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Date : 20221205


Dossier : T‑802‑21

Référence : 2022 CF 1678

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 5 décembre 2022

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

XIANGYI BRUCE HU

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Xiangyi Bruce Hu (M. « Hu »), n’est pas représenté par un avocat dans la présente instance. Il sollicite le contrôle judiciaire de la décision, datée du 15 avril 2021, par laquelle l’Agence du revenu du Canada (l« ARC ») a conclu qu’il était inadmissible à la Prestation canadienne de relance économique (la « PCRE »).

[2] Dans une décision initiale, communiquée à M. Hu dans une lettre datée du 22 février 2021 (la première décision), l’ARC avait conclu que M. Hu était inadmissible parce qu’il n’avait pas eu des revenus d’au moins 5 000 $ (avant impôts) en 2019 ou 2020 ou au cours des douze mois précédant la date de sa première demande. Le 25 avril 2021, l’ARC a confirmé sa décision initiale après avoir procédé à une révision de la demande de M. Hu (la seconde décision), déclarant celui-ci inadmissible à la PCRE.

[3] M. Hu soutient que la seconde décision de l’ARC est déraisonnable et inéquitable sur le plan procédural. Il fait valoir que l’ARC a omis de prendre en compte la preuve de paiements faits dans son compte bancaire, laquelle montrait le revenu qu’il avait reçu d’Ever One Group Ltd. (« Ever One Group »), et qu’elle n’a pas précisé le genre de preuve qui était requis pour établir son admissibilité.

[4] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la seconde décision de l’ARC est raisonnable et équitable sur le plan procédural. La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

II. Faits

A. Contexte

[5] La PCRE est un programme de prestations lancé par la Loi sur les prestations canadiennes de relance économique, LC 2020, c 12, art 2 (la « Loi sur les PCRE ») et administré par l’ARC. La PCRE fournissait une aide financière aux employés et aux travailleurs autonomes qui étaient touchés par la pandémie de COVID‑19 et n’avaient pas droit à des prestations d’assurance‑emploi.

[6] L’article 3 de la Loi sur les PCRE précise les critères d’admissibilité à la PCRE en matière de revenu. L’alinéa 3(1)e) exige du demandeur qu’il ait gagné au moins 5 000 $ en 2019 ou 2020 ou au cours des douze mois précédant la date de sa demande initiale de PCRE.

[7] M. Hu a présenté une demande de PCRE et a reçu des paiements pour les sept premières périodes de versement de la PCRE, soit du 27 septembre 2020 au 2 janvier 2021. Le 18 janvier 2021, il a présenté un document additionnel pour prouver qu’il respectait les exigences en matière de revenu. Il s’agissait d’un document d’une unique page émanant d’Ever One Group, qui indiquait qu’il avait reçu un revenu tiré d’un contrat, l’entreprise lui ayant envoyé des paiements en janvier, février et mars 2020.

[8] L’ARC a envoyé à M. Hu une lettre datée du 22 février 2021 l’informant qu’il ne satisfaisait pas aux exigences en matière de revenu, et qu’il était donc inadmissible à la PCRE. Les notes d’examen de l’agent de l’ARC relatives à la première décision, datées du 16 février 2021, indiquent ceci :

[traduction]

LJJ471 2021‑02‑16 Examen. Le CT n’a pas eu de revenus de travail en 2019. Il n’a pas déclaré de travail autonome les années précédentes. Il a produit un document d’une unique page qui dit qu’il a été payé 5 600 $ de janvier à mars 2020 pour un contrat. Il n’a fourni aucune preuve de paiement. Non admissible. Le CT devra fournir une preuve de paiement correspondant à ce qu’il a fourni et satisfaire à d’autres exigences, comme chercher du travail.

[9] La lettre relative à la première décision informait aussi M. Hu qu’il pouvait demander la révision de sa demande. Ce deuxième examen serait fait par un agent différent de l’ARC.

[10] Le 25 février 2021, M. Hu a sollicité un deuxième examen de sa demande en produisant des documents supplémentaires pour prouver qu’il respectait les exigences en matière de revenu. Ces documents comprenaient des traites bancaires d’Ever One Group et les relevés bancaires de M. Hu concernant les mois de janvier, de février et de mars 2020.

B. Décision faisant l’objet du présent contrôle

[11] Dans une lettre datée du 15 avril 2021, l’ARC a fait part à M. Hu de sa seconde décision. Cette lettre confirmait que M. Hu ne satisfaisait pas aux critères d’admissibilité à la PCRE en matière de revenu parce qu’il n’avait pas gagné au moins 5 000 $ en 2019 ou 2020 ou au cours des douze mois précédant le dépôt de sa demande et parce qu’il n’avait pas subi une réduction de 50 % de son revenu hebdomadaire moyen, comparativement à l’année précédente, en raison de la pandémie de COVID‑19.

