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Date : 20221208


Dossier : IMM-7651-21

Référence : 2022 CF 1690

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 8 décembre 2022

En présence de madame la juge Furlanetto

ENTRE :

KULWINDER KAUR

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision du 14 octobre 2021 par laquelle un agent [l’agent] d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC] a rejeté la demande de résidence permanente présentée par la demanderesse au titre de la politique d’intérêt public temporaire offrant aux diplômés étrangers une voie d’accès de la résidence temporaire à la résidence permanente [la politique].

[2] La politique permettait aux résidents temporaires ayant obtenu un diplôme canadien admissible de présenter une demande de résidence permanente entre le 6 mai et le 5 novembre 2021. Un maximum de 40 000 demandes pouvaient être acceptées.

[3] Pour les motifs exposés ci‑après, je conclus que la décision n’est pas raisonnable, puisqu’elle ne satisfait pas aux exigences de transparence et de justification. Par conséquent, je suis d’avis que la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie.

I. Contexte

[4] Le 24 août 2021, la demanderesse a présenté une demande de résidence permanente au titre de la politique. Au moment de joindre les documents à l’appui de sa demande, elle a téléversé, par erreur, un document qui n’était pas un document relatif à sa scolarité.

[5] La demande, qui a été examinée le 29 septembre 2021, a été inscrite comme incomplète dans le Système mondial de gestion des cas [le SMGC], car il manquait des documents relatifs à la scolarité.

[6] Le 6 octobre 2021, la demanderesse a informé IRCC de son erreur au moyen d’un formulaire Web, y a joint les documents relatifs à sa scolarité et a demandé à ce que ceux‑ci soient versés à son dossier, à la suite de quoi elle a reçu une réponse automatique. Les documents ont été déposés dans son dossier le 12 octobre 2021.

[7] Le 14 octobre 2021, l’agent a conclu que la demanderesse avait présenté une demande incomplète et a indiqué dans les notes du SMGC que celle‑ci était rejetée sous le régime de l’article 25.2 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi]. À la même date, une lettre a été envoyée à la demanderesse pour l’informer qu’elle ne répondait pas à la condition selon laquelle elle devait avoir obtenu un diplôme d’un « établissement d’enseignement désigné » admissible. La lettre indiquait également que les frais payés par la demanderesse lui seraient remboursés et que la décision rendue dans ce dossier était [traduction] « définitive ».

[8] Le 9 novembre 2021, un agent d’IRCC a rejeté la demande de réexamen présentée par la demanderesse. La lettre de refus, qui faisait référence à la décision du 14 octobre 2021, indiquait que la demande de résidence permanente était incomplète au moment où elle a été présentée.

II. Questions en litige et norme de contrôle

[9] La présente demande de contrôle judiciaire soulève deux questions, à savoir a) si la décision d’IRCC est raisonnable, et b) s’il y a eu manquement à l’équité procédurale.

[10] Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable au fond de la décision est celle de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. Aucune des situations permettant de réfuter la présomption selon laquelle les décisions administratives sont assujetties à la norme de la décision raisonnable n’est présente : Vavilov, aux para 16 et 17.

[11] Lorsqu’elle effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit déterminer si la décision est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et si elle est « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » : Vavilov, aux para 85 et 86; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 aux para 2 et 31. Une décision raisonnable, lorsqu’elle est lue dans son ensemble et qu’elle tient compte du contexte administratif, possède les caractéristiques de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité : Vavilov, aux para 91‑95, 99‑100.

[12] Lorsque des questions d’équité procédurale sont soulevées, il faut déterminer si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances, la question fondamentale étant celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu possibilité complète et équitable d’y répondre : Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 aux para 54 et 56.

III. Question préliminaire – Intitulé

[13] À titre préliminaire, je fais observer que l’intitulé de l’affaire a été modifié afin de désigner la bonne partie défenderesse, à savoir le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.

