Date : 20221018
Dossier : T-1432-20
Référence : 2022 CF 1418
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Toronto (Ontario), le 18 octobre 2022
En présence de monsieur le juge Diner
ENTRE :
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LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL
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demandeur
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et
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JOHN DOMINELLI
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défendeur
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ORDONNANCE ET MOTIFS
[1] Le ministre du Revenu national [le ministre] sollicite de la Cour une ordonnance exigeant du défendeur [M. Dominelli] qu’il fournisse les documents manquants concernant une vérification effectuée en 2016 [les documents manquants], décrits à l’annexe A des présents motifs. Les documents manquants ont d’abord été demandés entre juin 2018 et novembre 2019. Le ministre a initialement déposé la présente demande sommaire afin d’obtenir une ordonnance en décembre 2020 [la demande sommaire] en vertu du paragraphe 231.7(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e suppl) [la LIR].
[2] À la lumière de la preuve présentée à la Cour, je conclus : i) que le ministre pouvait raisonnablement s’attendre à ce que les documents manquants fassent partie des livres et registres de M. Dominelli, et que ce dernier avait donc la responsabilité de les produire lorsqu’on lui a demandé de le faire pour la première fois en 2018‑2019; ii) que M. Dominelli n’a pas démontré qu’il n’avait pas les documents manquants en sa possession ou que ceux‑ci n’étaient pas disponibles; iii) que M. Dominelli n’a pas pris toutes les mesures raisonnables pour chercher et fournir les documents manquants. Je rendrai donc l’ordonnance demandée.
I.
RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE
[3] La demande sommaire a été entendue en décembre 2020 pendant trois jours à l’issue desquels j’ai pris l’affaire en délibéré, dans l’attente que les parties entament des discussions en vue d’un règlement. Les parties ont informé la Cour qu’elles avaient conclu une entente de règlement le 21 décembre 2020, et le demandeur m’a demandé de ne pas rendre de décision avant d’avoir confirmé que M. Dominelli avait satisfait aux conditions de cette entente.
[4] J’ai donc mis ma décision en suspens. Au début de février 2021, le ministre a informé la Cour que M. Dominelli n’avait pas respecté les conditions de l’entente dans le délai imparti et a donc demandé que la demande sommaire soit tranchée.
[5] M. Dominelli n’était pas de cet avis, soutenant qu’il avait respecté toutes les conditions de l’entente. Par conséquent, il a présenté une requête en exécution des conditions de l’entente [la requête en exécution]. Avec le consentement des deux parties, un autre juge a été désigné pour entendre la requête en exécution étant donné que le dossier contenait des renseignements visés par le privilège relatif aux règlements, dans l’éventualité où je devrais finalement statuer sur la question, comme je suis maintenant appelé à le faire.
[6] Le 11 février 2022, le juge Pentney de notre Cour a rejeté la requête en exécution, jugeant que la preuve démontrait que M. Dominelli n’avait pas respecté les conditions de l’entente de règlement (voir Canada (National Revenue) c Dominelli, 2022 CF 187). L’affaire m’a donc été renvoyée une fois de plus, ce qui m’oblige à rendre une décision sur la demande sommaire. Cependant, lors des conférences de gestion de l’instance [les CGI] tenues les 3 et 26 mai 2022, les parties ne se sont pas entendues sur les questions de savoir si le dossier était clos et si, en tant que juge de la demande sommaire, je pouvais me référer aux documents visés par le privilège relatif aux règlements déposés dans la requête en exécution.
[7] Après avoir reçu des observations écrites des parties avant la CGI du 26 mai 2022 en vue des discussions sur la question de savoir si le dossier était clos, j’ai informé les parties lors de cette CGI que je ne ferais pas référence au dossier de la requête en exécution sans qu’elles ne renoncent mutuellement au privilège relatif aux règlements. À la fin de la CGI, j’ai donc proposé aux parties les trois options suivantes :
option 1 — que le jugement soit rendu sur le dossier dont la Cour était saisie en décembre 2020 lorsque l’affaire a été mise en délibéré;
option 2 — que les parties fournissent une liste d’éléments de preuve dans la requête en exécution sur lesquels elles consentiraient mutuellement à renoncer au privilège relatif aux règlements;
option 3 — que le défendeur présente une requête en vue d’être autorisé à déposer des affidavits complémentaires, comme le prévoit l’article 312 des Règles des Cours fédérales.
Les parties ont convenu de présenter une position conjointe à l’égard de l’option qui serait choisie (voir l’ordonnance complète à l’annexe B des présents motifs).
[8] Le 3 juin 2022, les parties ont écrit conjointement à la Cour pour l’informer qu’elles avaient d’un commun accord choisi la deuxième option [l’option 2] et qu’elles renonçaient donc mutuellement au privilège relatif aux règlements à l’égard de deux affidavits souscrits par M. Dominelli en février 2021 qui avaient été produits dans le cadre du processus de règlement, ainsi que de leurs pièces. En juin 2022, M. Dominelli a été contre‑interrogé sur ces affidavits. Les parties ont déposé la transcription de ce contre‑interrogatoire, ainsi que des observations écrites sur l’importance de la preuve pour l’établissement du bien‑fondé de la demande sommaire.
[9] Eu égard à mon examen de l’ensemble du dossier, y compris des observations écrites et de tous les éléments de preuve déposés entre décembre 2020 et juin 2022, j’exercerai mon pouvoir discrétionnaire d’accueillir la demande sommaire du ministre pour les motifs indiqués ci‑dessous. En vertu de l’ordonnance qui découle de ma décision, M. Dominelli est tenu de fournir toute aide raisonnable au ministre pour la production des documents manquant.
I.
CONTEXTE FACTUEL
[10] M. Dominelli est le fondateur et le directeur général de NRT Technology Corp. [NRT], une société canadienne qui possède et exploite des guichets dans des casinos du monde entier, ainsi que des guichets automatiques privés en Amérique du Nord.
[11] En 2010, M. Dominelli a conclu deux importantes ententes relatives à des rentes assurées avec effet de levier [les RAL]. Les RAL comportaient une série de transactions financières par lesquelles M. Dominelli i) a obtenu un contrat de rente avec un prêt à court terme; ii) a contracté une police d’assurance‑vie dont la valeur de la prestation consécutive au décès était égale ou supérieure à la prime de la rente et a utilisé les paiements de la rente pour payer une partie des primes de l’assurance‑vie; iii) a obtenu un prêt à long terme pour lequel la rente et les polices d’assurance ont servi de garantie; et iv) a utilisé le produit du prêt à long terme pour rembourser le prêt à court terme. Le créancier du prêt à court terme était Relius Group Consulting Inc. [Relius], la société de conseils en assurance de M. Robert Young. M. Young, qui se trouve dans les îles Caïmans, est également le principal conseiller en assurance de M. Dominelli.
[12] La mère de M. Dominelli était la « vie‑mesure »
dans le contrat de rente et la police d’assurance aux termes de ses RAL. Elle est décédée en février 2017, ce qui a mis fin aux polices et a entraîné la réalisation des prestations consécutives au décès.
[13] Au fil des ans, M. Dominelli a réclamé plus de 139 000 000 $ en frais financiers sur investissements [les frais financiers] générés par les primes d’assurance et les frais d’intérêt, qu’il a déduits de son revenu d’emploi de NRT dans ses déclarations de revenus, comme le lui permet le paragraphe 20(1) de la LIR. M. Dominelli a d’abord fait l’objet d’une vérification en 2015 en raison de sa participation aux RAL et de la déduction des frais financiers pour l’année d’imposition 2013.
[14] Après avoir initialement fourni certains documents aux représentants du ministre à l’Agence du revenu du Canada [l’ARC], M. Dominelli et son avocat ont rencontré en juillet 2016 deux représentants de l’ARC à Belleville, en Ontario, pour répondre à d’autres questions. À la suite de plusieurs communications avec M. Dominelli, le ministre a élargi la portée de la vérification et a rejeté des frais financiers de 12 209 338 $, de 13 775 000 $, de 16 448 331 $ et de 20 004 340 $ pour les années d’imposition 2012, 2013, 2014 et 2015, respectivement. Lors de l’audience de la présente instance, M. Dominelli avait des appels en cours devant la Cour canadienne de l’impôt [la CCI] relativement à ces décisions.
