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Date : 20221215


Dossier : T-137-22

Référence : 2022 CF 1743

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 15 décembre 2022

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

NATION DES WAHPETON OYATE DE DAKOTA PLAINS, représentée par

EVANGELINE TOWLE, en sa qualité de cheffe héréditaire de la

Nation des Wahpeton Oyate de Dakota Plains, CRAIG BLACKSMITH et ALVIN SMOKE, en leur qualité de représentants

des membres du conseil de bande de la Nation des Wahpeton Oyate de Dakota Plains

demandeurs

et

DONALD RAYMOND SMOKE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le présent contrôle judiciaire concerne un différend sur la question de savoir qui a le pouvoir, compte tenu d’une coutume héréditaire non écrite, d’agir en tant que chef de la Première Nation des Wahpeton Oyate de Dakota Plains [la PNDP] à la suite de la mort du chef Orville Smoke en octobre 2021.

[2] La demanderesse, Evangeline Towle, prétend être la cheffe héréditaire de la PNDP. Les membres représentatifs du conseil de bande, Craig Blacksmith et Alvin Smoke, et elle introduisent la présente demande au nom de la PNDP et sollicitent diverses réparations. Ils sollicitent des ordonnances sous forme de brefs de quo warranto pour révoquer le défendeur, Donald Smoke, en tant que chef et proclamer Evangeline Towle cheffe de la PNDP. Ils demandent également à la Cour d’annuler les résolutions du conseil de bande [RCB] qui désignent le défendeur comme chef héréditaire de la PNDP.

[3] Pour les motifs qui suivent, je rejetterai la présente demande. J’ai conclu que les demandeurs n’avaient pas réussi à établir leur coutume prétendue. Cette conclusion est déterminante pour la revendication d’Evangeline Towle à titre de cheffe héréditaire et pour la demande de réparation sous forme de bref de quo warranto. En outre, j’ai conclu qu’il n’y avait aucun motif d’annuler les RCB reconnaissant la nomination du défendeur en tant que chef.

[4] Enfin, ayant conclu que les demandeurs n’avaient pas la capacité juridique d’introduire la présente demande au nom de la PNDP, ils seront personnellement responsables des dépens à l’égard du défendeur. J’ai accepté d’autoriser les parties à présenter des observations écrites sur les dépens après le prononcé de la présente décision.

I. Le contexte

[5] La PNDP est une Première Nation située près de Portage la Prairie, au Manitoba, qui compte environ 280 membres. Le Canada reconnaît la PNDP comme une nation indépendante depuis 1972.

[6] La PNDP suit une coutume héréditaire selon laquelle les chefs sont choisis parmi les descendants de Chaske et Tiyo Smoke. Chaske et Tiyo Smoke ont eu dix enfants. Après la mort du chef Chaske Smoke, son fils aîné, Laurence Smoke est devenu chef, jusqu’à ce qu’il renonce à ce rôle peu de temps après. Ensuite, le cinquième enfant du chef Chaske Smoke, Ernie Smoke, est devenu chef jusqu’à sa mort, laquelle est survenue en 1994. Enfin, Orville Smoke, le neuvième enfant de Chaske Smoke, est devenu le chef de la PNDP, poste qu’il a occupé pendant 26 ans.

[7] Le chef Orville Smoke a eu trois enfants, qui sont, par ordre de naissance, Arden Smoke, Donald Smoke (le défendeur) et Evangeline Towle (l’un des demandeurs).

[8] La fille du chef Orville Smoke, la demanderesse Evangeline Towle, prétend être la cheffe héréditaire selon la coutume de la PNDP. Le demandeur Craig Blacksmith a été le directeur général de la PNDP pendant les dernières années de la chefferie d’Orville Smoke. Le demandeur Alvin Smoke est un ancien employé de la PNDP. Les trois demandeurs sont membres de la PNDP.

[9] Selon la preuve, le chef Orville Smoke a confié au défendeur diverses responsabilités au sein de la PNDP. En 2015, le défendeur a été nommé vice-chef de la PNDP afin de planifier la relève et a été reconduit dans cette fonction en février 2021. Le défendeur a agi comme mandataire politique du chef (son père) auprès de l’Organisation des chefs du Sud et de l’Assemblée des chefs du Manitoba. Il a assisté à l’assemblée des chefs nationaux de 2018, où le chef Orville Smoke l’a présenté comme le prochain chef de la PNDP. En septembre 2021, le défendeur a assisté à une cérémonie de lever du drapeau au nom de la PNDP.

[10] Le 31 août 2021, une réunion de la bande a été convoquée, à laquelle environ les deux tiers des membres adultes de la PNDP ont assisté. Lors de cette réunion, le défendeur a informé la communauté que le chef Orville Smoke avait l’intention de se retirer dans les semaines à venir et qu’il prévoyait lui céder la chefferie.

[11] Le 26 septembre 2021, le chef Orville Smoke a publié sur sa page Facebook que le 27 septembre serait le dernier jour de son mandat.

A. Les RCB de septembre

[12] Le 27 septembre 2021, le chef Orville Smoke et ses deux frères Leslie Smoke et Ronald Smoke père ont signé trois RCB. Le texte complet des RCB est reproduit plus loin dans les présents motifs. La RCB la plus litigieuse est la première, laquelle nomme le défendeur chef de la PNDP et stipule ce qui suit :

[traduction]

IL EST RÉSOLU, en ce jour du 27 septembre 2021, que l’ancien chef, Orville Smoke, et le conseil des aînés de la Nation des Wahpeton Oyate de Dakota Plains nomment Donald Raymond Smoke, né le 19 mai 1971, en qualité de chef de la Nation des Wahpeton Oyate de Dakota Plains.

IL EST RÉSOLU qu’à compter du 28 septembre 2021, Donald Raymond Smoke assume le rôle et la responsabilité d’autorité gouvernante principale de la Nation des Wahpeton de Dakota Plains ainsi que la responsabilité détenue par Orville Smoke à compter de cette date.

IL EST RÉSOLU qu’à compter du 28 septembre 2021, l’avis officiel de changement de titre soit transmis par les voies de communication appropriées, y compris, mais sans s’y limiter, à Services aux Autochtones Canada.

IL EST ENFIN RÉSOLU que le chef Donald Smoke conserve son siège jusqu’à ce qu’il ne puisse plus accomplir les tâches essentielles qui se rattachent à son poste d’une manière sûre, efficace et fiable.

[13] Une deuxième RCB, signée le 27 septembre 2021, souligne que le défendeur peut conserver son poste de directeur de l’éducation tout en étant chef. La troisième RCB, également signée le 27 septembre 2021, expose les critères de sélection du titulaire du poste de chef de la PNDP.

[14] Le 28 septembre 2021, le chef Orville Smoke a publié sur Facebook que son [traduction] « Hepan a pris les rênes aujourd’hui, comme le veut la tradition dakota ». Il existe des éléments de preuve selon lesquels « hepan » signifie « deuxième fils » dans la langue dakota. Le défendeur est le deuxième fils du chef Orville Smoke.

[15] Le chef Orville Smoke est mort le 5 octobre 2021.

B. Les faits qui ont suivi la mort du chef Orville Smoke <

[16] Après la mort du chef Orville Smoke, le défendeur a signé des RCB en tant que chef et a entrepris un examen opérationnel de la PNDP. Il a assisté à diverses réunions en tant que chef, et il existe des éléments de preuve selon lesquels les membres de la PNDP l’ont reconnu comme étant le chef. Par exemple, le 5 décembre 2021, il a reçu une lettre de membres de la communauté dans laquelle on s’adressait à lui comme le [traduction] « Chef Don Smoke ».

[17] Le 23 novembre 2021, les demandeurs ont organisé une réunion communautaire au bureau de la bande pour discuter des questions de gouvernance et d’autres modèles de gouvernance pour la PNDP. Le défendeur y a assisté. Au cours de la réunion, le défendeur a informé le demandeur Craig Blacksmith qu’un examen opérationnel de la PNDP était en cours et que Craig Blacksmith, en tant que directeur général, devait fournir des renseignements au chef et au conseil.

[18] Le 29 novembre 2021, une réunion a été organisée entre Craig Blacksmith, le défendeur en tant que chef et le conseil pour discuter de l’examen opérationnel. Craig Blacksmith n’a pas assisté à la réunion. Lors de cette réunion, une RCB a été adoptée, et le défendeur l’a signée en tant que chef; elle révoquait tous les pouvoirs de signature des comptes bancaires de la PNDP, en attendant les résultats de l’examen opérationnel.

[19] En décembre 2021, environ deux mois après l’adoption de la RCB confirmant la nomination du défendeur en tant que chef de la PNDP, Evangeline Towle et d’autres personnes ont signé une série de RCB. Il s’agit des RCB sur lesquelles les demandeurs s’appuient pour établir que la demanderesse Evangeline Towle est la cheffe légitime de la PNDP. Les détails de ces RCB sont les suivants :

  • Le 2 décembre 2021, Evangeline Towle a signé une RCB supprimant les noms des personnes autorisées à signer, à l’égard du compte général de la PNDP, à la Peace Hills Trust Company. Cette RCB désignait également de nouveaux signataires autorisés sur le compte, dont elle-même et Alvin Smoke.

