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Date : 20050628

Dossier : T-973-04

Référence : 2005 CF 905

Ottawa (Ontario) le 28ième jour de juin 2005

Présent(e) : L'honorable juge François Lemieux

ENTRE :

                                                             MAMADOU SYLLA

                                                                                                                                      Demandeur

                                                                          - et -

                                       LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                        Défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Mamadou Sylla, agissant seul et présentement détenu au pénitencier fédéral Archambault, porte appel sous l'article 51 des Règles de la Cour fédérale, 1998 (les « Règles » ), l'ordonnance du protonotaire Richard Morneau en date du 22 janvier 2005 qui rejette la demande de contrôle judiciaire du demandeur pour cause de retard.


[2]                Je souscris à la prétention du Procureur général du Canada ( « le Procureur général » ) compte tenu que la décision du protonotaire porte sur une question ayant une influence déterminante sur l'issu de la cause, cette Cour siège de novo en appel, c'est-à-dire, entend le dossier à nouveau (voir, Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (C.A.)).

FAITS

[3]                Mamadou Sylla est citoyen du Mali né le 1er janvier 1968; il est musulman.

[4]                Admis au Canada comme visiteur le 27 avril 1991, et reconnu réfugié au sens de la Convention le 19 août 1991, il dépose une demande de résidence permanente au Canada le 9 octobre 1991.

[5]                Pendant que sa demande de résidence permanente est à l'étude, il ne demande aucune prolongation de son statut de visiteur et obtient plusieurs permis de travail qui ne lui confèrent aucun statut.

[6]                Suite à de nombreuses condamnations criminelles, sa demande de résidence permanente au Canada est refusée le 19 janvier 1995.

[7]                Le 5 janvier 2001, une mesure d'expulsion est délivrée à son encontre et un mandat d'arrêt est émis le 14 février 2001 mais ne peut être exécuté du fait que M. Sylla est incarcéré.

[8]                Entre le 22 mai 2002 et le 27 août 2003, M. Sylla dépose à la Commission canadienne des droits de la personne ( « la Commission » ) cinq plaintes de discrimination en raison de sa race (noire) ou en raison de sa religion (islamique) contre le Service correctionnel du Canada ( « le Service » ) et une autre plainte visant spécifiquement un de ses agents.

[9]                Après enquête et divulgation à M. Sylla, le 29 mars 2004, la Commission accepte la recommandation suivante de son enquêteur Michel Bibeau en date du 4 février 2004 pour chacune de ses plaintes:

Il est recommandé, en vertu de l'alinéa 41(1)c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, que la Commission ne statue pas sur la plainte parce que le plaignant ne rencontre pas les exigences de l'article 40(5) en ce sens qu'il n'était pas légalement au Canada au moment des incidents allégués dans la plainte.

[10]            À l'appui de cette recommandation, M. Bibeau indique ceci dans chacun de ses rapports d'enquête déposés à la Commission relativement à chaque plainte :

Durant le cours de la médiation sur ce dossier ainsi que sur les autres dossiers du plaignant, le mis en cause a prévenu la Commission que selon eux, le plaignant n'aurait pas de statut légal au Canada parce qu'il était sous le coup d'une mesure de renvoi depuis le 5 janvier 2001. Ceci a mis un terme au processus de médiation et nous avons procédé à la demande formelle au ministre de l'Immigration de statuer sur le statut légal du plaignant au Canada.


[11]            Dans le dossier de la Cour, on retrouve une lettre en date du 28 octobre 2003 adressée par le Secrétaire général de la Commission au ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration se référant aux paragraphes 40(5) et (6) de la Loi canadienne sur les droits de la personne qui se lisent comme suit:


40(5) Pour l'application de la présente partie, la Commission n'est validement saisie d'une plainte que si l'acte discriminatoire :

a) a eu lieu au Canada alors que la victime y était légalement présente ou qu'elle avait le droit d'y revenir;

b) a eu lieu au Canada sans qu'il soit possible d'en identifier la victime, mais tombe sous le coup des articles 5, 8, 10, 12 ou 13;

c) a eu lieu à l'étranger alors que la victime était un citoyen canadien ou qu'elle avait été légalement admise au Canada à titre de résident permanent.

