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Date : 20221101

Dossier : IMM-2877-20

Référence : 2022 CF 1493

[TRADUCTION FRANÇAISE]
Toronto (Ontario), le 1er novembre 2022

En présence de monsieur le juge Andrew D. Little

ENTRE :

NGOZI JESSICA OBODO

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le 14 juin 2020, la demanderesse et ses deux enfants ont présenté une demande d’asile au point d’entrée canadien du pont Rainbow, à Niagara Falls.

[2] Les agents de l’Agence des services frontaliers (l’« ASFC ») ont conclu que la demande n’était pas recevable aux termes de l’alinéa 101(1)e) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la « LIPR »). L’ASFC a conclu que la demanderesse n’avait pas de famille au Canada contrairement à ce qu’elle prétendait. Par conséquent, sa demande d’entrée au Canada ne satisfaisait pas aux exigences relatives à la non-application de l’alinéa 101(1)e) prévues à l’alinéa 159.5b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (le « RIPR »).

[3] Un agent de l’ASFC a établi un rapport en vertu du paragraphe 44(1) de la LIPR et une déléguée du ministre a pris une mesure d’exclusion à l’encontre de la demanderesse en vertu du paragraphe 44(2) de la LIPR.

[4] La demanderesse a déposé une demande de contrôle judiciaire de la décision de prendre une mesure d’exclusion. Elle a soutenu que la décision devrait être annulée parce qu’elle était déraisonnable. Elle a également fait valoir qu’elle avait été privée de son droit à l’équité procédurale. Elle a allégué que ses enfants et elle-même avaient été maltraités à la frontière, d’une façon à soulever une crainte raisonnable de partialité, et qu’elle avait été privée de son droit à l’assistance d’un avocat.

[5] Pour les motifs qui suivent, la demande sera rejetée. En appliquant les principes énoncés dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 RCS 653 [Vavilov], je ne vois aucune raison de modifier la décision de prendre une mesure d’exclusion. De plus, la preuve ne démontre pas de manquement à l’obligation d’équité procédurale, notamment une crainte raisonnable de partialité ou un déni du droit à l’assistance d’un avocat.

I. Les faits à l’origine de la présente demande

[6] La demanderesse est citoyenne du Nigéria. Ses enfants sont citoyens des États-Unis d’Amérique.

[7] Le 14 juin 2020, la demanderesse et ses enfants sont arrivés au point d’entrée du pont Rainbow, où elle a présenté une demande d’asile. À l’époque, son fils avait presque quatre ans, et sa fille près de deux ans. La demanderesse a mentionné que son fils était atteint du spectre de l’autisme.

[8] Comme la demanderesse cherchait à entrer au Canada en provenance des États-Unis, certaines dispositions du RIPR, qui ont permis la mise en œuvre de l’Accord entre le gouvernement du Canada et le gouvernement des États-Unis d’Amérique pour la coopération en matière d’examen des demandes de statut de réfugié présentées par des ressortissants de pays tiers, parfois appelé l’Entente sur les tiers pays sûrs, s’appliquaient à sa demande d’asile. La demanderesse a prétendu qu’une membre de sa famille était une résidente permanente au Canada, à savoir une demi-sœur nommée Vera. Si c’était le cas, l’alinéa 101(1)e) de la LIPR ne s’appliquerait pas à la demande d’entrée au Canada de la demanderesse, en raison de l’alinéa 159.5b) du RIPR.

[9] Voici un résumé des faits survenus à la frontière et du contenu de certains documents importants pour la présente demande. J’ai établi la chronologie des diverses sources figurant dans le dossier de la demande et le dossier certifié du tribunal.

[10] Les faits en question se sont déroulés au cours d’une période de 24 à 30 heures, les 14 et 15 juin 2020. La demanderesse est arrivée à la frontière en début d’après-midi, le 14 juin. Elle est retournée aux États-Unis avec ses enfants peu après 18 h le lendemain.

[11] Lorsque la demanderesse est arrivée au point d’entrée en véhicule, elle a mentionné à un agent de l’ASFC qu’elle voulait faire une demande d’asile. Ce dernier l’a invitée à stationner son véhicule. Peu après, la demanderesse a présenté des copies des documents suivants à l’ASFC :

  • a)un document censé être son certificat de naissance nigérian;

  • b)le certificat de naissance de Vera;

  • c)la carte de résident permanent de Vera;

  • d)une attestation de naissance de Vera, de la Commission démographique nationale du Nigéria;

  • e)d’autres documents, notamment une photocopie en couleur de la page des renseignements biographiques de son passeport nigérian, un certificat de divorce de son épouse aux États-Unis, des documents de propriété de véhicule, les passeports américains de ses enfants et leurs certificats de naissance américains.

[12] La demanderesse n’a pas présenté de passeport nigérian.

[13] À peu près au moment où elle est arrivée au point d’entrée, il semble que les prétendues demi-sœurs de la demanderesse, Vera et Harriet, l’attendaient du côté canadien. Elles ont donné de la nourriture à la demanderesse et à ses enfants vers le milieu de l’après-midi.

[14] Vers 16 h, un agent de l’ASFC a interrogé la demanderesse.

