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Date : 20221212


Dossier : T-1314-21

Référence : 2022 CF 1714

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 12 décembre 2022

En présence de madame la juge Furlanetto

ENTRE :

MAGGIE CARRASQUEIRAS

demanderesse

et

SUNWING AIRLINES INC.

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision du 21 juillet 2021 [la décision] du vice-président de la Commission canadienne des droits de la personne [la Commission], qui a rejeté la plainte déposée par la demanderesse contre la défenderesse, au titre de l’alinéa 41(1)d) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H-6 [la LCDP], en raison de son caractère vexatoire. La Commission a conclu que les allégations de discrimination avancées par la demanderesse avaient déjà été traitées, ou auraient pu l’être, dans le cadre de la procédure de règlement des griefs par voie d’arbitrage.

[2] Pour les motifs exposés ci-dessous, je conclus que la décision était raisonnable et que la demande devrait être rejetée.

II. Le contexte

[3] La demanderesse, Maggie Carrasqueiras, a été employée par la défenderesse, Sunwing Airlines Inc., à titre de gestionnaire de la sécurité en cabine et chef de cabine de 2005 à 2018.

[4] En mars 2016, la demanderesse a assisté à une réunion sans représentation syndicale avec deux gestionnaires de la défenderesse concernant le ton des courriels qu’elle avait envoyés au sujet d’une indemnité de vacances qui n’aurait pas été payée [la première réunion]. Elle affirme qu’au cours de la première réunion, les gestionnaires l’ont [traduction] « rabaissée, ridiculisée, intimidée, harcelée et menacée ». La demanderesse a déposé une plainte auprès du service des ressources humaines de la défenderesse [la plainte au service des RH]. En avril 2016, un enquêteur interne a conclu que la plainte au service des RH n’était pas fondée et que la réaction émotionnelle de la demanderesse à la première réunion était disproportionnée.

[5] La demanderesse a ensuite été relevée de deux vols, avec solde, et a pris un congé médical de trois semaines après qu’on lui eut diagnostiqué un trouble de l’adaptation. Son médecin l’a autorisée à reprendre le travail à la fin du mois de mai 2016. Cependant, après une autre réunion, la défenderesse a indiqué qu’elle avait besoin de renseignements médicaux supplémentaires et a demandé à la demanderesse de subir une nouvelle évaluation médicale auprès d’un spécialiste en médecine aéronautique, le Dr Gillmore [l’évaluation]. La demanderesse a d’abord accepté, puis a refusé de voir le Dr Gillmore. En juillet 2016, elle a été « exclue du service », sans solde, jusqu’à ce que l’affaire soit réglée.

[6] En juin 2016, le syndicat a déposé un grief concernant la première réunion et la décision de la défenderesse d’empêcher la demanderesse de retourner au travail après avoir reçu l’autorisation de son médecin [le premier grief]. En juillet 2016, le syndicat a déposé un deuxième grief concernant l’évaluation et la décision de la défenderesse de suspendre la demanderesse sans solde [le deuxième grief].

[7] En mars 2017, l’arbitre a rendu une décision préliminaire ordonnant à la demanderesse de divulguer ses dossiers médicaux au Dr Gillmore pour les besoins de l’arbitrage. La demanderesse s’y est conformée et, après un premier rapport défavorable du Dr Gillmore, elle a subi une évaluation psychologique supplémentaire effectuée par un autre médecin. À la suite des renseignements obtenus lors de l’évaluation supplémentaire, en septembre 2017, le Dr Gillmore a convenu que la demanderesse pouvait reprendre le travail; cependant, la défenderesse a maintenu sa thèse selon laquelle la demanderesse devait toujours être exclue du service, et les parties ont tenté de résoudre la question dans le cadre d’un autre processus de médiation-arbitrage.

[8] En février 2018, la défenderesse a mis fin à l’emploi de la demanderesse [le congédiement]. La lettre de congédiement indiquait ce qui suit :

[traduction]

La décision est fondée sur un examen de votre comportement ainsi que des allégations et commentaires que vous avez formulé avant le début de votre congé prolongé actuel. Sans aborder ces faits, je note que vos paroles et vos actes à l’époque et depuis lors ont clairement montré que notre relation employeur-employé doit prendre fin.

Le congédiement est fondé sur l’existence d’un motif disciplinaire valable à la suite de votre plainte fausse et exagérée ainsi que de vos allégations de menaces physiques, d’intimidation et de conspiration à l’encontre de membres de la direction. Subsidiairement, il s’agit d’une impossibilité d’exécution de contrat, car vos allégations infondées et le maintien de cette thèse ont rompu essentiellement la confiance dans notre relation fondée sur la sécurité des clients, et la poursuite de l’emploi est devenue intenable.

[Notes de bas de page omises.]

[9] Le syndicat a déposé un grief contre le congédiement [le troisième grief].

[10] Avant l’évaluation du Dr Gillmore en septembre 2017 et le congédiement, en avril 2017, la demanderesse a également déposé la plainte auprès de la Commission, dans laquelle elle alléguait que la défenderesse avait fait preuve de discrimination à son égard, sur la base d’une déficience perçue, en refusant de l’autoriser à retourner au travail avant que l’évaluation soit terminée. La plainte a été modifiée après le congédiement pour inclure des allégations selon lesquelles sa déficience perçue était un facteur qui avait pesé dans le congédiement, congédiement qui, selon la demanderesse, était une mesure de représailles après qu’elle eut déposé la plainte.

