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Date : 20221125


Dossier : IMM‑2521‑21

Référence : 2022 CF 1625

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 25 novembre 2022

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

OLATUNJI SAMUEL AFOLAYAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, citoyen du Nigéria, a déposé la présente demande de contrôle judiciaire en vue d’infirmer la décision prise le 25 novembre 2019 par un agent de migration de l’ambassade du Canada à Londres, en Angleterre [la décision].

[2] L’agent a conclu que le demandeur était interdit de territoire en application de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR] pour avoir, directement ou indirectement, fait une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR.

[3] Pour les motifs qui suivent, la présente demande sera rejetée.

II. Le contexte factuel

[4] Le demandeur a eu le malheur de mandater un agent de voyages pour remplir et déposer sa demande de permis de travail en vue de rejoindre son épouse au Canada, où elle faisait des études.

[5] Il s’agit là d’un malheur, car, au lieu d’une demande de permis de travail, l’agent de voyages a déposé une demande de visa de résident temporaire [la demande de VRT], qu’il a assortie d’un relevé bancaire frauduleux.

[6] Après avoir reçu les documents de l’agent de voyages, le bureau de traitement des demandes de Lagos a transmis le relevé bancaire à la banque désignée afin d’en vérifier l’authenticité. Selon la banque, le nom du demandeur, tel qu’il figurait sur le relevé, ne concordait pas avec le nom inscrit dans ses registres.

[7] Le bureau de Londres a alors envoyé une lettre d’équité procédurale [la lettre] à l’adresse inscrite au dossier, soit celle de l’agent de voyages, et non celle du demandeur.

[8] La lettre expliquait que, selon l’agent de migration, le demandeur ne satisfaisait peut-être pas aux exigences du paragraphe 16(1) de la LIPR, à savoir de « répondre véridiquement aux questions qui lui [ont été] posées lors du contrôle ».

[9] Toujours selon la lettre, la préoccupation de l’agent portait plus particulièrement sur le fait que [traduction] « les relevés bancaires [qui ont été] fournis à l’appui de [la] demande étaient frauduleux ».

[10] En outre, la lettre prévenait le demandeur que, s’il était déclaré qu’il avait fait de fausses déclarations dans sa demande de VRT, il pourrait, conformément à l’alinéa 40(2)a) de la LIPR, être jugé interdit de territoire pendant cinq ans.

[11] L’agent de voyages n’a pas remis la lettre au demandeur et ne lui a pas communiqué son contenu.

[12] Le demandeur a été mis au fait des divers problèmes susmentionnés le 12 mars 2021, lorsqu’il a reçu un dossier en réponse à la demande d’accès à l’information et de protection des renseignements personnels qu’il avait présentée le 11 février 2021.

[13] Le 12 avril 2021, le demandeur a retenu les services d’un avocat en vue de déposer la présente demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision.

III. La décision contestée

[14] Selon la décision contestée, le demandeur a été déclaré interdit de territoire au Canada en application de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR pour avoir fait, directement ou indirectement, une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR.

[15] La décision précise que, conformément à l’alinéa 40(2)a) de la LIPR, le demandeur sera interdit de territoire pendant cinq ans à compter de la date de la lettre de décision.

[16] Les motifs de la décision figurent dans les notes consignées dans le Système mondial de gestion des cas [le SMGC] qui accompagnent la lettre de décision.

[17] Selon ces notes, une lettre d’équité procédurale avait été envoyée au demandeur le 25 novembre 2019 pour lui offrir de répondre aux préoccupations liées aux renseignements frauduleux fournis à l’appui de sa demande.

[18] Puisque personne n’a répondu à cette lettre, la demande a été traitée en fonction des renseignements au dossier. La demande a été rejetée et le demandeur a été déclaré interdit de territoire pendant cinq ans pour avoir fait de fausses déclarations.