[15] L’agent a préparé une déclaration solennelle datée du 14 juin 2020, qui comprenait les questions posées à la demanderesse et ses réponses. Selon la déclaration, la demanderesse a précisé qu’elle était citoyenne du Nigéria et d’aucun autre pays. Le certificat de naissance allégué de la demanderesse était le seul document présenté pour prouver son identité. La demanderesse a mentionné à l’agent que Vera était sa demi-sœur et qu’elles avaient le même père. Dans la déclaration, il est mentionné que la mère de la demanderesse lui avait parlé de membres additionnels de sa fratrie vers la fin de 2017. À cette époque, elle a appris l’existence de Vera, qui vivait à Port Harcourt, au Nigéria. À la question de savoir si elle avait décidé de retrouver sa demi-sœur Vera, la demanderesse a répondu qu’elle pouvait la retrouver. Elles ont commencé à communiquer vers la fin de 2017. La demanderesse a informé l’agent que sa mère s’était renseignée au sujet du numéro de Vera et qu’elle avait réussi à l’obtenir. Vera l’a aidée à prendre contact avec les autres membres de sa fratrie. Après avoir rencontré Vera, la demanderesse a rencontré une autre prétendue demi-sœur, nommée Harriet.

[16] La demanderesse a aussi précisé à l’agent qu’elle n’avait pas de statut aux États-Unis à ce moment-là.

[17] Par ailleurs, l’agent a préparé un document dactylographié, daté du 14 juin 2020, intitulé [traduction] « Notes de l’agent examinateur ». Dans ces notes, l’agent a consigné des renseignements généraux au sujet de la demanderesse, notamment ses entrées multiples aux États-Unis, la naissance de ses enfants, son mariage et son divorce aux États-Unis, les procédures de renvoi existantes engagées contre elle aux États-Unis (pendant lesquelles son passeport avait été saisi par les autorités américaines).

[18] Au cours de l’entrevue, la demanderesse a donné le nom des membres de sa fratrie. Elle a précisé que Vera et Harriet étaient ses demi-sœurs, qu’elles étaient au Canada et qu’elles avaient toutes le même père biologique. L’agent a noté que, même si la demanderesse avait fourni une copie de la carte de résident permanent de Vera, elle [traduction] « ne se souvenait pas du nom marital de Vera et avait donné une date de naissance erronée pour celle-ci ».

[19] L’agent a mentionné dans ses notes qu’il avait examiné de plus près le certificat de naissance de la demanderesse, compte tenu de la chronologie des voyages de la demanderesse, de son mariage, de la naissance des enfants et des incohérences dans ses déclarations.

[20] L’agent a relevé des éléments qui semblaient indiquer que le certificat de naissance de la demanderesse n’était pas authentique. Il a noté que le certificat de naissance était daté du 28 avril 1985 et a confirmé que la date de naissance de la demanderesse était le 26 mars 1985. Toutefois, l’agent a conclu qu’il était évident, à l’examen du document, que le certificat n’avait pas été délivré plus de 30 ans auparavant et que rien n’indiquait qu’il s’agissait d’une réimpression ou d’une photocopie. Le représentant du gouvernement du Nigéria censé avoir signé le certificat de naissance de 1985 était un dirigeant du gouvernement au Nigéria au pouvoir depuis 2013. L’agent a également mentionné dans ses notes que l’État de Delta, au Nigéria, avait été créé le 27 août 1991. Il était issu d’une ancienne colonie appelée État de Bendel; par conséquent, le 26 mars 1985, l’État de Delta et le gouvernement de l’État de Delta n’existaient pas.

[21] L’agent a interrogé la demanderesse au sujet de l’authenticité du certificat de naissance. Elle lui a répondu que sa mère le lui avait obtenu et lui avait dit qu’il était authentique.

[22] L’agent a également tenté de recueillir des éléments de preuve concernant l’allégation de la demanderesse selon laquelle elle avait un lien biologique avec une membre de sa famille au Canada, en communiquant avec Vera et la mère de la demanderesse. Dans ses notes, l’agent a mentionné qu’il avait communiqué trois fois avec Vera pour lui demander d’autres documents démontrant son lien de parenté avec la demanderesse. Selon ces notes, chaque fois qu’il avait communiqué avec Vera, elle demandait à l’agent de rappeler dans une heure et lui disait qu’elle l’informerait des documents dont elle disposait à ce moment-là ou du temps qu’il lui faudrait pour les obtenir. Les notes indiquaient également que la mère de la demanderesse [traduction] « a[vait] été jointe, mais [qu’]elle a[vait] refusé de répondre aux questions ».

[23] L’agent a conclu qu’il [traduction] « ne disposait d’aucun élément de preuve pour démontrer l’existence d’un lien biologique avec quiconque au Canada ». Il était d’avis que la demanderesse et ses enfants n’avaient pas démontré qu’ils avaient satisfait à l’une des exceptions à l’Entente sur les tiers pays sûrs, à savoir qu’un membre de leur famille se trouvait au Canada. L’agent a donc recommandé que leurs demandes soient jugées irrecevables.

[24] L’agent a établi un rapport en vertu du paragraphe 44(1) de la LIPR, dans lequel il a mentionné que la demanderesse était une étrangère qui n’avait pas été autorisée à entrer au Canada et qui, à son avis, était interdite de territoire au titre du paragraphe 41 de la LIPR pour manquement à l’alinéa 20(1)a) de la LIPR et à l’article 6 du RIPR[1]. L’agent a établi des rapports semblables pour les deux enfants.

[25] Selon l’affidavit de Vera, déposé dans le cadre de la présente demande, un agent lui a téléphoné vers 22 h, le 14 juin, et lui a dit que le certificat de naissance de la demanderesse était faux. Vera a déclaré qu’elle lui avait mentionné qu’elle obtiendrait une attestation de naissance de la demanderesse des bureaux du gouvernement au Nigéria. Dans son affidavit, Vera a précisé qu’elle l’avait obtenu le lendemain et qu’elle avait tenté de le transmettre à l’ASFC, par télécopieur, au début de l’après-midi suivant.

[26] Le matin du 15 juin, la déléguée du ministre a entrepris l’examen de l’affaire.

