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Date : 20221212


Dossier : T-576-20

Référence : 2022 CF 1704

Ottawa (Ontario), le 12 décembre 2022

En présence de l’honorable juge Pamel

ENTRE :

SÉBASTIEN ROY

demandeur

et

MINISTRE DU REVENU NATIONAL

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, M. Sébastien Roy, comptable professionnel agréé, demande le contrôle judiciaire d’une décision de la ministre du Revenu national [Ministre], datée du 6 mars 2020, par laquelle une représentante de la Ministre a refusé de faire droit à la demande de redressement de M. Roy, pour que soit effectuée une correction à la ligne 121 de sa déclaration de revenus pour l’année 2009 afin d’y inscrire un montant de 488 981 $ à titre d’intérêts et autres revenus de placement.

[2] M. Roy soumet que la représentante de la Ministre a commis une erreur en limitant sa décision à l’analyse et l’application des articles 38 à 40 de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5esupp) [Loi], qui concernent la période durant laquelle il pouvait demander une déduction pour perte en capital résultant de la disposition d’un bien en capital, et qu’elle aurait plutôt dû appliquer les règles en matière d’encaissement et de report des pertes en capital à sa situation. M. Roy allègue avoir soumis cet argument en bonne et due forme à la représentante de la Ministre et prétend qu’en ne le considérant pas, elle a rendu une décision déraisonnable.

[3] Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas convaincu que la décision de la représentante de la Ministre est déraisonnable et, par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

II. Contexte

[4] En 2008 et 2009, M. Roy a effectué un grand nombre de transactions dans son compte de courtage détenu auprès de Courtage direct Banque nationale inc. [CBN]. Pour les années 2008 et 2009, CBN a émis à l’attention de l’Agence du revenu du Canada [ARC] des feuillets constatant l’état des opérations sur titres de M. Roy [feuillets T5008] pour l’ensemble de ces transactions, en conformité avec la législation et la réglementation applicables.

[5] Par ailleurs, au mois d’avril 2015, M. Roy n’avait toujours pas produit ses déclarations de revenus pour les années 2008 et 2009, ainsi que pour les années 2010, 2012, 2013 et 2014. Or, lorsqu’un contribuable n’a pas produit sa déclaration de revenus pour une année donnée et que l’ARC reçoit des feuillets T5008 à son nom, elle a comme politique d’établir une cotisation estimative en multipliant le total des produits de disposition inscrits aux feuillets T5008 par un certain pourcentage, lequel est déterminé en fonction du rendement de la bourse pour l’année visée. Le montant obtenu sera imposé par l’ARC à 50 %, et ce, à titre de gain en capital. La raison de ce calcul est que les feuillets T5008 émis au nom du contribuable à l’attention de l’ARC n’indiquent pas le coût d’acquisition des d’actions, mais seulement le produit de leur disposition, ce qui force l’ARC à effectuer une estimation du gain en capital réellement réalisé par le contribuable en défaut.

[6] Ainsi, le 17 avril 2015, un avis de cotisation estimative a été émis par un agent de la Section des non-déclarants de l’ARC en vertu du paragraphe 152(7) de la Loi à l’attention de M. Roy pour l’année 2008. Le revenu total de M. Roy était fixé à 589 645 $, résultant en un solde payable de 184 794,83 $. La cotisation a été établie en attribuant à M. Roy un gain en capital représentant 20 % de l’ensemble des produits de disposition des titres transigés par lui en 2008 pour un montant de 967 806 $, lequel était imposable à 50 % pour un montant de 483 903 $. Le 26 mai 2015, un avis de cotisation estimative a également été émis pour l’année 2009, établissant le revenu total de M. Roy à 141 798 $ et résultant en un solde payable de 12 092 $.

[7] M. Roy n’a pas exercé son droit de s’opposer aux cotisations du 17 mai et du 26 mai 2015 dans les 90 jours de l’envoi des cotisations, conformément au paragraphe 165(1) de la Loi, et n’a pas demandé une prolongation du délai pour s’opposer aux cotisations selon l’article 166.1 de la Loi, alléguant qu’il n’a pas reçu copie des avis de cotisation.