[15] En janvier 2018, l’ARC a entamé une vérification pour l’année d’imposition 2016. Dans le cadre de cette vérification, elle a envoyé quatre demandes écrites, datées de juin et novembre 2018, et de juillet et novembre 2019, en vertu du paragraphe 231.1(1) de la LIR, pour obtenir des registres, des livres ou des documents [les documents de 2016]. Dans le cadre de la présente requête, le ministre affirme que M. Dominelli n’a fourni qu’une partie des documents de 2016 et que trois éléments de la vérification demandés sont toujours manquants : i‑ii) la preuve du paiement des deux primes annuelles des polices d’assurance de ses RAL, et iii) les documents justificatifs de la liquidation des RAL [les documents manquants].
[16] Dans le dossier qui m’a été présenté en décembre 2020, la preuve montrait essentiellement que M. Dominelli avait, avec son assistant, fouillé ses propres dossiers limités à plusieurs reprises, mais qu’il se fiait presque entièrement à ses conseillers professionnels pour assurer la tenue de ses dossiers, auxquels il n’avait et n’a toujours pas accès.
[17] En ce qui concerne les documents manquants, les avocats de M. Dominelli ont fourni les réponses suivantes aux demandes de l’ARC au fil des ans :
En réponse à la lettre de l’ARC du 14 juin 2018, Miller Thompson a envoyé des documents et des réponses dans une lettre datée du 28 janvier 2019, y compris les réponses suivantes pour les documents manquants A et B :
[traduction]
[A] Veuillez fournir la preuve que M. Dominelli a versé en 2016 un paiement de 4 000 000 $ correspondant à une partie de la prime annuelle payable en vertu de la police no 20000001 [de Tricap].
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Nous continuerons à la chercher. Si nous la trouvons, nous vous la fournirons.
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[B] Veuillez fournir la preuve que M. Dominelli a versé en 2016 un paiement de 5 500 000 $ correspondant à une partie de la prime annuelle payable en vertu de la police no 20000003 [de Tricap].
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Nous continuerons à la chercher. Si nous la trouvons, nous vous la fournirons.
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Après d’autres échanges entre les parties, l’ARC a envoyé une lettre datée du 23 juillet 2019 à M. Dominelli en ajoutant le point suivant : [TRADUCTION]
«
(La première question a été radiée parce que l’ARC a reconnu qu’elle était trop large.)Quelle était la procédure de finalisation des ententes?Y avait‑il des documents à l’appui de la liquidation des ententes? Le cas échéant, veuillez les produire. »Me Chodikoff, de Miller Thomson, l’un des avocats de M. Dominelli, a fait un suivi en envoyant à l’ARC une lettre datée du 19 septembre 2019 dans laquelle il déclarait notamment ce qui suit :
[traduction]
Comme vous le savez déjà, M. Dominelli a volontairement répondu à un certain nombre de demandes de renseignements présentées par l’ARC en vertu du paragraphe 231.1(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Plus précisément, l’ARC a reçu à la fois des documents et des renseignements le 28 janvier et le 28 mars 2019. La dernière demande de renseignements de l’ARC (24 juillet 2019) porte sur l’année d’imposition 2016 et, là encore, des réponses ont été fournies à des questions portant sur l’année d’imposition 2016 dans des réponses antérieures fournies par M. Dominelli et en son nom. Il devrait être évident que M. Dominelli a fait preuve d’une entière coopération et qu’il continuera à le faire.
La lettre de l’ARC du 24 juillet 2019 contenait une demande de renseignements qui soulevait huit questions […] Comme M. Dominelli l’a indiqué dans ses réponses aux demandes de renseignements précédentes (p. ex., dans ses réponses du 28 janvier 2019), il ne se souvient pas des détails. Il est le président d’une entreprise exceptionnellement grande et prospère, et il compte sur l’aide d’autres personnes. Là encore, vous avez été informé de sa situation dans ses réponses antérieures. Il ne fait aucun doute, compte tenu de la rigueur que l’on attend de la part de l’ARC, que vous avez, selon toute probabilité, déjà communiqué avec elles. Quoi qu’il en soit, M. Dominelli continue de chercher les documents. Il les transmettra à l’ARC s’il les trouve, comme il l’a déjà mentionné.
En ce qui concerne les honoraires versés à M. Simone ou à M. Young […], M. Dominelli ne se rappelle pas avoir payé quoi que ce soit. Il n’était pas non plus au courant de l’existence d’un taux de commission ou d’une structure que M. Young ou M. Simone aurait pu appliquer avec la compagnie d’assurance. D’après les meilleurs souvenirs de M. Dominelli, il n’a reçu aucun produit des polices d’assurance‑vie ou des rentes au décès de Mme Dominelli. M. Dominelli se rappelle que le certificat de décès a été remis à Mme Young en personne aux bureaux de NRT à Toronto. En ce qui concerne les questions relatives au prêt avec droit de recours limité, M. Dominelli ne savait pas si l’ARC avait reçu des documents à cet égard parce que le processus organisationnel du prêt avait été traité et géré par M. Jim Grundy (qui ne travaille plus pour NRT).
Comme je l’ai mentionné plus tôt dans la présente correspondance, M. Dominelli cherche encore dans ses dossiers des copies des virements et des chèques. Cependant, il se souvient qu’il a payé à la compagnie d’assurance des primes d’assurance annuelles de 600 000 $ et de 1 000 000 $ pour les rentes chaque année.
Si M. Dominelli trouve des copies de dossiers ou a d’autres renseignements concernant les questions que vous avez soulevées, il vous en informera par l’entremise de ses avocats dès que possible.
L’ARC a répondu à M. Dominelli le 26 novembre 2019 et a déclaré ce qui suit : [traduction]
« Malheureusement, vous n’avez réussi à fournir ni document justificatif ni réponse définitive à l’une de nos questions. Nous ne souscrivons en aucun cas à l’affirmation de Me Chodikoff selon laquelle M. Dominelli a précédemment répondu à ces questions. »
L’ARC a ensuite posé les mêmes questions, y compris les questions portant sur les trois documents manquants A, B et D (la preuve du paiement des deux polices d’assurance‑vie et la documentation à l’appui de la liquidation des ententes relatives à l’assurance, respectivement).Dans une lettre du 12 juin 2020 envoyée à l’ARC, Me Molly Luu, avocate à Miller Thomson, a fait référence à trois autres lettres et réponses soumises à l’ARC (datées du 5 décembre 2019 ainsi que du 24 et du 28 janvier 2020), et a noté ce qui suit :
[traduction]
Votre lettre indique que « la plupart des documents demandés sont toujours manquants ». Nous sommes d’avis que le contribuable s’est acquitté de son obligation, en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, de fournir des réponses à l’ARC.
Veuillez fournir un tableau des questions exactes qui, selon vos dossiers, demeurent sans réponse, et nous répondrons à cette liste.
En ce qui concerne les dossiers incomplets, le contribuable a demandé des réponses et des renseignements à ses conseillers professionnels. Comme nous l’avons mentionné dans notre correspondance précédente, nous nous sommes renseignés auprès des conseillers professionnels et avons reçu une mise à jour selon laquelle, au 10 juin 2020, ils travaillaient à récupérer leurs dossiers et allaient procéder à leur examen sous peu. Dès que nous recevrons une autre réponse des conseillers professionnels, nous ferons le point.
Comme vous pouvez l’imaginer, la crise de la COVID‑19 a nui aux communications et à la capacité de toutes les parties à réaliser un examen approfondi des copies papier des documents. Nous vous remercions de votre patience.
Après avoir reçu une lettre datée du 22 juin 2020 dans laquelle l’ARC demandait de nouveau les mêmes documents manquants, Me Luu a répondu le 17 juillet 2020 que l’accès au bureau du conseiller de M. Dominelli était restreint en raison de la COVID‑19. Elle a répondu ce qui suit au sujet de la rente de 4,75 millions de dollars de la police no 20000001 :
[traduction]
Après avoir examiné la partie des documents à laquelle il a accès, Me Andrew Etcovitch, l’avocat du contribuable (qui, à l’époque, était un associé fiscaliste au cabinet d’avocats McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l. et représentait le contribuable dans le cadre des transactions faisant l’objet de la vérification), indique qu’il n’a pas encore été en mesure de trouver les documents demandés. Le spécialiste des finances du contribuable, M. James Grundy (qui travaillait pour le contribuable au moment où les transactions en cause dans la présente vérification ont été effectuées), indique qu’il ne se souvient pas de la réponse à cette question et qu’il n’a pas accès aux dossiers financiers dont il a besoin pour fournir une réponse ou les documents demandés.
