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Date : 20221205


Dossier : IMM-8662-21

Référence : 2022 CF 1656

Ottawa (Ontario), le 5 décembre 2022

En présence de la juge en chef adjointe Gagné

ENTRE :

JAVIER ORLANDO HERNANDEZ ARIZA

demandeur

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, RÉFUGIÉS ET LA CITOYENNETÉ

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] M. Javier Orlando Hernandez Ariza, un citoyen de la Colombie, demande le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’Appel des Réfugiés [SAR] qui confirme celle de la Section de la protection des réfugiés [SPR] par laquelle elle lui refuse la protection du Canada.

[2] M. Hernandez Ariza plaide que la SAR a erré en concluant que les Forces armées révolutionnaires de Colombie [FARC] ne représentaient pas un risque prospectif pour lui advenant son retour à Bucaramanga en Colombie.

[3] Pour les motifs qui suivent, cette demande sera accueillie.

I. Faits

[4] Le demandeur affirme avoir été menacé de mort à de nombreuses reprises par le mouvement guérillero des FARC pour son refus de collaborer avec eux. Il affirme avoir été déclaré « cible militaire » par les FARC.

[5] D’avril 2011 à juin 2012, le demandeur était dirigeant d’un hôpital dans le département de Nariño situé dans le sud-ouest de la Colombie. En 2012, il dit avoir reçu plusieurs menaces d’un commandant du 48e Front des FARC suite à son refus de lui livrer des médicaments et des fournitures médicales destinés aux soldats blessés des FARC. M. Hernandez Ariza a porté plainte à la police locale et a subséquemment démissionné de son poste dans l’espoir que les menaces cessent.

[6] Il a alors fondé une entreprise de services d’ambulance, toujours dans le département de Nariño. Le demandeur soumet que son entreprise a également été prise pour cible par le 48e Front des FARC, qui lui a volé des médicaments et autres fournitures à plusieurs reprises. En septembre 2013, une de ses ambulances auraient été attaquée alors qu’elle transportait une femme enceinte à l’hôpital. Suite à cet évènement, le demandeur a choisi de déménager à Bucaramanga pour gérer les opérations de son entreprise à partir de cette ville qui se trouve au nord du pays.

[7] En juillet 2016, deux membres des FARC ont visité le demandeur alors qu’il se trouvait dans les bureaux de son entreprise, et lui ont demandé d’utiliser ses ambulances pour transporter des stupéfiants. Il aurait reçu des menaces de mort suite à son refus. Ces menaces l’ont forcé à quitter définitivement la région pour s’installer en permanence à Bucaramanga et d’abandonner son entreprise.

[8] En 2018, il aurait reçu une série de menaces téléphoniques de la part de FARC qui disaient savoir où il était installé et qu’ils allaient le trouver et le tuer. Craignant pour sa vie, il a quitté Bucaramanga en septembre 2018 pour venir au Canada et y demander l’asile.

II. Décision contestée

[9] Bien que la SPR ait soulevé un certain nombre de questions quant à la crédibilité du demandeur, la SAR s’est plutôt dite d’avis que la question déterminante en était une d’absence de risque prospectif. Elle n’a donc pas jugé bon de se prononcer sur la crédibilité du demandeur.

[10] Par ailleurs, la SAR a administré un certain nombre de nouveaux éléments de preuve qui ne sont pas en cause dans la présente demande.

[11] Pour les fins de son analyse, la SAR a tenu pour avéré le récit du demandeur quant aux évènements qui se sont déroulés en 2011 et 2012, alors qu’il était gestionnaire d’hôpital dans la province de Nariño, les attaques et menaces reçues en 2016 alors qu’il exploitait son entreprise de services d’ambulance, ainsi que les menaces téléphoniques reçues en 2018.

[12] À l’instar de la SPR, la SAR conclut que lorsque le demandeur a cessé d’exploiter son entreprise et qu’il a déménagé à Bucaramanga, il n’avait plus rien à offrir aux membres du 48e Front qui se sont désintéressés de lui.

[13] Pour la SAR, le fait qu’on ait dit au demandeur qu’on le considérait comme une cible militaire en raison de son refus de coopérer n’est pas suffisant pour objectiver une crainte prospective. Après la fermeture de son entreprise en 2016, le demandeur n’a eu aucun contact avec les membres du 48e Front jusqu’en février 2018. Et depuis lors, personne ne l’a approché ou n’a approché ses parents ou sa fille qui sont toujours en Colombie. La SAR conclut donc que selon la prépondérance des probabilités, le demandeur n’est pas considéré comme une cible militaire.