[8] Le 18 août et le 27 août 2015, un agent de recouvrement a communiqué avec le bureau de M. Roy pour le convier à produire ses déclarations de revenus pour les années 2008 à 2010 et 2012 à 2014. Le 31 août 2015, suite à l’absence de réponse de M. Roy, l’agent de recouvrement a entrepris des mesures de recouvrement sur ses biens afin de percevoir la dette fiscale créée par les cotisations estimatives et, à cette même date, il a communiqué de nouveau avec M. Roy afin de lui demander de produire ses déclarations de revenus pour les années pour lesquelles il était en défaut. Lors de cette conversation, M. Roy a affirmé à l’agent de recouvrement que ses déclarations seraient produites à l’ARC au plus tard le 30 septembre 2015. Il a fait la même promesse à l’agent de recouvrement le 6 avril 2016, le 29 août 2016 et le 22 septembre 2016.

[9] Le 12 août 2019, soit environ trois ans après qu’il s’est engagé à le faire, M. Roy a produit ses déclarations de revenus pour les années 2008 à 2010 et 2012 à 2014. Pour les années 2008 et 2009, M. Roy a déclaré un revenu total de 105 742 $ et 79 474 $ respectivement. Le 12 décembre 2012, l’ARC a transmis une lettre à l’attention de M. Roy, l’informant qu’il était forclos de demander le redressement de sa déclaration de revenus pour l’année d’imposition 2008, puisque sa demande du 12 août 2019 était postérieure au délai de dix années civiles fixé dans les dispositions d’allègement pour les contribuables prévues par la Loi. Le 13 décembre 2012, l’ARC a transmis à M. Roy son avis de cotisation pour l’année 2008, lequel confirmait l’avis de cotisation estimative émis par l’agent de la Section des non-déclarants en 2015.

[10] Le 27 décembre 2019, M. Roy a transmis à l’ARC une demande de redressement d’une T1 et de report rétrospectif dans laquelle il demandait une déduction de son revenu pour l’année 2009 de 488 981 $ à la ligne 121 de sa déclaration, qui correspond à « Intérêts et autres revenus de placements ». Dans une lettre explicative jointe à sa demande, M. Roy mentionnait ce qui suit :

Un revenu de placement a été cotisé par Revenu Canada en 2008 de 483 903 $ […] sur la base de l’analyse erronée du T5008 de Courtage banque Nationale fait par Revenu Canada. En considérant la perte en capital de 10 157 $ à 50 % soit 5 078 $, il y a un écart de revenu non encaissé de 488 981 $ […]

Or les revenus de placement sont imposables selon la comptabilité de caisse et l’analyse des comptes de courtage pour l’année 2008 et 2009 ne montre aucun encaissement de ce revenu […]

Puisque le revenu de placement cotisé en 2008 de 488 981 $ provient d’une erreur d’analyse, qu’il n’a pas été cotisé selon la comptabilité de caisse et que finalement il n’a pas été encaissé ni en 2008 ni en 2009 (possibilité de versement T+3 jours si opération aurait eu lieu en fin 2008), le contribuable constate une perte de revenu de placement non encaissé en 2009.

[11] Le 26 février 2020, M. Roy et la représentante de la Ministre ont eu une conversation téléphonique au cours de laquelle cette dernière a expliqué à M. Roy que le délai de dix ans prévu au paragraphe 152(4.2) de la Loi pour modifier sa déclaration de revenus de 2008 était expiré, et qu’il ne pouvait pas demander une déduction pour perte en capital de 483 903 $ pour l’année 2009 puisqu’il n’avait disposé d’aucun actif qui créerait une telle perte en capital, conformément aux articles 38 à 40 de la Loi.

[12] Le 6 mars 2020, la représentante de la Ministre a refusé la demande de redressement de M. Roy pour l’année 2009 en indiquant ce qui suit :

De plus, aucune correction ne sera effectuée à la ligne 121 “intérêts et autres revenus de placements” puisque vous ne pouvez pas déduire une perte en intérêts.

[13] Aux fins de sa décision, la représentante de la Ministre a considéré les éléments suivants :

  • a) une perte en capital est subie dans l’année où il y a une disposition des actifs;

  • b) la Ministre ne peut plus établir une cotisation pour l’année d’imposition 2008 en 2019 puisque le délai de dix ans prévu au paragraphe 152(4.2) de la Loi pour le faire est expiré;

  • c) le demandeur ne peut pas inscrire à la ligne 121 (intérêts et autres revenus de placements) de sa déclaration de revenus pour l’année 2009 une perte au titre de revenus d’intérêts et autres revenus de placement;

  • d) la Section des examens supplémentaires de l’ARC, à la vérification, a indiqué à la représentante de la Ministre que, pour qu’une perte en capital soit déclarée, il faut qu’il y ait eu une disposition de l’actif dans l’année;

  • e) la Section des examens supplémentaires de l’ARC lui a aussi indiqué que la perte déclarée par le demandeur initialement à la ligne 121 ne pouvait être inscrite à cette ligne et de l’indiquer dans la lettre de la décision du 6 mars 2020;

  • f) La Loi ne permet pas de déclarer une perte en capital dans une autre année que celle où il y a eu disposition de l’actif ou du bien.