III. La décision arbitrale

[11] Les premier, deuxième et troisième griefs ont été examinés ensemble [collectivement, les griefs] devant la même arbitre, qui a rejeté les griefs le 17 janvier 2019 [la décision arbitrale].

[12] Devant l’arbitre, la demanderesse a allégué ce qui suit : a) elle avait été tenue à l’écart du travail depuis juin 2016, sans motif valable, bien qu’elle eût fourni une preuve médicale de son aptitude à retourner au travail; b) il était injuste et punitif pour la défenderesse de lui demander de faire confirmer son aptitude par le spécialiste en médecine aéronautique de la défenderesse; c) le congédiement de la demanderesse constituait un abus des droits de gérance.

[13] Dans sa décision, l’arbitre a conclu ce qui suit :

[TRADUCTION]

[...] l’employeur avait un motif valable de congédier l’employée s’estimant lésée et que le syndicat n’a pas établi que l’employeur avait enfreint la convention collective, que ce soit en congédiant l’employée ou en demandant des éléments de preuve médicale pour établir l’aptitude de l’employée s’estimant lésée à exercer ses fonctions. En outre, ni le syndicat ni l’employée s’estimant lésée n’ont prouvé que l’employeur ou ses représentants avaient harcelé l’employée s’estimant lésée à quelque moment que ce soit au cours des événements ayant fait l’objet de la plainte de harcèlement et des griefs [...]

 

IV. La décision faisant l’objet du contrôle

[14] La décision de rejeter la plainte a été rendue par le vice-président le 21 juillet 2021 et communiquée le 26 juillet 2021. Pour parvenir à cette décision, le vice-président a adopté intégralement l’analyse et les recommandations formulées dans deux rapports d’une agente des droits de la personne [l’ADP] de la Commission.

[15] Le premier rapport de l’ADP a été achevé le 4 mars 2019 [le premier rapport] et recommandait à la Commission de ne pas statuer sur la plainte, parce que la procédure d’arbitrage avait répondu aux allégations de discrimination dans leur ensemble. L’ADP a conclu que l’arbitre avait traité les griefs et la plainte de harcèlement de la demanderesse et qu’elle avait l’autorité ainsi que la responsabilité de faire respecter les droits et obligations fondamentaux découlant de la LCDP et des arguments additionnels soulevés par la demanderesse, fondés sur l’équité procédurale.

[16] Le 16 juin 2021, l’ADP a publié un rapport supplémentaire [le rapport supplémentaire] à la demande du vice-président après avoir reçu des observations des parties sur le premier rapport. Le vice-président a demandé à l’ADP d’analyser le libellé précis des griefs. La demanderesse a adopté la position selon laquelle ni le libellé des griefs ni les observations des parties ne soulevaient les questions pertinentes relatives aux droits de la personne et que la plainte démontrait que son congédiement était lié à son trouble de l’adaptation.

[17] L’ADP a conclu que l’arbitre avait traité l’essence de la plainte dans la décision arbitrale.

[18] La demanderesse a retenu les services d’un nouvel avocat qui a présenté d’autres observations concernant le rapport supplémentaire. La demanderesse a prétendu que la procédure était inéquitable et a fait valoir que la décision arbitrale était axée sur les problèmes liés au lieu de travail soulevés par les griefs, et non sur la question de la discrimination.

[19] Le vice-président a rendu sa décision le 21 juillet 2021, dans laquelle il adoptait intégralement l’analyse de l’ADP dans le premier rapport et le rapport supplémentaire, et rejetait les arguments de la demanderesse relatifs à l’équité procédurale et au bien-fondé du rapport supplémentaire.

V. La question en litige et la norme de contrôle applicable

[20] La seule question qui se pose dans le cadre de la présente demande est de savoir si la décision de rejeter la plainte en raison de son caractère vexatoire était raisonnable.

[21] Les parties affirment, et je suis d’accord, que la décision doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable. Aucune des situations qui réfuteraient la présomption selon laquelle toutes les décisions administratives sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable n’est présente en l’espèce : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 16, 17.

[22] La décision raisonnable est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » : Vavilov, aux para 85, 86; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 aux para 2, 31. Une décision est raisonnable si, lue dans son ensemble et en tenant compte le contexte administratif, elle possède les caractéristiques de justification, de transparence et d’intelligibilité : Vavilov, aux para 85, 91-95, 99, 100.

[23] Les principes de la transparence et de la justification exigent que le décideur s’attaque de façon significative aux questions clés et aux arguments principaux formulés par les parties; autrement, les parties peuvent se demander si le décideur était attentif et sensible à la question qui lui était soumise : Vavilov, au para 128. Il en va de même pour les plaintes en matière de droits de la personne : Northcott c Canada (Procureur général), 2021 CF 289 [Northcott] au para 42.

[24] Toutefois, avant qu’une décision ne soit infirmée en raison de son caractère déraisonnable, la cour de révision doit être convaincue que la décision « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence ». Les lacunes ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport à la décision; elles doivent plutôt être suffisamment capitales ou importantes pour rendre cette dernière déraisonnable : Vavilov, au para 100.

[25] En l’espèce, où le vice-président a choisi de suivre les recommandations des rapports de l’ADP, sans fournir ses propres motifs supplémentaires, le caractère raisonnable de la décision tient à la rationalité du raisonnement et des conclusions des rapports sous-jacents : Northcott au para 14.

VI. Analyse

A. L’alinéa 41(1)d) de la LCDP et les arguments des parties

[26] L’article 41 de la LCDP énonce les circonstances limitées dans lesquelles la Commission peut refuser de statuer sur une plainte en matière de droits de la personne. Comme il est énoncé à l’alinéa 41(1)d), l’une de ces situations est celle où la plainte est jugée frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi :

41 (1) Sous réserve de l’article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants :

41 (1) Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that

...

