Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision


Date : 20221228

Dossier : IMM-4786-20

Référence : 2022 CF 1799

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 28 décembre 2022

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

BEATA TOROK

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée au titre de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], à l’encontre d’une décision datée du 17 septembre 2020 par laquelle un agent principal (l’agent) a rejeté la demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire [la décision] de la demanderesse.

[2] La demanderesse a également demandé un permis de séjour temporaire (PST) de cinq ans en cas de rejet de sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. L’agent a examiné la demande de PST et a refusé d’en délivrer un.

[3] Pour les motifs qui suivent, la présente demande sera rejetée.

II. Contexte factuel

[4] La demanderesse est entrée au Canada pour la première fois à titre de touriste en 2000 et a présenté une demande d’asile, qui a été rejetée en 2002.

[5] En 2003, la demanderesse a épousé un résident permanent du Canada. Son époux a alors présenté une demande de parrainage conjugal. Celle-ci a été refusée parce que la demanderesse était présumée interdite de territoire. À la suite de la prise d’une mesure de renvoi, la demanderesse a quitté le Canada en 2003.

[6] La demanderesse réside au Canada depuis 2005. En 2006, elle a épousé un résident permanent du Canada, Imre Toth, qu’elle avait connu lorsqu’ils étaient tous les deux en Hongrie. Elle a donné naissance à leur enfant au Canada en 2017.

III. Décision contestée

[7] L’agent a tenu compte des 13 années d’établissement de la demanderesse au Canada, de sa réadaptation présumée à la suite de son passé criminel et du fait qu’elle avait obtenu le titre d’entraîneuse personnelle et qu’elle avait travaillé régulièrement à ce titre après son mariage.

[8] L’agent a également pris en considération le fait que la demanderesse entretenait une relation de longue durée avec son époux canadien et qu’elle aurait normalement été admissible au parrainage conjugal si elle n’était pas revenue au Canada sans en obtenir la permission.

[9] L’agent a tenu compte des conditions défavorables en Hongrie et des difficultés auxquelles serait confrontée la demanderesse si elle devait s’y réinstaller, y compris des observations concernant l’intérêt supérieur de son fils de trois ans, né au Canada.

[10] En ce qui concerne l’intérêt supérieur du jeune enfant, les observations présentées à l’agent étaient axées sur deux problèmes : 1) l’enfant serait séparé de l’un de ses parents ou des deux si la demanderesse était renvoyée en Hongrie; 2) l’enfant perdrait des possibilités d’étudier et de travailler au Canada.

[11] Après avoir noté que plusieurs membres de la famille de la demanderesse résidaient en Hongrie, l’agent a conclu que celle-ci avait plus de liens avec la Hongrie qu’avec le Canada et qu’elle connaissait la langue, les coutumes et les habitudes de la Hongrie.

[12] L’agent a conclu que le degré d’établissement de la demanderesse n’était pas suffisamment important pour dire que le fait de couper ses liens avec le Canada pour présenter une demande de résidence permanente depuis l’étranger justifierait l’octroi d’une dispense.

[13] L’agent a mentionné que l’époux de la demanderesse était né et qu’il avait grandi en Hongrie et que peu de renseignements démontraient qu’il ne serait pas en mesure d’accompagner la demanderesse en Hongrie pour s’y établir de nouveau ou qu’il ne voudrait pas le faire.

[14] En ce qui concerne la demande de PST, l’agent a examiné les éléments de preuve présentés par la demanderesse. Il a conclu que celle-ci ne s’était pas acquittée du fardeau de démontrer l’existence de circonstances exceptionnelles et de raisons impérieuses justifiant l’octroi d’un PST.

IV. Questions en litige

[15] Les questions à trancher sont de savoir si l’agent a raisonnablement conclu que la demanderesse : 1) ne méritait pas une dispense de l’application des exigences relatives à la résidence permanente pour des considérations d’ordre humanitaire et 2) ne s’était pas acquittée de son obligation de prouver qu’elle était admissible à un PST.