  • Le 6 décembre 2021, une RCB a été signée par des représentants prétendus du conseil des jeunes, du conseil des femmes et du conseil des aînés [la RCB du 6 décembre]. Cette RCB stipule ce qui suit :

[TRADUCTION]

ATTENDU QUE la Nation des Wahpeton Oyate de Dakota Plains est une nation dakota gouvernée par un système composé d’un chef héréditaire et d’un conseil depuis des temps immémoriaux;

ATTENDU QUE la Nation des Wahpeton Oyate de Dakota Plains a subi la perte de son chef Orville Smoke;

ATTENDU QUE la Nation des Wahpeton Oyate de Dakota Plains gouverne en conséquence selon la coutume héréditaire dakota avec un chef, un conseil des aînés, un conseil des femmes et un conseil des jeunes;

ET ATTENDU QUE la chefferie de la Nation des Wahpeton de Dakota Plains se transmet du père au fils aîné;

PAR CONSÉQUENT, IL EST RÉSOLU QUE la gouvernance de la Nation de Dakota Plains reconnaît Arden Smoke, le fils aîné d’Orville Smoke, comme étant le chef, conformément au système héréditaire de la Nation des Wahpeton de Dakota Plains.

  • Le 10 décembre 2021, une RCB a été signée par de représentants prétendus du conseil des jeunes, du conseil des femmes et du conseil des aînés, dans laquelle était acceptée la renonciation d’Arden Smoke au poste de chef et était nommée Evangeline Towle au poste de cheffe de la PNDP [la RCB du 10 décembre]. Cette RCB stipule ce qui suit :

[TRADUCTION]

ATTENDU QUE la Nation des Wahpeton Oyate de Dakota Plains est une nation dakota gouvernée par un système composé d’un chef héréditaire et d’un conseil depuis des temps immémoriaux;

ATTENDU QUE la Nation des Wahpeton Oyate de Dakota Plains a subi la perte de son chef Orville Smoke;

ATTENDU QUE la Nation des Wahpeton Oyate de Dakota Plains gouverne selon la coutume héréditaire dakota avec un chef, un conseil des aînés, un conseil des femmes et un conseil des jeunes;

ET ATTENDU QUE la chefferie de la Nation des Wahpeton de Dakota Plains est transmise du père au fils aîné. Si un héritier renonce à son titre, la gouvernance de Dakota Plains a la responsabilité de reconnaître un frère ou une sœur plus jeune comme le chef;

PAR CONSÉQUENT, IL EST RÉSOLU QUE la gouvernance de Dakota Plains nomme et reconnaît Evangeline Renee Dawn Towle, la fille aînée d’Orville Smoke, comme étant la cheffe, conformément au système héréditaire de la Nation des Wahpeton de Dakota Plains.

  • Le 10 décembre 2021, une RCB a été signée par Evangeline Towle en tant que cheffe, lui conférant le pouvoir de signature, à l’égard du compte général de la PNDP, à la Peace Hills Trust Company.

[20] Le 10 décembre 2021, une lettre a été envoyée au directeur général régional de Services aux Autochtones Canada [SAC] pour l’informer que la PNDP serait en période de deuil pendant un an à la suite de la mort du chef Orville Smoke et qu’elle organiserait un référendum. La lettre a été signée par Evangeline Towle, à titre de cheffe de la PNDP, et par Gordon Smoke, Chandelle Smoke-Towle et Elizabeth Smoke, à titre de conseillers. La lettre mentionne ce qui suit :

[traduction]

Lorsque les résultats du référendum communautaire et l’élection subséquente ou le maintien du système héréditaire de Dakota Plains seront connus, Services aux Autochtones Canada en sera officiellement avisé par une résolution du conseil de bande de Dakota Plains.

[21] Le 13 décembre 2021, le défendeur, en tant que chef, et le conseil ont mis fin à l’emploi de Craig Blacksmith à titre de directeur général en l’absence de réponse à la lettre du 23 novembre et à la lettre de suivi du 9 décembre 2021.

[22] Le 16 décembre 2021, une RCB a été signée par le défendeur, en tant que chef, ainsi que neuf membres représentatifs du conseil, retirant à Evangeline Towle son pouvoir de signature bancaire, à l’égard du compte général de la PNDP, à la Peace Hills Trust Company.

[23] Le 20 décembre 2021, Arden Smoke a signé une déclaration officielle, dans laquelle il renonçait à son poste de chef héréditaire, rétroactivement au 10 décembre 2021.

[24] Le 21 décembre 2021, le conseiller juridique des demandeurs a envoyé une mise en demeure au défendeur. Celui‑ci a répondu qu’Evangeline Towle n’était pas reconnue par la PNDP comme étant cheffe et qu’il continuerait à agir à titre de chef de la PNDP jusqu’à ce qu’il reçoive une ordonnance judiciaire l’empêchant de ce faire.

[25] Le 25 janvier 2022, les demandeurs ont déposé la présente demande de contrôle judiciaire.

[26] Le 7 février 2022, SAC a fait savoir que, compte tenu du conflit de gouvernance au sein de la PNDP, il nommait un gestionnaire tiers pour la gestion des programmes et des services de SAC.

C. L’ordonnance relative à la compétence

[27] La question de la compétence de la Cour à l’égard de la présente demande a fait l’objet d’une ordonnance rendue par mon collègue le juge Ahmed le 16 juin 2022 (Première Nation de Dakota Plains c Smoke, 2022 CF 911) :

[15] Je partage l’avis des demandeurs selon lequel la jurisprudence démontre clairement que la Cour a compétence pour instruire la présente affaire. En effet, bien que le défendeur soit la seule personne nommée dans l’avis de demande, je peux comprendre l’explication des demandeurs selon laquelle ils n’ont pas nommé le défendeur en sa qualité de chef héréditaire de Dakota Plains, parce que les demandeurs ne le reconnaissent pas comme tel. Le désaccord sur la question de savoir qui doit gouverner Dakota Plains est précisément la question en litige dont est saisie la Cour. Le défendeur, dans la présente affaire, se présente comme le chef héréditaire de Dakota Plains, en conformité avec la coutume. Comme l’ont fait remarquer les demandeurs, la jurisprudence de la Cour a établi que le conseil de bande d’une Première Nation constitue un « office fédéral » et que la Cour a compétence à l’égard des décisions prises par le conseil de bande d’une Première Nation (Gamblin, aux para 29-63). Notre Cour a également conclu qu’elle peut examiner les décisions prises en vertu de la coutume. Dans la décision Thomas c One Arrow First Nation, 2019 CF 1663 (One Arrow), mon collègue le juge Grammond a indiqué, au paragraphe 14 :

On ne saurait remettre en cause la compétence de notre Cour pour examiner des décisions prises aux termes des lois électorales d’une Première Nation, y compris lorsque ces lois sont dites « coutumières ». Voir, par exemple, Canatonquin c Gabriel, [1980] 2 CF 792 (CA); Ratt c Matchewan, 2010 CF 160, aux paragraphes 96 à 106; Gamblin c Conseil de la Nation des Cris de Norway House, 2012 CF 1536, aux paragraphes 29 à 63.

[28] En ce qui concerne la possibilité d’obtenir une réparation sous la forme d’un bref de quo warranto, le juge Ahmed s’est appuyé sur la décision Nation Ojibwée de Saugeen c Derose, 2022 CF 531 [Saugeen] au para 91, pour déterminer qu’il était loisible à la Cour de nommer l’instance dirigeante légitime dans le cadre d’un bref de quo warranto.

II. Les questions en litige

[29] Dans leur avis de demande modifié, les demandeurs demandent plusieurs formes de réparation, que je résumerais ainsi :

  • a)Une ordonnance sous forme de bref de certiorari annulant toutes les décisions prises et les RCB adoptées par le défendeur en tant que chef;

  • b)Une ordonnance sous forme de bref de quo warranto déclarant que le défendeur n’a pas l’autorité légitime d’agir en tant que chef et déclarant qu’Evangeline Towle est la cheffe de la PNDP;

  • c)Une ordonnance de mandamus exigeant que le défendeur divulgue et rende compte de toutes les décisions ou mesures prises depuis le 27 septembre 2021.

[30] Dans leurs observations écrites, les demandeurs formulent ainsi les questions en litige :

  1. La Cour fédérale a-t-elle compétence pour connaître de la présente affaire?

  • a)La qualité pour agir des demandeurs;

  • b)Le paragraphe 18.1(2) et l’article 302 des Règles;

  • c)La norme de contrôle.

  1. Les questions relatives à la preuve

  2. Le défendeur a-t-il l’autorité légitime de gouverner la PNDP?

  • a)Quelle est la coutume actuelle concernant la gouvernance de la PNDP?

  • b)Faut-il appliquer le bref de quo warranto?

  • c)La validité des RCB contestées.

  1. En ce qui concerne la RCB du 16 décembre, le défendeur avait-il le pouvoir de retirer à la demanderesse Evangeline Towle sa qualité de signataire autorisée?