...

d) la plainte est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi;

(d) the complaint is trivial, frivolous, vexatious or made in bad faith...

[27] Lorsqu’une plainte a été rejetée en raison de son caractère vexatoire sans qu’une enquête prévue à l’article 43 ait eu lieu, la Commission ne devrait déclarer une plainte irrecevable que dans les cas évidents : Keith c Canada (Service correctionnel), 2012 CAF 117 au para 50.

[28] Comme il a été déclaré au paragraphe 29 de l’arrêt Penner c Niagara (Commission régionale de services policiers), 2013 CSC 19, le rejet d’une plainte en raison de son caractère vexatoire est une extension de la doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée. Elle établit un équilibre entre le caractère définitif des décisions et l’économie, d’une part, et d’autres considérations intéressant l’équité envers les parties, d’autre part, afin de garantir que la préclusion découlant d’une question déjà tranchée n’est pas appliquée lorsqu’il en découlerait une injustice pour les parties.

[29] La Commission a dressé une liste de facteurs permettant de déterminer si une plainte est « vexatoire » au sens de l’alinéa 41(1)d), dont l’un consiste à déterminer si le fond ou l’essence de la plainte a déjà été examiné.

[30] Comme il a été jugé au paragraphe 24 de la décision Yue c Banque de Montréal, 2020 CF 468, par renvoi à l’arrêt Zulkoskey c Canada (Emploi et Développement social), 2016 CAF 268 [Zulkoskey] aux para 17, 18, 23, 24, le terme « vexatoire » s’entend d’une affaire sur laquelle il a été ou aurait pu être statué de façon appropriée dans une autre instance (voir également un énoncé récent de ce principe dans l’arrêt Bergeron c Canada (Procureur général), 2022 CAF 209 aux para 28, 29 [Bergeron no 2]). Ce terme doit être interprété de façon large et souple afin d’éviter les dédoublements et le gaspillage des ressources judiciaires lors d’une remise en cause : Zulkoskey au para 23; Bergeron c Canada (Procureur général), 2015 CAF 160 [Bergeron] au para 45; Bergeron no 2, au para 30.

[31] Dans l’arrêt Colombie-Britannique (Workers' Compensation Board) c Figliola, 2011 CSC 52 [Figliola], la Cour suprême du Canada a conclu qu’une disposition similaire de la loi britanno-colombienne sur les droits de la personne reflétait les doctrines de common law relatives à la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, à l’abus de procédure et à la règle interdisant la contestation indirecte. Le but d’une telle disposition n’était pas de codifier ces doctrines, mais d’atteindre les objectifs d’équité et de caractère définitif dans la prise de décision ainsi que d’éviter une remise en cause : Figliola, aux para 26-36. Les facteurs clés permettant de déterminer si une plainte en matière de droits de la personne a été traitée dans le cadre d’une instance antérieure ont été résumés au paragraphe 37 de l’arrêt Figliola :

  1. Existait-il une compétence concurrente pour statuer sur les questions relatives aux droits de la personne?

  2. La question juridique tranchée dans l’autre forum était-elle essentiellement la même que celle soulevée dans la plainte relevant des droits de la personne?

  3. Le plaignant a-t-il eu la possibilité de connaître les éléments invoqués contre lui et de les réfuter?

[32] En l’espèce, il ne semble pas y avoir de différend en ce qui concerne les premier et troisième facteurs de l’arrêt Figliola. La demanderesse convient que le vice-président et l’arbitre ont une compétence concurrente pour trancher les questions relatives aux droits de la personne découlant des conventions collectives, et je ne crois pas qu’elle fasse valoir qu’elle ne connaissait pas la preuve qu’elle devait réfuter ou qu’elle n’a pas eu l’occasion de le faire. La demanderesse a eu la possibilité de présenter des observations écrites concernant ses griefs et de soulever des arguments supplémentaires devant l’ADP. L’argument dans le présent contrôle judiciaire est centré sur la question de savoir si le deuxième facteur de l’arrêt Figliola a été rempli.

[33] La demanderesse fait valoir que l’ADP a commis une erreur en sautant à la conclusion que, parce que l’arbitre avait conclu qu’il y avait eu congédiement motivé et qu’il avait été établi qu’il n’y avait pas eu d’abus des droits de gérance, cela signifiait que l’arbitre avait implicitement procédé à une analyse relative aux droits de la personne. Elle affirme que la Commission n’a pas défini la substance ou l’essence des questions liées aux droits de la personne soulevées par la plainte, qu’elle n’a pas fourni une analyse rationnelle, qu’elle ne s’est pas attaquée aux questions clés selon la législation sur les droits de la personne et qu’elle n’a pas apprécié la plainte par rapport à des balises établies.

[34] Le thème central de l’argumentation de la demanderesse concerne le caractère suffisant de la décision. La demanderesse affirme que, pour juger une décision raisonnable, la Cour ne peut pas interpréter les motifs d’un décideur administratif ou s’appuyer sur son expertise pour supposer que des questions ont été prises en compte et qu’une analyse a été effectuée. La demanderesse affirme que la décision n’est pas raisonnable, car elle s’appuie simplement sur les conclusions de l’arbitre et sur l’expertise de celle‐ci, en supposant que les allégations de discrimination de la demanderesse ont été prises en compte.