V. Norme de contrôle applicable

[16] La Cour suprême du Canada a établi que, lors du contrôle judiciaire d’une décision administrative sur le fond (le contrôle judiciaire d’une mesure administrative qui ne comporte pas d’examen d’un manquement à la justice naturelle ou à l’obligation d’équité procédurale), la norme de contrôle présumée est celle de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 23.

[17] Le contrôle en fonction de la norme de la décision raisonnable doit s’intéresser à la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision. Le rôle des cours de justice consiste, en pareil cas, à réviser la décision et, en général à tout le moins, à s’abstenir de trancher elles‑mêmes la question en litige : Vavilov, au para 83.

[18] Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et être justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti. La norme de la décision raisonnable exige de la cour de révision qu’elle fasse preuve de retenue envers une telle décision : Vavilov, au para 85.

VI. Analyse

[19] La demanderesse a soulevé plusieurs questions concernant la décision de l’agent. J’estime qu’il me suffit d’examiner les principaux arguments relatifs à l’établissement et à l’intérêt supérieur de l’enfant.

A. Établissement

[20] L’agent a conclu que peu d’éléments de preuve avaient été produits pour démontrer que la demanderesse était bien établie au Canada.

[21] Les observations de la demanderesse concernant son établissement étaient fondées sur son emploi, sur ses compétences en tant qu’entraîneuse personnelle et sur des lettres d’appui d’amis et de membres de sa famille. Au vu du dossier et des observations de la demanderesse, l’agent a tiré deux conclusions distinctes au sujet de l’emploi de cette dernière.

[22] Premièrement, l’agent a conclu que, à quelque moment que ce soit, la demanderesse [traduction] « n’a pas reçu d’autorisation valide des autorités canadiennes en matière d’immigration pour exercer un emploi [...] Étant donné qu’elle a travaillé au Canada pendant environ neuf ans sans statut d’immigration valide, j’estime qu’il s’agit d’un facteur défavorable important démontrant que la demanderesse ne s’est pas conformée à la législation canadienne sur l’immigration. »

[23] Au sujet de ses antécédents professionnels, la demanderesse a présenté son document d’accréditation à titre d’entraîneuse personnelle, lequel avait expiré en 2014. L’agent a conclu qu’il disposait de peu de renseignements démontrant que la demanderesse avait mis sa formation à jour ou qu’elle avait ét une entraîneuse personnelle accréditée après 2014.

[24] Deuxièmement, l’agent a conclu qu’il y avait [traduction] « peu d’éléments de preuve à l’appui, comme des taux de rémunération ou des détails sur les conditions d’emploi de la demanderesse en tant qu’entraîneuse personnelle ou en tant que bonne d’enfants non résidante. » Cette conclusion porte sur le caractère insuffisant de la preuve et non sur la crédibilité.

[25] Les observations écrites de la demanderesse sont peu étoffées. En ce qui concerne l’établissement, elles se limitent aux deux paragraphes suivants :

[traduction]
Depuis son arrivée au Canada, Beata s’est bien établie. Elle a obtenu son accréditation en tant qu’entraîneuse personnelle et travaillait à ce titre de façon constante après son mariage avec Imre. Elle s’est bâti un vaste cercle social et s’est fait de nombreux amis proches au Canada. Beata a également noué des liens grâce à son travail en tant qu’entraîneuse personnelle et grâce aux relations de son frère et de son époux. Elle a aussi produit une déclaration de revenus chaque année, jusqu’à il y a deux ans.

Je vous renvoie particulièrement aux lettres de recommandation jointes à la présente demande. Il est clair qu’elle a refait sa vie ici, avec son époux et son enfant, et leurs nombreux amis proches. Elle souhaite recommencer à travailler à titre d’entraîneuse personnelle lorsque son statut aura été régularisé et que leur enfant sera plus vieux.

[26] Au vu du dossier, j’estime qu’il était loisible à l’agent de conclure que les déclarations de revenus que la demanderesse avait produites pour plusieurs années étaient incompatibles avec son argument selon lequel elle [traduction] « subvient à ses propres besoins ».

[27] Aucune lettre ni aucun affidavit de la demanderesse ne corrobore la nature et l’étendue de son expérience professionnelle au Canada. Il était raisonnable que l’agent évalue la preuve limitée dont il disposait et relève les incohérences.