  2. Quelles sont les réparations appropriées?

  3. Les dépens.

[31] Après avoir entendu les observations orales et pris en compte l’ordonnance du juge Ahmed mentionnée ci-dessus, je traiterai des questions en litige ainsi :

  1. La norme de contrôle

  2. La coutume

  • (1)Les principes juridiques applicables

  • (2)Les demandeurs ont-ils établi leur version de la coutume de la PNDP?

  • a)Les conseils ont-ils un rôle à jouer dans la sélection du chef héréditaire de la PNDP?

  • (3)Conclusion — la coutume

  1. Faut-il accorder une ordonnance sous forme de bref de quo warranto?

  2. Les RCB contestées sont-elles valides?

  • (1)La RCB du 27 septembre 2021

  • (2)La RCB du 16 décembre 2021

  1. Les demandeurs sont-ils légalement autorisés à introduire la présente demande au nom de la PNDP?

  2. Quelle est la réparation appropriée?

  3. Les dépens

III. Analyse

A. La norme de contrôle

[32] Dans le cadre de la présente demande, la question est de savoir qui peut valablement prétendre au titre de chef héréditaire de la PNDP. Comme il n’existe pas d’organisme ou de processus de la PNDP permettant de trancher cette question, j’adopte l’approche énoncée par le juge Grammond dans la décision Saugeen, où il note ce qui suit :

[28] En revanche, en l’espèce, les parties n’allèguent pas que la NOS dispose d’un organe décisionnel permettant de régler le différend entre elles. Il n’y a pas de décideur indépendant à l’égard duquel la Cour doit faire preuve de déférence. Faire preuve de déférence dans ce contexte conférerait un avantage indu à une partie par rapport à l’autre sur la base de facteurs arbitraires, comme la séquence dans laquelle les demandes de contrôle judiciaire sont présentées ou l’aspect de la conduite des parties qui est considéré comme la « décision » devant faire l’objet d’un contrôle. Qui plus est, en pratique, il ne peut y avoir deux personnes ayant une prétention également raisonnable au poste de chef; une personne doit avoir raison et l’autre, tort.

[29] Je voudrais aussi ajouter que le rôle de notre Cour n’est pas d’enquêter sur les allégations de mauvaise administration formulées par les membres de la NOS contre le chef Edward Machimity. Il incombe à la Cour de préciser les règles juridiques concernant la sélection du leadership de la NOS et de les appliquer à la situation en l’espèce. Ce faisant, la Cour n’évalue pas le mérite relatif des prétendants et ne juge pas les actes de l’administration en place : Gadwa c Joly, 2018 CF 568 aux paragraphes 30 à 33; Standingready c Première Nation Ocean Man, 2021 CF 434 [Standingready] aux paragraphes 13 et 14. […]

[Non souligné dans l’original.]

[33] Bien que l’affaire Saugeen ait porté sur des demandes concurrentes déposées dans le cadre de deux demandes de contrôle judiciaire, j’estime que les mêmes principes et la même approche s’appliquent à la présente demande.

B. La coutume

(1) Les principes juridiques applicables

[34] Dans la décision Première Nation des Da'naxda'xw c Peters, 2021 CF 360 [Da'naxda'xw] aux para 66-72, la juge Strickland examine en détail les considérations applicables et les éléments de preuve nécessaires pour établir une coutume. J’aimerais souligner les principes suivants qui sont pertinents en l’espèce :

  • Il doit y avoir la preuve d’une pratique et de la manifestation de la volonté des membres de la Première Nation d’être liés par cette pratique;

  • Il doit y avoir la preuve démontrant que la coutume est fermement établie, généralisée et suivie de façon constante et consciencieuse par une majorité de la communauté, ce qui témoigne d’un large consensus;

  • Le chef et le conseil ne peuvent à eux seuls déterminer qu’un changement de circonstances constitue une nouvelle coutume, car il doit y avoir un large consensus parmi les membres;

  • La coutume n’est pas figée dans le temps, mais tout changement nécessite un large consensus parmi les membres;

  • La question de savoir si une coutume fait l’objet d’un large consensus est liée aux faits et au contexte, et la preuve peut démontrer qu’il n’y a pas de consensus;

  • La coutume peut être démontrée par un fait unique, tel qu’un référendum ou un vote à la majorité, par une série de faits ou, éventuellement, par l’acquiescement;

  • Il incombe à la partie qui tente de démontrer l’existence d’une coutume de prouver qu’il existe un large consensus;

  • L’existence d’une coutume de la bande et la question de savoir si elle a été modifiée avec l’accord substantiel des membres de la bande dépendent toujours des circonstances.

[35] Conformément aux principes énoncés dans la décision Da'naxda'xw, la preuve des demandeurs doit démontrer que leur coutume ou le changement de coutume sont fermement établis, que la coutume est suivie de façon constante et qu’elle fait l’objet d’un large consensus parmi les membres de la PNDP.

(2) Les demandeurs ont-ils établi leur version de la coutume de la PNDP?

[36] Les demandeurs ont le fardeau d’établir la coutume qu’ils prétendent fait partie du droit de la PNDP. Dans son affidavit, Evangeline Towle déclare que la coutume de gouvernance héréditaire de la PNDP est la suivante :

[traduction]

4. La Première Nation de Dakota Plains est gouvernée par un système héréditaire, conformément au processus coutumier non écrit de sélection depuis des temps immémoriaux.

5. La structure de gouvernance héréditaire comprend un (1) chef héréditaire, des conseils coutumiers composés d’un conseil des aînés, d’un conseil des femmes et d’un conseil des jeunes, et tous les membres de la Première Nation âgés de plus de dix-huit (18) ans sont considérés comme des membres représentatifs du conseil de la Première Nation de Dakota Plains.

6. La nomination d’un chef héréditaire consiste traditionnellement en une décision prise par un groupe de membres représentatifs du conseil, et la chefferie passe normalement du chef au fils ou à l’enfant aînés du chef. Si cette personne n’est pas un candidat approprié pour le poste de chef ou si elle ne souhaite pas occuper ce poste, un autre candidat approprié est sélectionné parmi les autres enfants du chef.

[37] Les demandeurs affirment que la gouvernance actuelle de la PNDP se compose d’un conseil des jeunes, d’un conseil des femmes et d’un conseil des aînés. Ils affirment que ces conseils sont acceptés par la communauté et qu’ils figurent sur le papier à en-tête de la PNDP.

[38] Selon la version des demandeurs de la coutume de la PNDP, à la mort du chef Orville Smoke, son fils aîné, Arden Smoke, est devenu le chef. Lorsque Arden Smoke a renoncé à ce poste, Evangeline Towle a été choisie comme cheffe héréditaire de la PNDP par les représentants du conseil des jeunes, du conseil des femmes et du conseil des aînés.

[39] Les demandeurs expliquent que, traditionnellement, si le fils aîné n’était pas un candidat approprié pour devenir chef héréditaire, les matriarches de la communauté choisissaient un autre membre de la fratrie et préparaient celui-ci ou celle-ci à occuper ce rôle. Cependant, comme il n’y a pas de matriarches traditionnelles à la PNDP, la décision de nommer le prochain chef revient à la communauté.

[40] Pour étayer leur thèse quant à la coutume concernant la sélection du chef héréditaire de la PNDP, les demandeurs s’appuient sur l’affidavit de Katherine Whitecloud. Dans son affidavit, celle-ci déclare ce qui suit :

[traduction]

34. Certains membres de la communauté comprennent les coutumes traditionnelles, mais la Première Nation de Dakota Plains n’a pas de matriarche comme à l’époque où les communautés se sont séparées en 1972, et la compréhension de la langue et des façons de se comporter en bons parents les uns pour les autres s’est dissipée. En règle générale, la communauté ne comprend pas les coutumes dakotas ainsi que les relations que nous sommes censés entretenir les uns avec les autres.

35. S’il n’y a pas de compréhension des coutumes traditionnelles dakota, du rôle des personnes dans chaque famille (tiwahe) et du rôle au sein d’une tiospaye (famille élargie) ainsi que dans l’oyate (communauté/Nation), du fait de se conduire selon les principes et les valeurs du wichohan dakota (notre mode de vie : humilité, compassion, positivité, respect, aide, fiabilité, silence, courage, patience, bravoure, attachement, valeur, amour, douceur, honnêteté, générosité, force et, enfin, sagesse). Il y a des étapes importantes dans nos vies qui sont célébrées lorsque les grands-mères et les tantes reconnaissent qu’un enfant a appris les attributs du wichohan dakota, par exemple en sachant faire la différence entre le bien et le mal, et en apprenant et en montrant qu’il comprend ces façons de faire, pour finalement gagner le droit au « rite de passage » : de l’enfant au jeune adulte. S’il n’y a pas cette compréhension de nos traditions dakota, alors il est contradictoire d’essayer d’utiliser une approche traditionnelle des qualités de dirigeant qui n’est pas bien comprise. Les qualités de dirigeant ne sont pas des choses avec lesquelles on peut jouer ou que l’on peut prendre à la légère, car vous êtes responsable de chaque membre de votre communauté et devez placer leurs intérêts au-dessus de tout, en particulier des intérêts personnels. Par qualités de dirigeant, on entend la capacité de s’asseoir ensemble au sein d’un conseil respectueux, d’écouter les membres de la communauté et de respecter leur opinion. Il est important que la communauté connaisse les modèles de gouvernance — y compris le système traditionnel de gouvernance coutumière et les autres systèmes disponibles.

