Date : 20221206
Dossier : IMM-41-20
Référence : 2022 CF 1683
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 6 décembre 2022
En présence de madame la juge Pallotta
ENTRE :
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DAVID ZEPHANIAH MORRISON
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
[1] Le demandeur, David Zephaniah Morrison, est un citoyen de la Jamaïque qui est entré au Canada en juillet 2015 comme travailleur agricole temporaire, s’est marié à une citoyenne canadienne en avril 2016, puis est demeuré au Canada après l’expiration de son permis de travail. Il a présenté une demande de résidence permanente à partir du Canada et a cherché à obtenir une dispense, fondée sur des considérations d’ordre humanitaire au titre de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], de l’exigence habituelle de présenter sa demande de l’étranger. À l’appui de sa demande, M. Morrison a soutenu qu’il éprouverait des difficultés excessives, injustifiées et démesurées s’il était tenu de présenter sa demande de l’étranger, et ce, en raison de son établissement, notamment son emploi qui lui permet de subvenir aux besoins de membres de sa famille en Jamaïque qui dépendent de lui, et de sa vulnérabilité découlant de la violence psychologique qu’il a subie pendant son mariage. La présente demande de contrôle judiciaire concerne la décision d’un agent d’immigration (l’agent) qui a conclu la situation de M. Morrison ne justifie pas l’octroi d’une dispense.
[2] M. Morrison affirme que la décision de l’agent est déraisonnable. Il prétend que l’agent n’a pas dûment pris en considération ses observations ni soupesé dans leur ensemble les facteurs présentés dans sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. De plus, M. Morrison affirme que l’agent lui a imposé un fardeau excessif et a tiré soit des conclusions allant à l’encontre de la preuve, soit des conclusions voilées sur le plan de la crédibilité. Plus spécifiquement, il prétend que :
l’agent a jugé que son argument selon lequel il ne serait pas en mesure de trouver un emploi en Jamaïque pour subvenir aux besoins de sa famille était [traduction]
« conjectural et dénué de fondement, et n’était pas étayé par des éléments de preuve suffisants »
; l’agent a tiré sa conclusion sans tenir compte de la preuve selon laquelle M. Morrison a vécu dans des conditions de pauvreté et de difficulté lorsqu’il était en Jamaïque ni des données objectives du pays indiquant un taux de chômage entre 14 % et 30 %;plutôt que d’apprécier les difficultés qu’il éprouverait en raison de sa perte d’emploi au Canada, l’agent a, de manière déraisonnable, conclu que son renvoi du Canada n’entraînerait aucune difficulté pour lui ni pour son employeur; en outre, en affirmant que [traduction]
« rien dans la preuve dont [il] dispose n’indique que [M. Morrison] possède des compétences particulières essentielles qui le rendraient difficile à remplacer »
, l’agent lui a imposé un fardeau excessivement lourd;plutôt que d’examiner dans quelle mesure son renvoi nuirait aux relations d’amitié qu’il a nouées au Canada, l’agent a écarté ce facteur au motif qu’il n’aurait pas à rompre ces relations, ce qui, à nouveau, lui impose un fardeau excessif;
la conclusion de l’agent selon laquelle il n’était [traduction]
« pas convaincu qu’il n’existe aucun autre moyen de soutenir financièrement »
les membres de la famille de M. Morrison allait à l’encontre de la preuve selon laquelle il est leur seul soutien financier et qu’il envoie de l’argent en Jamaïque;au sujet de son mariage, l’analyse effectuée par l’agent était liée de manière déraisonnable à la question de savoir si sa femme et lui s’étaient séparés; l’agent n’a pas pris en considération, à titre de considérations d’ordre humanitaire, le traumatisme et la violence psychologique qu’il a subis, affirmant que [traduction]
« [M. Morrison] n’a pas expliqué pourquoi sa relation avec sa femme constitue un facteur dont il faut tenir compte ni comment ses observations selon lesquelles il est victime de violence psychologique appuient sa demande »
;l’agent lui a imposé un fardeau excessif en lui demandant de démontrer que la situation dans laquelle il se trouve était
« imprévue »
et en l’obligeant à faire la preuve qu’il était raisonnable qu’il s’attende à pouvoir demeurer au Canada de façon permanente.
[3] Le défendeur conteste ces allégations et affirme que les arguments de M. Morrison équivalent à une demande de procéder à une nouvelle appréciation de la preuve, ce qui n’est pas le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire.
