Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 20230110


Dossier: T-660-22

Référence: 2023 CF 41

Ottawa (Ontario), le 10 janvier 2023

En présence de monsieur le juge Régimbald

ENTRE :

LILLIAN LALONDE

demanderesse

et

AGENCE DU REVENUE DU CANADA

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] La demanderesse, Mme Lillian Lalonde, présente une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision du 23 février 2022 par laquelle un agent de l’Agence du revenu du Canada [l’ARC] responsable de la conformité des prestations [l’agent] a conclu que la demanderesse n’était pas admissible à la Prestation canadienne de la relance économique [la PCRE].

[2] Mme Lalonde soutient que l’agent a brimé sont droit à l’équité procédurale en ne lui permettant pas suffisamment de temps pour déposer une déclaration de revenus amendée, et que l’agent a mal compris la preuve de son admissibilité. Pour étayer sa position, Mme Lalonde a déposé un affidavit contenant des informations additionnelles qu’elle croit pertinentes à son dossier.

[3] En contrôle judiciaire, le rôle de la Cour n’est pas de conclure en l’admissibilité ou non de Mme Lalonde à la PCRE, ni de considérer de nouveaux arguments et de nouvelles preuves portant sur cette admissibilité. Le rôle de la Cour est simplement de déterminer, à la lumière de la preuve et des arguments qui ont été mis devant l’agent, si sa décision est raisonnable et si le processus était conforme aux principes d’équité procédurale.

[4] Pour les motifs qui suivent, et en conformité avec le rôle de la Cour, je conclus que la décision de l’agent est raisonnable et que le processus était équitable.

II. Le Contexte

[5] La Loi sur les prestations canadiennes de relance économique, LC 2020, c 12, art 2 [la LPCRE], est entrée en vigueur le 2 octobre 2020 et a établi la PCRE. Cette prestation était offerte afin de fournir un soutien du revenu pour toute période de deux semaines comprise dans la période commençant le 27 septembre 2020 et se terminant le 23 octobre 2021, aux salariés et aux travailleurs indépendants admissibles qui ont été directement touchés par la pandémie de COVID‑19. Le ministre responsable de la PCRE est le ministre de l’Emploi et du Développement social (LPCRE, art 2, 3 et 4). Cependant, la PCRE est administrée par l’ARC.

[6] Pour y être admissible, un contribuable doit rencontrer le critère cumulatif prévu à l’article 3 de la LPCRE, notamment:

- La contribuable qui travaille à son compte doit démontrer que ses revenus s’élevaient à au moins 5 000 $ pour l’année 2019 ou 2020 ou au cours des 12 mois précédant la date à laquelle elle a présenté sa demande.

- Pour chaque période de deux semaines pour laquelle des prestations sont demandées, la contribuable doit avoir été empêché d’exercer un emploi ou d’exécuter un travail pour son compte pour des raisons liées à la COVID‑19, ou d’avoir subi une réduction d’au moins 50 % de ses revenus hebdomadaires moyens d’emploi ou de travail à son compte par rapport à l’année précédente ou au cours des 12 mois précédant la date à laquelle elle a présenté sa demande, pour des raisons liées à la COVID‑19.

- Pour chaque période de deux semaines pour laquelle des prestations sont demandées, la contribuable doit également démontrer avoir fait des recherches pour trouver un emploi ou du travail à exécuter pour son compte, afin de combler le manque à gagner.

- La contribuable doit démontrer avoir été présente au Canada et en mesure de travailler durant la période de deux semaines pour laquelle des prestations sont demandées.

[7] Le fardeau de la preuve quant à l’admissibilité à la PCRE appartient au contribuable. En vertu de l’article 6 de la LPCRE, la demanderesse est tenue de fournir tout renseignement exigé par l’agent relativement à sa demande.

A. La première décision de l’ARC

[8] Mme Lalonde a demandé et obtenu la PCRE pour 17 périodes de deux semaines entre le 27 septembre 2020 et le 5 juin 2021. Lorsque Mme Lalonde a présenté une demande pour les périodes 19 et suivantes, son dossier a été sélectionné afin de faire l’objet d’une validation.

[9] Le 21 juin 2021, un premier appel a eu lieu entre un agent de validation et Mme Lalonde. Durant cet appel, Mme Lalonde a indiqué ne pas avoir de dépenses d’entreprise, qu’elle ferait parvenir une preuve de recherche d’emploi, ainsi qu’une lettre explicative sur son relevé bancaire. Une lettre fut envoyée le 23 juin 2021, incluant des relevés bancaires, des copies de chèques et autres documents, mais aucune preuve de recherche d’emploi ne fut incluse.

[10] Le 7 octobre 2021, un agent de validation de l’ARC a procédé à un premier examen d’admissibilité à la PCRE de la demanderesse en la contactant par téléphone. Selon les notes de l’agent au dossier, celui-ci a demandé à Mme Lalonde ses relevés bancaires afin de voir s’ils étaient compatibles avec les chèques et les factures envoyés. Cet agent a conclu que les chèques portaient toujours la mention « loyer » ou « rent » ce qui ne représentait pas une preuve de travail rémunéré admissible pour les fins de la PCRE.

[11] L’agent a rendu sa décision le 7 octobre 2021 dans laquelle il a conclu que Mme Lalonde n’était pas admissible à la PCRE au motif qu’elle n’avait pas gagné au moins 5 000$ de revenus d’emploi ou de revenus nets de travail indépendant en 2019, 2020 ou au cours des 12 mois précédant la date de sa première demande. Une lettre à cet effet a été envoyée à Mme Lalonde le 8 novembre 2021.

B. La deuxième décision de l’ARC

[12] Le 5 décembre 2021, Mme Lalonde s’est prévalue de son droit de demander un deuxième examen. Elle a fait parvenir une lettre à l’ARC ainsi que de la documentation additionnelle.

[13] Le 23 février 2022, suite au deuxième examen, un deuxième agent [le deuxième agent] a conclu que la demanderesse ne respectait pas les conditions d’admissibilité à la PCRE. La décision est rédigée en ces termes :

Selon notre examen, vous êtes inadmissible. Vous ne rencontrez pas le ou les critères d’admissibilité ci-après :

Vous n’étiez pas présent au Canada durant la période.