[27] La déléguée du ministre a préparé un document daté du 15 juin 2020 et intitulé [traduction] « Examen et décision de la déléguée du ministre ». Ce document présentait le contexte, notamment le fait que l’agent avait des motifs probables de croire que le certificat de naissance de la demanderesse était [traduction] « contrefait » et soulignait les lacunes relevées par l’agent. La déléguée du ministre a mentionné que le certificat de naissance comportait une erreur typographique, plus précisément dans l’expression « REGISTRSR OF BIRTH » (en français « REGISTRAIRE DES NAISSANCES »).

[28] La déléguée du ministre a précisé la teneur de la [traduction] « longue » conversation téléphonique qu’elle avait eue avec Vera pendant que la demanderesse et ses enfants dormaient. La déléguée du ministre a conclu que la demanderesse et Vera lui avaient raconté des histoires différentes au sujet de la façon dont elles avaient découvert qu’elles étaient des demi-sœurs, et de laquelle des deux avait appelé l’autre en premier : Vera a déclaré qu’elle avait obtenu le numéro de téléphone de la demanderesse et qu’elle l’avait appelée pour confirmer leur lien familial, tandis que la demanderesse a mentionné à la déléguée du ministre que c’était elle qui avait communiqué la première avec Vera après avoir appris de sa mère qu’elle avait six membres dans sa demi-fratrie. Dans son affidavit déposé dans le cadre de la présente demande, Vera a déclaré qu’elle avait informé la déléguée du ministre qu’elle tentait d’obtenir une attestation de naissance pour la demanderesse.

[29] La déléguée du ministre a jugé qu’il était plus probable que le contraire que la demanderesse ne satisfaisait pas à l’une des exceptions à l’Entente sur les tiers pays sûrs, à savoir qu’un membre de sa famille se trouvait au Canada. Par conséquent, elle a conclu que la demande de la demanderesse était irrecevable.

[30] Elle a rédigé une déclaration dans laquelle elle indique les questions posées à la demanderesse et ses réponses.

[31] Dans une lettre datée du 15 juin 2020, la déléguée du ministre a indiqué qu’une décision avait été prise au titre du paragraphe 100(1) de la LIPR et que la demande d’asile de la demanderesse avait été jugée irrecevable au titre de l’alinéa 101(1)e) de la LIPR.

[32] La déléguée du ministre a pris une mesure d’exclusion datée du 15 juin 2020. Dans la mesure d’exclusion, la déléguée du ministre a déclaré qu’aux termes de l’article 228 du RIPR, elle était convaincue que la demanderesse était une étrangère visée au paragraphe 41 de la LIPR, dont on avait des motifs raisonnables de croire qu’elle était interdite de territoire pour manquement à l’alinéa 20(1)a) de la LIPR. La signature de la demanderesse aurait été apposée le 15 juin 2020 sur l’accusé de réception d’une copie de la mesure d’exclusion.

[33] Vers 16 h, le 15 juin, tandis que la demanderesse s’éloignait, avec ses enfants, du point d’entrée en direction des États-Unis, elle avait arrêté sa voiture. Elle a affirmé qu’elle avait eu une crise de panique et ne pouvait plus conduire. Selon les notes de la déléguée du ministre, la demanderesse [traduction] « a[vait] arrêté brusquement sa voiture et a[vait] refusé de reprendre la route pour retourner aux États-Unis ». Dans ses notes, la déléguée du ministre a déclaré que la demanderesse : [traduction] « a[vait] été longuement informée des conséquences de son refus de retourner aux États-Unis de son propre chef, étant donné qu’elle faisait l’objet d’une mesure de renvoi et avait été exclue du Canada ». Elle avait commencé à faire de l’hyperventilation et avait eu besoin de soins médicaux.

[34] La demanderesse a été transportée à l’hôpital en ambulance. Pendant qu’elle recevait des soins médicaux, ses enfants ont été séparés d’elle, mais ils ont été pris en charge par le chef intérimaire et un surintendant de l’ASFC au point d’entrée.

[35] La demanderesse a obtenu son congé de l’hôpital vers 18 h 10. L’ASFC a procédé à son arrestation, apparemment brièvement, afin de terminer le processus de renvoi.

[36] À l’issue de ce qui précède, la demanderesse a retiré sa demande d’entrée au Canada ainsi que celles de ses enfants.

II. L’admissibilité de nouveaux éléments de preuve dans le cadre de la présente demande

[37] Les deux parties souhaitaient déposer de nouveaux éléments de preuve dans le cadre de la présente demande. La demanderesse a déposé trois affidavits à l’appui de sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. Elle a déposé son propre affidavit détaillé, dans lequel elle relatait le souvenir qu’elle avait des faits qui s’étaient déroulés au point d’entrée. Vera et la mère de la demanderesse ont également fourni des affidavits dans le dossier de demande déposé en février 2021.

[38] En janvier 2022, après que la Cour eut accueilli la demande d’autorisation au titre de l’article 72 de la LIPR, le défendeur a déposé un affidavit de la déléguée du ministre et un court affidavit du superviseur de l’agent, dans lequel il précisait que ce dernier était en [traduction] « congé autorisé » jusqu’en septembre 2022 (pour expliquer la raison pour laquelle l’agent n’avait pas fourni d’affidavit dans le cadre de la présente demande).

[39] En février 2022, la demanderesse a déposé son propre affidavit supplémentaire et un affidavit d’une personne du bureau de son avocat, accompagné des résultats de tests d’ADN effectués en février ou mars 2021. Trois tests d’ADN avaient été effectués : un test pour comparer l’ADN de la demanderesse avec celui de sa prétendue demi-sœur, Vera; un autre pour comparer l’ADN de la demanderesse avec celui de sa prétendue demi-sœur, Harriet; un troisième pour comparer l’ADN d’Harriet avec celui de Vera.