IV. Analyse

[14] La demanderesse affirme avoir commis une erreur de bonne foi lorsqu’elle a joint le mauvais document à sa demande. Elle fait valoir qu’au moment où la décision a été rendue, sa demande était complète et n’aurait pas dû être rejetée.

[15] Le défendeur soutient qu’il n’incombe pas aux agents d’examiner les modifications apportées à une demande. Il affirme que la demande était incomplète lorsqu’elle a été présentée et que la décision de la rejeter était justifiée.

[16] Suivant le paragraphe 25.2(1) de la Loi, le ministre peut octroyer le statut de résident permanent à un étranger pour des motifs d’intérêt public :

Séjour dans l’intérêt public

Public policy considerations

25.2 (1) Le ministre peut étudier le cas de l’étranger qui est interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi et lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, si l’étranger remplit toute condition fixée par le ministre et que celui-ci estime que l’intérêt public le justifie.

25.2 (1) The Minister may, in examining the circumstances concerning a foreign national who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, grant that person permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the foreign national complies with any conditions imposed by the Minister and the Minister is of the opinion that it is justified by public policy considerations.

[17] Selon la politique, pour être admissible, le demandeur doit avoir présenté une demande de résidence permanente à l’aide des formulaires fournis par le ministère aux fins de la politique. De plus, la demande doit, au moment où elle est présentée, être accompagnée de tous les documents nécessaires afin que l’agent soit satisfait que le demandeur remplit les conditions (critères d’admissibilité) mentionnées dans la politique.

[18] En vertu de la politique, l’agent a le pouvoir discrétionnaire d’exiger des documents supplémentaires pour confirmer l’admissibilité du demandeur tout au long du traitement de la demande :

Bien que tous les documents à l’appui nécessaires pour démontrer que le demandeur remplit les conditions de la présente politique d’intérêt public doivent être inclus dans la demande au moment de la présentation, les agents peuvent, en vertu de leur pouvoir discrétionnaire, exiger des documents supplémentaires pour confirmer que le demandeur est [admissible] et qu’il n’est pas interdit de territoire tout au long du traitement de la demande.

[19] Le défendeur fait valoir que la demande a été examinée le 29 septembre 2021 et jugée incomplète à cette date, même si la décision n’a été communiquée que le 14 octobre 2021. Il était donc trop tard, le 6 octobre 2021, pour ajouter les documents relatifs à la scolarité à la demande pour qu’elle soit complète. Au moment où la demande a été présentée, les documents joints ne permettaient pas de déterminer si les conditions d’admissibilité à la résidence permanente étaient remplies.

[20] Toutefois, puisqu’aucune décision accompagnée de motifs n’a été consignée dans les notes du SMGC avant le 14 octobre 2021 et qu’aucune lettre de décision n’a été envoyée à la demanderesse avant cette date, je suis d’avis que la décision n’a pas été rendue avant le 14 octobre 2021. En outre, je fais remarquer que ce n’est pas le même agent qui a examiné le dossier le 29 septembre 2021 et qui a rendu la décision le 14 octobre 2021. L’agent qui a rendu la décision n’a pas examiné le dossier avant le 14 octobre 2021, date à laquelle les documents relatifs à la scolarité figuraient au dossier.

[21] Les faits en l’espèce sont différents de ceux dans la décision Karami c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 846. Dans cette dernière, le demandeur n’avait pas transmis le document requis, à savoir un passeport valide, lorsque l’agent avait rendu sa décision officielle; il n’avait fourni le document qu’après coup. En l’espèce, nul ne conteste que les documents relatifs à la scolarité étaient au dossier à la date où la décision officielle a été rendue, soit le 14 octobre 2021.

[22] Dans le même ordre d’idées, je ne suis pas d’avis que l’affaire qui nous occupe est comparable à la situation dans la décision Gennai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 29. Dans la présente affaire, la demanderesse ne cherche pas à ce que les conditions dans lesquelles elle a présenté une première demande, qui a été rejetée, demeurent applicables lors d’une demande subséquente. Les documents relatifs à sa scolarité ont été transmis avant le prononcé de la décision officielle et avant la date limite prévue par la politique.