Vous n’avez pas gagné au moins 5 000$ (avant impôts) de revenus d’emploi ou de revenus net de travail indépendant en 2019, en 2020, ou au cours des 12 mois précédant la date de votre première demande.

Vous n’avez pas eu une baisse de 50% de votre revenu hebdomadaire moyen par rapport à l’année précédente pour des raisons liées à la COVID-19.

Vous étiez capable de travailler, mais ne cherchiez pas d’emploi.

[14] Dans les notes du deuxième agent, on précise que lors d’une conversation avec Mme Lalonde le 18 février 2022, soit avant que la décision du deuxième agent ne soit rendue, la demanderesse lui a mentionné qu’elle travaillait pour son mari en comptabilité depuis au moins 5 ans. Elle a également expliqué qu’elle demandait la PCRE en raison de la diminution de plus de 50% de ses revenus en raison de la COVID-19. Elle a précisé qu’avant la pandémie, elle travaillait souvent à temps plein et que désormais, elle travaillait seulement un ou deux jours par semaine.

[15] Mme Lalonde a également expliqué au deuxième agent que sur les chèques envoyés, on peut lire le terme « loyer », car le comptable a inscrit son salaire par erreur sous cette case dans sa déclaration de revenus. Elle a également ajouté que le comptable aurait plutôt dû déclarer ses revenus à titre de travailleur autonome et non sous la mention location; cette erreur aurait été faite lors de chacune des 5 dernières années.

[16] Elle a également ajouté qu’en 2021, elle a gagné un revenu d’environ 600$. Elle a déclaré que la compagnie avait perdu plus de 60% de ses contrats et que pour cette raison, elle travaillait à l’occasion, mais ne cherchait pas d’emploi car elle attendait que les affaires reprennent. Elle a indiqué travailler parfois sans facturer, et travailler seulement une à deux journées par semaine. Elle a également précisé être sortie du Canada pour des vacances, mais n’était pas en mesure de donner les dates exactes.

[17] Dans les notes du deuxième agent, au sujet de l’analyse des revenus admissibles de Mme Lalonde, on peut voir que celui-ci a considéré les éléments que la demanderesse lui avait fournis. Malgré les explications de Mme Lalonde, le deuxième agent a constaté que les revenus de la demanderesse étaient déclarés comme des revenus de location et par conséquent, qu’ils n’étaient pas des revenus admissibles. Les notes du deuxième agent indiquent aussi qu’il lui fut impossible de déterminer si Mme Lalonde avait bien perdu 50% de son revenu en raison de la COVID-19 puisqu’elle ne facturait pas toutes ses heures, qu’elle ne recherchait pas d’emploi pour combler sa perte, et qu’elle n’avait pas été en mesure de démontrer qu’elle était au Canada pour chacune des périodes de PCRE demandées.

[18] Toujours en désaccord avec la décision, la demanderesse présente cette demande de contrôle judiciaire.

III. Question préliminaire

A. Les nouveaux affidavits

[19] Mme Lalonde et le défendeur ont déposé des affidavits dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire. Le dépôt d’affidavits est sujet aux règles 306 et suivantes des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles] et d’une jurisprudence constante de la Cour d’appel (Canada (Procureur général) c Canadian North Inc, 2007 CAF 42 aux para 3–5, 7–9, 12; Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright) c Alberta, 2015 CAF 268 aux para17–22). Dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, le rôle de la Cour est d’examiner la légalité ou la raisonnabilité de la décision du décideur administratif, dans le contexte juridique et factuel présenté au décideur. Généralement, les documents dont ne disposait pas le décideur ne sont pas admissibles lors du contrôle judiciaire et la Cour ne doit pas en tenir compte (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 au para 19).

[20] La Cour d’appel fédérale a reconnu trois (3) exceptions à cette règle générale : (1) les nouveaux éléments de preuve contiennent des renseignements contextuels généraux; (2) les nouveaux éléments de preuve répondent à des questions d’équité procédurale; ou (3) les nouveaux éléments de preuve font ressortir l’absence totale de preuve devant le décideur administratif (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 aux para 19‑20).

[21] Dans le cadre de contrôles judiciaires de décisions de l’ARC en vertu de la LPCRE, la Cour a déjà statué qu’elle ne devait pas considérer des documents supplémentaires fournis dans un affidavit à l’appui de la demande et qui n’avaient pas été soumis au préalable au décideur administratif (Datta c Canada, 2022 CF 973 aux para 29-30; Lussier c Canada, 2022 CF 935 au para 2).

[22] En l’espèce, l’affidavit de Mme Lalonde présente des documents et une preuve qui n’étaient pas devant l’agent. L’affidavit, ainsi que les documents présentés ne répondent pas à ces exceptions. Par exemple, elle présente une lettre de son client et des articles ou communications émanant entre autres du gouvernement contenant de l’information sur la COVID-19. Dans son ensemble, l’affidavit de Mme Lalonde est donc inadmissible en preuve et la Cour ne peut en tenir compte (‘Namgis First Nation v Canada (Fisheries and Oceans), 2019 CAF 149 aux para 7-12; Ohwofasa v Canada (Citizenship and Immigration), 2020 CF 266 au para 13-15; Kleiman v. Canada (Attorney General), 2022 FC 762 au para 26 [Kleiman]).

[23] Par contre, l’affidavit de Mme Lalonde tend aussi à démontrer une violation à l’équité procédurale. Notamment, elle indique avoir mentionné au deuxième agent son intention de procéder à un amendement de sa déclaration de revenus en raison d’une erreur de comptabilité; mais que l’agent a procédé avec sa demande, et l’a refusé, avant qu’elle n’ait pu procéder. Cet élément précis de l’affidavit de Mme Lalonde est donc admissible.

[24] Pour ce qui est de l’affidavit du défendeur, globalement, celui-ci est conforme aux exigences et aux exceptions notées par la Cour d’appel. Il mentionne le contexte général du programme, la façon dont il est administré, et introduit tous les documents et éléments de preuve qui étaient devant le deuxième agent.

