Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20230109


Dossier : T-247-21

Référence : 2023 CF 34

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 9 janvier 2023

En présence de madame la juge Sadrehashemi

ENTRE :

SUSANNA MARIE CLARKE

demanderesse

et

L’AGENCE DU REVENU DU CANADA

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, Susanna Marie Clarke (Mme Clarke), a demandé au ministre du Revenu national (le ministre) d’annuler les intérêts débiteurs relativement à sa dette fiscale pour les années d’imposition 2010, 2011, 2012, 2013, 2014 et 2015 ou d’y renoncer. La demande de Mme Clarke n’a été accueillie qu’en partie. Elle conteste cette décision par voie de contrôle judiciaire.

[2] Je conclus que Mme Clarke n’a pas démontré l’existence de lacunes graves dans la décision du ministre d’accueillir en partie sa demande d’allègement. Comme je l’explique plus loin, la décision du ministre est raisonnable. Dans la plupart des arguments qu’elle présente dans le cadre du contrôle judiciaire, Mme Clarke conteste l’exactitude de la nouvelle cotisation, question que je ne peux examiner en contrôle judiciaire.

[3] Pour les motifs exposés ci-après, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

II. Contexte

[4] En vertu du paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (la LIR), le ministre a le pouvoir discrétionnaire d’annuler toute pénalité ou tout intérêt payable ou d’y renoncer, en tout ou en partie. L’Agence du revenu du Canada (l’ARC) publie des lignes directrices qui énoncent les facteurs devant être pris en compte pour déterminer si tout ou partie d’un montant de pénalité ou d’intérêts peut être annulé, notamment s’il existe des circonstances exceptionnelles qui sont indépendantes de la volonté du contribuable, si les pénalités et les intérêts découlent principalement des actions de l’ARC et si la conduite et les antécédents du contribuable le justifient (Agence du revenu du Canada, circulaire d’information IC-07-1R1, « Dispositions d’allègement pour les contribuables » (18 août 2017)).

[5] Le 5 novembre 2019, Mme Clarke a présenté une demande à l’ARC pour faire annuler les montants de la pénalité et des intérêts relatifs à sa dette fiscale pour les années d’imposition 2010 à 2015, ou pour que le ministre y renonce (le premier examen). La demande présentée par la demanderesse était fondée sur une erreur que l’ARC aurait commise, un retard qui serait attribuable à l’ARC, ses difficultés financières et son incapacité de payer, ainsi que ses problèmes de santé.

[6] En date du 18 décembre 2019, un avis de cotisation a été établi à l’endroit de Mme Clarke concernant des intérêts débiteurs de 5 002,70 $ pour l’année d’imposition 2010 et de 4 571,17 $ pour l’année d’imposition 2011, soit une somme totale de 9 573,87 $ pour les deux années. Aucun montant de pénalité ou d’intérêts pour les années d’imposition 2012 à 2015 n’a fait l’objet d’un avis de cotisation. Bien que Mme Clarke ait demandé un allègement pour les années d’imposition 2010 à 2015, l’ARC n’a tenu compte que des années d’imposition 2010 et 2011 pour lesquelles des intérêts avaient été imposés.

[7] L’ARC a porté les montants d’impôt à rembourser par Mme Clarke au cours des années subséquentes en réduction du montant dû pour 2010 et 2011. Mme Clarke n’a effectué aucun paiement volontaire au titre des montants exigibles. Bien que Mme Clarke ait payé l’intégralité du montant dû pour 2010, une somme de 5 601,31 $ était toujours impayée pour 2011 au moment du premier examen.

[8] Le 16 janvier 2020, l’agent de l’ARC qui avait mené le premier examen a accueilli en partie la demande présentée par la demanderesse, a recommandé que l’ARC accorde un allègement à l’égard des intérêts débiteurs imposés pour les années d’imposition 2010 et 2011, soit du 6 octobre 2013 au 8 novembre 2013, en raison de retards constatés dans les vérifications. L’agent a conclu qu’aucun autre allègement n’était justifié. Dans une décision datée du 20 janvier 2020, le chef d’équipe de l’ARC, qui a passé en revue le premier examen, a approuvé cette recommandation.