[35] La demanderesse renvoie à un passage du rapport supplémentaire, dans lequel l’ADP, s’appuyant sur la décision Klimkowski c Chemin de fer Canadien Pacifique, 2017 CF 438 [Klimkowski], déclare que [traduction] « [b]ien que le syndicat, la défenderesse et l’arbitre n’aient pas utilisé le même langage que celui qui serait utilisé dans une procédure du Tribunal des droits de la personne, cela n’a pas d’importance; les questions relatives aux droits de la personne ont été soulevées et ont été clairement traitées dans le cadre de la procédure de règlement des griefs par voie d’arbitrage ». Le rapport supplémentaire renvoie à la responsabilité d’appliquer et de faire respecter les droits fondamentaux qui découlent de la LCDP (Parry Sound (district), Conseil d’administration des services sociaux c SEEFPO, section locale 324, 2003 CSC 42), et conclut que cela signifie [traduction] « [qu’]un arbitre en relations de travail doit prendre en considération les questions relatives aux droits de la personne ». La demanderesse prétend que ces déclarations indiquent que l’ADP a cru y déceler une analyse relative aux droits de la personne, alors qu’aucune n’avait été effectuée.

[36] La défenderesse souligne que le rôle du vice-président se limite à un rôle d’examen préalable et qu’un contrôle de la décision ne devrait pas porter sur le bien-fondé de l’allégation relative aux droits de la personne (O’Grady c Bell Canada, 2012 CF 1448 au para 37; voir aussi Yue, au para 33) :

[37] Le rôle de la Commission est d’exercer des fonctions « d’examen préalable »; elle fait enquête sur des plaintes afin d’établir si celles-ci doivent être soumises au Tribunal canadien des droits de la personne. Le rôle du Tribunal consiste à examiner le bien-fondé des plaintes, à établir si elles sont établies et à accorder la réparation appropriée. La Commission n’exerce pas cette fonction. Dans le contrôle d’une décision par laquelle la Commission a refusé de traiter une plainte, la Cour ne peut outrepasser le rôle de la Commission et examiner elle‐même le bien‐fondé de la plainte. La Cour peut simplement établir si la décision de la Commission, exerçant ses fonctions « d’examen préalable », était raisonnable.

[37] La défenderesse prétend qu’en l’espèce, l’ADP a raisonnablement conclu que l’arbitre avait pris en compte les préoccupations en matière de droits de la personne dans sa décision. La défenderesse souligne qu’après le premier rapport, le vice-président a renvoyé l’affaire à l’ADP pour qu’elle examine le fond des griefs, afin de s’assurer que les questions relatives aux droits de la personne avaient été traitées dans le cadre de l’arbitrage, notamment par la réception et l’examen d’autres observations des parties. La défenderesse prétend que l’analyse effectuée était rigoureuse, transparente et suffisamment motivée.

B. La décision était-elle raisonnable?

[38] La demanderesse définit les questions relatives aux droits de la personne de la façon suivante : a) la défenderesse a-t-elle fait preuve de discrimination à l’égard de la demanderesse en mettant fin à son emploi pour un motif valable? b) la défenderesse a-t-elle fait preuve de discrimination à l’égard de la demanderesse en demandant des renseignements médicaux supplémentaires et en refusant de lui permettre de reprendre le travail avant l’évaluation? c) la défenderesse a-t-elle exercé des représailles à l’égard de la demanderesse en la congédiant pour un motif valable après qu’elle eut déposé la plainte?

[39] La demanderesse fait valoir qu’en concluant que l’essence des questions relatives aux droits de la personne avait été traitée par l’arbitre, l’ADP a souligné que la décision de l’arbitre était fondée sur le comportement scandaleux de la demanderesse, qui a entraîné la destruction de la relation de travail, et qu’elle a passé sous silence la question de la discrimination fondée sur la déficience.

[40] Toutefois, je n’interprète pas les rapports de l’ADP comme étant aussi limités. L’ADP a expressément conclu que l’arbitre avait jugé que la discrimination n’était pas un facteur dans le congédiement de la demanderesse. Dans le premier rapport, il est noté ceci :

[traduction]

Comme le montre sa décision, l’arbitre Webster a examiné les questions et les allégations de la plaignante sous l’angle des droits de la personne et celui du droit du travail. Plus précisément, l’arbitre Webster a conclu ce qui suit [...] :


a) Ni la défenderesse ni ses employés n’ont harcelé la plaignante;

b) La décision de la défenderesse de ne pas réintégrer la plaignante au travail après son congé de maladie était raisonnable, tout comme sa demande de renseignements médicaux supplémentaires et d’une évaluation par un spécialiste de l’aviation, compte tenu particulièrement de son obligation de prendre des mesures d’adaptation et du poste de la plaignante, qui est critique pour la sécurité;

c) La défenderesse avait un motif valable de mettre fin à l’emploi de la plaignante;

d) La discrimination n’a pas été un facteur dans le congédiement;

e) La relation d’emploi est rompue.

[41] La demanderesse fait valoir que l’arbitre n’a tenu compte que de la conduite de l’employeur dans la prise de mesures disciplinaires à son égard, au lieu de se demander s’il y avait eu discrimination prima facie. Elle affirme que, pour aborder la question de la discrimination prima facie, l’arbitre aurait dû examiner : a) si la demanderesse avait une déficience; b) si la déficience avait contribué aux allégations en question; c) s’il y avait eu un effet défavorable découlant de la discrimination.