[25] Cependant, selon moi, l’affidavit du défendeur va trop loin. L’affidavit indique quels documents ont été consultés et comment l’agent en est venu à sa conclusion, et pourquoi. Ces éléments de l’affidavit, notamment les paragraphes 13, 16-23 et 26, « risque[nt] d’ajouter des faits au dossier et/ou des motifs à la décision » (Sid Seghir c Canada (Procureur général), 2022 CF 466 aux para 13–14; Lussier c. Canada (Procureur général), 2022 CF 935 au para 16).

[26] Par conséquent, afin de déterminer la raisonnabilité de la décision de l’agent, je ne vais pas considérer les paragraphes 13, 16-23 et 26 de l’affidavit du défendeur. Cependant, les documents introduits par ces paragraphes, constituant le dossier qui était en possession de l’ARC, sont admissibles.

IV. Questions en litige et norme de contrôle

[27] Mme Lalonde soulève deux questions. En premier lieu, elle allègue une violation à l’équité procédurale du fait que le second agent de l’ARC ne lui ait pas accordé suffisamment de temps pour amender sa déclaration de revenus et la lui produire. Deuxièmement, elle allègue que la décision est déraisonnable puisque l’agent de l’ARC n’aurait pas bien compris sa preuve.

[28] La première question commande l’application de la norme de la décision correcte ou, plutôt, de déterminer si le processus suivi était juste et équitable compte tenu de l’ensemble des circonstances (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 aux para 54-56; Association canadienne des avocats en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196 au para 35). L’obligation d’équité procédurale exige qu’une personne visée par une décision ait la possibilité de connaître la preuve et les arguments à réfuter et de présenter entièrement et équitablement sa position (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 127 [Vavilov]). Il incombe au demandeur de démontrer qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale.

[29] La seconde question requiert l’application de la norme de la décision raisonnable (Vavilov aux para 16–17, 23–25). Une décision sera conforme à cette norme si elle est fondée sur un raisonnement cohérent et justifié au regard des contraintes juridiques et factuelles du dossier (Vavilov aux para 102–107). La Cour ne doit pas pondérer à nouveau les éléments de preuve ni tirer sa propre conclusion. Plutôt, la Cour doit faire preuve de déférence et centrer son attention sur la décision rendue, notamment sur son raisonnement, sa transparence, son intelligibilité, et sa justification (Vavilov aux para 15, 83). Le fardeau de preuve pour démontrer qu’une décision est déraisonnable incombe à la partie qui conteste la décision (Vavilov au para 100; Aryan c. Canada (Procureur général), 2022 CF 139 au para 16 [Aryan]; Hayat v Canada (Attorney General), 2022 FC 131 au para 14; Kleiman au para 29).

[30] Après avoir examiné les observations de la demanderesse et l’information qui était devant le deuxième agent dans son ensemble, j’estime que Mme Lalonde a été en mesure de connaître la preuve et les arguments nécessaire à son admissibilité à la PCRE, et afin de réfuter les questions du deuxième agent.

[31] De plus, vu les réponses données par Mme Lalonde au deuxième agent quant à certains critères nécessaires à son éligibilité à la PCRE, la décision du deuxième agent à l’effet qu’elle n’était pas admissible est raisonnable eu égard aux critères cumulatifs requis, et à la preuve qui lui fut présentée.

V. Analyse

A. L’équité procédurale dans le cadre du deuxième examen a été respectée

[32] La demanderesse prétend que le deuxième agent ne lui a pas donné l’opportunité d’amender sa déclaration de revenus de 2019 et de la lui soumettre, ce qui a entraîné une violation de l’équité procédurale.

[33] Après examen du dossier et des observations de la demanderesse, je ne suis pas convaincu qu’il y ait eu violation de son droit à l’équité procédurale (Santaguida c. Canada (Procureur général), 2022 CF 523 au para 24).

[34] Au paragraphe 4 de son mémoire, et Mme Lalonde l’a confirmé lors de l’audience, elle indique que la question à savoir si sa déclaration de revenus de 2019 devait être amendée a été soulevée dès le 21 juin 2021, lors d’un appel par le premier agent de l’ARC. Mme Lalonde a elle-même indiqué, lors de cet appel, que sa déclaration de revenus comportait une erreur et devait peut-être être amendée.

[35] Ce premier agent a par la suite rendu une première décision le 7 octobre 2021, décision qui fut communiquée à la demanderesse le 8 novembre 2021. Cette première décision indique que la demanderesse n’était pas admissible à la PCRE, puisqu’elle ne pouvait démontrer avoir gagné au moins 5 000$ de revenu d’emploi ou de travail indépendant en 2019, 2020 ou au cours des 12 derniers mois précédents la date de sa première demande.

[36] La demanderesse s’est prévalue de son droit de demander un deuxième examen. Dans une lettre datée du 5 décembre 2021, Mme Lalonde explique les motifs de sa demande, laquelle ne fait aucune mention d’une erreur à sa déclaration de revenus de 2019. Elle a aussi présenté d’autres éléments de preuve, mais pas une déclaration de revenus de 2019 amendée.

[37] Le 18 février 2022, Mme Lalonde a discuté de la situation avec le deuxième agent et a à nouveau soulevé la situation de l’erreur dans sa déclaration de revenus de 2019.

[38] Or, entre sa discussion avec le premier agent du 21 juin 2021 dans laquelle Mme Lalonde notait l’erreur sur sa déclaration de revenus de 2019, et sa discussion avec le deuxième agent le 18 février 2022, Mme Lalonde ne semble pas avoir entrepris aucune démarche afin de rectifier la situation. Il n’y a aucune preuve que Mme Lalonde a, par exemple, appelé son comptable, qu’elle blâme pour l’erreur, afin de vérifier s’il y avait bel et bien une erreur, et si tel était le cas, de la rectifier pour toutes les années lors desquelles l’erreur s’est glissée.

[39] De plus, dans son mémoire, la demanderesse indique aujourd’hui avoir procédé à un amendement de sa déclaration de revenus de 2019. Par contre, la déclaration de revenus amendée n’est toujours pas en preuve devant la Cour malgré l’affidavit de Mme Lalonde.