[40] Aucune des parties n’a soulevé d’objection à l’égard des nouveaux éléments de preuve de l’autre. La demanderesse a présenté des observations au sujet de l’admissibilité de ses cinq affidavits selon le critère juridique applicable à la présentation de nouveaux éléments de preuve en appel. Le défendeur n’a présenté aucune observation concernant l’admissibilité des deux affidavits en réponse, ce qui est peut-être compréhensible, étant donné qu’ils répondaient en partie aux nouveaux éléments de preuve de la demanderesse. De plus, le défendeur a cherché à utiliser la preuve d’ADN pour faire valoir que la présente demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée, parce que l’issue était inévitable.

[41] Dans le cadre d’un contrôle judiciaire, la règle générale veut que le dossier de la preuve qui est soumis à la cour de révision se limite au dossier de la preuve dont disposait le décideur administratif. Les éléments de preuve qui n’ont pas été portés à la connaissance du décideur et qui ont trait au fond de l’affaire ne sont pas admissibles dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire présentée à notre Cour : Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 [Association des universités et collèges] au para 19; Delios c Canada (Procureur général), 2015 CAF 117 au para 42; Perez c Hull, 2019 CAF 238 [Perez] au para 16, citant l’arrêt Sharma c Canada (Procureur général), 2018 CAF 48 au para 8. La Cour d’appel fédérale a décrit trois exceptions à la règle générale dans les arrêts Perez et Association des universités et collèges : (i) un affidavit qui contient des informations générales qui sont susceptibles d’aider la Cour à comprendre les questions qui se rapportent au contrôle judiciaire; (ii) un affidavit qui est nécessaire pour porter à l’attention de la cour de révision des vices de procédure qu’on ne peut déceler dans le dossier de la preuve du décideur administratif, ce qui permet ainsi à la cour de révision de remplir son rôle d’organe chargé de censurer les manquements à l’équité procédurale; (iii) un affidavit qui fait ressortir l’absence totale de preuve dont disposait le tribunal administratif ayant trait à une conclusion donnée. Il pourrait y avoir d’autres exceptions, car la liste n’est pas exhaustive. Voir les analyses dans les arrêts Perez, au para 16, et Association des universités et collèges, au para 20.

[42] J’examinerai chacun des affidavits.

[43] À mon avis, la quasi-totalité du premier affidavit de la demanderesse, déposé avec son dossier de demande, est admissible en l’espèce. Il contient des informations générales et traite directement de ses allégations relatives au manquement à l’équité procédurale et aux faits qui sont survenus au point d’entrée qui ne figurent pas autrement dans le dossier. Sans cet élément de preuve, elle ne pouvait pas faire valoir sa position sur les allégations relatives au manquement à l’équité procédurale, à la partialité et au droit à l’assistance d’un avocat.

[44] Le contenu du deuxième affidavit de la demanderesse est en partie admissible en l’espèce. Cet affidavit renvoie à la proposition qu’elle a faite de subir un test d’ADN au point d’entrée, ce qui se rapporte à son allégation relative au manquement à l’équité procédurale. Toutefois, les résultats des tests d’ADN ultérieurs ne sont pas admissibles dans le cadre de la présente demande, car ils portent sur la recevabilité de sa demande d’asile au Canada au titre de la LIPR et du RIPR. Autrement dit, les tests d’ADN et les commentaires de la demanderesse à cet égard visent à compléter la preuve qu’elle a présentée au point d’entrée avec des éléments de preuve supplémentaires pour prouver l’existence d’un membre de la famille au Canada.

[45] L’affidavit déposé par la demanderesse qui accompagne les résultats du test d’ADN n’est pas admissible. Les tests d’ADN ont été effectués en février ou mars 2021, bien après la décision visée par la présente demande de contrôle judiciaire. Les éléments de preuve portent sur la question de savoir si la demanderesse est visée par l’exception qu’elle a invoquée au point d’entrée, au motif qu’elle est la demi-sœur d’une personne au Canada.

[46] Presque tout l’affidavit de Vera est admissible, parce qu’il concerne des faits liés à la position de la demanderesse sur le manquement à l’équité procédurale. Il porte également sur ce que Vera a déclaré à la déléguée du ministre le 15 juin 2020, au sujet de la façon dont la demanderesse et elle-même avaient pris contact l’une avec l’autre pour la première fois. Le paragraphe 11 de l’affidavit est admissible, puisqu’il fait partie de la chronologie des faits qui se sont déroulés cette journée-là. L’affidavit ne vise pas à ajouter de nouvelles explications sur la façon dont elles ont pris contact, autres que celles qui ont été données à la déléguée du ministre.

[47] L’affidavit de la mère de la demanderesse est partiellement admissible. Les paragraphes 7 et 8 portent sur les interactions entre la mère et l’ASFC, pendant que la demanderesse se trouvait au point d’entrée, et sont donc liés à son allégation relative au manquement à l’équité procédurale en l’espèce. Cependant, les éléments de preuve figurant dans l’affidavit de la mère quant à l’identité de la demanderesse et à la manière dont elle a obtenu le certificat de naissance (non authentique) de la demanderesse et son explication à cet égard ne sont pas admissibles, car ils concernent le bien-fondé de la demande initiale de la demanderesse au point d’entrée. La mère mentionne également dans son affidavit la façon dont Vera est entrée en contact avec la demanderesse. Ce nouvel élément de preuve est inadmissible, parce que la mère a refusé de fournir des renseignements à l’ASFC pendant que la demanderesse était au point d’entrée. De nouveaux éléments de preuve sur ce sujet ne peuvent pas être produits maintenant.