[42] Les motifs de l’arbitre sont les suivants :

[traduction]

43. Le fardeau de la preuve dans un arbitrage disciplinaire incombe à l’employeur. Il lui incombe d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que l’employé a commis une forme quelconque d’inconduite. Après avoir apprécié toute la preuve qui m’avait été présentée, y compris la documentation, les dossiers médicaux et les témoignages, je conclus que l’employeur a établi que l’employée s’estimant lésée s’était rendue coupable d’inconduite en affirmant de façon persistante que ses gestionnaires se livraient au harcèlement, au complot et aux menaces, alors que ces affirmations n’étaient pas fondées. L’employeur a mené une enquête sur les allégations de l’employée s’estimant lésée et n’a trouvé aucune preuve à l’appui. L’employeur a demandé des renseignements médicaux pour expliquer la conduite de l’employée s’estimant lésée, mais aucune explication sur les plans physique ou psychiatrique n’a été fournie. L’employeur avait un motif valable de prendre des mesures disciplinaires à l’égard de l’employée s’estimant lésée pour son inconduite. [Non souligné dans l’original.]

[43] L’arbitre note que la conduite de la demanderesse n’était pas impulsive, mais qu’elle a été maintenue et répétée pendant plusieurs années, y compris depuis la première réunion (décision arbitrale, aux para 40, 45). Ce comportement s’est prolongé au-delà de la période pendant laquelle elle prétend avoir présenté un trouble de l’adaptation.

[44] L’arbitre a conclu qu’il n’y avait [traduction] « aucun fondement raisonnable, médical ou autre, aux allégations de harcèlement, de complot et de menaces de [la demanderesse] » [non souligné dans l’original] (décision arbitrale, au para 46; voir aussi au para 43). L’employeur a mis fin à l’emploi de la demanderesse lorsqu’il est apparu qu’il n’y avait pas d’explication médicale à ses plaintes de harcèlement et de menaces (décision arbitrale, au para 40).

[45] À mon avis, on peut raisonnablement inférer des conclusions de l’arbitre qu’elle n’a pas considéré que la conduite de la requérante était liée à son trouble de l’adaptation ou à un problème de santé quelconque, et qu’elle n’a pas non plus considéré que l’employeur avait mis fin à l’emploi de la demanderesse en raison d’un problème de santé. Comme l’a décidé l’ADP, il n’y avait aucun fondement pour conclure que la discrimination était un facteur dans le congédiement.

[46] Il n’y a aucune raison de contester l’appréciation faite par l’arbitre de la preuve. Bien que la demanderesse semble ne pas souscrire à la conclusion de l’arbitre selon laquelle il n’y avait pas d’explication médicale perçue pour les allégations de harcèlement et de menaces de la demanderesse, cette critique concerne le fond de la décision arbitrale et n’équivaut pas à une erreur susceptible de révision dans le cadre du présent contrôle judiciaire.

[47] Le lien entre le trouble de l’adaptation de la demanderesse et son congédiement n’a pas été établi ou étayé par la preuve. Comme l’ADP le note dans son rapport supplémentaire :

[traduction]

82. La décision de l’arbitre Webster fait clairement remarquer que ce qui a amené la plaignante à détruire sa relation d’emploi avec la défenderesse, ce sont ses affirmations continues au sujet des menaces physiques, de l’intimidation et du complot de sabotage à son égard, jusqu’à son témoignage à l’arbitrage, sans explication médicale, ainsi que sa croyance fervente que sa conduite était justifiée et n’était pas mauvaise.

83. L’affirmation de la plaignante selon laquelle la justification de la défenderesse pour son congédiement motivé était liée, en tout ou en partie, à un comportement dû à son trouble de l’adaptation diagnostiqué n’est pas étayée par l’examen de la décision de l’arbitre Webster. Selon les renseignements fournis au cours de la procédure de règlement des griefs par voie d’arbitrage, la plaignante et son syndicat ont fait valoir que son trouble de l’adaptation était temporaire et n’avait eu aucune incidence sur elle une fois qu’elle avait été déclarée apte au travail.

[48] En outre, l’argument soulevé aujourd’hui semble aller à l’encontre de ceux avancés devant l’arbitre et dans la plainte, quant à la durée et aux répercussions du trouble de l’adaptation de la demanderesse. Devant l’arbitre, la demanderesse a fait valoir que son trouble de l’adaptation était temporaire et, dans la plainte, que ce trouble avait été perçu à tort comme une déficience (annexe A de la plainte, au para 4). Dans son argumentation actuelle, la demanderesse reproche à l’arbitre de ne pas s’être posé la question de savoir si elle avait une déficience à un moment donné avant son congédiement (observations écrites, au para 39ff).

[49] L’argument supplémentaire de la demanderesse, selon lequel l’ADP n’a pas examiné la question de savoir si la défenderesse avait agi conformément à une exigence professionnelle justifiée pour remédier à la discrimination prima facie, n’est pas non plus convaincant. Cela ne s’appliquerait que si une discrimination était constatée. En l’espèce, où il n’y a eu aucune conclusion de discrimination prima facie, on ne peut reprocher à l’ADP de ne pas avoir examiné si l’arbitre avait procédé à cette analyse.

[50] À mon avis, il était de la même façon raisonnable pour l’ADP de conclure que l’arbitre avait examiné la demande de renseignements médicaux supplémentaires et l’évaluation sous l’angle des droits de la personne, compte tenu de l’analyse de l’arbitre et du fait qu’elle disposait du dossier médical dans son ensemble.

[51] Comme l’a noté l’ADP dans son premier rapport, [traduction] « [l]a décision de la défenderesse de ne pas réintégrer la plaignante au travail après son congé de maladie était raisonnable, tout comme sa demande de renseignements médicaux supplémentaires et d’une évaluation par un spécialiste de l’aviation pour déterminer l’aptitude au travail de la plaignante, compte tenu en particulier de son obligation de prendre des mesures d’adaptation et du poste de la plaignante, qui est critique pour la sécurité ».