[40] Bien que le processus n’ait pas été parfait, je conclus néanmoins qu’il s’agissait d’un processus juste et équitable compte tenu de l’ensemble des circonstances (Chemin de fer Canadien Pacifique aux para 54-56). Il ressort de ce qui précède que la demanderesse savait dès le 21 juin 2021 que sa déclaration de revenus de 2019 pouvait être pertinente à son dossier et qu’elle contenait possiblement une erreur. Suivant la première décision de l’ARC, Mme Lalonde savait que sa déclaration de revenus de 2019 pouvait appuyer sa demande et connaissait la preuve à réfuter. Elle a eu amplement de temps pour procéder à l’amendement de sa déclaration de revenus de 2019 avant le deuxième examen, mais elle ne l’a pas fait.

[41] Quoi qu’il en soit, et pour les motifs qui suivent, le dépôt de la déclaration de revenus amendée n’aurait aucun effet sur le caractère raisonnable de la décision de l’agent, dans son ensemble. Dans ces circonstances, même s’il y avait eu une irrégularité dans le processus suivi par le deuxième agent, ce que je rejette, je choisirais, dans l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire, de ne pas annuler la décision (Ayangma c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 213 au para 58; Mines Alerte Canada c. Canada (Pêches et Océans), 2010 CSC 2; Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 RCS 202).

[42] D’abord, tel que le mentionne le Juge Diner dans la décision Ntuer c. Canada (Procureur général), 2022 CF 1596 [Ntuer] en citant Aryan, un avis de cotisation n’est pas une preuve suffisante pour établir qu’un demandeur s’est conformé au critère du revenu net d’au moins 5 000$ :

[27] De plus, un avis de cotisation n’est pas suffisant pour établir qu’un demandeur a gagné un revenu net d’au moins 5000$ (Aryan au para 35). L’Agent était tenu d’évaluer non seulement les avis de cotisation soumis par M. Ntuer, mais également les autres éléments de preuve au dossier, dont les factures et reçus de paiement de clients soumis par M. Ntuer, ainsi que les informations disponibles à travers les registres internes de l’ARC, pour vérifier que M. Ntuer avait bel et bien gagné un revenu net d’au moins 5000 $.

[43] Ensuite, la décision du deuxième agent n’a pas été fondée sur l’absence d’une déclaration de revenus de 2019 amendée, mais bien sur la preuve complète devant lui comprenant des chèques et relevés bancaires indiquant que plusieurs des paiements faits à Mme Lalonde pour 2019 étaient pour des loyers.

[44] Dans ses motifs, le deuxième agent note spécifiquement que la demanderesse entend procéder à un amendement de sa déclaration de revenus de 2019 afin que ses revenus soient présumés admissibles. Malgré cette note, et sachant qu’une déclaration de revenus de 2019 amendée démontrerait probablement un revenu admissible, l’agent a tout de même rejeté la crédibilité de Mme Lalonde en raison de la preuve dans son ensemble, tel que discuté ci-après.

[45] J’en conclus qu’une déclaration de revenus de 2019 amendée n’aurait pas été concluante à la décision du deuxième agent et de toute façon, sa décision est raisonnable à la lumière de la preuve qui était devant lui.

[46] Enfin, tel qu’expliqué ci-après, puisque Mme Lalonde ne rencontre pas les autres critères cumulatifs de la LPCRE, le fait qu’il puisse y avoir une violation de l’équité procédurale sur la question de la déclaration de revenus de 2019, ce que je rejette, est de toute façon caduque.

B. La décision du deuxième agent de rejeter les demandes de PCRE de Madame Lalonde est raisonnable

[47] Le fardeau incombe à Mme Lalonde de démontrer à l’ARC à l’aide d’éléments de preuve suffisants et corrects qu’elle satisfait, selon la prépondérance des probabilités, aux critères établis par la LPCRE afin de recevoir une prestation (Walker v. Canada (Attorney General of Canada), 2022 FC 381 au para 55; Ntuer au para 26). Tel que le rappelle le Juge Diner dans Ntuer au paragraphe 24, « les critères d’admissibilité à l’article 3 de la Loi sont cumulatifs, c’est-à-dire qu’un demandeur doit satisfaire à tous les critères pour être admissible à recevoir des prestations en vertu de la PCRE et/ou PCMRE. »

[48] Il est important de noter que dans l’analyse de la raisonnabilité de la décision du deuxième agent, la Cour peut considérer le rapport sur la deuxième révision de l’ARC ainsi que les notes de cet agent. Ceux-ci font partie des motifs de l’agent, comme le sont les notes du Système mondial de gestion des cas utilisé par les agents d’immigration (Aryan au para 22; Kleiman au para 9; Vavilov aux para 94‑98).

[49] Dans ses notes, le deuxième agent de l’ARC mentionne avoir examiné l’information soumise par Mme Lalonde lors de sa demande initiale, avoir considéré les notes du premier agent, avoir considéré la lettre de demande de révision de Mme Lalonde ainsi que les documents additionnels déposés, notamment les chèques, les relevés bancaires et les déclarations de revenus de Mme Lalonde. Il a aussi communiqué avec Mme Lalonde par téléphone afin de lui permettre de répondre à ses questions et lui permettre de démontrer qu’elle était admissible à la PCRE.

[50] Suite à l’analyse de ces documents et des réponses de Mme Lalonde, le deuxième agent a conclu qu’il lui était impossible d’établir le revenu admissible que Mme Lalonde a gagné en 2019, en 2020 ou au cours des douze derniers mois. Notamment, plusieurs des chèques contiennent les termes « loyer » ou « rent ». Or, les revenus de location ne sont pas admissibles. De plus, les déclarations de revenus de 2018, 2019 et de 2020 ne démontrent aucun revenu de travail autonome.

[51] Le deuxième agent poursuit en notant sa discussion avec Mme Lalonde, qui lui a indiqué ne pas avoir été au Canada pour certaines périodes de temps. N’ayant pas été en mesure de divulguer les périodes précises où elle s’est absentée, il fut impossible pour le deuxième agent de conclure qu’elle se conformait au critère selon lequel elle devait être au Canada pour chacune des périodes demandées.