En ce qui concerne la rente de 7,5 millions de dollars de la police no 20000003, Me Luu a indiqué ce qui suit dans sa lettre du 17 juillet 2020 :
[traduction]
Après avoir examiné la partie des documents à laquelle il a accès, Me Etcovitch a indiqué qu’il n’avait pas encore été en mesure de trouver les documents demandés.
M. Grundy indique qu’il ne se souvient pas de la réponse à cette question et qu’il n’a pas accès aux dossiers financiers dont il a besoin pour fournir une réponse ou les documents demandés.
En ce qui concerne la question de la liquidation, Me Luu a écrit ce qui suit dans sa lettre du 17 juillet 2020 :
[traduction]
Voici la réponse de Me Etcovitch
(veuillez prendre note que sa réponse fait référence à la transaction de septembre 2010) :
Si l’on entend par « liquidation » la résiliation anticipée de la structure dans son format d’origine avant sa réalisation, l’entente relative au prêt avec droit de recours et la rente comprenaient une voie de contournement par l’intermédiaire du mécanisme d’option de conversion.
Par contre, si l’on entend par « liquidation » le paiement du prêt avec droit de recours limité à partir du produit de l’assurance à la suite du décès d’un assuré, John Dominelli a donné une directive irrévocable ordonnant le versement du produit de la police d’assurance‑vie à son prêteur, ce qui a été étayé par la cession en garantie de cette police d’assurance‑vie au prêteur.
[18] Depuis la correspondance résumée ci‑dessus, M. Dominelli a témoigné qu’il a déployé des efforts supplémentaires pour trouver les documents manquants. Plus précisément, M. Dominelli a déclaré, dans les deux affidavits qu’il a déposés après l’audience de décembre 2020 et dans le contre‑interrogatoire connexe de juin 2022, que des documents ont été envoyés à ses avocats le 13 janvier 2021 par M. Young, qui avait été jusqu’alors difficile à joindre et tardait à répondre en raison de ses déplacements et de la pandémie de COVID‑19. Si certains documents ont été joints comme pièces, les communications avec M. Young ne l’ont pas été.
[19] M. Dominelli a en outre déclaré que M. Young l’avait informé qu’à la suite du décès de sa mère en février 2017, les primes qu’il devait aux compagnies d’assurance en 2016 avaient été [traduction] « acquittées en totalité »
dans le cadre de la liquidation des polices d’assurance associées aux RAL. La liquidation n’a cependant eu lieu qu’en décembre 2019.
[20] M. Dominelli a également joint comme pièces à son affidavit du 2 février 2021 deux lettres portant l’en‑tête d’Advantage Insurance [Advantage] et signées par M. Stuart Jessop, directeur. Les lettres indiquent les montants des primes qui étaient dues à Tricap Assurance SPC [Tricap] en janvier 2016 pour les polices d’assurance‑vie nos 20000001 et 20000003 souscrites auprès de Tricap, à savoir 4,75 M$ et 7,5 M$, respectivement. M. Jessop affirme qu’Advantage était en droit de percevoir la prime impayée pour 2016 à la place de Tricap en raison d’une convention de réassurance. Les deux lettres d’Advantage indiquent ce qui suit :
[traduction]
Le 21 février 2017, la personne dont la vie était assurée au titre de la police d’assurance‑vie et qui constituait la vie‑mesure au titre du contrat de rente est décédée. Ce n’est que fin décembre 2019 que la distribution de la prestation consécutive au décès a été effectuée et que la police d’assurance‑vie a été liquidée. Dans le cadre de la liquidation du contrat de rente et de la police d’assurance‑vie, Advantage a versé le montant total de la prestation consécutive au décès pour s’acquitter de ses obligations en vertu de la convention de réassurance et des obligations de Tricap en vertu de la police d’assurance‑vie. Lors de la distribution de la prestation consécutive au décès et conformément aux dispositions de la convention de réassurance, Advantage a donc pu comptabiliser les obligations relatives aux primes dues en vertu de la police d’assurance‑vie à la satisfaction de Tricap.
[21] Aucune autre explication ou pièce justificative n’a été fournie en ce qui concerne la façon dont les primes ont été comptabilisées.
[22] Lors de son contre‑interrogatoire, M. Dominelli a déclaré qu’il n’avait aucune idée de la façon dont les primes avaient été comptabilisées et qu’il ne savait pas comment les primes avaient été payées. Il a également déclaré qu’il n’avait pas demandé précisément à M. Young comment Tricap comptabilisait ses obligations relatives aux primes d’assurance. M. Dominelli a également affirmé qu’il n’avait demandé les documents de liquidation qu’à M. Young. Il a mentionné que cela avait pris beaucoup de temps et avait nécessité de multiples demandes et rappels.
[23] M. Dominelli a confirmé que l’intégralité des indemnités de l’assurance‑vie était nécessaire pour couvrir le principal du prêt accordé par Relius.
II.
DROIT APPLICABLE
[24] Le Canada a un régime d’imposition fondé sur l’auto‑déclaration dans lequel les particuliers sont responsables de produire leurs déclarations de revenus, de tenir des registres pour justifier leurs déclarations et de conserver ces registres (R. c McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 RCS 627 à la p 648, [1990] ACS no 25). Le ministre a le pouvoir d’appliquer la LIR, ce qui inclut un vaste pouvoir discrétionnaire lui permettant de déterminer la portée d’une vérification et les documents requis pour la réaliser (Canada (Revenu national) c Lin, 2019 CF 646 au para 24 [Lin]).
[25] L’objectif de l’article 231.1 est d’assurer au ministre un accès sans entrave et immédiat aux dossiers et renseignements du contribuable (Canada (Revenu national) c Cameco Corporation, 2019 CAF 67 au para 27 [Cameco]. Comme l’a souligné le juge en chef Noël aux paragraphes 58 et 59 de l’arrêt BP Canada Energy Company c Canada (Revenu national), 2017 CAF 61 [BP] :
[58] Je suis d’accord avec le juge de la Cour fédérale pour dire que le paragraphe 231.1(1) n’aurait pu être libellé en termes plus généraux. Selon le sens ordinaire des mots qui y sont employés, sont accessibles les documents « qui se rapportent ou peuvent se rapporter soit aux renseignements qui figurent dans les livres ou registres du contribuable ou qui devraient y figurer, soit à tout montant payable par le contribuable en vertu de la présente loi ».
[59] Aux termes de la disposition liminaire du paragraphe 231.1(1), le ministre, pour invoquer ces termes généraux, doit agir pour l’application et l’exécution de la Loi. Ainsi, pour que s’applique l’alinéa 231.1(1)a), il doit agir aux fins de vérification du respect de la Loi.
[26] Bien que le paragraphe 231.1(1) donne au ministre une grande marge de manœuvre en ce qui a trait à la demande et à l’obtention de renseignements, il ne lui permet pas d’exiger tout document possible et d’obliger la Cour à en ordonner la production. (Les parties pertinentes des articles 230 et 231 de la LIR sont reproduites à l’annexe C des présents motifs.)
[27] Le paragraphe 231.7(1) exige que trois conditions soient réunies pour que la Cour puisse ordonner à une personne de fournir l’accès, l’aide, les renseignements ou les documents que le ministre cherche à obtenir et qui sont requis en vertu des articles 231.1 ou 231.2. Premièrement, le ministre doit démontrer que la personne contre laquelle l’ordonnance est demandée était tenue, en vertu des articles 231.1 ou 231.2 de la LIR, de fournir l’accès, l’aide, les renseignements ou les documents demandés. Deuxièmement, la personne n’a pas fourni l’accès, l’aide, les renseignements ou les documents que le ministre cherche à obtenir, et ce, bien qu’elle soit tenue de le faire. Troisièmement, le privilège des communications entre client et avocat ne peut être invoqué à l’égard des renseignements demandés (para 231.7(1)b); voir, par exemple, Canada (Ministre du Revenu National) c Lee, 2016 CAF 53 au para 6; Friedman c Canada (Revenu national), 2021 CAF 101 au para 12; Canada (Revenu National) c Chamandy, 2014 CF 354 aux para 27‑29 [Chamandy]).
