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     T-626-97

Entre :


INTERNATIONAL HOLLOWCORE

ENGINEERING INC.,

     demanderesse,


-et-


ULTRA-SPAN TECHNOLOGIES INC.,

FREDERICK W. SELLERS et JOSEPH L. KISS,

     défendeurs,


-et-


GEORGE PUTTI,

     défendeur reconventionnel.

     MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE

JOHN A. HARGRAVE

     Les présents motifs découlent de la requête soumise par la demanderesse en vue de faire fixer le montant du cautionnement pour frais dans le cadre d"une instance introduite en vertu du paragraphe 60(3) de la Loi sur les brevets . Cette disposition impérative exige de la partie demanderesse qu'elle fournisse un cautionnement avant d"intenter une telle action. Elle a préséance sur la Règle 700(3) des Règles de la Cour fédérale , qui permet de fournir une garantie en tout temps: voir Mission View Vineyards Ltd. c. Traut, (1993) 62 F.T.R. 47 et Meriah Surf Products Ltd. c. Windsurfing International Inc., (1981) 54 C.P.R. (2d) 73, aux pages 75 et 76 (C.A.F.). Les avocats ont toutefois abordé la question du moment de la présentation de la requête de façon pratique et n"ont contesté que la question du montant du cautionnement pour frais. En l"espèce, la demanderesse cherche à fournir une garantie d"un montant modique de 100 $ en raison des circonstances de l"affaire.

CONTEXTE

     Pour ce qui est du contexte, le dirigeant de la demanderesse, M. Putti, et le défendeur, M. Kiss, qui travaillaient à un certain moment pour le même employeur, détiennent chacun des brevets visant des machines servant à la fabrication de dalles de béton extrudé à noyau creux. Les brevets détenus par MM. Putti et Kiss tirent leur origine commune d"une machine d"extrusion de dalles de béton apparemment non rentable produite par Spiroll Corporation au début des années 1960 : les présents brevets en litige visent des versions modifiées et améliorées de la machine de Spiroll Corporation.

     M. Putti a obtenu son brevet de base en 1972, lequel a été suivi de cinq autres brevets jusqu"en 1982. M. Kiss, qui mentionne le brevet de M. Putti de 1972 dans l"examen des antériorités que renferme son brevet, a obtenu son brevet en 1986. M. Putti décrit le brevet de M. Kiss de 1986 comme le reflet de sa machine de 1981.

     Le fabricant de machines d"extrusion de dalles de béton est revenu à la case départ, soit la machine de Spiroll Corporation de 1960, lorsqu"en 1979, M. Putti a octroyé une licence d"une durée de cinq ans à Spiroll Corporation pour construire sa machine de conception nouvelle. À l"heure actuelle, M. Putti fabrique et vend la même machine, appelée la machine IHE, par l"intermédiaire de sa société, la demanderesse International Hollowcore Engineering Inc. Le demandeur a donc octroyé une licence au fabricant de la machine IHE ou l"a construite ou fabriquée lui-même par l"intermédiaire de la société demanderesse depuis 1979.

     En février 1997, la société défenderesse a allégué, tant auprès de la demanderesse et que d'un client de celle-ci, que la machine IHE de la demanderesse contrefaisait sa machine. Toutefois, en date de la présente requête, la défenderesse, Ultra-Span Technologies Inc., n"a pas fourni les précisions qui lui ont été demandées au sujet de cette contrefaçon.

     La demanderesse estime que la situation actuelle, un avertissement imprécis de contrefaçon donné non seulement à elle-même mais aussi à un client, est à la fois étonnante et intolérable. Au lieu d"attendre que des difficultés se présentent ou qu"une instance en contrefaçon soit introduite, la demanderesse a introduit une instance en invalidation à titre de mesure préventive. C"est la raison pour laquelle la demanderesse prétend que le montant du cautionnement devrait être modique.

