Dossier : IMM‑7325‑22
Référence : 2022 CF 1509
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 4 novembre 2022
En présence de monsieur le juge Ahmed
ENTRE :
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FELIPE ARTURO OLAYA SALCEDO
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE
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défendeurs
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ORDONNANCE ET MOTIFS
I.
Aperçu
[1] Le demandeur, Felipe Arturo Olaya Salcedo, a déposé une requête en sursis à l’exécution de la mesure de renvoi du Canada qui a été prise contre lui et qui doit être exécutée le 8 novembre 2022.
[2] Le demandeur demande à la Cour de surseoir à l’exécution de la mesure de renvoi en Colombie dont il fait l’objet jusqu’à ce qu’une décision soit rendue à l’égard d’une demande sous‑jacente d’autorisation et de contrôle judiciaire du rejet de sa demande d’asile par la Section de la protection des réfugiés (la SPR).
[3] Pour les motifs qui suivent, la requête est rejetée. Je conclus que le demandeur ne satisfait pas au critère à trois volets qui doit être respecté pour que soit accordé un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi.
II.
Les faits et la décision sous‑jacente
[4] Le demandeur est un citoyen de la Colombie âgé de 25 ans.
[5] En 2019, le demandeur a commencé à faire du bénévolat à la fondation Funcuartes (la fondation) en Colombie, afin de venir en aide à des jeunes défavorisés. Il soutient que, à partir de janvier 2021, des membres des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) l’ont contacté à plusieurs reprises pour lui demander d’amener à s’engager dans leur organisation de jeunes membres en faisant jouer ses contacts au sein de la fondation. Il affirme que, en juillet 2021, des membres des FARC l’ont menacé en lui disant qu’il serait considéré comme une cible militaire s’il ne travaillait pas avec eux, ce après quoi il a porté plainte auprès de la police. Le policier qui a recueilli sa plainte lui a conseillé de quitter la Colombie.
[6] Le demandeur est arrivé au Canada le 1er août 2021 et a demandé l’asile. Il affirme qu’après son départ de la Colombie, ses parents et sa petite amie ont été pris pour cible à plusieurs reprises par des dissidents des FARC qui leur ont demandé où il se trouvait. Il craint d’être persécuté à son retour en Colombie et de faire l’objet de traitements ou de peines cruels et inusités.
[7] La SPR a rejeté la demande d’asile dans une décision datée du 12 juillet 2022 après avoir conclu que le demandeur disposait d’une possibilité de refuge intérieur (PRI). Le demandeur a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision le 3 août 2022. Le 18 octobre 2022, il a reçu de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) une directive lui enjoignant de se présenter pour son renvoi en Colombie le 8 novembre 2022. Il a demandé à l’ASFC de reporter son renvoi, laquelle demande a été rejetée le 28 octobre 2022.
III.
Analyse
[8] Le critère à trois volets régissant l’octroi d’un sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi est bien établi : Toth c Canada (Citoyenneté et Immigration) (1988), [1988] ACF no 587 (CAF) (arrêt Toth); Manitoba (PG) c Metropolitan Stores Ltd, 1987 CanLII 79 (CSC), [1987] 1 RCS 110 (arrêt Metropolitan Stores Ltd); RJR‑MacDonald Inc c Canada (Procureur général), 1994 CanLII 117 (CSC), [1994] 1 RCS 311 (arrêt RJR‑MacDonald); R c Société Radio‑Canada, 2018 CSC 5 (CanLII), [2018] 1 RCS 196.
[9] Le critère de l’arrêt Toth est conjonctif, en ce sens que, pour qu’un sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi lui soit accordé, le demandeur doit établir : (i) que la demande sous‑jacente de contrôle judiciaire soulève une question sérieuse; (ii) que le renvoi causerait un préjudice irréparable; (iii) que la prépondérance des inconvénients favorise l’octroi du sursis.
A.
L’existence d’une question sérieuse
[10] Dans l’arrêt RJR‑MacDonald, la Cour suprême du Canada a conclu que, pour déterminer si le premier volet du critère a été respecté, il faut procéder à « un examen extrêmement restreint du fond de l’affaire »
(arrêt RJR‑MacDonald, à la p 314). La norme de contrôle applicable à la décision d’un agent d’exécution est celle de la décision raisonnable (Baron c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2009 CAF 81 (CanLII), [2010] 2 RCF 311 au para 67).
[11] Le demandeur fait valoir que la SPR a rejeté sa demande d’asile sans avoir procédé à un examen complet et raisonnable de la preuve qu’il lui avait présentée et qu’elle a commis une erreur en effectuant une analyse prospective du risque auquel il serait exposé à son retour en Colombie. Il soutient que l’objet de la demande sous‑jacente de contrôle judiciaire constitue une question sérieuse à trancher.
[12] Selon les défendeurs, il n’y a pas de question sérieuse à trancher, car la SPR a examiné de façon raisonnable la question des PRI proposées et elle s’est demandé si le demandeur serait exposé à un risque grave de persécution dans ces PRI et s’il pourrait y être en sécurité.