[28] La Cour doit être convaincue que chacune de ces trois conditions a été « rempli[e] de façon claire »
avant d’exercer son pouvoir discrétionnaire vu les conséquences graves qui peuvent découler du non‑respect d’une ordonnance (Canada (Ministre du Revenu national) c SML Operations (Canada) Ltd., 2003 CF 868 au para 15 [SML]). Parmi ces conséquences graves, notons l’outrage au tribunal prévu au paragraphe 231.7(4), qui peut donner lieu à une amende ou à une incarcération. Le législateur a voulu conférer aux tribunaux un rôle de supervision qui ne doit pas être pris à la légère (Ministre du Revenu national c Carriero, 2016 CF 1296 au para 12).
[29] La portée des demandes de vérification peut être large, et le critère pour juger si une vérification est raisonnable est peu exigeant (Saipem Luxembourg S.V. c Canada (Douanes et Revenu), 2005 CAF 218 aux para 31‑37 [Saipem]). Au paragraphe 25 de l’arrêt Saipem, la Cour d’appel fédérale a statué que l’objectif requis d’une demande de vérification est atteint même si certains des renseignements demandés s’avèrent finalement non pertinents pour la vérification (voir aussi Canada (Revenu national) c Ghermezian, 2022 CF 236 au para 225 [Ghermezian]). L’étendue de la demande de vérification « relève du ministre, tant et aussi longtemps que les renseignements demandés sont nécessaires pour l’application ou l’exécution de la Loi »
(Canada (Revenu national) c Amdocs Canadian Managed Services Inc., 2015 CF 1234 aux para 67‑69 [Amdocs]; Lin, aux para 23‑24).
[30] Même si les trois conditions sont respectées, le juge conserve le pouvoir discrétionnaire prépondérant, conféré par le paragraphe 231.7(1), d’imposer les conditions qu’il estime indiquées à l’égard de l’ordonnance accordée (voir également le paragraphe 231.7(3) de la LIR). Les tribunaux ont utilisé les conditions pour éviter d’aller trop loin et pour veiller à ce que toute ordonnance qui en résulte est adaptée à la situation (voir, par exemple, Canada (Revenu national) c Montana, 2019 CF 900 au para 44; Canada (Revenu national) c CN Construction Networks Ltd., 2020 CF 775 au para 32).
[31] L’article 231.1 et la jurisprudence établissent aussi clairement que certaines situations ne justifient pas qu’il soit fait droit à une demande présentée en vertu du paragraphe 231.7(1). Il est important de souligner que des limites ont été imposées en ce qui concerne les documents qui pourraient être produits. La LIR prévoit une protection intégrée contre la production obligatoire de tout document visé par le privilège des communications au titre de l’alinéa 231.7(1)b). Le paragraphe 231.5(2) exige que quiconque « est tenu »
par les articles 231.1 à 231.4 « de faire quelque chose doit le faire, sauf impossibilité »
. Autrement dit, la LIR exige seulement qu’un contribuable fasse des « efforts raisonnables »
pour obtenir les renseignements demandés (Canada (Revenu national) c Miller, 2021 CF 851 au para 50 [Miller]).
[32] Ce qui est « raisonnable »
dépend en grande partie du contexte. Au paragraphe 31 de l’arrêt Saipem, la Cour d’appel fédérale a fait observer qu’il est nécessaire « de comprendre un peu l’étendue de la demande et les raisons pour lesquelles elle a été faite »
lorsqu’il est question du caractère raisonnable d’une mise en demeure du ministre pour la production de documents, poussant ainsi la Cour à tenir compte du contexte pour établir le caractère raisonnable.
[33] L’arrêt Saipem portait sur la disposition relative à l’avis du paragraphe 231.6(2). En l’espèce, la disposition pertinente est différente, mais elle exige néanmoins le « caractère raisonnable »
. Aujourd’hui, l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], établit le concept de caractère raisonnable en droit administratif en indiquant (entre autres) que la raisonnabilité s’adapte au contexte (au para 89). Où les tribunaux ont‑ils tracé la ligne en ce qui concerne la description des « efforts raisonnables »
devant être déployés pour obtenir les documents demandés dans le cadre d’une vérification?
[34] L’ordonnance prévue à l’article 231.7 ne devrait pas être rendue si un document a été détruit ou si les renseignements exigés ne sont pas en la possession du contribuable et qu’il n’a pas le pouvoir de les obtenir à supposer qu’ils existent ailleurs (Amdocs, aux para 75‑76; Lin, au para 26). En outre, les documents qui n’existent pas et ne peuvent pas être produits n’ont pas à être fournis (Amdocs, au para 62).
[35] La jurisprudence met aussi les tribunaux en garde contre une interprétation trop large du paragraphe 231.1(1), notamment contre la volonté d’ordonner aux sociétés de produire des documents de planification confidentiels (BP, au para 99) ou de subir des entrevues orales (Cameco, au para 34). Dans des décisions plus récentes, les tribunaux ont soutenu que le paragraphe 231.1(1) garantit au ministre l’accès aux renseignements qui devraient être consignés dans les livres et registres du contribuable (Miller, au para 31; voir aussi Ghermezian, aux para 108‑110).
[36] Dans la décision Amdocs, la Cour a refusé de rendre une ordonnance après que la contribuable a démontré i) qu’elle n’était pas en possession des renseignements et ii) qu’elle n’était pas en mesure de les obtenir (au para 75). Dans cette affaire, la contribuable a convaincu la Cour que la preuve montrait, selon la prépondérance des probabilités, une incapacité à produire les renseignements. Inversement, si le contribuable n’a pas réussi à démontrer le premier élément de non-possession ou le deuxième élément de non-disponibilité, la Cour devrait accorder l’ordonnance demandée (voir : Société de fiducie Blue Bridge Inc. c Canada (Revenu national), 2020 CF 893 au para 120; Miller, notamment aux para 31, 33, 37, 48‑50, 63, 75‑76, 82‑83).
[37] Bref, cet examen de la jurisprudence pertinente montre qu’il y a des cas des deux côtés en ce qui concerne la question de la production. D’une part, les tribunaux fédéraux ont confirmé les ordonnances de production dans les affaires où les demandes de renseignements du ministre étaient raisonnables et s’inscrivaient dans la portée appropriée d’une vérification. D’autre part, il ont refusé les ordonnances dans les affaires où les documents n’existaient pas ou que les renseignements ne faisaient pas partie de ceux qui devraient être consignés dans les livres et registres du contribuable.
III.
POSITIONS DES PARTIES
[38] En l’espèce, le ministre demande à la Cour de rendre une ordonnance enjoignant à M. Dominelli de produire les documents manquants ou de fournir l’accès, l’aide ou les renseignements concernant les documents manquants, ainsi que les dépens engagés pour présenter la demande en l’espèce. Le ministre estime que M. Dominelli s’en remet à tort à M. Robert Young, son agent, pour régler la question, alors que les documents devraient manifestement être disponibles.
[39] M. Dominelli, en revanche, soutient que la Cour devrait refuser de rendre l’ordonnance demandée parce qu’il a répondu aux questions concernant les documents manquants et a fourni les documents demandés, sauf si ces documents n’étaient pas en sa possession ou sous son contrôle. Il demande également l’adjudication de dépens parce qu’il a dû défendre ce qu’il affirme être une demande injustifiée. M. Dominelli fait valoir qu’il a déjà fourni l’accès et l’aide nécessaires à l’obtention des documents manquants dans la mesure où la loi l’exige.
[40] M. Dominelli note qu’il n’a pas les renseignements pertinents en sa possession, affirmant qu’il a fourni les détails des efforts qu’il a déployés pour obtenir les documents auprès de M. Young dans ses observations écrites à l’appui de la présente requête, ainsi que dans son témoignage, comme il l’a mentionné dans ses contre‑interrogatoires du 11 décembre 2020 et du 10 juin 2022.