Renvoi au ministre compétent

(6) En cas de doute sur la situation d'un individu par rapport à une plainte dans les cas prévus au paragraphe (5), la Commission renvoie la question au ministre compétent et elle ne peut procéder à l'instruction de la plainte que si la question est tranchée en faveur du plaignant. [je souligne]

40(5) No complaint in relation to a discriminatory practice may be dealt with by the Commission under this Part unless the act or omission that constitutes the practice

(a) occurred in Canada and the victim of the practice was at the time of the act or omission either lawfully present in Canada or, if temporarily absent from Canada, entitled to return to Canada;

(b) occurred in Canada and was a discriminatory practice within the meaning of section 5, 8, 10, 12 or 13 in respect of which no particular individual is identifiable as the victim; or

(c) occurred outside Canada and the victim of the practice was at the time of the act or omission a Canadian citizen or an individual lawfully admitted to Canada for permanent residence.

Determination of status

(6) Where a question arises under subsection (5) as to the status of an individual in relation to a complaint, the Commission shall refer the question of status to the appropriate Minister and shall not proceed with the complaint unless the question of status is resolved thereby in favour of the complainant.


[12]            La réponse en date du 11 décembre 2003 de l'honorable Denis Coderre, Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, se retrouve aussi au dossier de la Cour. Le ministre confirme que suite à de nombreuses condamnations criminelles, la demande de résidence permanente de M. Sylla a été refusée le 12 janvier 1995. Il indique aussi que le 5 janvier 2001, une mesure d'expulsion a été délivrée à son encontre et qu'un mandat d'arrêt a été émis le 14 février 2001. Il ajoute :


Puisque M. Sylla était incarcéré, le mandat d'arrêt ne pouvait être exécuté. Il le sera lors de sa remise en liberté et nous pourrons à ce moment amorcer le processus pour son renvoi du Canada.

En terminant, et afin de répondre à votre requête, je peux vous confirmer que M. Sylla n'avait aucun statut légal au Canada en décembre 2002. [je souligne]

[13]            Dans tous les rapports d'enquête de M. Bibeau, l'enquêteur relate les faits énoncés par le ministre Coderre et conclut:

En terminant, il confirme que M. Sylla n'avait aucun statut légal au Canada en décembre 2002 au moment des premiers incidents de sa première plainte auprès de la Commission.

[14]            Suite à la divulgation des rapports d'enquête à M. Sylla, M. Bibeau a recueilli les commentaires de celui-ci par téléphone le 16 février 2004. M. Sylla lui indique « je ne suis pas d'accord à propos des décisions prises à l'effet que je n'ai pas le statut légal au Canada » .

[15]            Le 18 mai 2004, le demandeur dépose une demande de contrôle judiciaire à l'encontre des décisions de la Commission. Il écrit:

Le tribunal de la Commission canadienne des droits de la personne a commis une erreur en déclarant que je n'étais pas légalement au Canada au moment des incidents allégués quand j'étais reconnu réfugié politique depuis le 13 août 1991 selon l'article 69.1(9) de la Loi sur l'Immigration représenté par l'avocat maître Denis Girard et la décision a été enregistrée par la greffière Christine Lavoie.

[16]            C'est le 7 janvier 2005 que le juge en chef de cette Cour émet un avis d'examen de l'état de l'instance ( « l'avis » ).


[17]            Après avoir examiné les prétentions de M. Sylla et celles du mis-en-cause, le Service correctionnel du Canada, le protonotaire Morneau émet une ordonnance le 22 février 2005 qui se lit comme suit:

CONSIDÉRANT l'avis d'examen de l'état de l'instance émis par cette Cour le 7 janvier 2005 et les représentations écrites du demandeur datées du 17 janvier 2005 en réponse à cet avis;

CONSIDÉRANT toutefois les représentations écrites soumises par la défenderesse datées du 3 février 2005 ainsi que les principes dégagés par cette Cour dans l'arrêt Baroud v. Canada (1998), 160 F.T.R. 91.

IL EST PAR LA PRÉSENTE ORDONNÉ conformément à l'alinéa 382(2)a) des Règles des Cours fédérales que la demande de contrôle judiciaire déposée le 18 mai 2004 par le demandeur soit rejetée pour cause de retard.

[18]            Dans ses prétentions écrites, en réponse à l'avis, M. Sylla nous informe :

1)         qu'il n'a aucune ressource ;

2)         qu'il ne sait ni lire, ni écrire;

3)         se sont son psychologue et l'aumônier du pénitencier qui, pour l'aider, ont rédigé l'avis de contrôle judiciaire mais ont abandonné d'y faire suite après avoir rencontré leurs patrons ;

4)         les prétentions écrites en réponse à l'avis ont été rédigées par un autre détenu ;

5)         il veut absolument poursuivre ces procédures pour lesquelles il ne cesse de rechercher un avocat mais sans succès.