[52] Mme Lalonde lui a aussi dit qu’elle avait perdu plus de 50% de son revenu, mais qu’elle ne facturait pas toutes les heures qu’elle travaillait. Ainsi, sa perte n’est pas uniquement en lien avec la COVID-19 et il est impossible de déterminer si la perte en raison de la COVID-19 est en effet de plus de 50% par rapport à son revenu précédent.

[53] Enfin, Mme Lalonde a indiqué ne pas avoir fait de recherche de travail pour pallier à la diminution de son revenu encourue en raison de la COVID-19.

[54] À mon avis, le dossier démontre que le deuxième agent a tenu compte de tous les documents et informations fournis par Mme Lalonde, ainsi que des explications de celle‑ci. J’ai examiné les observations de la demanderesse au regard du régime législatif de la LPCRE et la preuve des parties qui sont au dossier, et je conclus que la demanderesse n’a relevé aucune erreur ou omission importante dans la deuxième décision qui justifie l’intervention de la Cour.

[55] Les motifs avancés par le deuxième agent pour rejeter la demande de PCRE de Mme Lalonde sont intelligibles et justifiés à la lumière de la preuve et du dossier devant lui. Le deuxième agent a examiné les factures et les déclarations de revenus, et a discuté avec la demanderesse afin que celle-ci puisse justifier les faiblesses de sa demande. Celle-ci n’a pas été en mesure de transmettre les informations nécessaires pour se décharger de son fardeau de preuve.

(1) Absence de revenu admissible de 5 000$

[56] La question de l’amendement de la déclaration de revenus de 2019 de Mme Lalonde, discutée plus haut, est pertinente pour le critère de la PCRE exigeant que la contribuable ait gagné 5 000$ admissibles préalablement à la demande.

[57] Au sujet d’un revenu de travail indépendant, ce que Mme Lalonde prétendait recevoir, les lignes directrices sur la PCRE discutées lors des appels avec Mme Lalonde indiquent ce qui suit :

Revenu d’un travail indépendant

Les propriétaires de petites entreprises peuvent recevoir un revenu de leur entreprise de différentes façons, y compris à titre de salaire, de revenus ou de dividendes de leur entreprise.

Si un propriétaire exploite sa petite entreprise à titre de particulier, celui-ci doit facturer ses services à ses clients en son nom propre; s’il exploite son entreprise sous un nom d’entreprise enregistrée, il facture ses services à ses clients au nom de l’entreprise. Si l’entreprise porte un nom d’entreprise autre que son propre nom, elle doit détenir un compte bancaire distinct.

Les éléments dont on doit tenir compte pour des propriétaires de petites entreprises:

• Ont-ils des cartes professionnelles afin de promouvoir leur entreprise?

• Font-ils de la publicité? Par exemple sur Kijiji, Marketplace, Craigslist, leur propre site Web?

• Cherchent-ils activement des occasions d’emploi?

• Possèdent-ils un NE inscrit?

• Travaillent-ils régulièrement pour une clientèle sans lien de dépendance?

• S’ils sont toujours payés en argent comptant, ont-ils une preuve des heures de travail et de paiement?

Membre de la famille:

Si le demandeur indique qu’il travaille pour un membre de la famille et que le membre de la famille le paie pour ses services, veuillez tenir compte des renseignements ci-après :

• Une personne sans lien de dépendance accepterait-elle les mêmes conditions d’emploi?

• Le membre de la famille a-t-il employé une autre personne pour ensuite embaucher le demandeur?

• Le demandeur a-t-il travaillé pour le membre de la famille pour un nombre d’années et a-t-il déclaré les revenus?

• Un contrat de service existe-t-il? Si non, le revenu généré par un membre de la famille pourrait être considéré comme un « cadeau ». Il doit y avoir une entente de paiement, rédigée au moment de l’enclenchement du service.

• Le demandeur a-t-il fourni les mêmes services aux autres clients sans lien de dépendance?

Bien que ces renseignements ne sont pas conclusifs, ils pourraient aider à déterminer si le revenu provenant d’un membre de la famille est considéré comme un « cadeau » ou un revenu d’emploi.

[58] En l’espèce, Mme Lalonde n’a pas été en mesure de démontrer qu’elle gagnait un revenu de travail indépendant de plus de 5 000$ au cours des douze mois précédents sa demande.

[59] Le deuxième agent a indiqué avoir consulté la preuve déposée par la demanderesse, incluant des chèques et relevés bancaires, et avoir aussi consulté les déclarations de revenus de Mme Lalonde qui étaient déjà en possession de l’ARC.

[60] Tel que discuté, la preuve consultée par le deuxième agent démontre que plusieurs des chèques de Mme Lalonde contiennent le terme « loyer » ou « rent » lors des années 2018 et 2019 (aucun chèque ne fut mis en preuve pour 2020), et les déclarations de revenus de 2018, 2019 et 2020 au dossier ne démontrent que des revenus de location. Or, les revenus de location ne sont pas des revenus admissibles pour les fins de l’admissibilité à la PCRE. La demande de Mme Lalonde a donc été rejetée en partie sur cette base.

[61] De plus, lors de sa discussion avec le deuxième agent, Mme Lalonde a indiqué travailler pour l’entreprise de son mari depuis 5 ans. Ensuite, plutôt que de recevoir un revenu d’emploi, elle a plutôt choisi de facturer son travail en tant que propriétaire d’une petite entreprise. Cependant, la preuve démontre que ses revenus furent comptabilisés en tant que revenu de location pour les fins de ses déclarations de revenus. Mme Lalonde a blâmé son comptable pour l’erreur, bien qu’elle ait admis travailler pour la compagnie de son mari depuis au moins 5 ans, et que cette erreur s’est répétée chaque année.