[41] Compte tenu des documents, de son témoignage et du contexte factuel, M. Dominelli s’appuie fortement sur les décisions Lin et Amdocs, dans lesquelles les juges de la Cour ont refusé de rendre des ordonnances. Il invoque également l’arrêt Cameco pour étayer son affirmation selon laquelle le ministre peut simplement aller de l’avant avec la vérification de 2016 parce qu’il n’a pas en sa possession les documents manquants et qu’il ne peut pas les obtenir : si les documents ne peuvent pas être produits, « [l]e ministre peut tirer des conclusions lorsqu’on ne lui fournit pas de réponse. Le ministre est également libre de formuler des hypothèses et d’établir des cotisations en se fondant sur celles‑ci »
(Cameco, au para 28).
[42] M. Dominelli souligne également que le ministre aurait dû appliquer d’autres dispositions s’il avait voulu obtenir des documents de l’étranger, notamment le paragraphe 231.2(1), ou présenter une requête à la Cour pour obtenir des renseignements d’un tiers (art 231.2(3)).
IV.
ANALYSE
[43] Avant d’expliquer plus en détail ma décision d’accorder l’ordonnance, j’aborderai d’abord l’objection du ministre à l’égard du dernier élément de preuve déposé par M. Dominelli.
a.
La lettre du 2 mai 2022 ne sera pas prise en considération
[44] Le 10 juin 2022, lors du contre‑interrogatoire de M. Dominelli par le ministre concernant les affidavits de février 2021, l’avocate de M. Dominelli a tenté de produire comme pièce au contre‑interrogatoire une lettre qu’elle avait écrite le 2 mai 2022 [la lettre] sans que cette lettre ait été précisément mentionnée par M. Dominelli dans son affidavit. Me Swanstrom, avocat du ministre, s’est immédiatement opposé à ce que la lettre soit invoquée en contre‑interrogatoire. Dans la lettre, Me Luu présente les mesures qu’elle a prises au nom de son client, M. Dominelli, pour obtenir les documents manquants auprès de diverses sources. Elle soutient que la lettre est pertinente et qu’elle constitue une preuve importante puisque des efforts considérables ont été déployés de bonne foi pour obtenir d’autres documents relatifs aux documents manquants.
[45] L’objection du ministre au dépôt de la lettre repose sur deux motifs. Premièrement, le ministre soutient qu’elle a été rédigée plus d’un an après la requête en exécution et qu’elle n’a pas été déposée sur consentement mutuel, comme le prévoit l’option 2 (décrite aux paragraphes 7 et 8 ci‑dessus et à l’annexe B des présents motifs). Le ministre soutient que la lettre va au‑delà des paramètres de la preuve dont les parties ont convenu dans le cadre de l’option 2, qui comprenait seulement deux affidavits souscrits par M. Dominelli en février 2021, et leurs pièces.
[46] Deuxièmement, le ministre soutient que la lettre est une preuve par ouï‑dire inadmissible puisqu’il s’agit d’une déclaration de l’avocate de M. Dominelli et que des détails importants qui seraient nécessaires pour qu’elle ait une quelconque valeur probante sont manquants.
[47] Je suis d’accord avec le ministre compte tenu des paramètres très précis de l’option 2 que les parties ont soigneusement et conjointement choisis après la CGI du 26 mai. Le ministre a soutenu tout au long de l’année 2022 que l’un des principaux problèmes des documents déposés pour la requête en exécution résidait dans le fait que M. Dominelli ne pouvait pas être contre‑interrogé à leur sujet. Dans l’ordonnance du 26 mai 2022 exposant aux parties leurs trois options, M. Dominelli a été explicitement invité, dans l’option 3, à demander l’ouverture du dossier et à déposer de nouveaux éléments de preuve, ainsi qu’à présenter un calendrier pour les contre‑interrogatoires qui en résulteraient (encore une fois, voir l’annexe B).
[48] Si la lettre avait été accompagnée de détails concernant ce qui a été demandé à la plupart des 15 tiers mentionnés, le moment où cela a été demandé, les personnes à qui cela a été demandé et ce qui a été reçu en réponse — ou mieux encore, de copies des communications elles‑mêmes —, cela aurait pu suffire à satisfaire à l’exigence selon laquelle des efforts raisonnables doivent être déployés pour produire les documents manquants. Cependant, ces détails ne figuraient pas dans la lettre.
[49] En définitive, j’estime que la lettre constitue une tentative inappropriée, au sens figuré et au sens propre, de caser de nouveaux éléments de preuve dans le contre‑interrogatoire de M. Dominelli après que le dossier a déjà été mis en état. Le fait est que M. Dominelli a fourni peu d’éléments de preuve des efforts qu’il a lui‑même déployés au cours des années qui ont suivi la demande initiale de renseignements de l’ARC ni depuis qu’il a reçu les renseignements supplémentaires de M. Young et de M. Jessop au début de 2021.
[50] Le contenu de la lettre ne saurait convaincre la Cour que M. Dominelli a pris des mesures appropriées pour trouver ou autrement se procurer les documents manquants; c’est tout simplement trop peu, trop tard. Les parties ont clairement convenu de la portée des nouveaux éléments de preuve qui allaient être déposés devant la Cour. Elles ont également convenu que le contre‑interrogatoire serait fondé sur ces éléments de preuve, y compris l’affidavit de M. Dominelli.
[51] Par conséquent, j’accepte l’objection du demandeur et je ne tiendrai pas compte de la lettre.
b.
Une ordonnance sera rendue pour les documents manquants
[52] Eu égard aux documents fournis avec la présente demande sommaire, je conclus que les demandes du ministre sont raisonnables et que, à l’inverse, les efforts déployés par M. Dominelli sont déraisonnables.
[53] Les demandes de production de documents sur lesquels figurent les détails du paiement de deux primes de polices d’assurance‑vie de 4,75 millions de dollars et de 7,5 millions de dollars, respectivement — surtout si ces documents sont utilisés pour appuyer une déduction demandée par M. Dominelli dans ses déclarations de revenus —, concernent des renseignements qui se trouvent ou devraient se trouver dans les livres ou registres de M. Dominelli. Il en va de même pour la liquidation du régime de M. Dominelli au décès de sa mère.
[54] Encore une fois, M. Dominelli a réclamé des frais financiers d’un total de 139 000 000 $ par l’intermédiaire des primes d’assurance et des frais d’intérêt des RAL. Il s’agit d’une très grosse somme d’argent, et, selon le témoignage de M. Dominelli, M. Young ne lui répondait pas à l’époque où la demande a été initialement présentée en 2020. Au moment où les tentatives de parvenir à un règlement ont échoué et où les parties sont revenues devant la Cour, elles avaient entendu le témoignage de M. Young et obtenu ce qui était censé être des renseignements confirmant que les documents fournis correspondaient bien aux documents manquants. Cependant, les documents fournis à titre d’éléments de preuve dans le cadre de l’option 2 souffrent de lacunes fondamentales.
[55] Par exemple, M. Dominelli affirme que M. Young lui a garanti, lors d’un appel téléphonique, que les deux versements des primes des polices d’assurance‑vie de 2016 (de 4,75 millions de dollars et de 7,5 millions de dollars) avaient été remboursés en 2019 au moyen d’une partie des fonds provenant du produit des polices d’assurance‑vie au décès de sa mère. Cependant, aucune copie de chèques, de virements de fonds, de reconnaissances des compagnies d’assurance, voire d’une preuve signée des paiements des polices n’a été incluse dans les éléments de preuve fournis à la Cour dans le cadre de l’option 2.
[56] M. Dominelli a confirmé que la totalité du produit des versements d’assurance‑vie avait été nécessaire pour couvrir le principal du prêt accordé par Relius, de sorte qu’il ne restait rien pour payer les primes de 4,75 millions de dollars et de 7,5 millions de dollars qu’il devait. Ainsi, un simple rapprochement ne permettrait pas de répondre à la question de savoir comment ces deux primes importantes ont été payées par la redistribution de la prestation consécutive au décès.
[57] M. Dominelli s’appuie fortement sur les décisions Amdocs, SML, Lin et Chamandy, dans lesquelles les juges de la Cour ont refusé de rendre des ordonnances. Toutefois, ces précédents ne me convainquent pas de rejeter la présente demande d’ordonnance. D’abord, la trame factuelle de ces affaires est différente de celle en l’espèce. Les affaires Amdocs et SML concernaient la fiscalité des sociétés, et le ministre estimait qu’il n’obtenait pas tout ce qu’il pouvait obtenir de leur part. Dans chaque affaire, les documents exigés n’existaient pas ou n’étaient pas disponibles, et les contribuables ont été jugés après avoir fait des « efforts raisonnables »
pour les obtenir.