ANALYSE

     La demanderesse fait valoir qu"en règle générale, ceux qui contestent la validité d"un brevet sont assujettis au pouvoir discrétionnaire du tribunal d'ordonner un cautionnement pour frais, et elle a cité à cet effet Electec Ltd. c. Comstock Canada , (1989) 24 C.P.R. (3d) 137, à la page 140. Je doute que la Cour ait le pouvoir discrétionnaire d"accorder ou non un cautionnement car la disposition du paragraphe 60(3) de la Loi sur les brevets , qui exige qu"un cautionnement pour frais soit fourni dans le cadre d"une instance en invalidation, est impérative; c"est plutôt le montant du cautionnement qui relève du pouvoir discrétionnaire de la Cour.

     La demanderesse souligne que le cautionnement pour frais prévu au paragraphe 60(3) de la Loi sur les brevets est un moyen d"empêcher les contestations de brevet non fondées, irréfléchies et futiles: voir Apotex Inc. c. Hoffmann-La Roche Ltd. , (1980) 48 C.P.R. (2d) 3, à la page 6, Meriah Surf Products Ltd., (Supra) à la page 77, et l"exposé général sur ce point dans Electec , aux pages 140 et suivantes. Un tel moyen de dissuasion est tout à fait opportun car, en vertu de l"article 43 de la Loi sur les brevets , une fois qu"un brevet est délivré, son titulaire jouit d"une présomption de validité prévue par la loi, sous réserve d"une preuve du contraire.

     L"avocat de la demanderesse renvoie au cautionnement historiquement accordé dans le cadre des actions en invalidation, soit 1 000 $, à ce qu"il appelle l"octroi habituel de 5 000 $ et à une recherche jurisprudentielle qui révèle que dans aucune affaire il a été ordonné de verser un cautionnement supérieur à 10 000 $. Ces affaires, dans lesquelles différents montants de cautionnement pour frais d"un maximum de 10 000 $ ont été ordonnés dans le cadre d"actions en invalidation, sont antérieures au tarif actuel de la Cour fédérale, un point sur lequel je reviendrai.

     Le dernier point important de la plaidoirie de la demanderesse est le suivant:

     [TRADUCTION]

     Les circonstances de l"espèce constituent toujours le principal facteur dont il est tenu compte pour décider s"il est nécessaire de rendre une ordonnance de cautionnement pour frais, et, le cas échéant, du montant approprié de ce cautionnement. ACIC (Canada) Inc. c. Merck & Co. Inc. , (1995) 62 C.P.R. (3d) 362. (page 3 de la plaidoirie écrite).         

     Selon moi, l"affaire ACIC ne fait que réitérer qu"à titre de protection contre les contestations futiles et vexatoires de brevets, dont les revendications ont en partie été jugées valides, un défendeur a droit à un montant de cautionnement pour frais élevé, fixé à 10 000 $ en l"occurrence, en vertu de l"ancien tarif très modéré de la Cour fédérale. L"affaire ACIC ne traite pas de la question de savoir si le cautionnement pour frais est nécessaire. La Cour a analysé ce dernier aspect non seulement dans Mission View, (supra), à la page 50, mais aussi dans deux autres décisions rendues en 1980.