[9] Le 13 mars 2020, Mme Clarke a demandé un deuxième examen concernant les frais pour production tardive, les pénalités et les intérêts pour les années d’imposition 2012 à 2016 (le deuxième examen). Au moment du deuxième examen, Mme Clarke devait 6 361,33 $. Le 22 janvier 2021, l’agent de l’ARC qui a mené le deuxième examen a recommandé que la demande soit approuvée; il a accordé un allègement à l’égard des intérêts débiteurs du 17 janvier 2019 au 17 mars 2020 en raison de l’invalidité permanente de la demanderesse et du 1er octobre 2020 à la date de la lettre de la décision définitive en raison des retards de traitement causés par la pandémie de COVID-19. L’agent a également conclu que la demanderesse avait, en connaissance de cause, laissé subsister un solde en souffrance, n’avait pas pris des précautions raisonnables quant à la conduite de ses affaires et n’avait pas agi avec diligence pour remédier au retard ou à l’omission. L’agent a donc refusé tout autre allègement.

[10] Dans une décision datée du 26 janvier 2021, le chef d’équipe de l’ARC du Centre d’expertise pour l’allègement pour les contribuables qui a revu la décision du deuxième examen (le chef d’équipe des appels de l’ARC) a accepté la recommandation d’approuver en partie la demande. C’est cette décision que Mme Clarke conteste dans le cadre du contrôle judiciaire.

[11] Le chef d’équipe des appels de l’ARC a souligné que les intérêts débiteurs seraient annulés du 17 janvier 2019 au 16 mars 2020 compte tenu des problèmes de santé de Mme Clarke, et du 1er octobre 2020 au 26 janvier 2021 en raison de retards de traitement par l’ARC. Le chef d’équipe des appels de l’ARC a fait remarquer que les intérêts débiteurs ne s’accumulaient pas entre le 18 mars 2020 et le 30 septembre 2020 en raison des mesures d’allègement des intérêts liées à la COVID-19.

[12] Le chef d’équipe des appels de l’ARC a conclu qu’il n’était pas justifié d’accorder d’autres allègements puisque Mme Clarke disposait d’un revenu de ménage suffisant pour payer le solde dû à l’ARC sans que cela lui cause de difficultés excessives. Il a également souligné que le rajustement du montant de la cotisation dépassait la portée des dispositions d’allègement pour les contribuables.

III. Question en litige et norme de contrôle

[13] La question en litige dans le cadre du présent contrôle judiciaire porte sur la décision du chef d’équipe des appels de l’ARC de n’accorder qu’en partie l’allègement des intérêts pour les années d’imposition 2010 et 2011, et de ne pas accorder les autres allègements demandés par Mme Clarke.

[14] Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la Cour suprême du Canada a confirmé que la norme de contrôle qui est présumée s’appliquer dans le cadre du contrôle judiciaire d’une décision administrative sur le fond est celle de la décision raisonnable. La présente affaire ne soulève aucune question qui justifierait de s’écarter de cette présomption.

[15] Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada a décrit la norme de la décision raisonnable comme étant une norme de contrôle fondée sur la déférence, mais qui est néanmoins un « type de contrôle […] rigoureux », dont l’analyse a pour point de départ les motifs du décideur (Vavilov, au para 13). Les motifs écrits du décideur sont interprétés « eu égard au dossier et en tenant dûment compte du régime administratif dans lequel ils sont donnés » (Vavilov, au para 103).

[16] Selon la description de la Cour, une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85). Le décideur administratif doit veiller à ce que l’exercice de tout pouvoir public soit « justifié, intelligible et transparent non pas dans l’abstrait, mais pour l’individu qui en fait l’objet » (arrêt Vavilov, au para 95).

IV. Analyse

[17] Mme Clarke a présenté une demande d’allègement fondée sur quatre motifs : l’erreur de l’ARC, le retard de l’ARC, ses difficultés financières et ses problèmes de santé. Dans le cadre du contrôle judiciaire, Mme Clarke conteste la décision du ministre à l’égard de sa demande d’allègement fondée sur une erreur commise par l’ARC et le retard attribuable à cette dernière. Mme Clarke n’a présenté aucun argument pour contester les décisions rendues par le ministre en ce qui concerne ses difficultés financières ou ses problèmes de santé.