[14] C’est cette décision qui fait l’objet de la présente demande.

III. Question en litige et norme de contrôle

[15] La présente demande de contrôle judiciaire soulève une seule question : la décision de la représentante de la Ministre est-elle raisonnable?

[16] La norme de contrôle applicable à la décision de la représentante de la Ministre est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 16-17 [Vavilov]). Le rôle de la cour est donc de déterminer si la décision dans son ensemble est raisonnable, c’est-à-dire si elle est fondée sur « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et si la décision dans son ensemble est transparente, intelligible et justifiée (Vavilov aux para 85-86).

IV. Question préliminaire

[17] Il convient de noter que M. Roy allègue, dans ses observations écrites, qu’il a transmis le 25 mars 2020 une lettre demandant que sa demande de redressement pour l’année 2009 soit considérée comme une perte en capital plutôt qu’une perte de revenus d’intérêts et autres revenus de placement, accompagnée d’une demande de redressement d’une T1 modifiant l’annexe 3 de sa déclaration de revenus. La Ministre, défenderesse en l’instance, souligne qu’il s’agit de faits qui ne lui ont pas été soumis avant la décision qui fait l’objet du litige et qu’ils ne devraient pas être pris en considération par la Cour.

[18] Je suis d’avis que la question de savoir s’il était possible pour M. Roy, en vertu de la Loi, de demander pour l’année 2009 une déduction pour perte en capital subie en 2008 est au cœur du présent litige, comme le démontre l’étendue des arguments soumis par les parties à cet effet. Considérant que la représentante de la Ministre ne conteste pas avoir évalué cette possibilité et en avoir discuté avec M. Roy dans le cadre de son processus décisionnel, que cette dernière allègue dans son affidavit que le 25 mars 2020, M. Roy a demandé de nouveau un redressement à l’ARC afin de déclarer une perte en capital en 2009 et de la reporter sur le gain en capital établi par l’ARC et pour lequel M. Roy est maintenant prescrit de déposer une déclaration de revenus modifiée, et que les parties ont eu l’occasion de présenter leurs arguments sur la question, je considère que la lettre transmise par M. Roy et datée du 25 mars 2020 n’apporte rien de plus au débat. Conséquemment, elle ne sera pas considérée dans le cadre de la présente analyse.

[19] Lors de l’audience, l’avocat de M. Roy a par ailleurs contesté la recevabilité de deux engagements pris par l’avocat de la Ministre lors du contre-interrogatoire sur affidavit de M. Michael Morgan, l’agent de la Section des non-déclarants impliqué dans le dossier de M. Roy, lesquels avaient été versés au dossier de la Ministre sans être soumis par affidavit. L’avocat de M. Roy soutient que, chaque partie étant maître de sa preuve, c’est à lui que revenait le choix de produire ou non ces engagements, et qu’en vertu des articles 307 à 309 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [Règles], il n’était pas permis à la Ministre d’agir comme elle l’a fait.

[20] Il convient d’abord de souligner que la prise d’engagements dans le cadre d’un contre-interrogatoire sur affidavit est une pratique pour le moins inhabituelle et, en soi, n’est pas prévue aux Règles. Par ailleurs, l’engagement qui cause problème ici se trouve à contenir les documents T5008 qui auraient été transmis par CBN à l’ARC en 2008 et sur la base desquels l’agent de la Section des non-déclarants aurait estimé à 483 903 $ le gain en capital ayant mené à l’avis de cotisation estimative reçu par M. Roy en 2015. Une version des T5008 se trouve également au dossier de M. Roy, et la différence fondamentale entre les deux versions serait que les T5008 transmis à l’ARC ne contenaient que le produit de disposition des titres, tandis que ceux soumis par M. Roy contiennent une colonne débit et une colonne crédit pour chaque titre, ce qui sous-tend la possibilité de calculer avec certitude le gain ou la perte en capital sans avoir recours à l’estimation effectuée par l’agent.