[13] Après avoir examiné le dossier de requête des parties et la décision sous‑jacente, je conviens qu’il existe une question sérieuse à trancher. La demande sous‑jacente de contrôle judiciaire soulève des questions quant à savoir si la SPR a apprécié correctement les éléments de preuve concernant le risque auquel le demandeur serait exposé en Colombie. Cette question est suffisamment sérieuse pour conclure qu’il a été satisfait au premier volet du critère.
B.
L’existence d’un préjudice irréparable
[14] Pour satisfaire au deuxième volet du critère, le demandeur doit démontrer qu’il subira un préjudice irréparable si le sursis n’est pas accordé. Le terme « irréparable »
ne renvoie pas à l’étendue du préjudice; le préjudice irréparable désigne plutôt un préjudice qui ne peut être quantifié du point de vue monétaire ou auquel il ne peut être remédié (arrêt RJR‑MacDonald, à la p 341). La Cour doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que le préjudice n’est pas hypothétique, mais elle n’a pas à être convaincue que le préjudice sera causé (Xu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF no 746 (QL) (CF 1re inst); Horii c Canada, [1991] ACF no 984, [1992] 1 CF 142 (CAF)).
[15] Selon le demandeur, il subirait un préjudice irréparable s’il était renvoyé en Colombie. Il affirme avoir présenté des éléments de preuve suffisamment crédibles et non hypothétiques concernant les agressions et les menaces dont les membres de sa famille et lui ont été victimes aux mains des FARC.
[16] Les défendeurs soutiennent que le demandeur n’a pas établi clairement qu’il subirait un préjudice irréparable. Selon eux, la SPR a évalué minutieusement le risque allégué par le demandeur en tenant compte de la preuve qu’il avait présentée, et sur laquelle il s’appuie pour faire valoir dans sa requête en sursis qu’il subirait un préjudice irréparable.
[17] Je partage l’avis des défendeurs. Le demandeur s’appuie sur la même preuve concernant le risque auquel il serait exposé que celle dont disposait la SPR lorsqu’elle a examiné sa demande d’asile. Il ressort des motifs de la SPR qu’elle a évalué minutieusement ce risque. Le demandeur n’a pas présenté d’autres éléments de preuve non hypothétiques et non généralisés qui permettraient de conclure qu’il subirait un préjudice irréparable s’il était renvoyé en Colombie. Ses observations sur le préjudice irréparable sont en grande partie générales et imprécises. Le deuxième volet du critère n’a donc pas été respecté.
C.
La prépondérance des inconvénients
[18] Pour décider si le troisième volet du critère a été respecté, il faut apprécier la prépondérance des inconvénients — qui consiste à déterminer quelle partie subirait le plus grand préjudice selon que l’on accorde ou refuse une injonction interlocutoire en attendant une décision sur le fond (arrêt RJR‑MacDonald, à la p 342; arrêt Metropolitan Stores Ltd, à la p 129). Il a parfois été dit que, « [l]orsque la Cour est convaincue que l’existence d’une question sérieuse et d’un préjudice irréparable a été établie, la prépondérance des inconvénients militera en faveur du demandeur »
(Mauricette c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2008 CF 420 (CanLII) au para 48). Toutefois, la Cour doit également tenir compte de l’intérêt public pour assurer la bonne administration du système d’immigration.
[19] Le demandeur soutient que la prépondérance des inconvénients joue en sa faveur, parce que son renvoi lui causera un préjudice plus grand que celui que subiraient les défendeurs s’il est sursis à son renvoi. Selon lui, la preuve de l’existence d’un préjudice irréparable démontre que la prépondérance des inconvénients joue en sa faveur.
[20] Les défendeurs affirment qu’il incombe au demandeur de démontrer qu’il est dans l’intérêt public de surseoir à l’exécution de la mesure de renvoi prise contre lui. Ils soutiennent qu’en l’espèce, la preuve relative au risque ne l’emporte pas suffisamment sur l’intérêt public que servirait l’exécution de la mesure de renvoi.
[21] L’insuffisance de la preuve de l’existence d’un préjudice irréparable est déterminante quant à l’issue de la présente requête. Je suis d’avis que le demandeur n’a pas présenté suffisamment d’éléments de preuve pour établir que la prépondérance des inconvénients milite en faveur de l’octroi d’un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi prise contre lui.
[22] En définitive, le demandeur ne satisfait pas au critère à trois volets qui doit être respecté pour que soit accordé un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi. La requête est donc rejetée.
ORDONNANCE dans le dossier IMM‑7325‑22
LA COUR ORDONNE que la requête en sursis à l’exécution de la mesure de renvoi du demandeur en Colombie, prévue le 8 novembre 2022, soit rejetée.
« Shirzad A. »
Juge
Traduction certifiée conforme.
Mario Lagacé, jurilinguiste
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM‑7325‑22
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INTITULÉ :
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FELIPE ARTURO OLAYA SALCEDO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 4 NOVEMBRE 2022
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ORDONNANCE ET MOTIFS :
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LE JUGE AHMED
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DATE DES MOTIFS :
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LE 4 NOVEMBRE 2022
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COMPARUTIONS :
Omolola Fasina
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POUR LE DEMANDEUR
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Allison Grandish
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POUR LES DÉFENDEURS
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Omolola Fasina
Avocate
London (Ontario)
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POUR LE DEMANDEUR
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Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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POUR LES DÉFENDEURS
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