[52] L’arbitre a considéré que le rôle de la demanderesse dans un emploi critique pour la sécurité, son obligation de travailler de manière productive et coopérative avec ses collègues en cas d’urgence, ses réactions et allégations antérieures, le tout combiné aux renseignements médicaux existants, ne donnaient pas à la défenderesse l’assurance suffisante que son état ne posait pas de risque pour la sécurité des vols. L’arbitre a donc conclu que la demande d’avis d’un spécialiste de l’aviation était justifiée. Dans ses motifs, l’arbitre a souligné que l’employeur [traduction] « s’inquiétait également de la possibilité [que la plaignante présente] un problème médical qui nécessiterait des mesures d’adaptation et [il] voulait s’acquitter de ses obligations de fond et de forme quant à la prise de mesures d’adaptation à l’égard de restrictions médicales en raison du rôle critique [de la plaignante] pour la sécurité ».

[53] Bien que la demanderesse renvoie aux paragraphes 76 à 78 de la décision Bottiglia v Ottawa Catholic School Board, 2017 ONSC 2517, pour laisser entendre que les motifs de l’arbitre étaient lacunaires, je conclus que cet argument n’est pas convaincant. Comme l’a noté l’arbitre, le Dr Gillmore a finalement examiné les renseignements médicaux fournis par le médecin de la demanderesse et a conclu qu’ils n’étaient pas suffisants pour terminer son analyse. Ce n’est qu’après avoir reçu d’autres renseignements médicaux (rapport d’évaluation psychologique) qu’il a convenu que la demanderesse était apte à retourner au travail. Bien que l’arbitre ne s’étende pas sur les renseignements supplémentaires qui étaient nécessaires pour satisfaire le Dr Gillmore, il est évident que la demande de renseignements médicaux supplémentaires a été faite après qu’un examen de ceux qui étaient disponibles eut été effectué et qu’il fut estimé que les renseignements fournis par le médecin de la demanderesse étaient insuffisants, au point qu’il fallait faire appel à un spécialiste. À mon avis, il était raisonnable pour l’ADP de conclure que l’arbitre avait examiné la question de la discrimination, d’autant plus que l’arbitre avait examiné la façon dont l’employeur avait traité les renseignements médicaux et la question des mesures d’adaptation.

[54] L’autre argument de la demanderesse selon lequel l’ADP a commis une erreur en inférant que l’arbitre avait examiné la question des représailles, alors que celle-ci n’était pas expressément abordée dans la décision arbitrale, n’est pas non plus convaincant.

[55] Comme l’a noté l’ADP dans le premier rapport :

[traduction]

59. Comme le démontre la [...] décision [...], l’arbitre Webster a conclu que la défenderesse avait un motif valable de mettre fin à l’emploi de la plaignante pour mauvaise conduite. La cessation d’emploi était attribuable au comportement de la plaignante qui avait détruit sa relation de travail avec la défenderesse « en affirmant, de façon répétée et avec de plus en plus d’intensité, que ses gestionnaires représent[aient] une menace pour sa sécurité et celle de sa famille, alors qu’il n’y avait aucune preuve d’une menace réelle ». En arrivant à ces conclusions, l’arbitre Webster a traité les allégations de discrimination de la plaignante fondées sur la déficience réelle et la déficience perçue; elle n’a trouvé aucun fondement aux allégations de discrimination. Les conclusions de l’arbitre Webster n’étayent pas non plus les allégations de la plaignante selon lesquelles le dépôt de sa plainte en matière de droits de la personne a été un facteur déterminant dans la cessation de son emploi (c’est-à-dire que les conclusions n’étayent pas l’allégation que la cessation d’emploi de la plaignante était une mesure de représailles pour avoir déposé la présente plainte).

[56] Bien qu’un organe de révision puisse ne pas fournir des motifs qui n’ont pas été donnés, il peut relier les points à partir desquels des conclusions peuvent être facilement tirées : Vavilov, aux para 96, 97.

[57] À mon avis, il était raisonnable pour l’ADP de conclure que l’arbitre n’avait pas besoin de mentionner expressément les représailles une fois qu’elle avait conclu à un congédiement motivé, car, en concluant à un tel congédiement, il n’y aurait aucun fondement pour cet argument.

[58] La demanderesse affirme que la Cour doit procéder à un examen poussé de la décision. Elle fait valoir que le vice-président avait une responsabilité accrue de veiller à ce que les questions relatives aux droits de la personne soient abordées et que les motifs reflètent les enjeux pour la demanderesse : Vavilov, au para 133. La demanderesse affirme que les lois en matière de droits de la personne sont quasi-constitutionnelles et que des motifs clairs qui montrent qu’une analyse relative aux droits de la personne a été effectuée sont nécessaires pour assurer la certitude et la cohérence du droit : Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2018 CSC 31 au para 86.

