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Date : 20230124


Dossier : IMM-518-23

Référence : 2023 CF 113

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 24 janvier 2023

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE:

MANJEET SINGH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Manjeet Singh, demande par voie de requête d’obtenir un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi du Canada dont il fait l’objet, prévue pour le 26 janvier 2023.

[2] Le demandeur prie la Cour d’ordonner un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi vers l’Inde prise contre lui le temps qu’une décision soit rendue au sujet de la demande au principal d’annulation et de contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent d’exécution de la loi dans les bureaux intérieurs (l’agent) de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) a rejeté sa demande de report.

[3] Pour les motifs qui suivent, la requête est rejetée. Je conclus que le demandeur n’a pas satisfait au critère à trois volets applicable pour se voir accorder un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi.

II. Faits et décision au principal

[4] Le demandeur est un citoyen sikh de l’Inde âgé de 36 ans. Son épouse et ses deux enfants vivent en Inde.

[5] Le demandeur réside au Canada depuis le mois de mai 2018 et travaille à temps plein depuis 2019. Il est camionneur depuis le mois d’avril 2019 et a travaillé durant toute la pandémie de COVID-19. Il n’a pas reçu de l’aide sociale au Canada. Le demandeur s’investit aussi dans la communauté sikhe en fréquentant un temple sikh et en faisant du bénévolat.

[6] Le demandeur est arrivé au Canada le 30 mai 2018. Le 16 novembre 2018, il a présenté une demande d’asile. La Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté la demande dans une décision datée du 21 juillet 2021. Le 14 décembre 2021, la Section d’appel des réfugiés (la SAR) a rejeté l’appel interjeté par le demandeur de la décision de la SPR. Le 18 avril 2022, la Cour a rejeté la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de la SAR présentée par le demandeur.

[7] Le 23 décembre 2022, le demandeur a présenté à l’ASFC une demande en vue de faire reporter son renvoi, qui a été reçue par l’ASFC le 11 janvier 2023.

[8] Le 24 décembre 2022, le demandeur a présenté une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire qui est toujours en instance.

[9] Le 12 janvier 2023, l’ASFC a signifié au demandeur une directive lui enjoignant de se présenter pour son renvoi fixé au 26 janvier 2023.

[10] Le 18 janvier 2023, l’ASFC a rejeté la demande de report du demandeur.

III. Analyse

[11] Le critère à trois volets régissant l’octroi d’un sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi est bien établi : Toth c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1988), 86 NR 302 (CAF) («Toth»); Manitoba (P.G.) c Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 RCS 110 («Metropolitan Stores Ltd»); RJR-MacDonald Inc c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311 («RJR-MacDonald»); R c Société Radio-Canada, [2018] 1 RCS 196.

[12] Le critère énoncé dans l’arrêt Toth est conjonctif, en ce sens que, pour qu’un sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi lui soit accordé, le demandeur doit établir : (i) que la demande de contrôle judiciaire au principal soulève une question sérieuse; (ii) qu’un préjudice irréparable sera causé s’il est renvoyé; (iii) que la prépondérance des inconvénients favorise l’octroi du sursis.

A. Question sérieuse

[13] Dans l’arrêt RJR-MacDonald, la Cour suprême du Canada a établi que le premier volet du critère doit être déterminé en se fondant sur « un examen extrêmement restreint du fond de l’affaire » (RJR-MacDonald, à la p 314). La Cour doit aussi être consciente du fait que le pouvoir discrétionnaire de reporter le renvoi de la personne visée par une mesure de renvoi exécutoire est limité. La norme de contrôle applicable à la décision d’un agent d’exécution de la loi est celle de la décision raisonnable (Baron c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CAF 81, [2010] 2 RCF 311 au para 67) («Baron»). Il incombe au demandeur qui conteste la décision de refuser de reporter son renvoi de satisfaire à une norme rigoureuse quant au premier volet relatif à la question sérieuse à juger énoncé dans l’arrêt Toth, conformément à l’arrêt Baron.

[14] Le demandeur affirme que la demande au principal soulève des questions sérieuses sur le caractère raisonnable du rejet de la demande de report par l’ASFC, particulièrement celle de savoir si l’agent a examiné de manière déraisonnable les répercussions du renvoi sur la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire en instance, et s’il a mal évalué l’intérêt supérieur de l’enfant (l’ISE). Le demandeur affirme que ces questions sont suffisamment sérieuses pour satisfaire aux exigences peu élevées du premier volet du critère de l’arrêt Toth.

[15] Le défendeur soutient qu’il n’y a aucune question sérieuse puisque l’agent a raisonnablement examiné et rejeté la demande de report du demandeur.

[16] Après avoir examiné les documents présentés par les parties en lien avec la requête ainsi que la décision au principal, je suis d’accord pour dire qu’il y a une question sérieuse à trancher. La demande de contrôle judiciaire au principal soulève des questions quant à savoir si l’agent a adéquatement examiné la situation du demandeur et l’ISE, lesquelles sont suffisamment sérieuses pour satisfaire au premier volet du critère.