[28] La demanderesse affirme que l’agent n’a fait aucune mention des liens très étroits qu’elle et sa famille entretiennent avec son frère, un citoyen canadien qui vit près de chez elle.

[29] Contrairement à ce qu’affirme la demanderesse, l’agent a pris acte du fait que le frère de cette dernière réside en Ontario. L’agent a noté que le frère de la demanderesse [traduction] « aime être l’oncle de Theodor et il travaille actuellement pour l’époux de la demanderesse ». Ce fait ainsi que les diverses lettres d’appui de la part d’amis au Canada et de membres de la famille élargie en Hongrie ont été pris en compte par l’agent. Par exemple, Aradszki Janosne, la mère de la demanderesse, a écrit ce qui suit : [traduction] « J’espère que cette lettre sera utile et que ma fille, Imre et Theo pourront bientôt me rendre visite en Hongrie, ainsi qu’à nos proches et à la famille et aux proches d’Imre. »

[30] Toth Imrene, le beau-père de la demanderesse, a écrit ce qui suit : [traduction] « J’espère sincèrement que mon fils et Bea pourront bientôt venir à la maison avec leur famille, car ma mère, l’arrière-grand-mère de Theo, a 86 ans et elle aimerait le rencontrer en personne. »

[31] Malgré les bonnes intentions de leurs auteurs, les lettres ne démontrent pas que la demanderesse est établie au Canada ou qu’elle serait confrontée à des difficultés si elle était renvoyée en Hongrie.

[32] J’estime qu’il était raisonnable pour l’agent de conclure que [traduction] « la preuve documentaire relative aux relations familiales étroites montre que les membres de la famille de la demanderesse sont disposés et aptes à lui fournir un soutien, ainsi qu’à son époux, ne serait-ce que sur le plan émotionnel, pendant qu’ils se réinstallent en Hongrie, s’ils décident de rester ensemble ».

B. Intérêt supérieur de l’enfant

[33] Dans les observations qu’elle a présentées à l’agent, la demanderesse a déclaré que, compte tenu de l’intérêt supérieur de son fils et de la politique d’immigration qui reconnaît les difficultés liées à la séparation des époux et des conjoints de fait, la dispense qu’elle a demandée devrait lui être accordée.

[34] Les observations écrites présentées à l’agent au sujet de l’intérêt supérieur de l’enfant indiquent ce qui suit :

[traduction]
Theodor est jeune et totalement dépendant de ses parents. Le rejet de la demande de Beata signifie qu’il doit grandir sans l’un de ses parents auprès de lui, ou que la famille doit être déracinée et doit déménager en Hongrie. Toute la famille serait confrontée à d’importantes difficultés, en raison, du moins en partie, du fait qu’Imre et Beata ont établi tous leurs liens personnels et d’affaires au Canada depuis au moins 12 ans. Il n’est pas réaliste de s’attendre à ce que la famille quitte le Canada pour rester ensemble. Theodor a vécu toute sa vie au Canada et serait un étranger culturel en Hongrie, même si ses parents lui parlent en hongrois à la maison. Les enfants méritent rarement, sinon jamais, d’être exposés à des difficultés (Hawthorne c Canada, 2002 CAF 475), et des circonstances qui ne justifieraient pas une dispense pour considérations d’ordre humanitaire dans le cas d’un adulte pourraient néanmoins la justifier dans le cas d’un enfant (Kanthasamy). Lorsque tous ces facteurs sont pris en compte, il ne fait guère de doute qu’il serait dans l’intérêt supérieur de Theodor de rester au Canada avec ses deux parents.

[35] L’agent a conclu que mis à part les déclarations faites par le conseil, il y avait très peu de renseignements sur le fils des demandeurs. Aucun élément de preuve n’a été produit concernant la vie quotidienne de l’enfant, la garderie ou l’école qu’il fréquente ou tout autre type d’activité ou de programme communautaire auquel il participe au Canada. L’agent a noté que ni la demanderesse ni son époux n’avaient fourni de lettre expliquant les répercussions que le renvoi de la demanderesse aurait sur Theodor.