[59] La défenderesse affirme que les faits en l’espèce sont similaires à ceux de l’affaire Klimkowski, dans laquelle la Cour a conclu que l’absence d’un renvoi précis, dans la décision arbitrale, aux allégations relatives aux droits de la personne ne permettait pas de juger qu’une conclusion fondée sur l’alinéa 41(1)d) était déraisonnable :

[59] Mme Klimkowski semble s’appuyer sur l’absence d’un renvoi précis, dans la décision arbitrale, aux allégations relatives aux droits de la personne avancées en son nom par le syndicat pour faire valoir que la décision selon laquelle la plainte est vexatoire aux termes de l’alinéa 41(1)d) de la LCDP n’est pas raisonnable. Toutefois, les parties avaient présenté les allégations de harcèlement et de discrimination fondés sur la déficience et répondu à ces dernières dans leurs observations présentées à l’arbitre. Après examen de la décision arbitrale dans son ensemble et vu la conclusion de l’arbitre selon laquelle le congédiement motivé était justifié, on ne peut raisonnablement conclure que l’arbitre n’était pas convaincu que les allégations relatives à la LCDP étaient non fondées. Le fait que ces allégations n’aient pas fait l’objet d’une étude expresse dans la décision arbitrale n’enlève rien, à mon avis, au caractère raisonnable de la conclusion du rapport relatif aux articles 40 et 41, selon laquelle l’arbitre avait abordé l’essence de la plainte.

[60] La demanderesse affirme que les faits de l’affaire Klimkowski peuvent être distingués de ceux en l’espèce, car, dans cette affaire, le vice-président a noté que la substance et l’essence de la plainte pour discrimination avaient été traitées dans le rapport relatif aux articles 40 et 41. Comme il est énoncé au paragraphe 63 de cette décision :

[63] Un examen du rapport relatif aux articles 40 et 41 démontre que la Commission a étudié de manière détaillée et rigoureuse ces facteurs pour déterminer si elle devait statuer ou pas sur la plainte aux termes de l’alinéa 41(1)d). Cette analyse reconnaissait et abordait les allégations de discrimination personnelle et systémique fondées sur le sexe et la déficience dans la plainte, mais concluait que l’essence de ces allégations avait été examinée dans le cadre du grief déposé devant l’arbitre. La Commission a aussi tenu compte du rôle et de la compétence de l’arbitre en tant que tiers indépendant et neutre et a conclu que le processus d’arbitrage et le processus de traitement des plaintes de la Commission n’étaient pas si différents l’un de l’autre. Qui plus est, la Commission, après avoir examiné le processus d’arbitrage, a conclu qu’il était équitable. Elle a aussi souligné les inquiétudes de Mme Klimkowski sur le caractère adéquat de la représentation par le syndicat et son défaut de se prévaloir des recours à sa disposition pour y remédier, avant de conclure que ces inquiétudes ne rendaient pas le processus d’arbitrage inéquitable sur le plan procédural. L’inquiétude de Mme Klimkowski à l’égard de la représentation par le syndicat était liée à l’obligation de représentation équitable, à l’égard duquel Mme Klimkowski n’a pas soulevé de plainte. Finalement, le rapport relatif aux articles 40 et 41 a cerné et abordé les prétentions de Mme Klimkowski selon lesquelles l’arbitrage n’avait pas abordé ses allégations relatives aux droits de la personne. Il a conclu que Mme Klimkowski avait eu l’occasion de soulever toutes les allégations relatives aux droits de la personne qu’elle avait soulevées dans la plainte dans le cadre du processus d’arbitrage. Comme l’a observé la Commission, [traduction] « l’intérêt de la justice n’exige pas que la Commission statue sur la plainte, même si la plaignante n’est pas satisfaite du résultat. La Commission n’est pas un mécanisme d’appel des décisions arbitrales et la décision liée à la plainte ne servira pas l’objet de la loi. »

[61] Toutefois, je ne souscris pas à la proposition selon laquelle l’affaire Klimkowski n’est pas applicable. Tout d’abord, je note que la Cour ne dispose pas du rapport relatif aux articles 40 et 41 de l’affaire Klimkowski. Deuxièmement, comme dans l’affaire Klimkowski, l’ADP a pris acte, en l’espèce, des allégations de discrimination soulevées dans la plainte et les a examinées, mais a conclu que l’essence de ces allégations avait été traitée dans le cadre du grief soumis à l’arbitre. L’ADP a conclu que les griefs soulevaient les mêmes allégations que la plainte.

[62] La demanderesse renvoie également à l’arrêt Gregg c Association des pilotes d’Air Canada, 2019 CAF 218 [Gregg] au para 14, qui a été rendu après la décision Klimkowski :

[14] Le rejet d’une plainte au motif qu’il est clair et évident qu’elle est vouée à l’échec nécessite une évaluation de celle-ci à l’aune de balises ou critères objectifs, notamment les faits, les conditions énoncées dans la loi ou la jurisprudence et les précédents [...]

[63] Cependant, je ne considère pas que la norme établie dans l’arrêt Gregg ait été enfreinte. En l’espèce, je ne suis pas d’accord avec la demanderesse pour dire que le vice-président n’a pas fourni de motifs valables à l’appui de la décision. En adoptant le premier rapport et le rapport supplémentaire, le vice-président, par l’intermédiaire de l’ADP, a procédé à une analyse approfondie des questions soulevées par la demanderesse et examinées par l’arbitre. Le rôle du vice-président, lorsqu’il entreprend une analyse au titre de l’alinéa 41(1)d), est de déterminer si les questions ont été ou auraient pu être traitées adéquatement dans le cadre d’un processus antérieur, et non d’entreprendre un examen du bien-fondé de la plainte : Klimkowski, au para 13.