B. Préjudice irréparable

[17] En ce qui concerne le deuxième volet du critère, le demandeur doit démontrer qu’il subira un préjudice irréparable si le sursis n’est pas accordé. Un préjudice irréparable n’a pas trait à l’étendue du préjudice; il s’agit plutôt d’un préjudice qui ne peut être quantifié du point de vue monétaire ou auquel il ne peut être remédié (RJR-MacDonald, à la p 341). La Cour doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que le préjudice n’est pas hypothétique, mais n’a pas à être convaincue que le préjudice sera causé (Xu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF no 746; Horii c Canada (CA), [1991] ACF no 984, [1992] 1 CF 142 (CA)).

[18] Le demandeur soutient qu’il subira un préjudice irréparable s’il est renvoyé en Inde. Il soutient que son renvoi compromettra sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire en instance, ce qui est appuyé par des données statistiques qui démontrent que, en ce qui a trait aux demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire, celles présentées de l’extérieur du Canada sont refusées dans une bien plus grande proportion que celles présentées depuis le Canada. Le demandeur soutient de plus que l’ISE justifie que lui soit accordé un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi prise contre lui, puisqu’il pourvoit seul aux besoins de son épouse et de ses enfants en Inde. Le demandeur affirme qu’il envoie régulièrement de l’argent en Inde pour couvrir les dépenses essentielles de ses enfants, et que sa famille souffrirait s’il ne travaillait pas au Canada.

[19] Le défendeur soutient que le demandeur ne subira pas de préjudice irréparable en raison de son renvoi. Il affirme que les allégations du demandeur concernant les risques auxquels il serait exposé en Inde ont bien été évalués par la SPR et la SAR, que les risques qu’il a invoqués à titre de fermier sikh et en raison des répercussions de la pandémie de COVID-19 ne constituent pas un préjudice irréparable, et que les risques qu’il a invoqués en lien avec le soutien financier de sa famille sont des conséquences inhérentes de l’expulsion. En ce qui a trait au facteur lié à l’ISE, le défendeur fait remarquer que le demandeur travaillait en Inde avant de venir au Canada, et il ajoute que le demandeur n’a présenté aucun élément de preuve objectif pour établir que sa famille et lui sont dans une situation financière précaire.

[20] Je suis d’accord avec le défendeur et je conclus qu’il n’y a aucun préjudice irréparable dans la présente affaire. Bien que je ne souhaite pas amoindrir son rôle en tant que seul pourvoyeur de sa famille en Inde, le demandeur n’a pas présenté suffisamment d’éléments de preuve pour établir que l’exécution de son renvoi entraînerait des difficultés financières pour sa famille et ses enfants qui équivaudraient à un préjudice irréparable. L’intérêt à court terme des enfants du demandeur ne permet pas d’établir un préjudice irréparable dans la présente affaire. L’agent saisi de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire examinera leur intérêt à long terme dans son évaluation rigoureuse de l’ISE.

C. Prépondérance des inconvénients

[21] Le troisième volet du critère exige un examen selon la prépondérance des inconvénients qui consiste à déterminer laquelle des deux parties subira le plus grand préjudice selon que l’on accorde ou refuse l’injonction interlocutoire en attendant une décision sur le fond (RJR-MacDonald, à la p 342; Metropolitan Stores Ltd, à la p 129). Il a parfois été dit que « [l]orsque la Cour est convaincue que l’existence d’une question sérieuse et d’un préjudice irréparable a été établie, la prépondérance des inconvénients militera en faveur du demandeur » (Mauricette c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2008 CF 420 au para 48). Toutefois, la Cour doit également tenir compte de l’intérêt public aux fins de la bonne administration du système d’immigration.

[22] Le demandeur soutient que la prépondérance des inconvénients milite en sa faveur et qu’il doit être sursis à l’exécution de la mesure de renvoi. Il souligne que sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire est en instance, qu’il sera admissible à un examen des risques avant renvoi dans trois mois et qu’il est partie à un litige civil en instance.

[23] Le manque d’éléments de preuve pour étayer le préjudice irréparable est déterminant dans le cadre de la présente requête. Néanmoins, la prépondérance des inconvénients milite en faveur du défendeur. Le paragraphe 48(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, prévoit que la mesure de renvoi doit être exécutée dès que possible. Lorsqu’il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve étayant le préjudice irréparable, la prépondérance des inconvénients milite en faveur du ministre et de l’exécution de la mesure de renvoi dès que possible.

[24] Finalement, le demandeur n’a pas satisfait au critère à trois volets qui doit être respecté pour que lui soit accordé un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi. La présente requête est donc rejetée.


ORDONNANCE dans le dossier IMM-518-23

LA COUR ORDONNE le rejet de la requête en sursis à l’exécution de la mesure de renvoi du demandeur.

« Shirzad A. »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-518-23

 

INTITULÉ :

MANJEET SINGH c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR vidÉoconfÉrence

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 23 JanVIER 2023

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

 

DATE DES MOTIFS :

LE 24 JanVIER 2023

 

COMPARUTIONS :

Cemone Morlese

 

pour le demandeur

 

Nicholas Dodokin

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mamann, Sandaluk & Kingwell LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

pour le défendeur

 

 

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