[58] En définitive, le rôle de la Cour n’est pas de rendre une ordonnance qui serait futile et qui ne ferait que prolonger le processus de vérification. Ce cercle vicieux pourrait aggraver la frustration des deux parties en renforçant davantage les différentes positions puisque le contribuable se verrait ordonner de produire des documents qui n’existent pas. Cette situation risquerait également d’entraîner un gaspillage des ressources judiciaires limitées; en effet, les parties n’ayant pas respecté l’ordonnance, il serait prévisible qu’elles intentent et défendent une procédure pour outrage qui pourrait bien n’aboutir à rien. Comme l’a déclaré le juge Russell dans la décision Amdocs, « il ne sert à rien d’ordonner à [un contribuable] de faire quelque chose qu’[il] est incapable de faire »
(au para 76).
[59] Inversement, s’il est manifeste et évident que le contribuable peut faire davantage pour obtenir des documents qui devraient être consignés dans ses registres — mais qui ne le sont pas, selon lui —, que ce soit par lui‑même ou par l’entremise de ses agents, l’ordonnance devrait être accordée. En l’espèce, les efforts déployés par M. Dominelli pour obtenir les documents avant l’audience de décembre 2020 se sont limités à communiquer les noms de ses conseillers à l’ARC et à déclarer qu’il avait demandé à son avocate de faire des appels pour demander que les documents soient transmis.
[60] De plus, l’objet de la vérification dans les affaires Lin et Chamandy était incertain. En l’espèce, il n’y a pas d’incertitude de ce genre puisque les questions concernent expressément M. Dominelli et personne d’autre.
[61] M. Dominelli a reconnu en contre‑interrogatoire qu’il ne comprenait ni le fonctionnement ni les conséquences fiscales des RAL. Il a déclaré qu’il faisait confiance à ses conseillers et qu’il dépendait particulièrement de son conseiller en assurance aux îles Caïmans, M. Young, pour organiser ses affaires d’assurance et conserver ses documents. Il affirme que les documents manquants ne sont pas en sa possession, mais que ce sont plutôt ses représentants en investissements qui détiennent tous les documents associés aux RAL. Il fait valoir qu’il a fait tout ce qu’il pouvait pour les obtenir et que, puisque ces représentants ne peuvent pas produire les documents, c’est qu’ils n’existent pas.
[62] M. Dominelli soutient qu’il a cherché avec soin les documents demandés qui auraient pu être sous son contrôle et sous celui de son conseiller, M. Young, qu’il a fourni la preuve que les deux primes d’assurance ont été payées et qu’il a produit les documents relatifs à la liquidation de ses RAL.
[63] M. Dominelli a toujours adopté la même position pour chacune des trois demandes en ce qui concerne les renseignements sur les paiements des polices (documents manquants A et B) et l’entente relative à la liquidation (document manquant D). Il maintient qu’il a déjà fourni ces renseignements, qu’il ne les a pas en sa possession ou qu’il les cherche encore. Bref, M. Dominelli insiste sur le fait que les renseignements demandés ne sont pas consignés dans ses livres et registres et qu’il n’a pas de copies des paiements en sa possession.
[64] Plus précisément, il affirme que son principal représentant, M. Young — qui réside aux îles Caïmans et qui a déclaré qu’il n’avait pas été en mesure de rechercher les documents manquants pendant de longues périodes au cours des 18 derniers mois — a bien déployé des efforts, mais qu’il n’a pas été en mesure de trouver les documents figurant dans la liste des documents manquants.
[65] Il semblerait que la seule tentative faite par M. Dominelli — qui n’était pas directement informé des recherches que menait M. Young, si tel est qu’il en menait — ait été de vérifier les dossiers dans son bureau et de faire des demandes à son représentant fiscal aux îles Caïmans. Aucune preuve, à part la lettre tardive et insuffisamment détaillée de son avocate, ne montre que M. Dominelli a fait le moindre effort pour obtenir des renseignements auprès d’autres parties qui auraient pu détenir les documents dont il avait besoin, comme les émetteurs des polices d’assurance ou les personnes responsables de la liquidation des RAL.
[66] Bien qu’il ait eu recours aux RAL pour obtenir des déductions fiscales pendant plusieurs années, M. Dominelli a admis en contre‑interrogatoire qu’il n’en comprenait ni le fonctionnement ni les conséquences fiscales. Il confie à ses conseillers et représentants tout ce qui a trait aux déclarations de revenus et à la planification fiscale. Une fois ses déclarations de revenus préparées, il n’en examine pas le contenu, sinon pour vérifier le montant de sa dette fiscale.
[67] Toutefois, selon un principe de base du droit fiscal, si un contribuable peut recourir à des services de conseils fiscaux externes, par exemple, en embauchant des comptables ou un cabinet pour préparer ses déclarations de revenus, il ne peut pas s’exonérer de toute responsabilité en matière de tenue de registres en renvoyant toutes les demandes à ces personnes et en leur reprochant de ne pas tenir ses registres. Un contribuable qui embauche un comptable ne se soustrait pas à sa responsabilité, comme l’a déclaré le juge en chef Noël au paragraphe 81 de l’arrêt BP :
La notion d’auto‑cotisation, qui est à la base du système mis en place pour assurer le respect de la Loi, constitue un pan important du contexte entourant le paragraphe 231.1(1). Ce système est fondé sur le principe de l’auto‑cotisation, car la personne qui génère le revenu est la mieux placée pour consigner, calculer et déclarer les sommes assujetties à l’impôt conformément à la Loi.
[68] Certes, il est possible que le contribuable dispose d’un recours contre ces professionnels pour des questions de rendement, peut‑être par l’intermédiaire de leurs ordres professionnels. Cependant, les contribuables sont au bout du compte responsables de leurs propres affaires dans notre système d’auto‑déclaration (Schillaci c Canada (Revenu national), 2021 CF 27 au para 44; R c Jarvis, 2002 CSC 73 au para 49 [Jarvis]; Northview Apartments Ltd. c Canada (Procureur général), 2009 CF 74 au para 11). Les contribuables ont le « devoir de remplir [leurs] déclaration[s] avec soin et exactitude »
, et ceux qui signent des déclarations préparées par un conseiller tiers sans les examiner courent de graves risques (Sledge c La Reine, 2016 CCI 100 au para 43).
[69] Autrement dit, les contribuables ne peuvent pas, s’ils confient leurs affaires fiscales à l’externe, s’exonérer de toute responsabilité en matière de conservation des documents de base. C’est particulièrement vrai si les documents concernent le paiement de sommes importantes qui ont ensuite été utilisées pour des déductions fiscales (les deux premiers éléments des documents manquants). Les mêmes remarques s’appliquent aux documents concernant la liquidation des régimes d’assurance, sur laquelle les déductions étaient fondées.
[70] Même si les contribuables n’ont pas en leur possession les copies papier ou électroniques des polices et des paiements, ils doivent être en mesure d’y accéder ou, au minimum, montrer qu’ils ont déployé des efforts raisonnables pour le faire. En l’espèce, M. Dominelli se fie trop à ses représentants. Il n’a pas démontré qu’il a fait de son mieux pour obtenir les documents.
[71] M. Dominelli a‑t‑il fait des efforts raisonnables pour obtenir les documents manquants? Comme nous l’avons vu plus haut, les efforts raisonnables que doit déployer un contribuable pour répondre à une demande de renseignements dépendent aussi fortement du contexte. Le fait de renvoyer la responsabilité à son comptable ou à son conseiller en assurance pour qu’il produise un reçu fiscal peut (ou pas) suffire pour la déduction d’un dîner de 150 $ comme dépense d’entreprise. Toutefois, la même souplesse ne s’applique pas aux déductions de plusieurs millions de dollars demandées relativement aux frais financiers liés aux primes d’assurance‑vie.