[Non souligné dans l’original.]

[41] Les demandeurs demandent instamment à la Cour d’accepter la preuve de Katherine Whitecloud sur la coutume de la PNDP parce qu’il s’agit d’une preuve objective.

[42] D’après ma lecture de l’affidavit de Katherine Whitecloud, elle décrit ce qu’elle croit être la coutume dakota, plutôt que ce qu’elle a observé à la PNDP. En ce sens, sa description de la coutume relève davantage de l’aspiration que de l’observation. Elle ne fournit pas de preuve de l’existence d’une pratique et ne parle pas non plus d’un large consensus parmi les membres de la PNDP. À ce titre, son affidavit est de peu d’utilité pour la Cour lorsqu’il s’agit de déterminer s’il existe une preuve d’un consensus au sein de la communauté de la PNDP sur la coutume relative à la nomination d’un chef héréditaire. En outre, comme Katherine Whitecloud n’est pas membre de la PNDP, sa capacité à parler de la coutume de la PNDP est limitée, surtout si l’on considère qu’il n’y a pas eu de changement de chef à la PNDP pendant 26 ans.

[43] Dans ces circonstances, je préfère la preuve directe de l’aîné Leslie Smoke, qui a personnellement assisté au transfert de la chefferie dans le passé. Leslie Smoke est un fils de Chaske et Tiyo Smoke et le frère du défunt chef Orville Smoke. Dans son affidavit, Leslie Smoke décrit la coutume de la manière suivante :

[traduction]

6. La Première Nation de Dakota Plains est gouvernée par ce que Services aux Autochtones Canada appelle un « système héréditaire », mais il est important de reconnaître que notre système de gouvernance ne fonctionne pas selon un système de succession héréditaire au titre duquel une chefferie est simplement transmise à la mort du chef actuel à son fils aîné.

7. Le processus coutumier de sélection de la Première Nation de Dakota Plains impliquait traditionnellement une réunion des membres survivants de la famille fondatrice, c’est-à-dire mon défunt père et ma défunte mère, ma fratrie et moi‑même, dans la maison de mes parents à Dakota Plains, pour discuter en groupe de qui serait le prochain chef héréditaire.

8. Au cours de ma vie, la sélection du prochain chef a toujours été faite par la famille fondatrice. Notre processus de sélection héréditaire a traditionnellement laissé une grande marge de manœuvre au chef en place pour exprimer son désir quant à la personne devant lui succéder, mais depuis la chefferie de mon père Chaske Smoke, si ce n’est depuis des temps immémoriaux, les membres survivants de la famille fondatrice se sont, à ma connaissance, toujours réunis pour discuter de la sélection du prochain chef et l’approuver.

9. La sélection d’un chef successeur suppose la prise en compte de son mérite à occuper le poste, y compris des facteurs tels que le niveau de scolarité et l’engagement dans la communauté.

10. La chefferie de la Première Nation de Dakota Plains a été transmise par l’ancien chef, feu Chaske Smoke, à mon frère aîné, Laurence Smoke. Feu Laurence Smoke a renoncé à sa chefferie peu de temps après parce qu’il a décidé de travailler à l’extérieur de la communauté de Dakota Plains et qu’il souhaitait transmettre la chefferie à quelqu’un qui avait fait plus d’études et qui serait mieux à même de voir à la gouvernance et aux affaires de la communauté de Dakota Plains.

11. Lorsque mon frère, feu Laurence Smoke, a souhaité renoncer à sa fonction de chef, ma fratrie et moi-même, y compris le chef Laurence Smoke (tel était alors son titre), avons rencontré notre mère dans sa maison à Dakota Plains pour discuter de la personne qui succéderait à Laurence Smoke en tant que chef de Dakota Plains.

12. Mon frère, feu Ernie Smoke, a été choisi par ma défunte mère, feu l’ancien chef Laurence Smoke et nos neuf autres frères et sœurs pour succéder à Laurence Smoke en tant que chef lors de notre réunion de famille à la résidence de ma mère. Ernie Smoke n’était pas le deuxième enfant le plus âgé après Laurence Smoke.

13. Après la mort soudaine et inattendue de l’ancien chef Ernie Smoke, vers 1994, ma défunte mère ainsi que les frères et sœurs restants se sont réunis au domicile de ma mère à Dakota Plains pour choisir le successeur d’Ernie Smoke. Bien qu’Ernie ait eu des descendants à l’époque, mon jeune frère, feu l’ancien chef Orville Smoke, a été choisi par la famille pour succéder à Ernie Smoke en tant que chef. De son vivant, mon frère, le chef Ernie Smoke, avait évoqué la question de savoir qui devrait lui succéder le moment venu et, avant sa mort, il avait indiqué qu’il souhaitait que ce soit mon frère Orville Smoke qui prenne la relève. Mes autres frères et moi‑même étions moins scolarisés que le défunt chef Orville Smoke, et ce dernier connaissait mieux les membres. Il était donc, à l’époque, le mieux placé pour être chef de Dakota Plains.

14. La sélection du chef actuel, Donald Smoke, en tant que successeur de feu l’ancien chef Orville Smoke, était conforme à notre processus coutumier de sélection.

[44] De plus, l’affidavit de l’aînée Deborah Smoke-Houle, fille d’Arnett Smoke, un autre fils de Chaske et Tiyo Smoke, décrit le même processus que celui exposé ci-dessus, dans l’affidavit de Leslie Smoke, et ajoute ce qui suit :

[traduction]

9. La sélection du successeur du chef a toujours été faite par la famille fondatrice en tenant compte de facteurs tels que le niveau de scolarité et l’engagement communautaire du successeur, et non simplement par la transmission de la chefferie du chef au fils aîné.

10. En tant que fille d’un membre de la famille fondatrice, je n’ai jamais participé à la sélection du prochain chef héréditaire, mais, en tant qu’aînée de la communauté, la connaissance de cette coutume m’a été transmise par les aînés qui m’ont précédée. D’après ce que je comprends de la transmission de ce savoir de génération en génération, le mode de sélection décrit ci-dessus dans mon affidavit est la méthode qui a été utilisée pour sélectionner les trois chefs héréditaires depuis que mon grand-père, Chaske Smoke, a quitté ses fonctions.

[45] Leslie Smoke et Deborah Smoke-Houle confirment que la coutume de la PNDP ne consiste pas simplement à transmettre la chefferie au fils aîné, à la mort du chef. Ils décrivent le processus de sélection du prochain chef héréditaire comme étant effectué par les membres survivants de la famille de Chaske et Tiyo Smoke (désignée ci-dessus comme la famille fondatrice), en tenant compte de facteurs tels que la scolarité et l’engagement communautaire, et pas nécessairement l’ordre de naissance.

[46] Leslie Smoke et Deborah Smoke-Houle déclarent tous deux qu’ils n’ont pas été surpris lorsque le défendeur a été nommé chef héréditaire, étant donné qu’on l’avait aidé à se préparer pour ce rôle et que la famille avait discuté de sa nomination.

[47] Sur la question de la coutume, je préfère la preuve présentée par les aînés Leslie Smoke et Deborah Smoke-Houle. Ils n’ont pas été contre-interrogés sur leurs affidavits. Par conséquent, la preuve qu’ils ont fournie n’est pas contestée en ce qui concerne la coutume que suit la PNDP pour la sélection des chefs héréditaires.

[48] Je m’arrête ici pour souligner que les demandeurs ont choisi de ne contre-interroger aucun des témoins du défendeur sur leur preuve par affidavit. Bien que cela ne signifie pas que la Cour doive accepter sans réserve la teneur de cette preuve, cela signifie effectivement que, sur les principales questions en litige entre les parties, comme la coutume liée au changement de chef au sein de la PNDP, la preuve du défendeur demeure incontestée.

[49] Conformément à la preuve des aînés sur les mesures prises en vue de préparer le prochain chef héréditaire, il existe une preuve des mesures prises par le chef Orville Smoke afin de préparer son fils, le défendeur, au rôle de chef, notamment les suivantes :

  • l’envoi du défendeur à l’Université de Lethbridge pour obtenir un diplôme dans le domaine de la gestion des affaires et celui des systèmes d’autonomie gouvernementale dans les années 1990;

  • la nomination, en janvier 2015, du défendeur à titre de vice-chef de la PNDP, en vue de négocier l’entrée de la PNDP dans le système scolaire des Premières Nations du Manitoba;

  • la permission donnée au défendeur, en tant que vice-chef, d’agir comme mandataire politique auprès de l’Organisation des chefs du Sud et de l’Assemblée des chefs du Manitoba;

  • la présentation du défendeur comme chef en titre de la PNDP lors d’une activité communautaire organisée en juin 2017, à l’intention des aînés de la PNDP;

  • la demande faite au défendeur, en mars 2018, de l’accompagner à l’assemblée des chefs nationaux, où il l’a présenté aux participants comme étant le prochain chef de la PNDP;

  • la remise au défendeur, en juin 2020, d’une coiffe et la déclaration que cette dernière lui appartenait à partir de ce jour-là, en tant que futur chef héréditaire de la PNDP. Des photographies ont été prises à cette occasion;

  • la permission donnée au défendeur de continuer à agir en tant que mandataire lors de réunions qui se sont tenues entre 2020 et 2021;

  • une lettre datée du 2 février 2021, adressée à SAC, à l’Assemblée des chefs du Manitoba, à l’Organisation des chefs du Sud, à Manitoba Keewatinown Okimakanak Inc. et à [traduction] « toutes les autres parties concernées », mentionnait que le défendeur avait été désigné comme vice-chef et qu’il était autorisé à agir au nom du chef Orville Smoke en tant que chef de la PNDP, dans le cadre de la planification de la relève de la Nation;

  • la permission donnée au défendeur, le 31 août 2021, de tenir sa première réunion de la bande, en agissant en tant que chef;

  • une publication sur Facebook, le 3 septembre 2021, au sujet d’une RCB à venir, annonçant que le défendeur serait son successeur;

  • la permission donnée au défendeur, le 14 septembre 2021, d’assister à la cérémonie de lever du drapeau dakota à Winnipeg et de porter la coiffe qui lui avait été remise.