[36] L’agent a mentionné que [traduction] « la réunification des familles est un facteur important concernant l’intérêt supérieur de l’enfant et qu’il semble que la grande majorité des membres de la famille de la demanderesse résident en Hongrie, y compris les deux grands-mères de l’enfant, qui ont toutes deux indiqué leur désir d’entretenir une relation étroite avec leur petit‑fils ».

[37] L’agent a reconnu qu’il était [traduction] « dans l’intérêt supérieur de Theodor de rester avec ses deux parents dans un milieu bienveillant et aimant », mais a conclu que la preuve ne suffisait pas à établir « que l’époux de la demanderesse ne serait pas apte ou prêt à se réinstaller en Hongrie avec elle et son enfant mineur, ou que la demanderesse, son époux et son fils mineur seraient confrontés à des difficultés ».

[38] Après avoir examiné les arguments et la preuve, l’agent a conclu ceci : [traduction] « J’estime que le poids accordé à l’intérêt supérieur de l’enfant n’est pas suffisant pour justifier une dispense, car la preuve ne permet pas de démontrer que le renvoi de la demanderesse aurait une incidence négative sur l’enfant. Je conclus qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir que le bien-être ou le développement du fils de la demanderesse s’en trouverait considérablement affecté. »

[39] Je souscris à la conclusion de l’agent. Il incombait à la demanderesse de prouver le bien‑fondé de sa demande, mais elle n’a pas présenté les éléments de preuve nécessaires à l’appui de son argumentation.

C. Permis de séjour temporaire

[40] Les principales observations concernant la demande de PST sont les suivantes : [traduction] « Si vous ne croyez pas que la présente demande satisfait aux critères justifiant la prise en compte de considérations d’ordre humanitaire en raison de l’interdiction de territoire de Beata pour criminalité ou d’autres motifs, ou parce qu’elle n’a pas obtenu l’autorisation de revenir au Canada avant de le faire, je vous demande, à titre subsidiaire, de lui délivrer un permis de séjour temporaire pour une période de cinq ans, conformément à l’article 24. Elle n’est interdite de territoire ni pour motifs de sécurité [art 34], ni pour atteinte aux droits humains ou internationaux [art 35], ni pour grande criminalité [art 36(1)], ni pour activités de criminalité organisée [art 37], et elle réside au Canada sans interruption depuis les 13 dernières années. Elle a été mariée à Imre pendant presque tout ce temps et elle est maintenant la mère d’un enfant canadien, Theodor. » L’agent a ensuite mentionné d’autres facteurs déjà énoncés dans les observations relatives à l’établissement et à l’intérêt supérieur de l’enfant.

[41] Compte tenu de la preuve et des observations relatives au PST, je suis d’avis que l’agent a raisonnablement conclu que la demanderesse ne s’était pas acquittée de son fardeau de démontrer l’existence de circonstances exceptionnelles et de raisons impérieuses justifiant la délivrance d’un PST.

VII. Conclusion

[42] Compte tenu de la preuve qui a été présentée, les conclusions de l’agent sur l’établissement, l’intérêt supérieur de l’enfant et le PST sont raisonnables. Elles sont transparentes, intelligibles et justifiées.

[43] Les motifs sont intrinsèquement cohérents et ils sont fondés sur une analyse rationnelle qui est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles l’agent était assujetti. Par conséquent, je dois faire preuve de retenue envers la décision de l’agent : Vavilov, au para 85.

[44] La demande sera rejetée.

[45] Aucune des parties n’a proposé de question à certifier, et les faits de la présente affaire n’en soulèvent aucune.


 

JUGEMENT dans le dossier IMM-4786-20

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

1. La demande est rejetée.

2. Il n’y a aucune question à certifier.

Blanc

« E. Susan Elliott »

Blanc

Juge

 


 

COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4786-20

 

INTITULÉ :

BEATA TOROK c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 JANVIER 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ELLIOTT

 

DATE DES MOTIFS :

LE 28 décembre 2022

 

COMPARUTIONS :

Marvin Moses

Pour la demanderesse

 

Matthew Siddall

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Marvin Moses

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.