[72] En l’espèce, il est raisonnable de s’attendre à ce que le contribuable aille beaucoup plus loin pour répondre aux demandes de renseignements plutôt que de se contenter de faire quelques appels téléphoniques sur plusieurs années et de tenter de transférer toute la responsabilité à un conseiller aux îles Caïmans qui ne répondait essentiellement pas aux demandes, ou encore à d’autres conseillers à qui la planification fiscale et la tenue de dossiers avaient apparemment été déléguées.
[73] M. Dominelli n’a pas contesté la validité de la demande de renseignements présentée en vertu de l’alinéa 231.1(1)a) (comme c’était le cas dans l’affaire BP, par exemple). Il soutient plutôt qu’il s’est déjà acquitté de ses obligations à l’égard de la demande de l’ARC en fournissant les renseignements exigés, en plus des renseignements supplémentaires fournis par son avocate dans sa lettre.
[74] Je ne partage pas cet avis. Il incombait à M. Dominelli de fournir les renseignements sur les paiements des polices et l’entente relative à la liquidation, sur lesquels il s’est appuyé pour déduire ses frais financiers très élevés. Il ne peut pas simplement se soustraire à la responsabilité de protéger ses documents en s’en remettant à son conseiller tiers, M. Young, ou à toute autre personne d’ailleurs, pour le faire à sa place sans pouvoir accéder aux documents de quelque manière que ce soit.
[75] De plus, lorsqu’on lui a demandé au cours du contre‑interrogatoire qui avait préparé ses déclarations de revenus pour l’année d’imposition 2016, M. Dominelli a indiqué qu’il ne se souvenait pas du nom de son comptable. Lors de ce même contre‑interrogatoire, il a produit la carte professionnelle de son comptable, Stephen Shulman. Mais, après quelques questions, il a indiqué que M. Grundy — l’ancien directeur financier de NRT — avait préparé ses déclarations de revenus de 2016. Cette incohérence illustre le manque d’efforts et de responsabilisation de M. Dominelli à l’égard des obligations fiscales qui lui incombent sous le régime de la LIR.
[76] Je me contenterai de rappeler à nouveau les principes fondamentaux du régime fiscal d’auto‑réglementation et de responsabilisation du contribuable. Comme l’a souligné la Cour suprême du Canada aux paragraphes 51 et 52 de l’arrêt Jarvis :
Il découle des caractéristiques fondamentales de l’autocotisation et de l’autodéclaration que le succès de l’application du régime fiscal repose avant tout sur la franchise du contribuable […]
Les dispositions de la partie XV de la LIR confèrent au ministre des pouvoirs « [d’a]pplication et [d’e]xécution ». Elles imposent également aux contribuables des obligations réciproques : par exemple, pour le bon fonctionnement général du régime de déclaration et de vérification, le par. 230(1) de la LIR exige de tout contribuable qu’il tienne, pendant diverses périodes prescrites, des registres et des livres de comptes à son lieu d’affaires ou de résidence au Canada. Ces documents doivent être tenus « dans la forme et renferm[er] les renseignements qui permettent d’établir le montant des impôts payables en vertu de la [LIR], ou des impôts ou autres sommes qui auraient dû être déduites, retenues ou perçues ».
[77] Au cours de l’audience, l’avocate de M. Dominelli a fait référence à l’article 15 de la Charte des droits du contribuable de l’ARC, https://www.canada.ca/fr/agence-revenu/services/formulaires-publications/publications/rc17/charte-droits-contribuable-comprendre-vos-droits-tant-contribuable.html, qui indique qu’un contribuable a le droit de choisir son représentant pour l’aider à remplir ses déclarations de revenus.
[78] C’est exact. Toutefois, l’article 15 de la Charte des droits du contribuable indique ensuite que la représentation ne dispense pas les contribuables de leurs obligations légales en vertu de la LIR; le contribuable demeure responsable de ses affaires, même si un représentant agit en son nom.
[79] En effet, il incombe à un particulier de comprendre ou de connaître la loi et de prendre des mesures raisonnables pour se conformer à la LIR (Connolly c Canada (Revenu national), 2019 CAF 161 au para 69). Par son comportement et ses réponses au cours de la vérification de 2016, M. Dominelli a tenté de transférer toutes ses obligations en matière de tenue de registres en vertu de la LIR à ses conseillers et représentants professionnels. Cette façon de faire est inacceptable.
[80] M. Dominelli soutient que le caractère suffisant ou insuffisant des livres de compte et des registres visés par l’article 230 n’est pas pertinent dans le contexte d’une demande présentée en vertu de l’article 231.7 comme celle en l’espèce parce qu’il existe d’autres moyens de remédier à une telle insuffisance perçue ou réelle devant les tribunaux. Il cite le paragraphe 74 de la décision Amdocs, qui porte que :
Le ministre n’a pas non plus demandé à la Cour d’ordonner à ACMS de créer les documents qui n’existent pas, même s’il s’agit d’une mesure possible au titre de l’article 231.7. Le ministre peut, en vertu du paragraphe 230(3) de la LIR, préciser quels registres ou livres de comptes ACMS doit tenir afin de satisfaire à ses obligations en application du paragraphe 230(1) de la LIR, mais la Cour n’est pas saisie de cette question. Le ministre pourra exercer ce pouvoir s’il le juge indiqué.
[81] Le ministre signale plusieurs « contradictions »
dans le dossier et met en doute la crédibilité de M. Dominelli. Tout d’abord, il fait valoir que, lors de la réunion à Belleville avec l’ARC en juillet 2016, M. Dominelli a déclaré qu’il avait pris les RAL parce qu’il avait besoin d’une protection contre le vol pour sa société, mais il a depuis donné des raisons différentes. Le ministre souligne également qu’il n’a pas été en mesure de répondre à la plupart des autres questions posées lors de la rencontre en ce qui concerne les RAL ou les mécanismes sous‑jacents.
[82] M. Dominelli conteste cette affirmation et fait valoir qu’il n’a reçu du ministre aucune lettre de suivi ni aucune note de cette rencontre, et ce, en dépit des demandes qu’il a présentées. M. Dominelli affirme également qu’il n’a reçu aucune preuve pour étayer la version de Mme Bertrand (la déposante du demandeur) de la réunion. Je souligne que le défendeur et ses divers représentants (dont M. Grant, Me Chodikoff et Me Luu) ont toujours affirmé que M. Dominelli ne connaissait pas les particularités de ses RAL. Le demandeur a également souligné d’autres prétendues « contradictions »
similaires contenues dans les dossiers de demande sommaire et les dossiers supplémentaires déposés.
[83] Je note que le processus de demande sommaire décrit au paragraphe 230.1(7) de la LIR, qui prévoit une vérification limitée des contradictions (p. ex., la Cour n’entend pas de témoins dans le cadre de telles requêtes), restreint la capacité de la Cour à tirer des conclusions sur la crédibilité, et que cela n’est pas nécessaire en l’espèce.
[84] La question qui se pose est plutôt de savoir si M. Dominelli a été disposé à fournir les renseignements qu’on lui demandait à juste titre de fournir dans le cadre d’une vérification. La question clé à cet égard consiste à savoir si M. Dominelli a fait tout ce qu’il pouvait raisonnablement faire pour aider le ministre à obtenir les documents manquants. Je conclus qu’il ne l’a pas fait. Compte tenu de tous les éléments de preuve présentés à la Cour, il aurait dû faire — et il doit toujours faire — davantage pour montrer qu’il a fait preuve de suffisamment de diligence pour respecter les obligations qui lui incombaient compte tenu de la vérification faite sous le régime de la LIR.
c.
Il n’y a pas eu d’abus de procédure
[85] Enfin, je note que M. Dominelli a affirmé que le ministre avait commis un abus de procédure pour les raisons suivantes :
(i) l’ARC a admis avoir entrepris un échange de renseignements avec les tiers énumérés dans les conventions d’assurance et elle a obtenu certains renseignements, mais elle n’a jamais confirmé à M. Dominelli ce qu’elle avait reçu;
(ii) un agent de l’ARC a reconnu en contre‑interrogatoire avoir les renseignements nécessaires pour établir la cotisation à l’égard des frais financiers de 2016;
(iii) la communication des documents présentés à l’ARC dans le cadre des appels devant la CCI pour 2012‑2015 engloberait tous les documents de 2016; la présente demande ou instance est donc répétitive (c.‑à‑d. que l’ARC devrait déjà avoir les renseignements susmentionnés).