[64] Cependant, même si l’on concluait que l’arbitre n’a pas examiné pleinement toutes les allégations de discrimination, je suis d’accord avec l’ADP pour dire que cela résulte du fait que la demanderesse n’a pas bien énoncé tous ses arguments relatifs aux droits de la personne devant l’arbitre, bien qu’elle ait eu l’occasion de le faire. Comme il est indiqué aux paragraphes 89 et 90 du rapport supplémentaire :

[traduction]

89. L’analyse dans le présent rapport a conclu que la documentation et les renseignements supplémentaires soumis par les parties ne modifiaient pas l’analyse ou la recommandation du rapport du 4 mars 2019 — il semble toujours que l’essence de la plainte en matière de droits de la personne a été examinée et tranchée par l’arbitre Webster. L’analyse a révélé qu’il ne serait pas injuste d’utiliser le résultat de la procédure de règlement des griefs par voie d’arbitrage pour mettre un terme au processus devant la Commission, et il ne semble pas que la justice exige que la Commission statue sur la plainte. Il est recommandé à la Commission de ne pas statuer sur la plainte, parce que la procédure de règlement des griefs par voie d’arbitrage a permis de répondre à l’ensemble des allégations de discrimination.

90. Si la Commission décide que la procédure de règlement des griefs par voie d’arbitrage n’a pas traité toutes les allégations de discrimination, il est recommandé qu’elle décide de ne pas statuer sur la plainte, parce qu’elle est vexatoire au sens de la Loi. La plaignante a eu de « nombreuses » occasions de soulever toutes ses allégations en matière de droits de la personne au cours de la procédure de règlement des griefs par voie d’arbitrage; elle aurait donc pu voir toutes ses questions relatives aux droits de la personne être examinées. Le fait qu’elle n’ait pas soulevé ses allégations « sous-jacentes » en matière de droits de la personne, bien qu’elle ait participé pleinement à une procédure de règlement des griefs par voie d’arbitrage sur plusieurs années, avec représentation, indique que la plainte pourrait également être vexatoire au sens de la Loi.

[65] Conformément à l’alinéa 41(1)d) de la LCDP, le vice-président ne devrait pas consacrer de ressources à des questions qui ont été ou auraient pu être traitées en substance ailleurs (Bergeron, au para 47), car cela équivaudrait à un abus de procédure (Khapar c Air Canada, 2014 CF 138 au para 41).

[66] En l’espèce, la demanderesse a eu diverses occasions de soulever ses allégations de discrimination au cours de la procédure de règlement des griefs. Comme il est noté dans le rapport supplémentaire :

[traduction]

66. Le rapport du 14 mars 2019 a conclu que l’essence des questions relatives aux droits de la personne formulées dans la plainte a été soulevée dans le cadre de la procédure de règlement des griefs par voie d’arbitrage et a fait l’objet d’une décision. Le premier rapport a également conclu que, bien que le syndicat n’ait pas expressément déclaré dans les griefs et les documents supplémentaires que les mesures prises par la défenderesse constituaient une violation de la Loi, il est évident que le syndicat a soulevé les mêmes allégations lors de l’arbitrage que celles alléguées dans la plainte. À l’appui de cette affirmation, [le représentant syndical et le président du syndicat] ont tous deux déclaré que toutes les questions de la plaignante relatives aux droits de la personne avaient été soumises à l’arbitre Webster et qu’un « témoignage approfondi » de la plaignante avait été entendu.

[...]

68. De plus, si la plaignante croyait à l’époque que ses questions sous-jacentes relatives aux droits de la personne n’étaient pas soulevées ou examinées, elle aurait pu les soulever elle-même au cours du « témoignage approfondi » qu’elle a fourni lors de l’arbitrage. Il est évident que la plaignante a eu de nombreuses occasions de soulever toutes ses questions relatives aux droits de la personne : dans ses griefs, dans les documents soumis dans le cadre de la procédure de règlement des griefs par voie d’arbitrage et lors de l’arbitrage même. Le fait qu’un plaignant ne soulève pas ses allégations en matière de droits de la personne au cours de la procédure de règlement des griefs par voie d’arbitrage peut être considéré comme « vexatoire » au sens de l’alinéa 41(1)d) de la Loi.

[67] Si la plaignante n’était pas satisfaite de l’issue de l’arbitrage, elle aurait pu présenter une demande de contrôle judiciaire de cette décision. L’ADP a raisonnablement conclu qu’il ne devait pas être permis d’utiliser le présent contrôle judiciaire pour réexaminer des questions déjà abordées, ou qui auraient pu l’être, dans le cadre de la procédure de règlement des griefs par voie d’arbitrage.

VII. Conclusion

[68] Pour tous ces motifs, je suis d’avis que la demanderesse n’a pas démontré que la décision était déraisonnable. Ainsi, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[69] Bien que les parties aient chacune soutenu que, si elles obtenaient gain de cause, les dépens devraient être adjugés sur une base d’indemnisation substantielle et représenter une somme forfaitaire relative aux coûts réels engagés dans le cadre de la procédure, je ne suis pas convaincue, compte tenu des questions en litige et des arguments qui m’ont été présentés, que l’adjudication des dépens devrait s’écarter de ce qui est prévu dans le tarif. Par conséquent, j’accorderai à la défenderesse les dépens de la demande conformément à la colonne III du tarif B.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-1314-21

LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Les dépens relatifs à la demande sont adjugés à la défenderesse et seront taxés au milieu de la colonne III du tarif B.

« Angela Furlanetto »

Juge

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B., juriste-traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1314-21

INTITULÉ :

MAGGIE CARRASQUEIRAS c SUNWING AIRLINES INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 31 mai 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE FURLANETTO

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

 

LE 12 DÉCEMBRE 2022

 

COMPARUTIONS :

Nastaran Roushan

 

Pour la demanderesse

 

Sunny J. Khaira

Michael A. Jaworski

 

Pour la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nastaran Roushan

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Hicks Morley Hamilton Steward Storie LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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