[21] Cependant, je note, d’une part, que M. Roy ne conteste pas qu’il est forclos de modifier sa déclaration de revenus pour l’année 2008 et que l’avis de cotisation pour l’année 2008, lequel confirme les montants de l’avis de cotisation estimative émis en 2015, est donc en tout point valide. D’autre part, les observations de M. Roy devant la Cour, selon lesquelles l’ARC avait devant elle toutes les informations nécessaires pour calculer le montant exact du gain en capital résultant de la vente de ses actions en 2008, sont en contradiction évidente avec les observations de la Ministre et les affirmations contenues dans l’affidavit de M. Morgan, lequel a par ailleurs été déposé au dossier en tout respect des Règles, voulant que les T5008 transmis à l’ARC n’indiquaient que le produit de disposition. Par conséquent, puisque l’avis de cotisation pour l’année 2008 n’est pas en litige, et par souci de faire la lumière sur la contradiction exposée ci-dessus, il suffira pour les fins de la présente demande de conclure que l’agent a effectué ses calculs sur la base des informations qui se trouvaient devant lui, à savoir le produit de disposition des actions résultant des transactions boursières de M. Roy pour l’année 2008.

V. Analyse

[22] Le paragraphe 152(4.2) de la Loi permet à la Ministre de prolonger à dix ans la période pendant laquelle elle peut revoir la cotisation d’un contribuable. Pour ce faire le contribuable doit démontrer qu’il est admissible à un remboursement ou à la réduction d’un montant payable pour l’année. Le paragraphe se lit ainsi :

152(4.2) Malgré les paragraphes (4), (4.1) et (5), pour déterminer, à un moment donné après la fin de la période normale de nouvelle cotisation applicable à un contribuable — particulier (sauf une fiducie) ou succession assujettie à l’imposition à taux progressifs — pour une année d’imposition, le remboursement auquel le contribuable a droit à ce moment pour l’année ou la réduction d’un montant payable par le contribuable pour l’année en vertu de la présente partie, le ministre peut, si le contribuable demande pareille détermination au plus tard le jour qui suit de dix années civiles la fin de cette année d’imposition, à la fois : […]

152(4.2) Notwithstanding subsections (4), (4.1) and (5), for the purpose of determining, at any time after the end of the normal reassessment period of a taxpayer who is an individual (other than a trust) or a testamentary trust in respect of a taxation year, the amount of any refund to which the taxpayer is entitled at that time for the year, or a reduction of an amount payable under this Part by the taxpayer for the year, the Minister may, if the taxpayer makes an application for that determination on or before the day that is ten calendar years after the end of that taxation year …

[23] Les articles 38 à 40 de la Loi viennent préciser qu’une perte en capital est subie par le contribuable au cours de l’année où il dispose d’un bien à perte. Plus particulièrement, les alinéas 38(1)b), 39(1)b) et 40(1)b) de la Loi énoncent qu’un contribuable doit disposer d’un bien au cours d’une année donnée pour qu’il puisse demander une déduction pour perte en capital à l’égard de la disposition de ce bien :

38(1)b) la perte en capital déductible d’un contribuable, pour une année d’imposition, résultant de la disposition d’un bien est égale à la moitié de la perte en capital que le contribuable a subie, pour l’année, à la disposition du bien;

38(1)(b) a taxpayer’s allowable capital loss for a taxation year from the disposition of any property is ½ of the taxpayer’s capital loss for the year from the disposition of that property;

[…]

39(1)b) une perte en capital subie par un contribuable, pour une année d’imposition, du fait de la disposition d’un bien quelconque est la perte qu’il a subie au cours de l’année, […] du fait de la disposition d’un bien quelconque de ce contribuable […]

39(1)(b) a taxpayer’s capital loss for a taxation year from the disposition of any property is the taxpayer’s loss for the year … from the disposition of any property of the taxpayer

[…]

40(1)b) la perte d’un contribuable résultant, pour une année d’imposition, de la disposition d’un bien est :

40(1)(b) a taxpayer’s loss for a taxation year from the disposition of any property is,

(i) en cas de disposition du bien au cours de l’année, l’excédent éventuel du total du prix de base rajusté du bien, pour le contribuable, immédiatement avant la disposition, et des dépenses dans la mesure où celles-ci ont été engagées ou effectuées par lui en vue de réaliser la disposition sur le produit de disposition du bien qu’il en a tiré,

(i) if the property was disposed of in the year, the amount, if any, by which the total of the adjusted cost base to the taxpayer of the property immediately before the disposition and any outlays and expenses to the extent that they were made or incurred by the taxpayer for the purpose of making the disposition, exceeds the taxpayer’s proceeds of disposition of the property, and

(ii) dans les autres cas, nulle.