[4] Les parties conviennent que la décision de l’agent de refuser l’octroi d’une dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 10, 16, 17 [Vavilov]; Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 aux para 10, 44 [Kanthasamy]. Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable constitue un type de contrôle empreint de déférence, mais rigoureux : Vavilov aux para 12-13, 75 et 85. La cour de révision ne se demande pas quelle décision elle aurait rendue, ne tente pas de prendre en compte l’éventail des conclusions qu’aurait pu tirer le décideur, ne se livre pas à une analyse de novo ni ne cherche à déterminer la solution correcte au problème : Vavilov, au para 83. Elle doit plutôt se concentrer sur la décision qui a été rendue, ce qui inclut à la fois le raisonnement et le résultat, et se demander si cette décision, dans son ensemble, est transparente, intelligible et justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur la décision : Vavilov, aux para 15, 83, 99. Il incombe à la partie qui conteste la décision d’établir qu’elle souffre de lacunes suffisamment capitales ou importantes pour rendre cette décision déraisonnable : Vavilov, au para 100.
[5] Pour les motifs exposés ci-après, je conclus que M. Morrison n’a pas établi que la décision de l’agent était déraisonnable.
[6] Les motifs de l’agent doivent être interprétés de façon globale et en contexte, c’est-à-dire en tenant notamment compte de la preuve dont il disposait et des observations soumises : Vavilov, aux para 94 et 97. Je ne suis pas convaincue que l’agent ait imposé un fardeau excessif ni qu’il ait tiré soit des conclusions allant à l’encontre de la preuve, soit des conclusions voilées sur le plan de la crédibilité. La décision de l’agent reposait plutôt sur la question du caractère suffisant de la preuve.
[7] L’agent a jugé que M. Morrison n’avait pas présenté une preuve suffisante pour établir qu’il ne serait pas en mesure de se trouver un emploi pour subvenir aux besoins de sa famille en Jamaïque. Je ne suis pas convaincue que cette conclusion soit déraisonnable à la lumière du dossier. Les éléments de preuve soumis consistaient en les déclarations de M. Morrison selon lesquelles il a vécu dans des conditions de pauvreté et de difficulté lorsqu’il était en Jamaïque et il est difficile d’y trouver du travail. Les observations comprenaient un extrait d’article indiquant que le taux de chômage des hommes en Jamaïque était, en janvier 2015 (soit trois ans avant la date des observations), de 10,7 % et que ce taux était plus élevé (29 %) chez les hommes âgés de 20 à 24 ans. M. Morrison était âgé de 37 ans au moment où la décision relative à sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire a été rendue.
[8] Je ne souscris pas aux prétentions de M. Morrison selon lesquelles l’agent n’a pas soupesé les difficultés qui découleraient de la perte de son emploi à la ferme ou lui a imposé le fardeau de démontrer qu’il possède des compétences [traduction] « particulières essentielles »
ou qu’il serait difficile de le remplacer. M. Morrison détenait, à son arrivée au Canada, un statut de résident temporaire associé à un permis de travail d’une durée de deux ans. Sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire ne renfermait aucune preuve ni observation concernant les raisons pour lesquelles il éprouverait des difficultés s’il cessait d’être employé à la ferme. En l’absence de tels éléments de preuve ou observations, je ne vois aucune erreur dans la conclusion de l’agent selon laquelle le fait de mettre fin à son emploi à la ferme n’entraînerait pas de difficultés pour M. Morrison ni pour son employeur.
[9] De même, M. Morrison n’a pas fourni d’éléments de preuve ni d’observations démontrant qu’il éprouverait des difficultés s’il devait être séparé des amis qu’il s’est faits au Canada ni comment son renvoi nuirait à ces relations. Il était loisible à l’agent de conclure que M. Morrison n’avait pas fait la preuve que la rupture de ces liens aurait une incidence négative importante. L’agent n’était pas convaincu que M. Morrison ne serait pas en mesure de nouer des relations similaires en Jamaïque ou qu’il n’avait pas déjà des relations similaires qu’il aurait entretenues alors qu’il était au Canada ou qui pourraient être reprises à son retour.