[50] En réponse à cette preuve, les demandeurs affirment que le défendeur n’a toujours agi qu’à titre de mandataire du chef et que ces activités n’avaient pas pour but de préparer le défendeur à devenir chef. Là encore, je souligne que les demandeurs ont choisi de ne pas contester quelque élément que ce soit de cette preuve du défendeur.

[51] En revanche, la demanderesse Evangeline Towle n’a fourni aucune preuve des mesures prises par son père, le chef Orville Smoke, pour la préparer à devenir cheffe. Je souligne qu’elle travaille pour la PNDP depuis 30 ans, plus récemment dans un rôle administratif au bureau de la bande, et qu’elle affirme avoir travaillé en étroite collaboration avec son père et avoir assisté à des réunions avec lui. Elle affirme que son père lui a dit en janvier 2021 qu’elle était la meilleure candidate pour le poste de chef. Cependant, elle n’a pas produit d’autres éléments de preuve à l’appui de cette déclaration et n’a fourni aucune preuve que son père aurait annoncé publiquement qu’elle deviendrait cheffe de la PNDP.

[52] En outre, il existe une preuve selon laquelle Evangeline Towle a, en fait, reconnu le défendeur comme chef, lorsque, le 13 octobre 2021, elle a signé une RCB (concernant la sécurité à la PNDP) en tant que conseillère, dans laquelle le défendeur est clairement identifié comme étant le [traduction] « chef Donald Smoke ».

[53] La revendication d’Evangeline Towle, selon laquelle elle est la cheffe, dépend de l’affirmation selon laquelle, d’après la coutume de la PNDP, Arden Smoke, le fils aîné du chef Orville Smoke, est devenu chef à la mort de son père. Il n’existe cependant aucune preuve — coutumière ou autre — à l’appui de cette affirmation. Il n’y a aucune preuve directe de la part d’Arden Smoke lui-même, et rien ne prouve qu’il se soit comporté en tant que chef, bien qu’il ait prétendu avoir renoncé à ce rôle deux mois après la mort de son père. En fait, la RCB du 2 décembre 2021, dans laquelle les demandeurs ont tenté de modifier les pouvoirs de signature, à l’égard du compte général de la PNDP, à la Peace Hills Trust Company, ne désigne pas Arden Smoke comme étant le chef.

[54] Dans son affidavit, le demandeur Craig Blacksmith déclare que le chef Orville Smoke [traduction] « ne savait pas qui assumerait la fonction de chef lorsqu’il est mort ». Cette déclaration est va à l’encontre de la thèse des demandeurs selon laquelle la coutume bien connue voulait qu’Arden Smoke devienne automatiquement le prochain chef après la mort du chef Orville Smoke.

[55] Une autre contradiction avec la coutume avancée par les demandeurs est qu’ils n’expliquent pas comment la transmission de la chefferie de Laurence Smoke à Ernie Smoke, puis à Orville Smoke, est cohérente avec leur version de la coutume de la PNDP. Lors de son contre-interrogatoire, Evangeline Towle a déclaré [traduction] « [qu’]il n’y avait pas vraiment de coutumes ou de traditions » au-delà de la transmission de la chefferie [traduction] « au fils aîné », puis elle a ajouté que son père, le chef Orville Smoke, avait été nommé par 20 membres non identifiés de la famille lorsque sa grand-mère avait préparé un repas un jour. Cette déclaration semble confirmer la coutume prétendue dont le défendeur a fait état.

[56] Dans l’ensemble, la preuve fournie par les demandeurs sur la coutume est incohérente. Hormis les RCB préparées par les demandeurs plus de deux mois après la mort du chef Orville Smoke, il n’existe aucune preuve documentaire corroborant la coutume prétendue qu’ils font valoir. Cela contraste complètement avec la preuve de la coutume apportée par le défendeur, qui est confirmée par deux anciens de la PNDP, et avec la preuve documentaire des mesures prises par le défunt chef Orville Smoke pour préparer son deuxième fils, le défendeur, à assumer la responsabilité de diriger la PNDP en tant que chef.

[57] Par conséquent, les demandeurs n’ont pas réussi à établir leur coutume prétendue. Il n’existe aucune preuve d’un large consensus au sein de la communauté sur leur coutume prétendue, aucune preuve que les membres de la PNDP ont reconnu Arden Smoke comme étant le chef après la mort du défunt chef Orville Smoke et aucune preuve qu’Evangeline Towle a été reconnue comme étant la cheffe.

[58] Toutefois, des affidavits et des éléments de preuve documentaire crédibles établissent que le défendeur était préparé à devenir chef héréditaire de la PNDP et qu’il a effectivement été choisi à ce titre, conformément à la coutume de la PNDP.

a) Les conseils ont-ils un rôle à jouer dans la sélection du chef héréditaire de la PNDP?

[59] Dans le cadre de la coutume avancée par les demandeurs, ceux-ci affirment que le pouvoir de sélectionner un nouveau chef héréditaire est dévolu au conseil des jeunes, au conseil des femmes et au conseil des aînés.

[60] Les demandeurs n’ont apporté aucune preuve d’un large consensus sur la composition de ces conseils ou sur leurs pouvoirs et fonctions au sein de la gouvernance de la PNDP. Les seuls détails fournis par les demandeurs au sujet de ces conseils sont que toute femme membre de la PNDP qui est âgée de plus de 28 ans est censée faire partie du conseil des femmes et que tout membre de la PNDP qui est âgé de plus de 60 ans est censé faire partie du conseil des aînés. Il n’y a pas de preuve quant aux critères pour être membre du conseil des jeunes.

[61] Ces conseils semblent avoir vu le jour au cours de la chefferie de feu Orville Smoke. Étant donné que ces conseils ont vu le jour plus récemment, ces conseils n’auraient pas participé aux nominations coutumières antérieures des chefs de la PNDP.

[62] Le défendeur affirme que ces conseils ne sont pas actifs, qu’ils ne tiennent pas de réunions et qu’ils n’ont pas de pouvoir ou d’autorité en matière de gouvernance au sein de la PNDP. Cela semble être confirmé par les déclarations faites par les demandeurs Craig Blacksmith et Alvin Smoke en contre-interrogatoire, alors qu’ils ont admis ne pas savoir s’il existe des réunions officielles ou de listes des membres pour ces conseils.

[63] Leslie Smoke et Deborah Smoke-Houle, qui seraient membres du conseil des aînés, déclarent dans leurs affidavits qu’elles n’ont été informées d’aucune réunion du conseil des aînés concernant la nomination d’un représentant habilité à signer une RCB nommant le chef héréditaire de la PNDP.

[64] De plus, Joan Smoke, Donna Lynn Smoke et Lisa Marie Roulette, qui sont toutes censées être membres du conseil des femmes, déclarent dans leurs affidavits qu’elles n’ont pas été informées d’une réunion du conseil des femmes concernant la nomination d’un représentant habilité à signer une RCB nommant le chef héréditaire de la PNDP.

[65] Chandelle Smoke-Towle (la fille d’Evangeline Towle), qui a signé la RCB du 6 décembre et celle du 10 décembre au nom du conseil des femmes, ne mentionne pas, dans son affidavit, la tenue d’une réunion du conseil des femmes au cours de laquelle elle aurait été choisie pour représenter ce conseil. En contre-interrogatoire, elle a reconnu qu’il n’y avait pas eu de réunion du conseil des femmes pour la nommer en tant que représentante.

[66] Hormis les RCB des 6 et 10 décembre des demandeurs, dans lesquelles il est déclaré que ces conseils font partie de la gouvernance au sein de la PNDP, ils n’ont produit aucun autre élément de preuve à l’appui de cette coutume invoquée. Il n’existe aucune preuve permettant d’établir un large consensus sur le fait que ces conseils jouent un rôle de gouvernance au sein de la PNDP.

[67] Je ne suis pas convaincue que le conseil des jeunes, le conseil des femmes ou le conseil des aînés jouent un rôle quelconque dans la nomination du chef héréditaire de la PNDP. La preuve fournie par les demandeurs ne démontre pas l’existence d’un large consensus parmi les membres de la PNDP permettant de confirmer que ces conseils récemment créés jouent un rôle quelconque dans la sélection du chef héréditaire.