(ii) in any other case, nil.

[Je souligne.]

[Emphasis added.]

[24] Comme la Cour l’a mentionné précédemment, M. Roy ne conteste pas qu’il n’est plus en mesure de modifier sa déclaration de revenus pour l’année 2008. Il soumet plutôt que la représentante de la Ministre avait le pouvoir de modifier son solde de perte en capital pour l’année 2009 et d’appliquer cette perte de manière rétrospective à l’année 2008. Se référant à la Loi, il note que l’alinéa 39(1)a) de la Loi prévoit que le gain en capital d’un contribuable, tiré de la disposition d’un bien quelconque, pour une année d’imposition, est le gain que ce contribuable a tiré pour l’année de la disposition d’un bien lui appartenant, et que l’alinéa 111(1)b) de la Loi prévoit qu’un contribuable peut reporter ses pertes en capital net sur les trois années précédentes et de manière illimitée prospectivement. Il souligne également qu’un montant non encaissé ou irrécouvrable lors d’une opération de nature capitale constitue une perte en capital.

[25] M. Roy soumet par ailleurs que l’estimation faite par l’agent de la Section des non-déclarants en 2015 a généré un gain en capital imposable fictif non encaissé de 483 903 $ pour l’année 2008. M. Roy soutient qu’en utilisant les prémisses estimatives de son avis de cotisation pour l’année 2008, il avait donc une créance à recevoir, soit un bien de nature capitale. Il allègue que cette créance d’un montant de 967 903 $ n’a été encaissée ni en 2008, puisque le solde de son compte CBN était de 33 570 $, ni en 2009, où son compte affichait un solde de 18 654 $ avec une variation négative de son encaisse.

[26] M. Roy soumet que, lorsqu’il est devenu clair en 2009 que les sommes ne seraient jamais encaissées, il était donc justifié de demander une déduction à titre de perte en capital. Il soutient que cette perte en capital a été déclenchée en 2009, puisqu’en vertu des règles d’encaissement, que M. Roy appelle la règle du « T+3 », le non-encaissement du gain en capital à la fin de l’année 2008 n’a été matérialisé que trois jours plus tard, soit au début du mois de janvier 2009. Cette perte pouvait donc être légalement reportée rétroactivement à l’encontre de son gain en capital pour l’année 2008 en vertu de l’alinéa 111(1)b) de la Loi. M. Roy soutient qu’ainsi, la représentante de la Ministre n’était pas liée par la règle prévue au paragraphe 152(4.2) de la Loi et qu’en vertu des règles de report de pertes, elle avait le pouvoir de modifier son solde de perte en capital pour l’année 2009 et de gain en capital pour 2008, sans procéder à l’émission d’un avis de cotisation. M. Roy soumet qu’en omettant de considérer cette possibilité, la représentante de la Ministre a rendu une décision déraisonnable.

[27] Je ne peux souscrire aux arguments de M. Roy, et ce, pour deux motifs. Premièrement, M. Roy ne m’a pas convaincu que l’argument qu’il a formulé devant moi a été présenté à la représentante de la Ministre d’une manière qui lui permette d’en saisir le sens, et donc d’en tenir compte dans l’analyse qui l’a conduite à rendre sa décision du 6 mars 2020. D’une part, la demande de redressement transmise par M. Roy le 27 décembre 2019 à l’ARC pour l’année 2009 ne visait pas à inscrire une déduction pour perte en capital, mais bien pour perte de revenus de placements. C’est cette demande que rejette la décision du 6 mars 2020, et ce, au motif que la Loi ne permet pas de déduire une perte en intérêt. D’autre part, je suis d’avis que les explications contenues dans la lettre jointe par M. Roy, dont l’essentiel a été reproduit plus haut, en plus de perpétuer la confusion entre perte en capital et perte de revenus de placements, sont insuffisantes pour exposer de manière claire et satisfaisante la position de M. Roy.

[28] Par ailleurs, je note que la représentante de la Ministre a remarqué cette confusion apparente et qu’elle s’est ensuite renseignée, de sa propre initiative, auprès de la Section des examens supplémentaires de l’ARC à la vérification, afin de valider les règles entourant la déclaration d’une perte en capital. La représentante de la Ministre a par la suite fourni à M. Roy des explications supplémentaires à cet effet lors de leur conversation téléphonique le 26 février 2020, à savoir que la Loi ne permet pas de déclarer une perte en capital pour une année autre que celle de la disposition de l’actif ou du bien. Or, ce n’est qu’après avoir reçu la décision du 6 mars 2020 que M. Roy a demandé, le 25 mars 2020, un nouveau redressement à l’ARC afin de déclarer la perte comme un gain en capital. C’est donc à cette date qu’il a formulé, pour la première fois, l’argument tel qu’il a été présenté devant moi. Conséquemment, je peux difficilement blâmer la représentante de la Ministre de ne pas avoir considéré un argument qui ne lui a pas été adéquatement soumis.