[14] Par ailleurs, la preuve documentaire ne démontre pas que des groupes d’ex-FARC auraient une présence importante à Bucaramanga ou auraient la capacité d’organiser une recherche pour y trouver le demandeur, pas plus qu’elle démontre une quelconque collaboration avec des groupes dissidents ou criminels de cette région. Ceci est confirmé par le fait que le demandeur et sa famille n’ont jamais été approchés ni attaqués à Bucaramanga.

[15] La SAR rejette donc l’appel du demandeur.

III. Questions en litige et norme de contrôle

[16] Le demandeur soulève d’abord que la SAR a erré en concluant que le demandeur avait une possibilité de refuge interne à Bucaramanga.

[17] À mon sens, la SAR n’a pas analysé la demande du demandeur sous cet angle; la question n’est pas de savoir si le demandeur peut se relocaliser à Bucaramanga puisqu’il y habitait déjà au moins depuis des deux ans avant son départ de la Colombie. La SAR n’avait donc pas à analyser s’il était raisonnable pour le demandeur de s’y installer puisque lui et sa famille ont choisi cet endroit de leur propre chef. La question était plutôt de savoir si le demandeur ferait face à un risque prospectif advenant son retour à l’endroit où il vivait avant son départ.

[18] Le demandeur plaide également que son renvoi dans son pays violerait les articles 7 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés, ainsi que les obligations internationales du Canada, notamment l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, RT Can 1987, no 36.

[19] À nouveau, là n’est pas la question.

[20] À mon sens, cette demande de contrôle judiciaire ne soulève qu’une seule question et c’est celle de savoir si la SAR a erré en concluant que la preuve ne démontrait pas que le demandeur encourait un risque prospectif advenant son retour en Colombie.

[21] Il n’est pas contesté que la norme de la décision raisonnable s’applique à l’analyse de cette question.

IV. Analyse

[22] Dans un premier temps, il est faux d’affirmer, comme le fait le demandeur, que son témoignage a été jugé crédible par la SAR. Celle-ci a plutôt conclut qu’il ne lui était pas nécessaire de revoir les conclusions de la SPR à ce chapitre compte tenu de sa propre conclusion sur le risque prospectif. La SAR a simplement tenu les faits pour avérés.

[23] Tenant également les faits pour avérés pour les fins de cette demande de contrôle judiciaire, la question est donc de savoir si la conclusion de la SAR sur le risque prospectif en est une qui a les attributs de l’intelligibilité et de la raisonnabilité, ou plutôt si la Cour y décèle une erreur qui justifie son intervention.

[24] La SAR conclut que puisque le demandeur ne travaille plus dans un hôpital et qu’il n’exploite plus un service d’ambulance depuis 2016, il ne représente plus une cible pour les FARC qui s’en sont désintéressés.

[25] Le problème ici est que la SAR n’explique pas en quoi les nombreuses menaces téléphoniques reçues en 2018, alors que le demandeur est inactif depuis deux ans, ne seraient pas un signe que l’agent persécuteur s’intéresse toujours à lui.

[26] Il y a là, à mon sens, un bris dans la rationalité de la décision. Si la SAR tient pour avéré le fait que les FARC ont bel et bien communiqué avec le demandeur en 2018, en disant savoir où il se trouve, il n’est pas clair ce qui lui permet de conclure qu’ils se sont désintéressés du demandeur lorsqu’il s’est départi de son entreprise.

[27] Or, une décision raisonnable en est une qui se justifie au regard des faits (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 126), et elle doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle (Vavilov, au para 85).

[28] Je suis donc d’avis que l’intervention de la Cour est justifiée en l’instance.

V. Conclusion

[29] Puisque la décision ne comporte pas les attributs de la rationalité, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

[30] Les parties n’ont proposé aucune question d’importance générale pour fins de certification et cette cause n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans IMM-8662-21

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire du demandeur est accueillie;

  2. La décision de la Section d’appel des réfugiés en date du 19 octobre 2021 est annulée et le dossier lui est retourné pour un nouvel examen par un autre membre.

  3. Aucune question d’importance générale n’est certifiée.

« Jocelyne Gagné »

Juge en chef adjointe

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-8662-21

 

INTITULÉ :

JAVIER ORLANDO HERNANDEZ ARIZA c LE MINISTRE DE L'IMMIGRATION, RÉFUGIÉS ET LA CITOYENNETÉ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 octobre 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE EN CHEF ADJOINTE GAGNÉ

 

DATE DES MOTIFS :

LE 5 dÉcembre 2022

 

COMPARUTIONS :

Stewart Istvanffy

 

Pour le demandeur

 

Suzon Létourneau

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stewart Istvanffy

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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