[48] Du côté du défendeur, l’affidavit de la déléguée du ministre déposé pour répondre (en partie) aux trois affidavits initiaux de la demanderesse est admissible, car il porte sur la même question relative à l’équité procédurale. L’affidavit comporte une explication sur l’existence d’une plainte et le processus de dépôt qui s’y rapporte; cela concerne donc la question relative à l’équité procédurale. L’affidavit indique que la demanderesse n’a pas invoqué le droit à l’assistance d’un avocat le 15 juin 2020, ce qui est admissible. L’affidavit indique que la déléguée du ministre n’a pas reçu l’attestation de naissance avant de prendre une mesure d’exclusion, ce qui est admissible quant au processus suivi par la déléguée du ministre seulement. L’affidavit comporte certains commentaires de moindre importance formulés par la déléguée du ministre, qui semblent confirmer ou appuyer les motifs fournis en juin 2020 pour la décision de prendre une mesure d’exclusion. Ces commentaires ne sont pas admissibles.

[49] Le très court affidavit du superviseur de l’agent de l’ASFC, qui est responsable de la gestion des ressources humaines au point d’entrée, est admissible pour combler l’absence d’affidavit de l’agent en réponse.

III. Analyse

[50] Je me penche sur les questions de fond et les observations présentées par la demanderesse.

A. Le caractère raisonnable de la mesure d’exclusion

[51] Dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, la norme de contrôle applicable à la décision de la déléguée du ministre sur le fond est la décision raisonnable, telle qu’elle est décrite dans l’arrêt Vavilov. Un contrôle selon la norme de la décision raisonnable est un examen déférent et rigoureux de la question de savoir si la décision administrative est transparente, intelligible et justifiée : Vavilov, aux para 12, 13, 15. Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, en particulier aux para 85, 99, 101, 105, 106, 194.

[52] Même si la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire visait à contester officiellement la mesure d’exclusion, les observations des deux parties portaient sur les questions sous-jacentes aux décisions de l’agent et de la déléguée du ministre. Dans ses observations, la demanderesse a mis l’accent sur le bien-fondé de sa demande d’entrée au Canada, tandis que le défendeur a soutenu que l’analyse de la déléguée du ministre était raisonnable, eu égard à la preuve. Plus précisément, le défendeur a soutenu qu’il était raisonnable de prendre la mesure d’exclusion, vu que le certificat de naissance de la demanderesse était faux (élément que la demanderesse a effectivement reconnu, en faisant valoir qu’elle ne le savait pas à l’époque) et que l’agent avait raisonnablement tiré une conclusion défavorable des différences entre les récits respectifs de la demanderesse et de Vera, au sujet de la façon dont elles avaient pris contact pour la première fois.

[53] Je suis du même avis que le défendeur. La demanderesse n’a relevé aucune erreur de droit de la part de l’agent ou de la déléguée du ministre. De plus, je ne suis pas convaincu que la déléguée du ministre se soit fondamentalement méprise sur la preuve au dossier ou qu’elle n’en ait pas tenu compte : Vavilov, aux para 125, 126. La demanderesse a souligné que la déléguée du ministre n’avait pas tenu compte de son attestation de naissance. Après une conversation avec l’agent, tard dans la soirée du 14 juin 2020, Vera a obtenu le document du gouvernement du Nigéria le 15 juin 2020. D’après son affidavit, elle l’a transmis par télécopieur à l’ASFC cet après-midi-là. Toutefois, il semble que la déléguée du ministre n’ait pas eu le document avant d’achever son rapport en vertu du paragraphe 44(2) et de préparer la mesure d’exclusion. Le dossier certifié du tribunal contenait l’attestation de naissance de la demanderesse, mais la déléguée du ministre ne l’a pas mentionnée dans son rapport d’examen et de décision.

[54] Après avoir examiné le contenu du document d’attestation de naissance, les deux motifs et les fondements sur lesquels reposait la conclusion de la déléguée du ministre dans son rapport ainsi que le fardeau qui incombait à la demanderesse de fournir des documents à l’appui à son arrivée au point d’entrée, je conclus que la déléguée du ministre n’a pas commis d’erreur justifiant l’annulation dans son analyse de l’ensemble des circonstances ni dans sa décision de prendre une mesure d’exclusion. La demanderesse a effectivement reconnu en l’espèce que le certificat de naissance qu’elle avait produit n’était pas authentique; elle a souligné qu’elle l’avait reçu de sa mère et que cette dernière avait été dupée. De plus, la demanderesse n’a pas sérieusement contesté la conclusion selon laquelle son récit et celui de Vera étaient contradictoires quant à la façon dont elles avaient établi le premier contact entre elles.

[55] Pour ces motifs, je conclus, en appliquant les principes établis dans l’arrêt Vavilov, que la demanderesse n’a pas démontré que la mesure d’exclusion devrait être annulée, au motif qu’elle était déraisonnable.

B. L’équité procédurale

[56] L’examen par la Cour des questions d’équité procédurale n’appelle aucune déférence à l’égard du décideur. La question est celle de savoir si la procédure était équitable, eu égard à l’ensemble des circonstances : Gordillo c Canada (Procureur général), 2022 CAF 23 au para 63; Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique c Canada (Office des transports), 2021 CAF 69 aux para 46, 47; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, [2019] 1 RCF 121, en particulier aux para 49, 54; Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817.

[57] La demanderesse a soutenu que l’agent avait tiré une série de conclusions erronées et rendu une décision qui découlait fondamentalement d’un préjugé à son endroit. Elle s’est appuyée principalement sur ses propres affidavits ainsi que sur celui de Vera, quant aux faits qui se sont déroulés au point d’entrée.