[68] Par conséquent, la prétention des demandeurs selon laquelle les représentants de ces conseils ont valablement signé la RCB du 6 décembre, nommant Arden Smoke chef héréditaire, et la RCB du 10 décembre, nommant Evangeline Towle chef héréditaire, doit être rejetée.

(3) Conclusion — la coutume

[69] Les parties conviennent que la PNDP nomme les chefs héréditaires conformément à la coutume, mais elles ne s’entendent pas sur la coutume en question. Il y a des incohérences dans la preuve des demandeurs concernant leur coutume prétendue : (1) il n’y a pas de preuve qu’Arden Smoke est devenu chef à la mort de son père, le chef Orville Smoke; (2) il n’y a pas de preuve que la coutume alléguée par les demandeurs a été suivie pour la nomination du chef Orville Smoke; (3) il n’y a pas de preuve que le conseil des jeunes, le conseil des femmes et le conseil des aînés sont habilités à nommer un chef héréditaire.

[70] Sur le premier point, la preuve n’étaye pas la coutume prétendue que font valoir les demandeurs selon laquelle la chefferie de la PNDP est transmise au fils aîné du chef. Il n’y a aucune preuve qu’Arden Smoke a agi en tant que chef après la mort de son père, ou que les membres de la PNDP ont reconnu Arden Smoke en tant que chef héréditaire.

[71] Deuxièmement, la coutume prétendue que font valoir les demandeurs n’a pas été respectée lors de la nomination du chef Orville Smoke. Le chef Ernie Smoke avait ses propres enfants adultes, mais après sa mort, c’est son jeune frère, Orville Smoke, qui est devenu chef. En fait, le témoignage d’Evangeline Towle lors de son contre-interrogatoire sur la sélection de son père en tant que chef corrobore l’articulation de la coutume faite par le défendeur et la preuve de cette coutume. Evangeline Towle a déclaré que son père, le chef Orville Smoke, [traduction] « a[vait] été nommé par — [s]a grand-mère a[vait] préparé un repas un jour. Et, à cette réunion, il y avait 20 membres différents de la famille qui [avaient] nommé [s]on père comme chef ». Cela concorde avec la preuve produite par le défendeur, selon laquelle le chef héréditaire est choisi lors d’une réunion de la famille de Chaske et Tiyo Smoke.

[72] Troisièmement, il y a une absence totale de preuve à l’appui de l’affirmation des demandeurs selon laquelle le conseil des jeunes, le conseil des femmes et le conseil des aînés ont un pouvoir quelconque de nommer le chef héréditaire. Il n’existe tout simplement aucune preuve établissant que ces conseils jouent un rôle quelconque dans la gouvernance de la PNDP.

[73] En ce qui concerne le changement de coutume, tant que la coutume établie pour la sélection du chef héréditaire n’a pas été modifiée, selon un large consensus des membres de la PNDP, la coutume établie continue de s’appliquer. Il n’existe aucune preuve d’un large consensus ou d’une ligne de conduite des membres de la PNDP visant à modifier la coutume, qui a été suivie de manière constante depuis l’époque de la chefferie de Chaske Smoke.

[74] Les pratiques coutumières de la PNDP en matière de sélection du chef héréditaire ne peuvent pas être modifiées par les mesures ponctuelles prises par les demandeurs. Bien que les demandeurs prétendent que la coutume selon laquelle le défendeur a été sélectionné n’est pas viable, cette affirmation ne réfute pas la coutume. En outre, le fait que la coutume puisse devoir être modifiée à l’avenir est une question qui dépasse le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire.

[75] Les demandeurs n’ont pas réussi à établir leur version de la coutume de la PNDP ni n’ont réussi à démontrer que le défendeur n’avait pas été nommé chef héréditaire de la PNDP en conformité avec la coutume. Par conséquent, aux termes de la RCB du 27 septembre 2021, le défendeur a l’autorité légitime, depuis le 28 septembre 2021, de gouverner la PNDP à titre de chef héréditaire.

C. Faut-il accorder une ordonnance sous forme de bref de quo warranto?

[76] Les demandeurs sollicitent une réparation sous forme de bref de quo warranto sous deux aspects. Premièrement, ils demandent que le défendeur soit démis des fonctions de chef. Ils font valoir que le défendeur n’est pas légalement habilité à exercer les pouvoirs de chef de la PNDP. Deuxièmement, ils demandent une ordonnance sous forme de bref de quo warranto pour qu’Evangeline Towle soit confirmée en tant que cheffe.

[77] Comme j’ai conclu que les demandeurs n’avaient pas établi la coutume sur laquelle ils s’appuient pour contester la prétention du défendeur selon laquelle il est le chef héréditaire, et comme j’ai accepté le fait que le défendeur a été nommé conformément à la coutume passée, la demande de réparation sous forme de bref de quo warranto doit être rejetée. Toutefois, je vais aborder brièvement cette demande de réparation.

[78] Le critère pour l’obtention d’une réparation sous forme de bref de quo warranto et les facteurs que la Cour doit prendre en considération sont énoncés dans la décision Jock c Canada (1re inst), [1991] 2 CF 355 [Jock] aux p 370, 371. Ces facteurs sont les suivants : il doit s’agir d’une charge de nature publique; le titulaire prétendu doit avoir exercé la charge; la partie requérante ne doit pas avoir acquiescé à l’exercice de la charge par le titulaire. Chacun de ces critères doit être satisfait pour que l’ordonnance sous forme de bref de quo warranto soit accordée (Jock, à la p 378).

[79] Les demandeurs affirment que le défendeur ne dispose d’aucun fondement juridique pour occuper le poste de chef héréditaire de la PNDP conformément au droit coutumier de la PNDP. Les demandeurs prétendent qu’ils ont satisfait aux critères de la décision Jock pour les motifs suivants :

  • a)La charge de chef de la PNDP est de nature publique;

  • b)Le défendeur a exercé la charge de chef héréditaire;

  • c)Le chef héréditaire ne peut pas être révoqué à volonté;

  • d)Les demandeurs n’ont pas approuvé ou retardé indûment, comme le montre la mise en demeure, les tentatives de règlement du litige à l’échelle de la communauté et, en fin de compte, la présente demande;

  • e)Les demandeurs ont un intérêt véritable dans la procédure et sont tous membres de la PNDP;

  • f)Le temps qui s’est écoulé entre le moment où les demandeurs ont découvert que le défendeur prétendait être le chef et la date de dépôt de la présente demande était court et non déraisonnable;

  • g)Le système héréditaire coutumier de la PNDP ne prévoit pas de mécanisme de règlement pour les différends relatifs à la charge de chef héréditaire.

[80] En examinant les critères établis dans la décision Jock, j’accepte le fait que le défendeur a agi en tant que chef héréditaire et que la charge est publique. J’accepte également le fait qu’il ne semble pas y avoir d’autres recours au titre du droit coutumier de la PNDP pour contester la charge du chef héréditaire.

[81] Toutefois, la lacune fatale dans la demande de réparation des demandeurs sous la forme d’un bref de quo warranto est qu’ils n’ont pas établi leur version de la coutume régissant la PNDP. Par conséquent, il n’y a pas d’exercice illicite de la charge par le défendeur, ce qui est le premier critère nécessaire pour étayer une demande de bref de quo warranto.

[82] Quoi qu’il en soit, j’aurais conclu que le droit des demandeurs de solliciter une réparation sous forme de bref de quo warranto était éteint par leur acquiescement. La RCB reconnaissant le défendeur comme chef héréditaire a été signée en septembre 2021. Le chef Orville Smoke a publié un avis en ce sens sur Facebook. Compte tenu de la taille relativement petite de la PNDP et du fait qu’Evangeline Towle et le défendeur sont de la même fratrie, je n’accepte pas la prétention selon laquelle Evangeline Towle et les autres demandeurs n’auraient pas été informés de la nomination du défendeur en tant que chef héréditaire avant novembre ou décembre 2021.

[83] Il n’est tout simplement pas crédible de la part des demandeurs de dire qu’ils ne savaient pas que le défendeur avait été nommé chef.

[84] La demande de réparation des demandeurs sous forme de bref de quo warranto sera rejetée.

D. Les RCB contestées sont-elles valides?

(1) Les RCB du 27 septembre 2021

[85] Les demandeurs contestent trois RCB, signées le 27 septembre 2021, qui nomment le défendeur au poste de chef et modifient les critères d’admissibilité pour le chef en fonction. Les demandeurs prétendent que ces RCB ont été signées par le défendeur, mais elles portent la signature du chef Orville Smoke ainsi que de ses frères Leslie Smoke et Ronald Smoke père. Le texte intégral des RCB est reproduit ci-dessous.