[19]            Le 3 mars 2005, M. Sylla dépose un appel à l'encontre de la décision du protonotaire Morneau. Il demande :

1)         une ordonnance d'amener le détenu devant la Cour en vertu de la règle 45 des Règles ;

2)         une ordonnance en vertu de la règle 311(1) en vue d'obtenir que le greffier prépare le dossier du demandeur ; et

3)         une ordonnance en vertu de la règle 384 afin que l'instance soit gérée à titre d'instance spéciale.

[20]            Suite à la directive de la protonotaire Tabib en date du 16 mars 2005, j'ai entendu l'appel par voie de conférence téléphonique le 11 mai 2005. J'ai refusé de rendre l'ordonnance recherchée par M. Sylla en vertu de la règle 45 étant persuadé qu'il pourrait très bien faire ses représentations par conférence téléphonique après avoir consulté les causes suivantes : Wedow c. Canada (Service correctionnel), 2001 CFPI 350; Poulin c. Canada (procureur général), 2001 CFPI 1219; McDonald c. Canada, 2002 CFPI 303 ; et Migneault c. Charbonneau, 2002 CFPI 293.

[21]            L'appel de M. Sylla doit être rejeté au motif que sa demande de contrôle judiciaire à l'encontre des décisions de la Commission sur ses plaintes n'a aucune possibilité de succès.

[22]            Le juge Gibson a récemment traité d'une affaire identique dans la cause Forrest c. Canada (Procureur général), [2004] C.F 491.

[23]            Dans Forrest, précité, il s'agissait d'un détenu qui prétendait avoir fait l'objet de discrimination quant à la fourniture de services par le Service correctionnel du Canada en ce sens qu'il aurait été traité d'une manière défavorable et différente. La plainte de M. Forrest a été rejetée par la Commission après consultation auprès du Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration qui a confirmé à la Commission que M. Forrest ne se trouvait pas légalement au Canada au moment des actes ou omissions présumées. M. Forrest porte la décision de la Commission devant cette Cour par moyen de demande de contrôle judiciaire. Le juge Gibson de cette Cour rejette cette demande de contrôle judiciaire le 1er avril 2004.

[24]            L'essentiel de la décision du juge Gibson se retrouve au paragraphe 23 de sa décision qui se lit comme suit :

¶ 23       Je conclus que l'avis qui précède, en particulier ce qui figure au paragraphe 8, précité, est juste. Comme il a été souligné plus haut, le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration a donné au ministre un avis "quant au statut" selon lequel étant donné que le demandeur est ni citoyen canadien, ni résident permanent du Canada, il n'a aucun "statut" au Canada. De plus, il n'a pas été contesté devant la Cour que, au moment pertinent, le demandeur n'avait aucun statut de "visiteur" au Canada si, en effet, un visa de visiteur confère un "statut" au sens employé en matière d'immigration. Compte tenu de l'avis du ministre "quant au statut", en vertu du paragraphe 40(6) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, la Commission n'avait pas compétence pour examiner davantage la question de savoir si oui ou non le demandeur était "légalement présent au Canada" car la question du statut n'a pas été résolue en faveur du demandeur. En effet, la question de la présence légale au Canada est devenue non pertinente et l'avis à titre gratuit du ministre à cet égard était également non pertinent.


[25]            Le dossier d'immigration de M. Sylla est complexe et nécessite, sur une base urgente, qu'il soit représenté par un avocat compétent dans le domaine. J'encourage le Barreau du Québec, l'Aide juridique ou autre autorité compétente, de lui porter secours.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que le pourvoi de M. Sylla est rejeté sans dépens.

« François Lemieux »

                                                                                                                                                                      

                                                                                                  J u g e                   


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                     

DOSSIER :                T-973-04

INTITULÉ :               MAMADOU SYLLA c.

                   PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Ottawa, Ontario

DATE DE L'AUDIENCE :                            le 11 mai 2005

MOTIFS de l'ordonnance :               le juge Lemieux

DATE DES MOTIFS :                                   le 28 juin 2005

COMPARUTIONS :

Mamadou Sylla                                                 EN SON PROPRE NOM

Me Paul Deschênes                                           POUR LE DÉFENDEUR

Me Dominique Guimond

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mamadou Sylla                                                 EN SON PROPRE NOM

Établissement Archambault                                           

(450) 478-7655

John H. Sims                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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