[10] À l’appui de sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, M. Morrison a déclaré ceci : [traduction] « Je suis actuellement le seul soutien de mes proches en Jamaïque. Je dois payer les frais médicaux de mon père et répondre à ses besoins quotidiens ainsi qu’à ceux de ma fratrie et de mes cousins. »
L’agent a reconnu que M. Morrison pourvoit aux besoins de sa famille, mais a souligné que rien n’indique comment son père, sa fratrie et ses cousins étaient soutenus financièrement avant qu’il ne vienne au Canada. L’agent n’était pas convaincu qu’il n’existait aucun autre moyen de soutenir financièrement les membres de la famille de M. Morrison que le revenu tiré de l’emploi de ce dernier au Canada. Ces conclusions découlaient de l’examen du caractère suffisant de la preuve.
[11] Je ne souscris pas aux prétentions de M. Morrison selon lesquelles l’analyse de l’agent au sujet des difficultés occasionnées par son mariage était liée de manière déraisonnable à la question de savoir si sa femme et lui s’étaient séparés, et l’agent a commis une erreur en affirmant que [traduction] « [M. Morrison] n’a pas expliqué pourquoi sa relation avec sa femme constitue un facteur dont il faut tenir compte ni comment ses observations selon lesquelles il est victime de violence psychologique appuient sa demande »
. Dans sa demande, M. Morrison indique que sa relation avec sa femme a connu une dégradation importante peu de temps après leur mariage, sans toutefois préciser s’ils se sont séparés. L’agent a conclu que, s’ils formaient toujours un couple, la femme de M. Morrison pourrait déposer une demande de parrainage et que, si leur relation avait pris fin, M. Morrison n’avait pas démontré, dans le cadre de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, comment ce facteur appuyait sa demande. M. Morrison n’a relevé aucune explication dont l’agent n’aurait pas tenu compte.
[12] L’agent n’a pas imposé un fardeau excessif à M. Morrison en lui demandant de démontrer que la situation dans laquelle il se trouve était imprévue. L’agent a indiqué que l’objet de l’article 25 est de donner aux agents la latitude nécessaire pour traiter les situations non prévues par la LIPR. À mon avis, il s’agit simplement d’une autre façon d’expliquer que l’article 25 permet au ministre de lever les exigences de la LIPR. Cet emploi du mot [traduction] « imprévue »
par l’agent n’indique pas qu’il a imposé un fardeau excessif.
[13] La déclaration de l’agent selon laquelle [traduction] « [il n’était] pas convaincu qu’il était raisonnable que [le demandeur] s’attende à pouvoir demeurer au Canada de façon permanente »
doit être interprétée en contexte. L’agent a jugé que le degré d’établissement atteint par M. Morrison durant son séjour au Canada n’est pas important au point que son départ du Canada entraînerait des difficultés. Avant d’en arriver à cette conclusion, l’agent a notamment précisé que le statut de résident de M. Morrison était temporaire et qu’il ne pouvait donc raisonnablement s’attendre à demeurer au Canada.
[14] Enfin, M. Morrison prétend que l’agent n’a pas soupesé de façon globale les considérations d’ordre humanitaire. Il soutient que l’agent a commis la même erreur que celle décrite dans l’arrêt Kanthasamy, à savoir qu’il a examiné de manière trop restrictive et fragmentaire chaque facteur individuellement pour ensuite les écarter au motif qu’ils ne répondent pas au critère : Kanthasamy, au para 45. Je ne suis pas d’accord. L’agent a indiqué qu’il avait apprécié l’effet cumulatif des éléments de preuve et effectué un examen global des facteurs pertinents. Après avoir examiné les motifs eu égard au dossier dont il disposait, je conclus que c’est ce que l’agent a effectivement fait.
[15] En conclusion, M. Morrison n’a pas démontré que le rejet de sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire était déraisonnable. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les parties n’ont pas proposé de question de portée générale à certifier, et je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune.
JUGEMENT dans le dossier IMM-41-20
LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :
La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Il n’y a aucune question à certifier.
« Christine M. Pallotta »
Juge
Traduction certifiée conforme
Sandra de Azevedo
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-41-20
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INTITULÉ :
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DAVID ZEPHANIAH MORRISON c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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AUDIENCE tenue par vidéoconférence
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 18 OCTOBRE 2022
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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la juge PALLOTTA
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DATE DES MOTIFS :
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LE 6 DÉCEMBRE 2022
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COMPARUTIONS :
Kingsley Jesuorobo
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POUR LE DEMANDEUR
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Allison Grandish
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Kingsley I. Jesuorobo
Avocat
North York (Ontario)
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POUR LE DEMANDEUR
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Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR
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