[12] Les notes d’examen relatives à la seconde décision indiquent que M. Hu était inadmissible parce qu’il [TRADUCTION] « n’a eu que des investissements dans son compte dd.3, n’a déclaré aucun revenu pendant plusieurs années ». La présente demande de contrôle judiciaire porte sur la seconde décision.

III. Question préliminaire

[13] Le défendeur soutient que l’intitulé devrait être modifié pour que le procureur général du Canada remplace le ministre du Revenu national comme défendeur. Le demandeur ne s’y oppose pas. Je suis d’accord avec le défendeur, et je rendrai un jugement en conséquence conformément au paragraphe 303(2) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106. La modification prend effet immédiatement.

IV. Questions en litige et norme de contrôle applicable

[14] Les questions suivantes sont soulevées dans la demande de contrôle judiciaire :

  1. La seconde décision est-elle raisonnable?

  2. La seconde décision est-elle inéquitable sur le plan procédural?

[15] Les parties conviennent que la norme de contrôle qui s’applique à la première question est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 16–17, 23–25) (« Vavilov »). Je suis d’accord.

[16] Bien qu’il n’en ait pas traité en détail, les observations de M. Hu soulèvent brièvement la question de l’équité procédurale, et je vais donc l’examiner. Les questions d’équité procédurale commandent la norme de contrôle de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24 au para 79; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 (« Chemin de fer Canadien Pacifique ») aux para 37‑56; Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196 au para 35).

[17] La norme de la décision raisonnable est une norme de contrôle empreinte de déférence, mais rigoureuse (Vavilov, aux para 12‑13). La cour de révision doit chercher à savoir si la décision faisant l’objet du contrôle est transparente, intelligible et justifiée, notamment en ce qui concerne le raisonnement suivi et le résultat obtenu (Vavilov, au para 15). Une décision raisonnable est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85). La question de savoir si une décision est raisonnable dépend du contexte administratif pertinent, du dossier dont le décideur est saisi et de l’incidence de la décision sur les personnes touchées par ses conséquences (Vavilov, aux para 88‑90, 94, 133‑135).

[18] Pour qu’une décision soit jugée déraisonnable, le demandeur doit démontrer qu’elle souffre de lacunes suffisamment capitales ou importantes (Vavilov, au para 100). Les erreurs que comporte une décision ou les préoccupations qu’elle suscite ne justifient pas toutes une intervention. La cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur et, à moins de circonstances exceptionnelles, ne doit pas modifier les conclusions de fait de ce dernier (Vavilov, au para 125). Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision, ni constituer une « erreur mineure » (Vavilov, au para 100; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Mason, 2021 CAF 156 au para 36).

[19] En revanche, la norme de la décision correcte est une norme de contrôle qui n’appelle aucune déférence. Pour les questions d’équité procédurale, la Cour doit essentiellement se demander si la procédure était équitable compte tenu de l’ensemble des circonstances, y compris les facteurs énumérés aux paragraphes 21 à 28 de l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 (Chemin de fer Canadien Pacifique, au para 54).

V. Analyse

[20] M. Hu soutient que la seconde décision est déraisonnable parce que l’ARC n’a pas tenu compte du relevé d’Ever One Group faisant état du revenu qu’il avait reçu ainsi que des relevés bancaires de cette entreprise et de M. Hu. Il ajoute que cette preuve démontre qu’il satisfaisait au critère en matière de revenu minimal de 5 000 $. Il soutient en outre qu’il n’a jamais été informé du genre de preuve qui était requis pour établir qu’il respectait les exigences en matière de revenu, ce qui soulève des préoccupations quant à l’équité procédurale.

[21] Le défendeur soutient que la seconde décision est raisonnable. Il fait valoir qu’il était raisonnable de la part du second agent de l’ARC de conclure que la preuve de M. Hu n’était pas suffisante pour établir qu’il satisfaisait à l’exigence du revenu minimal de 5 000 $. Cette preuve comprenait un relevé faisant état d’un revenu lié à un contrat et un document d’une unique page faisant état d’une somme totale de 5 600 $ versée au cours des trois mois de janvier, février et mars 2020. Le défendeur fait remarquer que le document a été préparé par la conjointe de fait de M. Hu, qu’Ever One Group a la même adresse que M. Hu, et que le document est dénué de tout détail, indiquant seulement que le paiement visé par le contrat concerne les [TRADUCTION] « préparatifs et mesures de soutien relatifs au lancement d’un magasin virtuel ». Le document ne mentionne pas non plus les heures travaillées ni de détails sur le contrat. Le défendeur signale que le demandeur a aussi fourni des relevés bancaires d’Ever One Group concernant les mois de janvier, de mars et d’avril 2020. Ces documents font état de virements de fonds, mais ils ne sont pas suffisants pour prouver le revenu d’emploi ou de travail autonome que M. Hu a touché et, contrairement à ce que celui-ci avance, des cotisations fiscales ne constituent pas une preuve de revenu. Le défendeur soutient que l’ARC a demandé des pièces justificatives et qu’elle était en droit de conclure que la preuve fournie n’était pas suffisante pour établir que M. Hu satisfaisait aux critères d’admissibilité à la PCRE en matière de revenu.