[58] La demanderesse a soutenu devant la Cour que les conditions créées par les divers agents qu’elle avait rencontrés au point d’entrée avaient [traduction] « fait obstacle à ses demandes d’asile et les a[vaient] vouées à un rejet inévitable ». Dans son premier affidavit, déposé dans le dossier de demande, la demanderesse explique qu’elle a été accueillie avec hostilité lorsqu’elle est arrivée à la frontière et qu’elle a demandé des documents au point d’entrée pour solliciter l’asile. Elle y décrit des incidents impliquant divers agents, des hommes et des femmes, et non seulement l’agent qui a rédigé le rapport en vertu du paragraphe 44(1). L’affidavit portait sur des incidents au cours desquels un agent lui avait parlé [traduction] « avec colère » et de [traduction] « façon dégradante ». Elle a déclaré avoir été interrogée avec [traduction] « tellement d’hostilité ». Elle a rapporté que son fils était autiste et que les agents de l’ASFC ont fait preuve d’intolérance et de manque de compréhension à l’égard de certains comportements. Elle a décrit la chronologie des faits qui avaient obligé sa famille à dormir par terre, dans la pièce où elle avait été interrogée au point d’entrée, parce que l’ASFC n’avait pas permis à ses enfants ni à elle d’entrer au Canada et de revenir au point d’entrée le lendemain matin.

[59] La demanderesse n’a soulevé aucune préoccupation particulière à l’égard de la conduite de la déléguée du ministre, si ce n’est que cette dernière a) n’a pas accepté sa proposition de subir un test d’ADN; b) a insisté pour qu’elle signe des documents permettant de retirer sa demande d’entrée au Canada après que la mesure d’exclusion a été prise.

[60] Le défendeur n’a pas déposé d’affidavit de l’agent pour répondre à l’affidavit de la demanderesse, car l’agent était en congé. La déléguée du ministre a déposé un affidavit dans lequel elle mentionne qu’elle ne se souvenait pas d’avoir observé des interactions entre l’agent et la demanderesse ou ses enfants, ni d’avoir reçu une plainte de la part de la demanderesse au sujet de mauvais traitements.

[61] La demanderesse a fait observer que le défendeur n’avait déposé aucun élément de preuve pour contredire son affidavit. Le défendeur n’a pas contre-interrogé la demanderesse sur son affidavit. Il a soutenu que la demanderesse n’avait pas soulevé de question au moment des faits survenus en juin 2020 et qu’elle n’avait pas déposé de plainte à l’ASFC par la suite, relativement aux mauvais traitements qu’elle aurait subis.

[62] La demanderesse a soutenu essentiellement qu’elle n’avait pas eu la possibilité raisonnable de présenter une demande d’asile. Elle a fait valoir que des éléments de preuve autres que son faux certificat de naissance auraient dû ou auraient pu être pris en compte, notamment si les agents avaient interrogé Vera et Harriet aux bureaux de l’ASFC, s’ils avaient accepté la proposition de la demanderesse et de sa sœur de subir un test d’ADN, s’ils avaient admis des photographies et consulté les dossiers d’immigration de la demanderesse dont disposaient les États-Unis.

[63] Le critère de la crainte raisonnable de partialité consiste à savoir si une personne raisonnable et bien renseignée, qui serait au courant de l’ensemble des circonstances pertinentes et qui étudierait la question de façon réaliste et pratique, penserait qu’il est vraisemblable que le décideur, consciemment ou non, ne tranchera pas la question de manière équitable : Gulia c Canada (Procureur général), 2021 CAF 106 au para 17; Younis c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2021 CAF 49 [Younis] aux para 35-37; Committee for Justice and Liberty et al c L’Office national de l’énergie et al, [1978] 1 RCS 369 à la p 394.

[64] La charge d’établir la partialité incombe à la partie qui l’allègue : R c S (RD), [1997] 3 RCS 484 au para 114; Younis, au para 37, citant ABB Inc c Hyundai Heavy Industries Co, 2015 CAF 157 au para 55.

[65] Dans une décision récente, la juge Aylen a déclaré qu’une allégation de crainte raisonnable de partialité doit être étayée par des éléments de preuve concrets qui démontrent un comportement dérogeant à la norme. Elle ne peut reposer sur de simples soupçons, sur des insinuations ou encore de simples impressions d’une partie ou de son avocat : Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 542 au para 15 (renvoyant à Arthur c Canada (Procureur général), 2001 CAF 223 au para 8; Ramirez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 809 au para 11; Maxim c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1029 au para 30).

[66] Étant donné les éléments de preuve contenus dans l’affidavit de la demanderesse relatifs aux faits survenus les 14 et 15 juin 2020 ainsi que le contenu des documents de l’ASFC préparés à cet égard, je ne crois pas que les faits permettent de soulever une crainte raisonnable de partialité. Premièrement, je ne suis pas convaincu que les faits permettent de soulever une crainte raisonnable de partialité de la part de l’agent ou de la déléguée du ministre. Aucune allégation précise de partialité n’a été formulée à l’endroit de la déléguée du ministre, dont la décision fait l’objet du contrôle en l’espèce. De façon plus générale, la preuve semble indiquer que le personnel de l’ASFC était sceptique à l’égard de la demande de la demanderesse en vue de bénéficier d’une exemption à l’Entente sur les tiers pays sûrs, après qu’elle a présenté un certificat de naissance nigérian jugé rapidement et raisonnablement non authentique par l’agent et la déléguée du ministre, sur le fondement d’enquêtes dans les sources ouvertes (qui n’ont pas été contestées devant la Cour). De même, l’ASFC avait le droit d’enquêter sur d’autres aspects de la demande d’exemption de la demanderesse, fondée sur le fait qu’elle avait une demi-sœur au Canada, et de faire des vérifications à cet égard.