[86] La première RCB, qui désigne le défendeur comme chef, est ainsi libellée :

[traduction]

Le conseil de la Nation des Wahpeton de Dakota Plains

[…]

PAR LES PRÉSENTES, lors d’une assemblée dûment convoquée à la salle du conseil le 27e jour de septembre 2021, il est résolu par le chef et le conseil de la Nation des Wahpeton de Dakota Plains que la Nation des Wahpeton Oyate de Dakota Plains honore notre droit inhérent de gouverner notre nation selon notre propre système de gouvernance héréditaire. En date de ce jour, le 27 septembre 2021, Orville Smoke a rempli ses fonctions à titre de chef de la Nation des Wahpeton Oyate de Dakota Plains. Le chef précédent et le conseil des aînés ont choisi un remplaçant acceptable et exerceront leur droit de transférer les pouvoirs dans le cadre d’un processus coutumier.

IL EST RÉSOLU, en ce jour du 27 septembre 2021, que l’ancien chef, Orville Smoke, et le conseil des aînés de la Nation des Wahpeton Oyate de Dakota Plains nomment Donald Raymond Smoke, né le 19 mai 1971, en qualité de chef de la Nation des Wahpeton Oyate de Dakota Plains.

IL EST RÉSOLU qu’à compter du 28 septembre 2021, Donald Raymond Smoke assume le rôle et la responsabilité d’autorité gouvernante principale de la Nation des Wahpeton de Dakota Plains ainsi que la responsabilité détenue par Orville Smoke à compter de cette date.

IL EST RÉSOLU qu’à compter du 28 septembre 2021, l’avis officiel de changement de titre soit transmis par les voies de communication appropriées, y compris, mais sans s’y limiter, à Services aux Autochtones Canada.

IL EST ENFIN RÉSOLU que le chef Donald Smoke conserve son siège jusqu’à ce qu’il ne puisse plus accomplir les tâches essentielles qui se rattachent à son poste d’une manière sûre, efficace et fiable..

[87] La deuxième RCB est rédigée en ces termes :

[traduction]

Le conseil de la Nation des Wahpeton de Dakota Plains

[…]

PAR LES PRÉSENTES, lors d’une assemblée dûment convoquée à la salle du conseil le 27e jour de septembre 2021, il est résolu par le chef et le conseil de la Nation des Wahpeton de Dakota Plains que la Nation des Wahpeton Oyate de Dakota Plains honore notre droit inhérent de gouverner notre nation selon notre propre système de gouvernance héréditaire. Donald Raymond Smoke, né le 19 mai 1971, a été choisi comme chef de la Nation des Wahpeton de Dakota Plains.

IL EST RÉSOLU, en ce jour du 27 septembre 2021, qu’Orville Smoke agisse en qualité d’aîné conseiller auprès du chef Donald Smoke de la Nation des Wahpeton de Dakota Plains, conjointement avec le conseil des aînés de Dakota Plains.

IL EST RÉSOLU qu’à compter de ce jour, le 27 septembre 2021, Donald Raymond Smoke doive continuer à assumer ses fonctions de directeur de l’éducation de l’école DE Dakota Plains, en plus d’entreprendre les responsabilités liées à sa nomination en tant que chef de la Nation des Wahpeton de Dakota Plains.

IL EST ENFIN RÉSOLU que le chef Donald Smoke conserve son siège jusqu’à ce qu’il ne puisse plus accomplir les tâches essentielles de son poste d’une manière sûre, efficace et fiable.

[88] La troisième RCB énonce ce qui suit :

[traduction]

Le conseil de la Nation des Wahpeton de Dakota Plains

[…]

Lors d’une réunion dûment convoquée du chef et du conseil de la Nation des Wahpeton de Dakota Plains dans la salle du conseil le 27 septembre 2021, le chef et le conseil de la Nation des Wahpeton de Dakota Plains ont décidé ce qui suit : la Nation des Wahpeton Oyate de Dakota Plains honore notre droit inhérent de gouverner notre Nation selon notre propre système de gouvernance héréditaire. Les élections tenues selon la Loi sur les Indiens viennent affaiblir nos traditions et nos cultures séculaires, en neutralisant le rôle du chef élu traditionnellement. Nos principes de gouvernance sont ancrés dans les traditions et les cultures qui sont les nôtres en tant que Wahpeton Oyate de Dakota Plains, et l’origine de notre mode de gouvernance est antérieure à l’imposition du colonialisme. La Nation des Wahpeton de Dakota Plains restera reconnue comme ayant un système de gouvernance héréditaire, conformément à ses coutumes. Nous nous réservons le droit inhérent d’adopter, par la coutume, notre propre méthode pour nommer un nouveau chef pour la Nation des Wahpeton de Dakota Plains.

IL EST RÉSOLU que le chef et le conseil de bande de la Nation des Wahpeton de Dakota Plains protègent l’intégrité de notre système héréditaire, en exigeant que, dans les années à venir, un chef en fonction ait fait des études postsecondaires. Seules les personnes ayant obtenu un certificat d’apprentissage ou de métier, ou encore un diplôme ou un grade d’un collège, d’une université ou d’une école de métiers accrédités seront considérées comme étant des chefs héréditaires de la Nation des Wahpeton de Dakota Plains. Les titulaires devront se soumettre à une vérification du casier judiciaire et du registre des cas d’enfants maltraités, et ne devront pas consommer quelque substance illégale que ce soit. Une preuve d’admissibilité sera exigée. Il s’agit d’une exigence absolue formulée par les membres originels de la Nation des Wahpeton de Dakota Plains et par l’actuel conseil des aînés de la Nation.

IL EST ENFIN RÉSOLU que le chef conserve son siège jusqu’à ce qu’il ne puisse plus accomplir les tâches essentielles de son poste d’une manière sûre, efficace et fiable.

[89] Les demandeurs font valoir que les RCB sont illicites et invalides pour un certain nombre de motifs.

[90] Premièrement, les demandeurs font valoir qu’il n’y a pas eu de [traduction] « réunion dûment convoquée du chef et du conseil dans la salle du conseil » le 27 septembre 2021, comme il est mentionné dans les RCB. Les demandeurs s’appuient sur la décision Première Nation de Peguis c Bear, 2017 CF 179 [Peguis] au para 47, pour faire valoir qu’une réunion dûment convoquée nécessite qu’un avis soit donné à tous les conseillers et au chef, avec la date et l’heure indiquées, et la possibilité de présenter des observations. Les demandeurs affirment qu’aucun avis n’a été donné concernant la réunion le 27 septembre 2021.

[91] Toutefois, la décision Peguis aide peu les demandeurs, car la question soulevée dans l’affaire Peguis portait sur le respect de lignes directrices écrites. Il n’existe pas de telles lignes directrices écrites à la PNDP.

[92] La preuve démontre que le chef Orville Smoke a mené les affaires de la PNDP de manière informelle. Rien ne prouve que la pratique de la PNDP exigeait que les RCB soient signées lors d’une réunion dûment convoquée du conseil de bande. La pratique de la PNDP exigeait que le chef et deux autres conseillers — c’est-à-dire deux membres adultes de la bande — signent les RCB. Comme il est souligné dans l’affidavit du défendeur, la PNDP ne suit pas un processus héréditaire pour la sélection des conseillers. Pour la conduite des affaires de la PNDP, la pratique en vigueur pendant le mandat du chef Orville Smoke était que deux membres adultes de la bande pouvaient signer une RCB à titre de conseillers, mais qu’une RCB devait être signée par le chef pour être valide.

[93] J’accepte le fait que le défunt chef Orville Smoke n’a pas assisté à une [traduction] « réunion dûment convoquée », comme le mentionne la RCB, mais il existe des éléments de preuve, fournis par les deux parties, qui confirment que le défunt chef Orville Smoke était confiné chez lui le 27 septembre 2021, en raison de son état de santé et des risques associés à la COVID-19. Le fait que le défunt chef Orville Smoke a signé ces RCB chez lui, plutôt qu’au bureau de la bande, ne constitue pas un motif d’invalidation des RCB. Compte tenu du fait que le chef Orville Smoke était confiné à son domicile et que la PNDP mène ses affaires de manière informelle, je suis convaincue que ces RCB ont été signées de manière tout aussi informelle.

[94] Je fais remarquer qu’Evangeline Towle a elle-même signé une RCB en octobre 2021 (concernant l’équipe de sécurité de Long Plain) à son domicile, lorsque le défendeur la lui a apportée. En outre, Evangeline Towle n’a pas tenu de réunion dûment convoquée pour faire signer la RCB du 10 décembre, qu’elle prétend invoquer à l’appui de sa demande concernant sa nomination au poste de cheffe. De même, il n’y a aucune preuve que le conseil des femmes a tenu une réunion pour nommer une représentante ayant le pouvoir de désigner Evangeline Towle comme cheffe.

[95] D’une manière générale, la preuve n’étaye pas la prétention des demandeurs selon laquelle les RCB de la PNDP ne pouvaient être signées qu’à l’occasion d’une réunion dûment convoquée.

[96] Un autre motif pour lequel les demandeurs contestent la validité des RCB est leur prétention selon laquelle le défendeur ne s’est pas rendu au domicile du chef Orville Smoke le 27 septembre2021 pour faire signer les RCB. Cette prétention est directement contredite par le défendeur, qui déclare dans son affidavit qu’il s’est bel et bien rendu au domicile de son père le matin du 27 septembre 2021. Le défendeur déclare avoir vu John David Kirkbride transporter des parties de lit, alors qu’il se trouvait au domicile du défunt chef Orville Smoke. Bien que John David Kirkbride prétend ne pas avoir vu le défendeur au domicile du défunt chef Orville Smoke le 27 septembre 2021, il admet également être parti pendant une courte période. J’accepte la preuve du défendeur, qui n’a pas été directement contestée par les demandeurs.

