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Date : 20221212


Dossier : IMM-1177-20

Référence : 2022 CF 1713

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 12 décembre 2022

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

OLUSOLA AKINBOLA GLOVER

OLUFUNKE MARY GLOVER

OLUWAFIREFUNMI SAMUEL GLOVER (MINEUR)

OLUWAFEYIFUNMI ISRAEL GLOVER (MINEUR)

OLUWAFAYOFUNMI PRINCESS ELSIE GLOVER (MINEURE)

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Les demandeurs, des citoyens du Nigéria, forment une famille de cinq personnes : le père (le demandeur principal), son épouse et leurs trois enfants d’âge mineur. Ils sollicitent l’annulation de la décision du 17 janvier 2020 par laquelle la Section d’appel des réfugiés (la SAR) a confirmé la conclusion de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) portant que les demandeurs n’ont pas la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger.

[2] Les demandeurs craignent d’être persécutés par des membres de la communauté ancestrale du demandeur principal dans l’État d’Ondo, au Nigéria, parce que le demandeur principal a refusé de devenir le prochain grand prêtre de la divinité tribale connue sous le nom de Boabo. Les agents de persécution auraient menacé de mutiler les organes génitaux de la fille du demandeur principal et auraient tenté d’enlever les enfants mineurs à l’école.

II. Décision contestée

[3] La SAR a reconnu, à juste titre, que la norme de la décision correcte s’appliquait au contrôle de la décision de la SPR et qu’il était nécessaire de procéder à une évaluation indépendante de la demande d’asile pour déterminer si les conclusions et les décisions de la SPR étaient correctes.

[4] Après avoir examiné l’ensemble du dossier et avoir écouté l’enregistrement audio de l’audience devant la SPR, la SAR a conclu que la SPR ne jouissait pas d’un avantage certain par rapport à elle à l’égard de conclusions de fait ou de conclusions mixtes de fait et de droit.

[5] La question déterminante que la SAR devait trancher était l’existence d’une possibilité de refuge intérieur (la PRI) à Ibadan. La SPR a proposé Ibadan et Port Harcourt comme PRI. L’analyse de la SAR est axée sur la PRI à Ibadan « puisqu’il ne faut qu’une seule PRI viable pour trancher une demande d’asile ».

[6] La SAR a conclu que la SPR s’était appuyée sur la mauvaise norme de preuve lorsqu’elle a statué que les demandeurs n’avaient présenté aucun « élément de preuve irréfutable » sur la possibilité d’être retrouvés dans les endroits proposés à titre de PRI. La SAR a donc réexaminé la preuve.

[7] La SAR a mentionné que la SPR avait questionné précisément le demandeur principal au sujet des éléments de preuve étayant ses allégations selon lesquels les agents de persécution pourraient les retrouver n’importe où au Nigéria grâce à leurs numéros de validation biométrique. À ceci, le demandeur principal avait répondu ne pas avoir de preuve.

[8] Le conseil du demandeur principal s’était plutôt appuyé sur les éléments de preuve générale du cartable national de documentation faisant état de la corruption au Nigéria. La SAR a conclu que la preuve générale n’établissait pas que, selon la prépondérance des probabilités, les agents de persécution pourraient obtenir des renseignements personnels sur les demandeurs et les retrouver à Ibadan.

III. Questions en litige

[9] Les demandeurs soulèvent trois questions :

  1. La SAR a-t-elle commis une erreur en refusant d’annuler la décision de la SPR après avoir conclu que cette dernière avait commis une erreur de droit?

  2. La SAR a-t-elle commis une erreur en appliquant le guide jurisprudentiel sur le Nigéria?

  3. La SAR a-t-elle commis une erreur en concluant qu’il était raisonnable que les demandeurs cherchent refuge à Ibadan?

IV. Norme de contrôle

[10] La Cour suprême du Canada a établi que, lors du contrôle judiciaire d’une décision administrative sur le fond (c.-à-d. le contrôle judiciaire d’une mesure administrative qui ne comporte pas d’examen d’un manquement à la justice naturelle ou à l’obligation d’équité procédurale), la norme de contrôle présumée est celle de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 23 (Vavilov). Bien que cette présomption soit réfutable, aucune des exceptions à la présomption n’est présente en l’espèce.