[86] Je note pour commencer que le ministre conteste le deuxième point soulevé par M. Dominelli. Le ministre soutient que l’ARC n’a jamais déclaré qu’elle avait les renseignements nécessaires pour établir la cotisation à l’égard des frais financiers de 2016, mais qu’il s’agit plutôt d’une déduction faite par M. Dominelli.
[87] Revenons au premier point. La Cour donne au ministre une grande marge de manœuvre pour la réalisation des vérifications sous le régime de la LIR. Il se peut effectivement qu’il ait en sa possession certains renseignements, mais les passages sur lesquels M. Dominelli s’appuie ne répondent pas directement aux questions posées ou ne correspondent pas aux éléments demandés. M. Dominelli cite une affaire qui laisse entendre que même une divulgation partielle peut satisfaire aux exigences (SML, au para 21) :
[21] Le demandeur prétend que, en se fondant sur le comportement de la défenderesse, l’on peut déduire qu’il existe d’autres documents et renseignements qui n’ont pas été fournis par la défenderesse. Toutefois, vu la production partielle de certains documents et la pénalité sévère pour le défaut de se conformer à la loi, je ne peux conclure que la défenderesse a refusé de coopérer. Par conséquent, je ne suis pas convaincue que la deuxième condition ait été remplie.
[88] Toutefois, dans l’affaire SML, la Cour a jugé que les contribuables avaient coopéré avec le ministre pour répondre à sa demande, et ce, même s’ils étaient d’avis que la première condition pour une ordonnance de production n’avait pas été respectée. La Cour a considéré ces actions comme des efforts raisonnables pour obtenir les renseignements demandés par le ministre.
[89] En l’espèce, par contre, ni les réponses partielles aux demandes ni l’interprétation unilatérale de M. Dominelli selon laquelle ces réponses sont exhaustives ne permettent de conclure que celui‑ci a satisfait à l’obligation qui lui incombait de répondre aux questions posées à juste titre dans le cadre d’une vérification.
[90] De plus, le deuxième point soulevé par M. Dominelli (selon lequel chaque vérification de la déclaration de revenus d’une année donnée constitue une enquête distincte) ne tient pas la route; en effet, une partie visée par des vérifications pour plusieurs années peut avoir à répondre à des demandes pour chacune de ces années et ne peut pas répondre à une demande de vérification pour une année différente en renvoyant à un point soulevé pour une autre année, sauf si le ministre consent à cette réponse polyvalente.
[91] De la même façon, en ce qui concerne son troisième point selon lequel un autre tribunal doit actuellement se prononcer dans d’autres litiges concernant d’autres années d’imposition, je note que chacune de ces années d’imposition doit être examinée en fonction des questions qu’elle soulève et de son propre dossier de preuve. Le simple fait que M. Dominelli ait interjeté appel de cotisations établies pour d’autres années d’imposition n’empêche pas la Cour d’examiner une autre année d’imposition et ne l’oblige pas à le faire. Les contribuables sont tenus de produire une déclaration de revenus chaque année, et il est loisible au ministre d’accepter ou de contester la déclaration — au moyen d’une vérification ou de l’établissement d’une nouvelle cotisation, ainsi que des outils dont il dispose — faite pour chaque année d’imposition. Comme la Cour d’appel fédérale l’a affirmé au paragraphe 41 de l’arrêt Cameco, « la question de savoir si les questions posées lors d’une vérification peuvent avoir des conséquences directes ou indirectes sur les litiges actuels ou futurs n’est pas un facteur discrétionnaire pertinent »
.
[92] Le juge Rowe de la Cour suprême du Canada, s’exprimant au nom de la majorité, affirme, au paragraphe 36 de l’arrêt Law Society of Saskatchewan c Abrametz, 2022 CSC 29, que la doctrine de l’abus de procédure en droit administratif met davantage l’accent sur « l’intégrité du processus décisionnel judiciaire que sur l’intérêt des parties […] La bonne administration de la justice et la protection de l’équité se trouvent au cœur de la doctrine […] Celle‑ci vise à prévenir l’iniquité en empêchant “les recours abusifs” »
.
[93] En l’espèce, le ministre a agi dans le cadre des pouvoirs qui lui sont conférés par la LIR. Les arguments de M. Dominelli ne montrent pas comment la demande d’ordonnance présentée par le ministre en vertu de l’article 231.7 menace l’intégrité des fonctions juridictionnelles de la Cour. L’allégation de M. Dominelli concernant un abus de procédure m’apparaît comme une tentative visant à détourner l’attention de la question clé de savoir s’il a déployé des efforts raisonnables pour fournir au ministre les documents manquants ou l’aider à les obtenir. Je conclus qu’il ne l’a toujours pas fait.
V.
CONCLUSION
[94] La demande du ministre est accueillie et une ordonnance modifiée en fonction des présents motifs sera accordée.
[95] Les dépens sont adjugés au ministre.
ORDONNANCE dans le dossier T-1432-20
LA COUR ORDONNE :
Le défendeur, M. Dominelli, doit effectuer une recherche détaillée et exhaustive pour trouver les documents manquants, décrits à l’annexe A. Il doit en outre demander à ses conseillers de faire de même.
M. Dominelli doit présenter les résultats des efforts qu’il a déployés pour faire cette recherche dans un affidavit personnel dans les 60 jours suivant la date de la présente ordonnance à Lynn Smijan, gestionnaire du programme de l’Initiative relative aux entités apparentées, Bureau des services fiscaux du Centre‑Est de l’Ontario, Agence du revenu du Canada, ou à un autre agent autorisé de l’Agence chargé de son dossier. L’affidavit doit préciser les efforts déployés par M. Dominelli pour effectuer sa recherche, ainsi que les demandes qu’il a adressées à ses conseillers. Tous les documents trouvés doivent être joints comme pièce à l’affidavit. En ce qui concerne les documents qu’il ne trouvera pas, M. Dominelli précisera les efforts déployés pour les rechercher.
Le demandeur, le ministre du Revenu national (le ministre), est autorisé à signifier la présente ordonnance à M. Dominelli, conformément à l’article 139 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106.
Les dépens sont adjugés au ministre.
«
Alan S. Diner »
Juge
ANNEXE A
Les documents manquants
Document manquant A :
[traduction] « Selon le contrat de rente no M091201, la prestation de janvier 2016 était de 750 000 $ et, selon la police d’assurance no 20000001, la prime annuelle due pour 2016 était de 4 750 000 $. Veuillez fournir la preuve que la partie de la prime d’assurance annuelle exigible, non couverte par la prestation de rente, soit 4 000 000 $, a été payée en 2016 en produisant une copie du chèque (recto verso), de la traite bancaire, du virement électronique ou de toute autre forme de paiement. »
Document manquant B :
[traduction] « Selon le contrat de rente no ADVA 1009‑6057, la prestation du 30 septembre 2016 était de 2 000 000 $ et, selon la police d’assurance no 20000003, la prime annuelle due pour 2016 était de 7 500 000 $. Veuillez fournir la preuve que la partie de la prime d’assurance annuelle exigible, non couverte par la prestation de rente, soit 5 500 000 $, a été payée en 2016 en produisant une copie du chèque (recto verso), de la traite bancaire, du virement électronique ou de toute autre forme de paiement. »
Document manquant D :
[traduction] « Quelle était la procédure de finalisation des ententes? [Question radiée parce que l’ARC a reconnu qu’elle était trop large.]
Y avait‑il des documents à l’appui de la liquidation des ententes? Le cas échéant, veuillez les produire. »
ANNEXE B
Options présentées après les conférences de gestion de l’instance de mai 2022
ANNEXE C
Extraits de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e suppl)
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COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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T-1432-20
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INTITULÉ :
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LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL c JOHN DOMINELLI
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Les 15, 17 et 21 décembre 2020
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ORDONNANCE ET MOTIFS :
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LE JUGE DINER
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DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :
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Le 18 octobre 2022
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COMPARUTIONS :
Alisa Apostle
Tigra Bailey
Peter Swanstrom
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Pour le demandeur
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Molly Luu
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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Pour le demandeur
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Miller Thomson S.E.N.C.R.L., s.r.l.
Avocats
Toronto (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR
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