[62] En effet, le deuxième agent a examiné les déclarations de revenus de Mme Lalonde pour les années 2018, 2019 et 2020. Chacune des déclarations de revenus ne démontrent que des revenus de location et aucun revenu de travail autonome. Or, comme la demanderesse l’a indiqué dans ses appels avec le deuxième agent, elle travaillait presqu’à temps plein pour la compagnie et, depuis la COVID-19, une à deux journées par semaine selon les besoins de la compagnie. Aucune des trois déclarations de revenus au dossier ne démontrent de tels revenus de travail. Mme Lalonde a donc signé des déclarations de revenus contenant des omissions ou des erreurs depuis plusieurs années.

[63] Lors de l’audience, lorsque questionnée sur ses revenus, et plus particulièrement sur le terme « loyer » ou « rent » présent sur les chèques qui sont en preuve, Mme Lalonde a admis que dans ces montants, il y avait une partie qui devait être attribuée à un revenu de location, alors qu’une autre partie était pour le travail effectué pour le compte de la compagnie de son mari.

[64] Pour 2019 cependant, Mme Lalonde a allégué que son comptable avait fait l’erreur de classifier son salaire comme un « loyer », puisqu’un immeuble locatif dont elle était propriétaire avait été vendu en 2019. Elle a ajouté que le montant de 6 242$ inscrit comme revenu de location en 2019 était donc erroné, et devait être inscrit en totalité comme revenu de travail autonome. Mme Lalonde se fonde sur cette vente en 2019 pour affirmer que tous ses revenus de cette année particulière le sont pour un revenu de travail admissible, et aucune partie ne doit être assigné à un revenu de location.

[65] Or, il n’y a aucune preuve au dossier sur la vente d’un immeuble qui viendrait appuyer l’affirmation de Mme Lalonde. Il est donc impossible de déterminer avec certitude si, de fait, une partie des 6 242$ déclarés dans la déclaration de revenus de 2019 est attribuable à un loyer ou non, ni de confirmer si une autre partie était liée à son travail. La preuve démontre plutôt que certains chèques de 2019 contiennent le terme « loyer » ou « rent », alors que d’autres chèques de 2019 ne contiennent pas ce terme. Il est donc possible que certains montants pour 2019 soient pour du travail, alors que d’autres le soient pour un loyer, tel que les chèques de 2019 semblent l’indiquer. De fait, six chèques en preuve de 2019 ne contiennent pas le terme « loyer » ou « rent », quoique cela demeure incertain puisque des « purchase order » en lien avec quelques-uns de ces chèques indiquent que la facture est pour « loyer et administration ».

[66] De plus, toujours lors de l’audience, Mme Lalonde a indiqué qu’en 2020, le montant inscrit à sa déclaration de revenus de 4 300$ pour un revenu de location était en partie pour une location parce qu’à partir de ce moment, elle louait une pièce de sa maison à la compagnie de son mari pour laquelle elle travaillait. Or, la déclaration de revenus de 2020 n’indique aucun revenu de travail, malgré le fait que Mme Lalonde ait travaillé une à deux journées par semaine, tel que discuté plus haut. Aussi, Mme Lalonde n’a déposé aucun chèque en preuve pour l’année 2020.

[67] Bref, non seulement ces informations n’étaient pas devant le deuxième agent, mais la preuve de la demanderesse n’est pas fiable peu importe l’année en question. Si, avant 2019, ses déclarations de revenus ne démontraient que des revenus de location, alors que les chèques émis avec le terme « loyer » comprenaient aussi une partie pour du travail autonome, il est possible que la même situation se soit produite en 2019 et en 2020.

[68] Il est aussi important de noter que même si elle avait présenté un revenu de 5 000$ admissible dans sa déclaration de revenus de 2019, la preuve d’une déclaration de revenus n’est pas une preuve concluante. Elle aurait donc dû fournir d’avantage d’éléments de preuve pour démontrer qu’elle avait réellement rempli ce critère de la LPCRE. Ainsi, comme l’indique la Cour dans Aryan :

[35] Aucun élément de preuve n’appuie l’argument de la demanderesse selon lequel l’agente était tenue d’accepter sa cotisation d’impôt sur le revenu de 2020 comme seule et unique preuve faisant foi de son revenu. Bien que les cotisations d’impôt sur le revenu soient des documents permettant de fournir à l’ARC des renseignements sur le revenu en ce qui concerne l’admissibilité à la PCRE, ils ne « prouvent » pas que la demanderesse a réellement gagné le revenu indiqué dans sa déclaration de revenu ni que son revenu provenait d’une source admissible avant le 27 septembre 2020, en application des sous‑alinéas 3(1)d)(i) à 3(1)d)(v) de la LPCRE.

[36] Dans ses réponses au contre‑interrogatoire écrit, l’agente affirme qu’elle a tenu compte du revenu indiqué dans la cotisation d’impôt sur le revenu de 2020 de la demanderesse, mais elle précise que l’ARC exige des documents étayant le revenu indiqué dans la déclaration de revenu de la demanderesse. En outre, dans leur formation, les agents apprennent qu’ils ne doivent pas accepter la déclaration de revenu du contribuable comme seule et unique preuve de revenu. L’agente a donné l’explication suivante : [traduction] « La déclaration de revenu est un document résultant d’une autoévaluation, et en tant que responsables de la révision, nous devons nous assurer que le contribuable a bel et bien gagné et reçu le revenu déclaré, comme le ferait un vérificateur. »

[69] Le système fiscal du Canada est un système d’auto-déclaration. Il part du principe que la contribuable est capable de fournir tous les documents pertinents à l’appui de sa déclaration (Walker v Canada (Attorney General), 2022 FC 381 au para 37).

[70] En l’espèce, le deuxième agent indique, dans la section « Commentaires additionnels ou préoccupations » de ses notes, que Mme Lalonde est « en train de modifier sa déclaration pour changer ses revenus de location pour des revenus admissibles ». Sachant cela, et étant en possession des déclarations de revenus de la demanderesse de 2018 à 2020, le deuxième agent décide tout de même que Mme Lalonde n’est pas en mesure de démontrer un revenu de 5 000$ admissible. Le deuxième agent justifie sa décision avec la preuve devant lui, comprenant des chèques et relevés bancaires qui démontrent des dépôts de chèques pour le « loyer ». Donc, en toute connaissance de cause, le deuxième agent a rejeté la crédibilité de la demanderesse quant à ses explications, incluant une modification de sa déclaration de revenus de 2019.