[29] Deuxièmement, après avoir entendu les observations de l’avocat de M. Roy à l’audience et considéré l’argument dans sa forme définitive, je ne suis pas convaincu que celui-ci possède un quelconque fondement qui puisse remettre en doute la raisonnabilité de la décision contestée. En effet, j’ai questionné l’avocat de M. Roy à plusieurs reprises afin d’obtenir confirmation que la déduction pour perte en capital demandée en 2009 pouvait être considérée comme réelle, compte tenu du caractère fictif du gain en capital cotisé pour l’année 2008. Ce dernier a maintenu que la perte était réelle, puisque les gains n’avaient pas été encaissés par M. Roy en 2009. Or, il appert plutôt de la preuve au dossier que le non-encaissement des gains de l’année 2008 ne résulte pas du choix de M. Roy, mais du simple fait que les transactions effectuées par ce dernier en 2008 n’ont généré aucun gain en capital, comme le démontre d’ailleurs les fichiers T5008 déposés à son dossier et sa déclaration de revenus pour l’année 2008 transmise le 12 août 2019, lesquels indiquent une perte en capital de 10 157,71 $.

[30] Il incombe ici de séparer la réalité de la fiction. À ce titre, l’effet bien réel du gain en capital fictif de 483 903 $ est que M. Roy a été imposé, pour l’année 2008, à hauteur de 116 301 $ sur un revenu total de 589 645 $. Ce résultat découle du calcul estimatif effectué par l’ARC en 2015, erroné certes, mais que M. Roy a omis de contester à l’intérieur du délai de 90 jours prévu au paragraphe 165(1) de la Loi, et qui s’est cristallisé lorsque M. Roy a laissé s’écouler le délai de dix ans prévu au paragraphe 152(4.2) de la Loi. Cependant, l’avocat de M. Roy n’a jamais été en mesure d’indiquer, ni dans la Loi, ni dans la jurisprudence, une source pour étayer l’argument voulant qu’un contribuable qui subirait les effets fiscaux réels d’un gain en capital fictif puisse par ailleurs transformer ce gain fictif en perte réelle. Compte tenu de ce qui précède, il m’apparaît clair que l’erreur commise par l’ARC ne peut servir de base pour obtenir le résultat fiscal recherché par M. Roy.

[31] Par conclusion nécessaire, la question de savoir si M. Roy pouvait déclarer une perte en capital en 2009 en vertu des règles d’encaissement perd toute sa pertinence, puisqu’il n’existe en vérité aucune perte correspondant au gain en capital de 483 903 $ ayant servi à établir son avis de cotisation pour l’année 2008. À vrai dire, je suis d’avis que l’apparente complexité de la présente affaire tient au fait que M. Roy, constatant qu’il ne pouvait plus modifier sa déclaration de revenus pour l’année 2008, a tenté de faire indirectement ce qu’il ne pouvait pas faire directement. Or, imaginons un instant un individu qui aurait subi des dommages équivalant à 300 000 $ et qui, ayant laissé s’écouler le délai prescrit pour poursuivre le fautif, viendrait par la suite prétendre à une dette correspondant à ce montant sous prétexte que le préjudice, lui, était bien réel. On envisagerait mal donner gain de cause à un tel individu. C’est pourtant dans une situation en tout point similaire que M. Roy s’est lui-même placé.

[32] Sur la base des présents motifs, je conclus que la décision de la représentante de la Ministre datée du 6 mars 2020 est raisonnable. La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

VI. Conclusion

[33] La demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec dépens.

 


JUGEMENT au dossier T-576-20

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec dépens.

« Peter G. Pamel »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-576-20

 

INTITULÉ :

SÉBASTIEN ROY c MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AFFAIRE ENTENDUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 novembre 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PAMEL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 12 décembre 2022

 

COMPARUTIONS :

Me Maxime Chouinard, J.D., M. Fisc.

Pour le demandeur

Me Martin Lamoureux

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Therrien Couture Joli-Cœur S.E.N.C.R.L.

Québec (Québec)

 

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour le défendeur

 

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