Mme Vargas en faisant preuve d’ouverture d’esprit. Le biais de confirmation pourrait fort bien l’avoir emporté. Des situations semblables ont amené mes collègues à annuler les décisions des agents des visas dans les décisions Albrifcani, au paragraphe 36, et Kong c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1183 [Kong], aux paragraphes 39 à 40.

[35] À l’audience, le ministre a attiré mon attention sur une possible contradiction entre la lettre de 2021 de la banque et l’affidavit de Mme Villanueva concernant la date précise à laquelle les fonds avaient été déplacés du certificat vers le compte en dollars américains. Je ne vois pas en quoi cette possible contradiction est pertinente. Elle n’a pas été mentionnée dans les motifs de l’agent, et il ne relève pas du rôle de la Cour de substituer une justification différente au raisonnement vicié d’un décideur : Vavilov, au paragraphe 96. À supposer, comme le ministre semble le faire valoir, qu’il s’agisse d’une fausse déclaration distincte, son importance n’a pas été établie. Il est difficile de comprendre comment l’issue de la demande de permis d’études de Mme Vargas pourrait dépendre de la date à laquelle les fonds ont été déplacés d’un compte vers un autre.

[36] Étant donné que je suis d’avis que la conclusion de fausse déclaration tirée par l’agent était déraisonnable, il n’est pas nécessaire que je me penche sur l’argument subsidiaire de Mme Vargas selon lequel une fausse déclaration n’aurait pas risqué d’entraîner une erreur dans l’application de la Loi. Il suffit de dire qu’à moins que les documents versés au dossier ne soient des faux, il semble que l’argent nécessaire pour subvenir aux besoins de Mme Vargas durant ses études a toujours été disponible.

III. Dispositif

[37] Comme la décision de l’agent des visas est déraisonnable, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision sera annulée et l’affaire sera renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision.

[38] Si l’agent chargé de rendre une nouvelle décision souhaite tirer des conclusions défavorables quant à l’authenticité de l’une ou l’autre des lettres produites par la Banco Popular dans cette affaire, il serait fortement recommandé d’obtenir des éléments de preuve supplémentaires de la banque à cet égard : Kong, au paragraphe 39. De plus, il pourrait être utile de clarifier la question de la preuve de fonds fournie par le « père » de Mme Vargas (ou, plus vraisemblablement, son oncle), et la question de savoir s’il s’agit des mêmes fonds que ceux décrits dans les lettres de la Banco Popular. Si tel est le cas, cela pourrait bien influer sur les effets que toute fausse déclaration aurait pu avoir.


JUGEMENT dans le dossier IMM-899-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2. La décision de rejeter la demande de permis d’études de la demanderesse et la conclusion selon laquelle la demanderesse a contrevenu à l’article 40 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés sont annulées.

3. L’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

4. Aucune question n’est certifiée.

« Sébastien Grammond »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-899-22

 

INTITULÉ :

ISABELLA MARIA VARGAS VILLANUEVA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VISIOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 11 janvier 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GRAMMOND

DATE DES MOTIFS :

Le 17 janvier 2023

COMPARUTIONS :

Amanat Sandhu

Pour la demanderesse

 

Asha Gafar

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Matkowsky Immigration Law

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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