A. Erreur de l’ARC

[18] Dans le cadre du présent contrôle judiciaire, Mme Clarke demande essentiellement à la Cour de réviser le montant de la nouvelle cotisation qui a été établi par l’ARC. Mme Clarke soutient que [traduction] « l’ARC a commis une erreur dans sa nouvelle cotisation, du fait que les intérêts et les pénalités imposés précédemment qui étaient consignés dans [son] dossier, mais qui n’étaient pas exigibles, n’ont pas été portés en réduction des montants dus ».

[19] La demanderesse et son époux ont interjeté appel de leurs avis de cotisation pour 2010 et 2011 devant la Cour canadienne de l’impôt. Une entente de règlement a été conclue entre les parties. La Cour canadienne de l’impôt a rendu son jugement en septembre 2017 en fonction du consentement à jugement. Les jugements rendus dans l’affaire de Mme Clarke et dans celle de son époux, James Clarke, (dossiers 2016-3786(IT)I et 2016-3787(IT)I) sont identiques. La Cour canadienne de l’impôt a accueilli l’appel relatif à l’année d’imposition 2011 et a renvoyé la nouvelle cotisation à l’ARC pour nouvel examen et nouvelle cotisation. C’est cette nouvelle cotisation que Mme Clarke conteste. Elle soutient que l’ARC a supprimé les intérêts et les pénalités du compte de son époux, mais pas du sien. Selon elle, il s’agit d’une erreur fondée sur l’attente légitime que les dossiers soient traités de la même manière.

[20] La Cour n’a pas compétence pour traiter de la question de l’exactitude de la nouvelle cotisation. Selon moi, la plainte de Mme Clarke ne soulève pas simplement une erreur de traitement; sa plainte m’obligerait plutôt à examiner en détail la nouvelle cotisation et à déterminer si l’ARC l’a établie correctement. Ce n’est pas là mon rôle. Comme l’explique la juge Walker :

La Cour de l’impôt a compétence exclusive pour se prononcer sur l’exactitude des cotisations et des nouvelles cotisations de l’ARC en vertu du paragraphe 152(8) et de l’article 169 de la LIR, de l’article 12 de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, LRC 1985, c T‑2, et des articles 18.1 et 18.5 de la [Loi sur les Cours fédérales] (Martel c Canada (Procureur général), 2019 CF 840 au para 34, citant l’arrêt Canada c Roitman, 2006 CAF 266 au para 19. Voir aussi la décision Zaki c Canada (Ministre du Revenu national), 2018 CF 928 au para 20).

[21] Par conséquent, dans le contexte du contrôle judiciaire relatif à une demande d’allègement d’intérêts et de pénalités, je ne vois aucune raison de me prononcer quant aux erreurs que contiendraient les nouvelles cotisations établies par l’ARC.

B. Retard attribuable à l’ARC

[22] Mme Clarke soutient également que les nombreux retards imputables à l’ARC justifient l’octroi d’un allègement. Dans ses observations, Mme Clarke n’indique pas de façon précise quels délais ont donné lieu à des retards en raison des actions de l’ARC.

[23] Le ministre a reconnu que l’ARC avait causé des retards et a accordé un allègement en fonction de ces derniers. Mme Clarke n’a fait état d’aucune lacune grave dans cette analyse. D’après les documents qui m’ont été présentés, je ne vois aucune raison de modifier la décision rendue par le ministre quant au retard attribuable à l’ARC et à l’octroi d’un allègement partiel.

V. Décision

[24] La demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Les deux parties réclament des dépens. Compte tenu de l’ensemble des circonstances en l’espèce, j’exerce mon pouvoir discrétionnaire et je ne rends aucune ordonnance quant aux dépens.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-247-21

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Lobat Sadrehashemi »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mélanie Lefebvre

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-247-21

 

INTITULÉ :

SUSANNA MARIE CLARKE c AGENCE DU REVENU DU CANADA, PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 25 JUILLET 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SADREHASHEMI

 

DATE DES MOTIFS :

LE 9 JANVIER 2023

 

COMPARUTIONS :

James Clarke

 

Pour la demanderesse

À TITRE DE REPRÉSENTANT

Karen Truscott

 

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le défendeur

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.