[11] Le contrôle en fonction de la norme de la décision raisonnable doit s’intéresser à la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision. Le rôle des cours de justice consiste, en pareil cas, à réviser la décision et, en général à tout le moins, à s’abstenir de trancher elles-mêmes la question en litige : Vavilov, au para 83.

[12] Le décideur peut apprécier et évaluer la preuve qui lui est soumise. À moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne modifient pas les conclusions de fait. Les cours de révision doivent également s’abstenir « d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur » : Vavilov, au para 125.

V. Analyse

A. La SAR n’a pas commis d’erreur en refusant d’annuler la décision de la SPR

[13] Les demandeurs affirment que la question principale découle du fait que le rôle de la SAR était de déterminer si la SPR avait commis une erreur de droit et, dans l’affirmative, d’annuler la décision et de renvoyer l’affaire à la SPR.

[14] L’affirmation des demandeurs est erronée en droit. La Cour d’appel fédérale a établi, au paragraphe 103 de l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 (Huruglica), que, après examen attentif de la décision de la SPR, la SAR peut statuer de manière définitive sur l’affaire, soit en confirmant la décision de la SPR, soit en cassant celle-ci et en y substituant sa propre décision sur le fond de la demande d’asile.

[15] Comme la SAR avait conclu que la SPR ne jouissait pas d’un avantage certain par rapport à elle, le fait qu’elle ait décidé de substituer sa propre décision sur le fond de la demande d’asile ne constitue pas une erreur puisque cette démarche est conforme à l’arrêt Huruglica.

B. La SAR n’a pas commis d’erreur en s’appuyant sur le guide jurisprudentiel

[16] Les demandeurs plaident que la SAR a eu tort de s’appuyer sur le guide jurisprudentiel révoqué sur le Nigéria pour évaluer la viabilité et le caractère raisonnable des deux endroits proposés comme PRI.

[17] Le défendeur fait remarquer qu’à l’époque où la décision a été rendue, le guide jurisprudentiel n’avait pas été révoqué.

[18] La SAR renvoie au guide jurisprudentiel, mais ne s’appuie pas sur celui-ci et ne reprend pas son libellé. Elle mentionne que le guide jurisprudentiel indique six lieux pouvant être désignés comme PRI dans le centre et le sud du Nigéria, l’un de ceux-ci étant Ibadan. La SAR n’a pas eu tort de mentionner ce fait.

[19] La SAR renvoie également au guide jurisprudentiel pour énoncer les questions les plus courantes et les plus importantes à évaluer pour déterminer si un endroit proposé comme PRI constitue une solution raisonnable pour un demandeur particulier. Selon moi, la SAR n’a pas commis d’erreur en renvoyant aux questions définies dans le guide jurisprudentiel.

[20] La SAR ajoute que le guide jurisprudentiel « indique que le loyer peut être élevé dans de grandes villes nigérianes comme Ibadan ». La SAR a tenu compte de cette information à la lumière de la capacité des demandeurs de trouver un emploi, et des renseignements tirés du cartable national de documentation selon lesquels « la recherche d’un logement constitue un “obstacle majeur” pour quelqu’un qui n’a pas une “situation financière solide” ».

[21] Jamais dans sa décision la SAR n’a souscrit au raisonnement exposé dans le guide jurisprudentiel. Elle n’a pas souscrit aux conclusions de faits établies dans le guide jurisprudentiel. Elle a tiré ses propres conclusions en fonction de la preuve et a exposé ses propres motifs pour conclure qu’il existe une PRI viable à Ibadan.