[97] Les demandeurs accusent également de manière voilée le défendeur d’avoir commis une fraude en ce qui concerne la signature du défunt chef Orville Smoke sur les trois RCB — ils prétendent essentiellement que le défendeur a contrefait la signature du chef. Il s’agit d’une allégation grave, qui n’est étayée par aucune preuve. À l’audience, le défendeur a fourni à la Cour les originaux de ces RCB pour examen, et je tiens à souligner qu’aucune irrégularité ne ressort à première vue. En outre, si les demandeurs avaient voulu correctement poursuivre cette allégation, ils auraient dû contre-interroger le défendeur sur ce point. Ils ont choisi de ne pas le faire. Cette allégation est entièrement dénuée de fondement.

[98] Enfin, les demandeurs font valoir que, si le chef Orville Smoke a bel et bien signé les RCB, il n’avait pas la capacité mentale de le faire, compte tenu de son état de santé et des médicaments qu’il prenait. La preuve démontre que le chef Orville Smoke souffrait de fibrose pulmonaire, mais il n’y a aucune preuve médicale que le chef Orville Smoke n’avait pas la capacité mentale de signer les RCB le 27 septembre 2021. En fait, ses publications sur Facebook et ses messages textes de l’époque donnent à entendre qu’il comprenait parfaitement ce qu’il faisait. En l’absence d’une preuve médicale à l’effet contraire, laisser entendre que le chef Orville Smoke était frappé d’incapacité mentale est une allégation sans fondement.

[99] Quoi qu’il en soit, je n’accepte pas la prétention selon laquelle des RCB imparfaites sont des RCB invalides. Je prends acte du fait que le préambule des RCB ne reflète pas exactement les circonstances dans lesquelles les RCB ont été signées. Cependant, les RCB sont signées par le chef Orville Smoke et ses deux frères en tant que conseillers. Cela est conforme à la pratique de la PNDP. En outre, l’objet des RCB est corroboré par la preuve des communications du défunt chef Orville Smoke au défendeur et à la communauté, lesquelles confirmant que le défendeur a été nommé chef héréditaire de la PNDP. Tous ces éléments appuient la conclusion selon laquelle les RCB sont valides.

[100] Les demandeurs n’ont pas établi que les RCB du 27 septembre 2021 signées par le chef Orville Smoke et ses frères, Leslie Smoke et Ronald Smoke père, sont invalides de quelque façon que ce soit. En fait, la preuve donne à entendre que les RCB ont été signées d’une manière conforme aux pratiques antérieures de la PNDP.

(2) La RCB du 16 décembre 2021

[101] La partie pertinente de la cette RCB est la suivante :

[traduction]

LE CHEF ET LE CONSEIL DES WAHPETON OYATE DE DAKOTA PLAINS, LORS D’UNE RÉUNION DÛMENT CONVOQUÉE LE JEUDI 16 DÉCEMBRE 2021, DÉCIDENT PAR LES PRÉSENTES CE QUI SUIT :

Attendu que le chef et le conseil de la Nation des Wahpeton de Dakota Plains autorisent par les présentes le changement du pouvoir de signature, à l’égard du compte général de Dakota Plains, auprès de la Peace Hills […] à compter du jeudi 16 décembre 2021;

Attendu que le chef et le conseil de la Nation des Wahpeton de Dakota Plains autorisent par les présentes le retrait d’Evangeline Towle en tant que signataire autorisée;

Et attendu que le chef et le conseil de la Nation des Wahpeton de Dakota Plains autorisent l’ajout de Matthew Smoke, Donald Smoke et Sandra Smoke comme signataires autorisés, dont deux d’entre eux peuvent signer;

Il est donc résolu que la Peace Hills Trust modifie les pouvoirs de signature conformément aux instructions du chef et du conseil de la Nation des Wahpeton de Dakota Plains.

[102] Les demandeurs contestent la validité de la RCB du 16 décembre 2021 supprimant le pouvoir de signature d’Evangeline Towle pour le compte bancaire de la PNDP. Ils allèguent que le défendeur n’avait pas le pouvoir de signer la RCB et que le retrait du pouvoir de signature d’Evangeline Towle a été effectué d’une manière qui n’était pas équitable sur le plan de la procédure.

[103] En réalité, la contestation de cette RCB par les demandeurs est liée à la prétention selon laquelle le défendeur n’avait pas le pouvoir de signer la RCB, du fait qu’il n’était pas le chef. Comme j’ai conclu que le défendeur était le chef légitime au moment de la signature de la RCB du 16 décembre, et j’ai souligné que cette RCB avait trait aux fonctions administratives de la PNDP, je suis convaincue que cette décision relevait du pouvoir et de l’autorité du chef. Les demandeurs n’ont présenté aucune preuve ni aucun argument expliquant pourquoi le chef n’avait pas le pouvoir de prendre cette décision administrative.

[104] Je ne suis pas convaincue qu’Evangeline Towle, en tant qu’employée de la PNDP, avait droit à un préavis ou à l’équité procédurale en lien avec le changement, effectué par le chef, quant au pouvoir de signature bancaire pour la PNDP. Toutefois, même si c’était le cas, compte tenu des facteurs énoncés dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, ce préavis ou cette équité procédurale seraient minimes. Je tiens à souligner également que la preuve démontre que le pouvoir de signature de tous les membres de la PNDP a été suspendu dans l’attente d’un examen opérationnel de la gestion de la bande.

[105] Les demandeurs invoquent à tort la décision Da'naxda'xw, car les questions d’équité procédurale examinées dans cette affaire concernaient la suspension d’un chef, et non la suppression du pouvoir de signature à l’égard du compte bancaire d’une Première Nation.

[106] Enfin, à mon avis, les mesures prises par la demanderesse, Evangeline Towle, qui a tenté d’usurper le poste de chef de la PNDP par ses propres RCB en décembre 2021, l’ont privée du droit d’être informée des décisions prises par le défendeur dans le cadre de l’administration de la PNDP.

[107] Les demandeurs n’ont pas établi que la RCB du 16 décembre 2021 était invalide pour quelque motif que ce soit.

E. Les demandeurs sont-ils légalement autorisés à introduire la présente demande au nom de la PNDP?

[108] Comme j’ai jugé que le défendeur avait été nommé chef de la PNDP conformément à la coutume, les demandeurs n’avaient pas la capacité juridique d’introduire la présente demande au nom de la PNDP.

[109] J’accepte le fait que les demandeurs avaient le droit d’introduire une demande à titre personnel en tant que membres de la communauté. Cependant, il n’était pas approprié d’introduire la présente demande prétendument pour le compte de la PNDP. Bien qu’il ait pu s’agir d’un motif valable pour radier la demande, à ce stade, il s’agit d’une question qui sera examinée dans le cadre de l’adjudication des dépens.

F. Quelle est la réparation appropriée?

[110] Je rejetterai la demande de contrôle judiciaire des demandeurs dans son entièreté, et refuserai toutes les réparations demandées.

[111] Comme le défendeur a l’autorité légitime de gouverner la PNDP, aucune autre réparation n’est nécessaire.

G. Les dépens

[112] Les demandeurs ont adopté un comportement qui a gravement perturbé le fonctionnement de la PNDP. Ils ont pu être motivés par le désir de provoquer un changement de gouvernance au sein de la PNDP, mais ils auraient pu employer des méthodes moins perturbatrices.

[113] Le défendeur a droit aux dépens. Comme j’ai jugé que les demandeurs n’avaient pas le pouvoir d’introduire la présente demande au nom de la PNDP, ils seront personnellement responsables de s’acquitter des dépens. J’ai accepté d’autoriser les parties à présenter des observations écrites sur les dépens après la réception de la présente décision.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-137-22

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Le défendeur est le chef héréditaire de la PNDP;

  3. Les RCB adoptées le 27 septembre 2021 et le 16 décembre 2021 sont valides;

  4. Le défendeur a droit aux dépens, qui seront payés personnellement par Evangeline Towle, Craig Blacksmith et Alvin Smoke. Les parties peuvent présenter des observations écrites sur les dépens ne dépassant pas 10 pages, qui doivent être reçues dans les 15 jours suivant la date du présent jugement, à défaut de quoi la Cour adjugera les dépens.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

C. Laroche


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

 

T-137-22

INTITULÉ DE LA CAUSE :

NATION DES WAHPETON OYATE DE DAKOTA PLAINS ET AL c DONALD RAYMOND SMOKE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Winnipeg (Manitoba)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 9 novembre 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

 

Le 15 décembre 2022

 

COMPARUTIONS :

Jessica Barlow

Markus Buchart

Pour les demandeurs

 

Devon C. Mazur

Amanda Cheys

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jerch Law

Winnipeg (Manitoba)

 

Pour les demandeurs

 

Myers LLP

Winnipeg (Manitoba)

Pour le défendeur

 

 

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