     Dans Apotex Inc. c. Hoffmann-La Roche Ltd, (supra), la Cour a souligné que le libellé de l"actuel paragraphe 60(3) de la Loi sur les brevets ne peut " ...être interprété comme autorisant la Cour à dispenser de constituer un cautionnement pour frais " (page 2). Subséquemment, dans Alros Products Ltd. c. Sealed Air Corporation , (1981) 51 C.P.R. (2d) 66, le juge Mahoney, tel était alors son titre, a cité cet extrait tiré de Hoffman-La Roche, dans le contexte de l"annulation de la signification d"une déclaration dans le cadre d"une action en invalidation décrite comme sérieuse, au motif que le cautionnement n"avait pas été fourni. En résumé, la Cour n"a pas le pouvoir discrétionnaire d"exiger un cautionnement en vertu du paragraphe 60(3) de la Loi sur les brevets ; c"est plutôt le montant du cautionnement qu"il lui est loisible de fixer. Cette notion a été renforcée par le juge Heald dans Meriah Surf Products Inc. (supra), lorsqu"il a renvoyé au libellé clair et non équivoque employé dans l"actuel paragraphe 60(3) de la Loi sur les brevets comme règle générale exigeant le versement d"un cautionnement dans le cadre d"une action en invalidation, règle qui compte une exception car elle ne s"applique pas, dans le cadre d"une action en invalidation, à un défendeur qui sollicite à son tour une déclaration d"invalidité (pages 75 et 76). Cette méthode d"interprétation précise du paragraphe 60(3) ne permet pas de conclure qu"il n"est pas nécessaire de verser un cautionnement simplement parce qu"un demandeur a été contraint, pour des motifs d"ordre commercial, d"introduire une action en invalidation qui ne semble pas du tout futile ou vexatoire.

     Vu la raison d"être de la disposition impérative concernant le cautionnement prévu au paragraphe 60(3), qui vise à réduire les contestations non fondées de la validité des brevets et à procurer une protection contre celles-ci, la question qui se pose est de savoir quels critères appliquer pour déterminer le montant de ce cautionnement. Il s"agit d"une question dont a traité le juge Strayer, tel était alors son titre, dans Electec Ltd. c. Comstock Canada (supra) : il a statué que la Cour doit tenter de déduire les critères en fonction du but apparent de la disposition relative au cautionnement pour frais que renferme la Loi sur les brevets. Il a rejeté l"idée que des notions telles que la dissuasion et la protection à l"égard des actions irréfléchies ou futiles intentées contre des brevetés devraient avoir une incidence directe sur le montant du cautionnement pour frais. Il a souligné qu"il n"y avait plus de montant arbitraire de cautionnement pour frais, comme c"était le cas en vertu de la législation antérieure en vigueur entre 1900 et 1971. Il a conclu qu""...il faut effectivement protéger le breveté défendeur pour ses frais, dans la mesure où le tribunal le fait normalement lorsqu"il impose le dépôt d"un "cautionnement pour les dépens" " (pages 141 et 142). Pour déterminer le montant du cautionnement, le juge Strayer a examiné une évaluation du montant total des frais entre parties, y compris ceux du procès, de 16 000 $ environ, l"a réduite à 14 000 $ et a ordonné que soit versé un cautionnement correspondant aux deux tiers de ce montant, soit 9 000 $, mentionnant que cette dernière réduction était conforme à la pratique courante des tribunaux de l"Ontario et de ceux de l"Angleterre (pratique dont les tribunaux anglais se sont écartés: voir Procon Ltd. v. Provencial Building Ltd. , [1984] 1 W.L.R. 557, aux pages 567 et 571 (C.A.)). Toutefois, il utilisait les frais taxables comme guide. L"affaire Electec concernait une demande en vue de faire porter le cautionnement d"un montant modique de 1 000 $ à un chiffre plus approprié pour 1989; toutefois, le principe est clair : une cour "... devrait tenir compte des facteurs qu"elle prend normalement en considération lorsqu"elle impose un "cautionnement pour dépens" " (page 143). En l"espèce, il faut tenir compte du nouveau tarif B qui reflète davantage que l"ancien les coûts réels du litige.

     La demanderesse fait valoir que le montant du cautionnement pour frais devrait être réduit en raison du fait que la demanderesse a, en réalité, été contrainte d"intenter la présente instance en invalidation par la défenderesse, qui s"est plainte de contrefaçon non seulement à elle-même, mais aussi à un client de celle-ci. Ce besoin de mesure préventive permettant à la demanderesse de continuer à exercer ses activités dans un climat de certitude est compréhensible, mais je considère qu"il ne lui donne pas droit à une mesure de redressement, pour ce qui est du montant du cautionnement, à ce stade-ci. Dans l"hypothèse où la demanderesse a gain de cause au bout du compte, cette mesure de redressement pourrait plutôt constituer un élément dont il sera tenu compte dans la taxation des dépens une fois que la question sera entièrement réglée.