[22] Après avoir examiné le dossier sur le fond et la décision de la SAR, je conclus que les demandeurs ne se sont pas acquittés du fardeau qui leur incombait de démontrer que la SAR avait commis une erreur en tenant compte des facteurs énoncés dans le guide jurisprudentiel.

C. La SAR n’a pas commis d’erreur en concluant qu’il était raisonnable que les demandeurs cherchent refuge à Ibadan

[23] Les demandeurs soutiennent que la SAR a commis une erreur dans son appréciation du caractère raisonnable de la PRI à Ibadan puisqu’elle n’a pas dûment tenu compte de divers facteurs, notamment le risque auquel ils seraient exposés à titre d’allochtones. Toutefois, la SAR a clairement tenu compte des observations des demandeurs à ce sujet lorsqu’elle a conclu, au paragraphe 26 de sa décision, que la preuve documentaire ne soutenait pas l’argument selon lequel la réinstallation à Ibadan serait « déraisonnable ou trop difficile ». Pour appuyer cette conclusion, elle a cité des extraits du cartable national de documentation où l’on précise que, dans la plupart des villes cosmopolites et des zones urbaines du Nigéria, les problèmes liés à l’autochtonie sont « “[…] inexistants”, et [que] c’est majoritairement au sein du gouvernement, dans l’“arène politique”, et surtout lorsqu’il est question du partage des ressources, que l’autochtonie devient problématique ». La SAR a entrepris une analyse semblable en fonction du profil complet des demandeurs, en tenant notamment compte de facteurs comme le sexe, l’éducation, l’emploi, les déplacements et le logement. Bien que les demandeurs ne sont pas du même avis, il ne revient pas à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve. Je conclus que les parties contestées de la décision sont justifiées au regard des contraintes juridiques et factuelles imposées à la SAR.

[24] Les demandeurs soutiennent également que [traduction] « l’unique ou principale raison pour laquelle la SAR a rejeté l’explication des demandeurs quant à la non-disponibilité d’une PRI à Port Harcourt et à Ibadan était parce qu’ils n’avaient fourni “aucun élément de preuve irréfutable” ou aucun “élément de preuve” démontrant que l’on pourrait les retrouver dans les lieux proposés comme PRI ».

[25] C’est inexact. L’explication a été rejetée en raison des divergences entre l’exposé circonstancié du demandeur principal dans son formulaire Fondement de la demande d’asile et son témoignage au sujet des ressources des agents de persécution.

[26] Dans l’arrêt Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 CF 164 (Ranganthan), la Cour d’appel fédérale a établi qu’il faut « placer la barre très haute lorsqu’il s’agit de déterminer ce qui est déraisonnable » et n’exiger « rien de moins que l’existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité d’un revendicateur […] De plus, il faut une preuve réelle et concrète de l’existence de telles conditions » (Ranganathan, au para 15).

[27] Les demandeurs n’ont pas respecté ce critère.

VI. Conclusion

[28] Pour tous les motifs qui précèdent, la présente demande sera rejetée.

[29] Les parties n’ont proposé aucune question grave de portée générale, et je conviens qu’il n’en existe aucune à la lumière des faits de l’espèce.


JUGEMENT dans le dossier IMM-1177-20

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« E. Susan Elliott »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1177-20

 

INTITULÉ :

OLUSOLA AKINBOLA GLOVER, OLUFUNKE MARY GLOVER, OLUWAFIREFUNMI SAMUEL GLOVER (MINEUR), OLUWAFEYIFUNMI ISRAEL GLOVER (MINEUR), OLUWAFAYOFUNMI PRINCESS ELSIE GLOVER (MINEURE) c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 JANVIER 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ELLIOTT

 

DATE DES MOTIFS :

LE 12 DÉCEMBRE 2022

 

COMPARUTIONS :

Richard Odeleye

 

Pour les demandeurs

 

Nick Continelli

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Richard Odeleye

Avocat

North York (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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