[71] Comme l’explique la Cour dans Aryan, il était raisonnable pour l’agent de ne pas considérer une déclaration de revenus comme étant concluante d’un revenu admissible, et de tirer ses conclusions à partir d’autres éléments de preuve devant lui. Par conséquent, la décision du deuxième agent sur le critère du revenu admissible de 5 000$ est raisonnable, nonobstant qu’il savait qu’une déclaration amendée pouvait lui être soumise démontrant un changement dans le revenu de 6 242$ de Mme Lalonde. En d’autre mots, comme dans Aryan et Ntuer, la déclaration de revenus amendée de 2019 n’aurait pas permis à Mme Lalonde de se décharger de son fardeau de preuve, à la lumière de la preuve dans son ensemble.

[72] En somme, tel que le soumet le défendeur, et à la lumière des déclarations de revenus de 2018 à 2020, des chèques indiquant un paiement pour le « loyer », et des tentatives d’explications de Mme Lalonde lors des appels avec lui, il était raisonnable pour le deuxième agent de rejeter la crédibilité de Mme Lalonde.

[73] Selon moi, en raison de la preuve dans son ensemble devant lui, incluant des chèques sur plusieurs années incluant le terme « loyer » et des déclarations de revenus de 2018 à 2020 ne démontrant que des revenus de location (et aucun revenu de travail autonome malgré que la demanderesse ait indiqué travailler depuis 5 ans pour l’entreprise de son mari), il était raisonnable pour le deuxième agent de rejeter la crédibilité de Mme Lalonde quant à ses revenus de travail autonome et de déterminer que celle-ci ne s’était pas déchargée de son fardeau de preuve.

[74] Ainsi, je ne souscris pas aux arguments de Mme Lalonde que la production d’une déclaration de revenus amendée pour l’année 2019 aurait constitué une preuve suffisante afin de satisfaire le deuxième agent. Avec les informations fournies dans le mémoire et la plaidoirie de Mme Lalonde, il nous est toujours impossible de savoir avec suffisamment de certitude si elle a réellement gagné 5 000$ en revenus de travail admissibles pour une période pertinente.

[75] Tel que discuté, il incombe à la demanderesse d’établir qu’elle satisfait les critères d’admissibilité à la PCRE et de soumettre des éléments suffisants et corrects (Ntuer au para 26). La conclusion du deuxième agent à l’effet que la preuve présentée par Mme Lalonde n’était pas suffisante, ni suffisamment crédible, n’est pas déraisonnable. Le raisonnement du deuxième agent quant à ce critère d’admissibilité est cohérent, fondé sur la preuve qui lui a été soumise et se justifie à l’égard de la LPCRE. Ses motifs illustrent une logique interne satisfaisante. Il n’appartient pas à cette Cour d’y substituer l’issue qui lui serait préférable.

(2) Présence au Canada durant les périodes de deux semaines réclamées

[76] Selon l’article 6 de la LPCRE, Mme Lalonde devait prouver, à la satisfaction du deuxième agent, qu’elle était au Canada pour chacune des périodes dont elle réclamait un paiement. À cet effet, il lui incombait de fournir tout renseignement exigé par l’ARC relativement à la demande.

[77] Or, lors d’une discussion entre Mme Lalonde et le deuxième agent, celle-ci a indiqué être sortie du Canada en 2020-2021 pour des vacances, mais ne pas être en mesure ou ne pas vouloir divulguer les dates où elle était absente.

[78] Dans son affidavit, que je rejette pour les raisons discutées plus haut, Mme Lalonde dit n’avoir été à l’extérieur du Canada que pour les 5 et 25 avril 2021 et ne pas avoir réclamé la PCRE pour ces dates. Lors de l’audience, elle a aussi expliqué être allée en Floride en voiture pour l’administration de ses vaccins, et que le voyage en voiture prend plus de 24 heures. Par contre, la preuve démontre que pour la période 14, soit du 28 mars au 10 avril 2021, une demande a bel et bien été faite, ainsi que pour la période 15, soit du 11 avril au 24 avril 2021, soit juste avant le 25 avril 2021 où la demanderesse a reçu son deuxième vaccin.

[79] Lors de l’audience, la demanderesse a apporté une précision à cet effet en expliquant qu’elle devait préalablement quitter pour les États-Unis en mars 2021 afin de recevoir ses deux doses de vaccin, mais que son rendez-vous avait été repoussé à avril 2021. Mme Lalonde a ajouté qu’elle n’avait pas fait de demande de PCRE pour les semaines en mars puisque c’était à ce moment qu’elle devait quitter le Canada. La raison pourquoi elle aurait obtenu un montant de PCRE durant les semaines d’avril était essentiellement pour compenser le fait qu’elle n’en avait pas reçu pour les semaines du mois de mars pour lesquelles elle devait s’absenter pour recevoir ses vaccins aux États-Unis.

[80] Or, contrairement aux prétentions de la demanderesse, la preuve au dossier démontre que Mme Lalonde a bel et bien fait une demande et reçu la PCRE pour la période 12, soit du 28 février au 13 mars 2021, pour la période 13, soit du 14 du 28 mars 2021, en plus de la période 14 soit du 28 mars au 10 avril 2021. À ces demandes s’ajoute, tel que discuté, la demande pour la période 15 (juste avant le 25 avril).

[81] Il va sans dire que la crédibilité de la demanderesse est donc ébranlée. Ainsi, même si son affidavit avait été accepté en preuve, celui-ci n’aurait pas été concluant sur cette question. De plus, les notes du deuxième agent mentionnent que Mme Lalonde lui aurait mentionné qu’elle avait quitté le Canada en 2020-2021 pour des vacances. L’audience n’a pu clarifier cette mention, quoique Mme Lalonde a avoué posséder une propriété en Floride, tout en notant qu’elle pouvait travailler de cet emplacement par télétravail.