[22] Je conclus que la seconde décision de l’ARC est à la fois raisonnable et équitable sur le plan procédural. Je comprends bien l’essentiel de l’argument qu’avance M. Hu quant au caractère raisonnable de la décision, à savoir que l’ARC a demandé des relevés bancaires qui feraient état de dépôts correspondant au revenu gagné, pour conclure ensuite que ces relevés ne fournissaient pas assez de renseignements pour établir son admissibilité. Je suis également sensible à la situation financière de M. Hu et aux difficultés personnelles que la pandémie de COVID‑19 lui a causées.

[23] Cependant, le fait de demander certains éléments de preuve ne veut pas forcément dire que ces derniers, une fois produits, permettront au demandeur d’obtenir un résultat favorable. On peut raisonnablement conclure que les renseignements que le demandeur a fournis n’étaient pas suffisants pour établir qu’il avait gagné au moins 5 000 $ en revenus provenant d’un emploi ou d’un travail qu’il avait exécuté pour son compte, au sens de la Loi sur les PCRE, pendant la période pertinente.

[24] Dans une décision récente de notre Cour, Aryan c Canada (Procureur général), 2022 CF 139 (« Aryan »), ma collègue la juge Strickland a procédé au contrôle d’une décision semblable de l’ARC, et conclu que la demanderesse ne satisfaisait pas aux critères d’admissibilité à la PCRE en matière de revenu (au para 3). À l’instar de M. Hu, la demanderesse dans l’affaire Aryan faisait valoir que la décision de l’ARC était déraisonnable parce que ses relevés bancaires montraient qu’elle avait reçu le montant de revenu minimal, et qu’on ne lui avait pas dit quels étaient les documents requis (Aryan, aux para 28, 41). Sur ces deux points, respectivement, la juge Strickland a conclu que « l’agente aurait pu définir la période pertinente de façon plus précise, mais là encore, cela importe peu »; de plus les documents fournis « ne prouvent pas l’origine des montants déposés ni les dates auxquelles ces revenus ont été gagnés » et, « [q]uoi qu’il en soit, le dossier établit que le premier agent a informé la demanderesse des types de documents à l’appui pouvant être fournis » (Aryan, aux para 28, 41).

[25] Le même raisonnement s’applique en ce qui concerne M. Hu. Il ressort du dossier que l’ARC l’a informé qu’il fallait produire des relevés bancaires pour prouver que des dépôts avaient été faits. Il était également raisonnable de la part de l’agent de révision de conclure que ces relevés bancaires manquaient de détails de base sur la manière dont le revenu avait été gagné. L’ARC était en droit de conclure que ces relevés bancaires et le relevé lié au contrat ne constituaient pas une preuve suffisante d’emploi ou de travail exécuté pour son propre compte, comme il était exigé. Je signale de plus que, contrairement aux arguments de M. Hu, des cotisations fiscales ne prouvent pas de manière concluante que le demandeur a réellement gagné le revenu déclaré et que ce revenu était tiré d’une source admissible, conformément à la Loi sur les PCRE (Aryan, au para 35).

VI. Conclusion

[26] La seconde décision de l’ARC, où il a été conclu que M. Hu ne respectait pas les critères d’admissibilité à la PCRE en ce qui concerne le revenu, est à la fois raisonnable et équitable sur le plan procédural. Ni l’une ni l’autre des parties n’a présenté d’observations sur les dépens. La présente demande de contrôle judiciaire est donc rejetée, sans dépens.


JUGEMENT dans le dossier T‑802‑21

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans dépens.

  2. L’intitulé est modifié pour désigner le bon défendeur, à savoir le procureur général du Canada; la modification prend effet immédiatement.

« Shirzad A. »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑802‑21

 

INTITULÉ :

XIANGYI BRUCE HU c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 NOVEMBRE 2022

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE AHMED

 

DATE DES MOTIFS :

LE 5 DÉCEMBRE 2022

 

COMPARUTIONS :

Xiangyi Bruce Hu

(pour son propre compte)

 

POUR Le demandeur

 

Daniel G. Segal

 

POUR Le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

POUR Le défendeur

 

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