     L"avocat de la demanderesse fait valoir que les six brevets détenus par sa cliente sont tous antérieurs au brevet de la défenderesse. Évidemment, cela ne signifie pas que le brevet de la défenderesse est moins valide, à l"heure actuelle, pour ce qui est de la présomption de validité. Ledit brevet devrait jouir de la même protection que celle qui est accordée à tout autre défendeur. Toutefois, bien que ce ne soit pas le moment d"évaluer le bien-fondé de la cause de la demanderesse, il demeure tout de même que les défendeurs n"ont fourni aucune précision au sujet de leur accusation de contrefaçon.

     La défenderesse a préparé un projet de mémoire de frais indiquant les dépens taxables estimatifs selon la colonne trois du tarif B. Les frais, y compris ceux qui sont afférents à un procès de cinq jours, en chiffres ronds et incluant la taxe, s"élèvent à 24 500 $. Les débours, y compris la taxe, sont estimés à 5 018,30 $, disons 5 000 $ en chiffres ronds. Le total des frais et des débours estimatifs s"élèvent à quelques 29 500 $.

     Bien que les frais estimatifs soient tirés de la colonne du milieu du tarif B, ils sont, pour la plupart, à l"échelon supérieur de la colonne 3. Mais ce n"est pas nécessairement une erreur car il doit y avoir un lien entre les frais actuels d"un litige et un litige particulier en matière de brevet. À ce stade-ci, les débours semblent raisonnables.

     La possibilité d"un règlement avant la tenue du procès est un élément qui justifie de réduire le montant du cautionnement pour frais. Comme je l"ai indiqué, l"allégation de contrefaçon de la demanderesse n"a pas fait l"objet de précisions et il se peut qu"elle ne soit pas bien étayée. De plus, en règle générale, la plupart des actions sont réglées plutôt qu"instruites. Il est bien possible que la présente action soit réglée avant le procès. Un tribunal doit tenir compte de cette éventualité, particulièrement lorsqu"un cautionnement est demandé au début d"une instance : Procon Ltd. c. Provincial Buildings (Supra), aux pages 567 et 571. Si cette évaluation ne correspond pas à la réalité, la défenderesse peut, en cours de route, solliciter une autre ordonnance de cautionnement pour frais.

     Le cautionnement pour frais sera de 7 400 $ au total à ce stade-ci afin de protéger la défenderesse pendant les interrogatoires préalables, y compris toute conférence préparatoire à l"instruction, les avis demandant l"admission de faits et 2 000 $ pour les frais d"expertise. Les dépens de la présente requête suivront l"issue de la cause.

                         Signé "James A. Hargrave"

                             Protonotaire

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 12 août 1997

Traduction certifiée conforme :         
                                 Martine Guay, LL.L.

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER


INTITULÉ DE LA CAUSE:

INTERNATIONAL HOLLOWCORE ENGINEERING INC.

-et-

ULTRA-SPAN TECHNOLOGIES INC. et FREDERICK W. SELLERS et JOSEPH L. KISS

-et-

GEORGE PUTTI


N" DU GREFFE:

T-626-97


LIEU DE L"AUDIENCE:

Vancouver (Colombie-Britannique)


DATE DE L"AUDIENCE:

14 juillet 1996

MOTIFS DE L"ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE PROTONOTAIRE JOHN A. HARGRAVE

         En date du 12 août 1997

ONT COMPARU:


Me Kal Kelly

Pour la demanderesse et défenderesse reconventionnelle


Me Ron Skolrood

Me Grace

Pour la défenderesse


PROCUREURS INSCRITS AU

DOSSIER:


Rodger D. McConchie

Ladner Downs

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour la demanderesse et défenderesse renconventionnelle


Ron A. Skolrood

Lawson Lundell Lawson & McIntosh

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour la défenderesse


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