IV. La question préliminaire

[19] Le défendeur fait valoir que le dossier de la demande comporte des éléments de preuve dont le décideur ne disposait pas au moment de rendre sa décision et que la majorité d’entre eux sont postérieurs à celle-ci.

[20] Le défendeur soutient également qu’en l’espèce, la preuve ne relève d’aucune exception au principe général suivant lequel les éléments de preuve qui n’ont pas été présentés au décideur ne seront pas pris en considération dans le cadre d’un contrôle judiciaire : Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 au para 20.

[21] Je conviens avec le défendeur que les éléments de preuve postérieurs à la décision, les renseignements qui ne concernent pas la demande de VRT ainsi que les renseignements personnels au sujet du demandeur et de son épouse – aucun desquels n’a été présenté à l’agent – sont irrecevables. Ils ne seront donc pas pris en considération.

[22] Cela dit, les éléments de preuve ayant trait à la relation entre le demandeur et l’agent de voyages de même que tous les échanges avec Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada sont recevables, puisqu’ils se rapportent à la question de l’équité procédurale.

V. Les questions en litige

[23] Le demandeur soulève trois questions, à savoir 1) quelle est la norme de contrôle applicable en l’espèce, 2) s’il a été privé de son droit à l’équité procédurale, et 3) si l’agent a commis une erreur en ne tenant pas compte des circonstances extraordinaires d’une fausse déclaration qui échappait honnêtement et raisonnablement à sa volonté.

[24] La dernière question est, au mieux, une sous-question de la question précédente.

VI. La norme de contrôle applicable

[25] La Cour suprême du Canada a conclu que, lors du contrôle judiciaire d’une décision administrative sur le fond (le contrôle judiciaire d’une mesure administrative qui ne porte pas sur un manquement à la justice naturelle ou à l’obligation d’équité procédurale), la norme de contrôle présumée est celle de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 23.

[26] Le contrôle en fonction de la norme de la décision raisonnable doit s’intéresser à la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision. Le rôle des cours de justice consiste, en pareil cas, à réviser la décision et, en général à tout le moins, à s’abstenir de trancher elles‐mêmes la question en litige : Vavilov, au para 83.

[27] Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti. La norme de la décision raisonnable exige d’une cour de justice qu’elle fasse preuve de retenue envers une telle décision : Vavilov, au para 85 (non souligné dans l’original).

[28] Le juge Rennie a examiné et confirmé les principes fondamentaux de l’équité procédurale dans la décision Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 [CPR]. Il a conclu qu’une cour n’est pas tenue d’effectuer une analyse relative à la norme de contrôle applicable pour déterminer s’il y a eu équité procédurale, mais « [elle] doit être convaincue que le droit à l’équité procédurale a été respecté ». Ainsi, la question fondamentale est celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu la possibilité complète et équitable d’y répondre : CPR, aux para 49-50, 56.

VII. Analyse

[29] Le demandeur allègue que l’agent de voyages a fait preuve d’incompétence et qu’il est raisonnable de penser que, si tel n’avait pas été le cas, la décision aurait pu être différente. Il soutient qu’il était raisonnablement et honnêtement convaincu que l’agent de voyages, qui lui avait été présenté par un ami, s’occupait de traiter sa demande de permis de travail et que le délai encouru pour l’obtenir était attribuable à la pandémie de COVID-19.

[30] Le défendeur fait remarquer que, s’il est possible que le demandeur ait cru subjectivement à une erreur de bonne foi, pour les raisons qui suivent, il n’a pas pu raisonnablement croire à l’absence de fausses déclarations :

  1. il n’a pas passé la demande en revue avant qu’elle ne soit déposée;

  2. il ne savait pas qu’une demande de VRT avait été déposée en son nom;

  3. il ne savait pas qu’un relevé bancaire frauduleux avait été déposé à l’appui de sa demande.

[31] J’ajouterais à cette liste le fait que le demandeur n’a reçu aucune copie de la demande et qu’il n’a pas eu accès au portail en ligne, sans compter que son entente avec l’agent de voyages avait été conclue verbalement.