[67] Deuxièmement, les observations de la demanderesse à l’appui de sa position sur le manquement à l’équité ne démontrent pas de partialité ni de crainte raisonnable de partialité. Elles portent plutôt sur le bien-fondé de la décision rendue au titre de l’alinéa 101(1)e) de la LIPR et, plus précisément, sur la question de savoir si elle aurait dû bénéficier d’une exemption à l’Entente sur les tiers pays sûrs, en raison de la présence de membres prétendus de sa famille au Canada, aux termes de l’article 159.5 du RIPR. Ce n’est pas un argument sur la partialité. Il s’agit d’un désaccord au sujet de l’issue appropriée de sa demande d’entrée au Canada.

[68] Troisièmement, le défendeur a soutenu que les faits à l’origine de l’inconduite alléguée s’étaient produits il y a longtemps et qu’ils n’avaient pas été prouvés selon la prépondérance des probabilités. Le défendeur a fait remarquer qu’aucune plainte n’avait été déposée et que la déléguée du ministre avait mentionné dans son affidavit qu’elle ne se souvenait pas d’avoir observé une telle inconduite ou d’en avoir été informée. Quoi qu’il en soit, le défendeur a soutenu que, même si elle était avérée, la conduite n’avait eu aucune incidence sur la décision ni sur l’issue définitive, compte tenu du certificat de naissance, de toute évidence, non authentique, ainsi que des éléments de preuve contradictoires sur la façon dont la demanderesse et sa sœur avaient pris contact pour la première fois.

[69] Je ne suis pas convaincu que l’écoulement du temps ou la simple absence d’une plainte à l’ASFC à la mi-juin 2020 (ou depuis ce moment-là) constituent un motif suffisant pour ne pas croire le contenu de l’affidavit de la demanderesse. L’affidavit de la demanderesse n’est pas superficiel; il contient des renseignements sur des incidents précis et est détaillé, ce qui lui donne un accent de vérité. En d’autres termes, même si la demanderesse a présenté un document non authentique à la frontière, son affidavit comportait des caractéristiques communes d’une déclaration qui décrit avec exactitude son souvenir des faits.

[70] Il est regrettable que les souvenirs que l’agent avait de cette journée, s’il y en a, n’aient pas été consignés après le dépôt de l’affidavit de la demanderesse dans le dossier de demande en février 2021. La preuve du défendeur montrait que l’agent était en [traduction] « congé autorisé » jusqu’en septembre 2022, mais elle n’indiquait pas quand ce congé avait commencé. Elle n’établissait pas non plus que l’agent n’ait pas du tout été disponible pour fournir une preuve (attendu qu’il y a une différence entre être en congé autorisé d’un emploi, d’une part, et ne pas être en mesure de fournir une preuve pour répondre à celle de la demanderesse, d’autre part).

[71] Toutefois, quant à la question de savoir si les faits relatés dans le témoignage sous serment de la demanderesse soulèvent une crainte raisonnable de partialité, je conclus que ce n’est pas le cas. La preuve ne montre pas que la déléguée du ministre a envisagé d’une manière injuste de prendre une mesure d’exclusion. La demanderesse n’a formulé aucune allégation précise selon laquelle la déléguée du ministre aurait été inéquitable à son égard ou lui aurait infligé de mauvais traitements avant de rendre sa décision (sauf en ce qui concerne l’offre de subir un test d’ADN, dont je traiterai ci‑après). Les notes de la déléguée du ministre sont logiques, claires et axées sur la position de la demanderesse ainsi que sur la preuve. Aucune considération externe ou non pertinente n’y est mentionnée. La demanderesse n’a présenté aucun élément de preuve indiquant que la décision de la déléguée du ministre avait été indûment gênée ou influencée par un autre agent de l’ASFC ou le (mauvais) traitement de la demanderesse et de ses enfants de la part d’un agent. Par conséquent, la position de la demanderesse sur la crainte raisonnable de partialité ne peut être confirmée par les éléments de preuve et les arguments présentés en l’espèce.

[72] Je suis également au fait de l’observation de la demanderesse, en l’espèce, selon laquelle sa race a joué un rôle dans la façon dont elle avait été traitée. Les éléments de preuve contenus dans les affidavits de la demanderesse à l’appui de la présente demande n’établissaient pas de lien entre le traitement qu’elle aurait reçu de l’ASFC et sa race, son origine ethnique ou sa culture. Comme ce point ne tranche pas la présente demande, je ne tire aucune conclusion.

[73] Cela dit, je comprends les éléments de preuve de la demanderesse concernant la façon dont elle s’est sentie traitée ainsi que la façon dont le comportement de son fils a valu une intolérance apparente. Les conclusions formulées dans les présents motifs n’ont pas pour effet de trouver des excuses à une conduite qui a fait en sorte que la demanderesse ou son fils se sont sentis humiliés ou autrement maltraités.

[74] J’ai également examiné s’il ressortait de la preuve de la demanderesse qu’elle n’avait pas eu la possibilité raisonnable de répondre aux deux principaux doutes soulevés par l’ASFC, à savoir a) si son certificat de naissance était authentique et b) si elle et Vera étaient des demi-sœurs. À mon avis, la demanderesse a été informée de ces doutes en temps opportun, et l’ASFC lui a donné suffisamment de temps pour y répondre (notamment en communiquant avec Vera et en tentant de communiquer avec la mère de la demanderesse).