[23] Le 14 octobre 2021, l’agent a écrit ce qui suit dans les notes du SMGC : [traduction] « Après avoir examiné tous les documents à ma disposition, je ne suis pas convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que la demanderesse principale a présenté une demande complète dans le cadre du programme Voie d’accès de la résidence temporaire à la résidence permanente aux termes de l’article 25.2 de la Loi. Au moment où elle a présenté sa demande, la demanderesse principale n’avait pas fourni les documents requis : la preuve de l’achèvement d’un programme d’études d’un établissement d’enseignement désigné était manquante ou incomplète. La demande est rejetée au titre de l’article 25.2. »

[24] Les motifs indiqués dans les notes du SMGC et dans la lettre de décision ne permettent pas de savoir si l’agent a examiné les documents relatifs à la scolarité qui avaient été transmis le 6 octobre 2021 et qui étaient alors au dossier.

[25] À la suite de la décision rendue le 14 octobre 2021, la demanderesse a présenté une demande de réexamen, mais n’a reçu de réponse qu’après la date limite prévue par la politique, à savoir, comme seul motif, que la demande de résidence permanente avait été jugée incomplète au moment où elle avait été présentée.

[26] Comme il est fait mention au paragraphe 135 de l’arrêt Vavilov, les conséquences d’une décision pour un demandeur constituent un facteur contextuel susceptible de peser dans l’appréciation du caractère raisonnable.

[27] En l’espèce, le fait que l’agent n’avait pas pris en compte les documents relatifs à la scolarité et qu’il n’avait pas mentionné s’ils avaient été examinés avec la demande est particulièrement préoccupant étant donné que la politique était temporaire et qu’elle offrait une voie d’accès à la résidence permanente qui était en vigueur pour une durée limitée : Lakhanpal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 694 au para 24. Cette situation est d’autant plus préoccupante puisque le défendeur a admis que la demande n’aurait peut‑être pas été rejetée si, le 6 octobre 2021, la demanderesse avait présenté à nouveau sa demande dans son intégralité au lieu de simplement transmettre les documents relatifs à sa scolarité.

[28] Je souscris à l’argument du défendeur selon lequel l’agent n’avait aucune obligation de demander d’autres documents à la demanderesse. Toutefois, dans le contexte de cette demande où il n’est pas contesté qu’une erreur de bonne foi a été commise lors du téléversement des documents, erreur que la demanderesse s’est assurée de corriger avant la date limite et avant qu’une décision officielle ne soit rendue, je suis d’avis que le décideur aurait dû prendre en compte les documents relatifs à sa scolarité et traiter de ceux-ci dans sa décision : soit les documents auraient dû être considérés comme faisant partie de la demande, soit la demanderesse aurait dû, dans la décision, être informée de la raison pour laquelle ils ne pouvaient être considérés à ce titre et de la possibilité de présenter à nouveau une demande accompagnée de tous les documents requis avant la date limite prévue par la politique. Pour cette raison, je suis d’avis que la décision ne satisfait pas aux exigences de transparence et de justification.

[29] Pour le motif qui précède, je suis d’avis que la décision n’est pas raisonnable et que la demande doit être renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision.

[30] Aucune des parties n’a proposé de question à certifier, et je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-7651-21

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. L’intitulé est modifié afin de désigner la bonne partie défenderesse, à savoir le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.

  2. La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision rendue par l’agent est annulée, et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision en tenant compte de tous les documents au dossier, y compris les documents relatifs à la scolarité.

  3. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Angela Furlanetto »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mélanie Lefebvre

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7651-21

INTITULÉ :

KULWINDER KAUR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 30 NOVEMBRE 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

la juge FURLANETTO

 

DATE DES MOTIFS :

le 8 décembre 2022

 

COMPARUTIONS :

Arshdeep Singh Dhillon

 

POUR LA DEMANDERESSE

James Todd

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Arsh Dhillon Law Professional Corporation

Avocats

Brampton (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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