[32] Aucun élément de preuve n’indique que le demandeur a signalé la conduite de l’agent de voyages à quelque autorité que ce soit.

[33] Lorsqu’elle doit examiner des allégations relatives à l’incompétence d’un conseil, que ce soit un avocat ou un consultant en immigration, la cour dispose d’un protocole à suivre. Toutefois, il n’existe aucun protocole analogue s’appliquant à d’autres professionnels.

[34] Malheureusement, le demandeur a accordé une confiance aveugle à l’agent de voyages.

[35] Les faits de l’espèce se comparent à ceux de l’affaire Haghighat c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 598, hormis le fait que ce sont les services d’un consultant en immigration qui étaient en cause dans celle-ci.

[36] Lorsqu’il a rejeté la demande de la demanderesse, le juge Manson a fait remarquer ce qui suit :

[21] Les circonstances de l’espèce sont malheureuses. La demanderesse a fait confiance à un consultant en immigration, et elle a été dupée. Cependant, ces circonstances ne l’exonèrent pas des conséquences de sa fausse déclaration.

[22] Selon les notes au SMGC, la lettre d’équité procédurale a été transmise à la demanderesse le 16 janvier 2020. Si la demanderesse n’a pas reçu cette lettre, seules les interactions entre elle et son consultant en immigration peuvent expliquer cet état de fait. Le consultant en immigration a présenté la demande, au nom de la demanderesse, par le biais du portail en ligne et lui en a refusé l’accès. Les circonstances sont certes regrettables, mais on ne peut pas dire que l’agent a manqué à son devoir d’équité procédurale. L’agent n’était pas tenu de répondre à la demanderesse par le biais de son adresse électronique personnelle.

[37] Lorsqu’il a retenu les services de l’agent de voyages pour préparer et déposer sa demande de permis de travail, le demandeur lui a accordé sa confiance. S’il est extrêmement regrettable qu’il ait eu tort de lui faire ainsi confiance, le demandeur avait néanmoins conclu une entente avec l’agent de voyages, et il doit désormais composer avec l’issue de l’affaire.

VIII. Conclusion

[38] La décision contestée est raisonnable. Elle est transparente, intelligible et justifiée au regard des faits et du droit.

[39] Elle est également fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle qui est justifiée au regard des faits et du droit.

[40] Le demandeur n’a pas su démontrer que la décision était entachée d’une iniquité procédurale à son endroit. L’agent de migration ne pouvait tout simplement pas examiner des arguments qui ne lui ont pas été présentés. Pour les mêmes raisons, ces arguments ne peuvent pas être invoqués devant la Cour.

[41] Je suis consciente que l’issue de l’affaire constitue une injustice personnelle pour le demandeur et sa famille, mais, sur le plan juridique, elle ne relève pas d’un manquement à l’équité procédurale.

[42] Si le demandeur avait plutôt fait appel à un consultant en immigration ou à un avocat et que tout s’était déroulé de la même façon, l’incompétence de l’un ou de l’autre aurait effectivement constitué un manquement à l’équité procédurale. Cela étant dit, même si je le voulais, je ne puis appliquer ces règles de droit aux agents de voyages incompétents et malhonnêtes, pas plus qu’on ne saurait modifier après coup les faits et les renseignements qui ont été présentés à l’agent de migration au moment de rendre sa décision.

[43] Pour tous les motifs qui précèdent, la présente demande est rejetée. Aucune question n’est certifiée.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑2521‑21

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La présente demande est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« E. Susan Elliott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2521‑21

 

INTITULÉ :

OLATUNJI SAMUEL AFOLAYAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 DÉCEMBRE 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ELLIOTT

 

DATE DES MOTIFS :

LE 25 NOVEMBRE 2022

 

COMPARUTIONS :

Alastair Clarke

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Alexander Menticoglou

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Clarke Immigration Law

Avocats

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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