[75] Même si la demanderesse a fait valoir que l’ASFC aurait dû accepter son offre de subir un test d’ADN pour prouver son lien de demi-sœur avec Vera, elle n’a mentionné aucune obligation légale imposant à l’ASFC de le faire. Si la demanderesse voulait s’appuyer sur une preuve d’ADN pour entrer au Canada, Vera et elle auraient pu et auraient dû obtenir les résultats des tests avant l’arrivée de la demanderesse au point d’entrée.

[76] Je ne peux souscrire non plus à l’observation de la demanderesse selon laquelle un simple examen de l’attestation de naissance obtenue le 15 juin 2020 aurait nécessairement mis fin aux doutes soulevés par l’ASFC. Dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, il n’appartient pas à la Cour de décider pour elle-même ce qu’elle ferait, ou ce que l’ASFC aurait fait, avec des faits ou des documents dont ne disposait pas la déléguée du ministre au moment où la mesure d’exclusion a été prise : Vavilov, aux para 75, 83, 96, 97.

[77] Enfin, la demanderesse a soutenu qu’elle avait le droit de consulter un avocat, compte tenu des circonstances inhabituelles de l’affaire, et qu’on lui avait refusé la possibilité de le faire. La demanderesse a [traduction] « reconnu qu’il n’y [avait] pas de droit à l’assistance d’un avocat durant des examens secondaires à un point d’entrée et que le processus n’équiva[lait] pas à une arrestation qui déclencherait à son tour le droit à l’assistance d’un avocat » (renvoyant à l’arrêt Dehghani c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 1 RCS 1053 [Dehghani]). Toutefois, la demanderesse a fait valoir que les circonstances en l’espèce se distinguaient, parce qu’elle avait des [traduction] « droits » quant à une décision sur la recevabilité de la demande d’asile, du fait qu’elle avait un membre de sa famille au Canada, selon l’Entente sur les tiers pays sûrs.

[78] Se fondant sur l’arrêt Cha c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 126, [2007] 1 RCF 409 [Cha], le défendeur était d’avis que la demanderesse ne disposait pas du droit d’être informée de son droit à l’assistance d’un avocat dans le contexte des procédures prévues aux paragraphes 44(1) et (2) de la LIPR ni du droit à l’assistance d’un avocat relativement à la décision de la déléguée du ministre prise en application du paragraphe 44(2). Outre l’arrêt Cha, au paragraphe 60, le défendeur a également invoqué les décisions Liu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 562 au para 55, et Maganga c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 94 au para 39. Le défendeur a soutenu, qu’en l’espèce, la demanderesse n’avait pas demandé l’assistance d’un avocat ni ne s’était vu refuser cette assistance. De plus, des membres de la famille avaient retenu les services d’un avocat canadien le 15 juin 2020, quoique après la décision la déléguée du ministre.

[79] La demanderesse n’a souligné aucun droit applicable à l’assistance d’un avocat dans la LIPR ou le RIPR. Le droit à l’assistance d’un avocat se trouve à l’alinéa 10b) de la Charte canadienne des droits et libertés. Dans l’arrêt Dehghani, la Cour suprême a déclaré « dans un interrogatoire en matière d’immigration effectué dans le but de recueillir des renseignements de routine, le droit à l’assistance d’un avocat ne s’étend pas au‑delà des circonstances de l’arrestation ou de la détention prévues à l’al. 10b) » de la Charte : à la p 1077. Dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Paramo de Gutierrez, 2016 CAF 211, [2017] 2 RCF 353 au para 54, la Cour d’appel fédérale a fait remarquer qu’un demandeur d’asile « n’a[vait] pas droit à l’assistance d’un conseil à une entrevue concernant la recevabilité de sa demande d’asile », citant l’arrêt Dehghani.

[80] À mon avis, la demanderesse n’a pas établi qu’elle avait été privée de son droit à l’assistance d’un avocat dans les circonstances de l’espèce. Dans le présent contexte administratif et compte tenu des observations présentées ainsi que de la jurisprudence mentionnée ci-après, la demanderesse a) ne disposait pas du droit à l’assistance d’un avocat durant son examen secondaire (voir l’arrêt Cha, aux para 54-61), ou b) elle n’était pas détenue en raison d’une privation de liberté au sens de l’alinéa 10b) de la Charte : voir la décision Chevez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 709, [2008] 1 RCF 354 aux para 11, 12, et la jurisprudence qui y est citée; Diakité c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CF 1268 au para 16; Yakoubi c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CF 776 aux para 18-20.

[81] Je conclus donc que la demanderesse n’a pas établi qu’elle avait été privée de son droit à l’équité procédurale.

IV. Conclusion

[82] Par conséquent, la demande sera rejetée.

[83] Aucune des parties n’a proposé de question à certifier en vue d’un appel, même si, au cours de l’audience, la demanderesse a demandé la possibilité d’examiner à fond la question. Aucune autre observation n’a été reçue à cet égard depuis l’audience. Je conclus qu’aucune question ne devrait être certifiée en vue d’un appel. La présente demande était fondée sur des faits qui lui étaient propres et l’application du droit établi à ceux-ci.

JUGEMENT dans le dossier IMM-2877-20

LA COUR STATUE :

  1. La demande est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée au titre de l’alinéa 74d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

« Andrew D. Little »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2877-20

 

INTITULÉ :

NGOZI JESSICA OBODO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 23 MARS 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE A. D. LITTLE

 

DATE DU JUGEMENT
ET DES MOTIFS :


LE 1ER NOVEMBRE 2022

 

COMPARUTIONS :

Kingsley I. Jesuorobo

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Daniel Engel

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kingsley I. Jesuorobo

Avocat

North York (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Daniel Engel

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 



[1] La demanderesse n’a pas contesté l’applicabilité des dispositions de la LIPR ou du RIPR mentionnées par l’agent ou la déléguée du ministre.

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