[82] Quoi qu’il en soit, ces informations n’étaient pas devant le deuxième agent et Mme Lalonde n’a pu lui démontrer qu’elle était au Canada pour chacune des périodes de deux semaines dont elle réclamait une prestation de la PCRE, et ce malgré une demande spécifique à cet égard par le deuxième agent. La décision du deuxième agent est raisonnable sur la base de la preuve et de la documentation qui était devant lui.

(3) Réduction de revenu de 50% ou plus en raison de la COVID-19

[83] Peu importe si la demanderesse était au Canada pour les périodes, ou même si elle avait amendé sa déclaration de revenus de 2019, sa demande doit échouer puisqu’elle ne se conforme pas au critère de réduction de 50% du revenu en raison de la COVID-19.

[84] Mme Lalonde a expliqué au deuxième agent que la compagnie de son mari, pour qui elle travaille depuis au moins 5 ans, avait subi une perte d’achalandage de 60% en raison de la pandémie. Par conséquent, elle a expliqué qu’elle ne travaillait qu’une à deux journée par semaine alors qu’elle y travaillait presqu’à temps plein avant la COVID-19. Par contre, Mme Lalonde a aussi dit au deuxième agent qu’en accord avec son mari, durant la COVID-19, elle travaillait certaines heures sans facturer afin de prioriser le paiement des fournisseurs dans cette période économique plus difficile.

[85] En raison de cette preuve, il n’était pas déraisonnable pour le deuxième agent de conclure que Mme Lalonde n’a pas été en mesure de se décharger de son fardeau et de prouver que son revenu avait bel et bien diminué de 50% ou plus en raison de la COVID-19.

[86] D’abord, puisqu’elle a fait du travail sans facturer, il est impossible d’établir avec suffisamment de certitude que ses revenus auraient diminué de 50% ou plus si Mme Lalonde avait facturé toutes les heures qu’elle a effectivement travaillé.

[87] Ensuite, tel que discuté plus haut, Mme Lalonde indique avoir travaillé depuis le début de la COVID-19 environ une à deux journées par semaine. Or, aucune facture ou chèque ne furent présentés au deuxième agent pour l’année 2020 et la déclaration de revenus de 2020 n’indique qu’un montant de 4 300$ en revenus de location. Le revenu de travail véritable de Mme Lalonde n’ayant pas été divulgué, il est donc impossible de déterminer si ce revenu pour 2020 est inférieur de 50% à son revenu de travail antérieur, afin de déterminer son admissibilité.

[88] Quoi qu’il en soit, la décision du deuxième agent à l’effet que Mme Lalonde n’a pas été en mesure de démontrer une baisse de 50% de son revenu en raison de la COVID-19 n’est pas déraisonnable eu égard à la preuve qu’il avait devant lui.

(4) Capacité et recherche d’emploi

[89] Enfin, pour obtenir la PCRE, Mme Lalonde devait démontrer que, malgré une diminution de ses heures de travail menant à une perte de 50% de son revenu, elle a tenté d’obtenir un emploi d’appoint afin de combler sa perte.

[90] Le deuxième agent a posé la question à Mme Lalonde lors de leur discussion téléphonique, et Mme Lalonde lui a répondu qu’elle ne recherchait pas un autre emploi puisque son emploi actuel se poursuivait, malgré une perte en heures de travail.

[91] Lors de l’audience, la demanderesse a réitéré qu’elle n’était pas du tout à la recherche d’un emploi puisqu’elle attendait que le travail reprenne dans la compagnie de son mari.

[92] Dans les circonstances, la conclusion du deuxième agent que Mme Lalonde n’a pas recherché d’emploi pour combler sa perte de revenu est raisonnable. L’article 3(1)(i) de la LPCRE est clair à cet égard. Pour chacune des périodes de deux semaines réclamée, la contribuable doit démontrer avoir fait des recherches pour trouver du travail, surtout puisqu’elle exerce un travail autonome. Elle devait activement chercher des occasions d’emploi et offrir ses services à d’autres clients potentiels, notamment par une publicité tel que décrit dans les lignes directrices sur la PCRE.

[93] Mme Lalonde ne l’a pas fait, ce qui est d’ailleurs compatible avec son affirmation au paragraphe 19 de son mémoire à l’effet qu’elle est retraitée et travaille auprès de la compagnie de son mari depuis pour un salaire très modeste.

[94] Ce faisant, Mme Lalonde ne répond pas à un critère obligatoire de la LPCRE. Il n’était donc pas déraisonnable pour le deuxième agent de rejeter sa demande sur cet élément obligatoire.

VI. Conclusion

[95] Après avoir examiné les pièces justificatives de Mme Lalonde, le rapport d’analyse du deuxième agent et les documents du dossier sous‑jacent, et après avoir pris en considération les arguments des parties, je conclus, pour tous les motifs qui précèdent, que la décision du deuxième agent est raisonnable. Elle satisfait aux critères énoncés puisqu’elle est intrinsèquement cohérente en plus d’être transparente, justifiée et intelligible.

[96] La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[97] Le défendeur a demandé que des dépens lui soient adjugés en l’espèce, mais j’exerce mon pouvoir discrétionnaire à cet égard et conclus qu’il n’y a pas lieu d’adjuger des dépens dans la présente affaire.

[98] Finalement, je note qu’à la demande du défendeur, en conformité avec la règle 303 des Règles, l’intitulé de la cause est modifié de façon à ce que le Procureur général du Canada soit désigné comme défendeur.


JUGEMENT dans le dossier T-660-22

LA COUR STATUE que:

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Guy Régimbald »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER:

T-660-22

 

INTITULÉ:

LILLIAN LALONDE c AGENCE DU REVENUE DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE:

PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE:

LE 29 NOVEMBRE 2022

JUGEMENT ET MOTIFS:

LE JUGE Régimbald

 

DATE DES MOTIFS:

LE 10 JANVIER 2023

 

COMPARUTIONS:

Lillian Lalonde

POUR LE DEMANDERESSE

(PAR ELLE-MÊME)

 

Me Audrey Turcotte

POUR LE DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Procureur général du Canada

Montréal, Québec

 

POUR LE DÉFENDERESSE

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.