Dossier : T-1174-22
Référence : 2022 CF 1665
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 2 décembre 2022
En présence de madame la juge Strickland
ENTRE :
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EMILY CARASCO
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demanderesse
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et
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PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
[1] La Cour est saisie du contrôle judiciaire de la décision prise par un chef d’équipe de l’Agence du revenu du Canada [l’ARC], à titre de délégué du ministre du Revenu national [le délégué du ministre], qui a rejeté la demande d’Emily Carasco [la demanderesse] pour faire modifier ses déclarations de revenus pour les années d’imposition 2011 et 2012, produites conformément à la disposition d’allègement pour les contribuables prévue au paragraphe 152(4.2) de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e supp) [la LIR]. La demanderesse a demandé des déductions supplémentaires de son revenu d’emploi au titre des frais judiciaires engagés au cours de ces années d’imposition. La demande a été rejetée, au motif que les frais judiciaires n’étaient pas visés par l’alinéa 8(1)b) de la LIR. La décision défavorable a été prise après que l’ARC a transmis une première proposition visant à accorder le redressement.
Le contexte
[2] Le 15 février 2021, la demanderesse a présenté à l’ARC des demandes de redressement d’une T1 pour les années d’imposition 2011 et 2012 [les demandes de redressement]. Comme les rajustements demandés concernaient des années d’imposition qui seraient normalement frappées de prescription, les demandes ont été examinées sous le régime du paragraphe 152(4.2) de la LIR, une disposition d’allègement pour les contribuables. Dans les demandes de redressement, la demanderesse a demandé des déductions de son revenu d’emploi au titre des dépenses afférentes à l’emploi énoncées à la ligne 229 de ses déclarations de revenus pour les années d’imposition 2011 et 2012. La demande de redressement était fondée sur le fait qu’elle avait engagé des frais judiciaires au cours de ces années d’imposition, de 19 274 $ et de 175 276 $ respectivement, relativement à une plainte pour atteinte aux droits de la personne qu’elle avait déposée contre son employeur.
[3] Le 16 juillet 2021, un employé de l’ARC chargé de l’examen supplémentaire au Centre fiscal de Winnipeg a écrit à la demanderesse pour l’informer que l’ARC examinait sa demande de modification des déclarations et pour lui demander de fournir d’autres documents. Il y a eu d’autres communications entre l’employé de l’ARC et la demanderesse, au cours desquelles la demanderesse a fourni des documents à l’appui de sa demande. Ces documents justificatifs comprenaient des décisions procédurales provisoires rendues par le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario concernant une plainte déposée par la demanderesse contre son employeur, l’Université de Windsor, dans laquelle elle alléguait avoir été victime de discrimination fondée à la fois sur la race et sur le sexe, relativement à la décision de ne pas nommer la demanderesse au poste de doyenne de la Faculté de droit, ainsi que des factures afférentes aux frais judiciaires connexes.
[4] Le 14 février 2022, une autre employée du Programme de l’examen supplémentaire au Centre fiscal de Winnipeg, Mme K. Valencia, a écrit à la demanderesse pour lui mentionner qu’elle proposait d’autoriser les redressements demandés en plus d’ajouter les 50 000 $ que la demanderesse avait reçus de son employeur au titre du règlement de la poursuite qu’elle avait intentée contre celui‑ci à son revenu d’emploi pour l’année d’imposition 2012 [la lettre du 14 février]. La lettre indiquait que le traitement des redressements proposés serait retardé jusqu’au 14 mars 2022, afin de permettre à la demanderesse de présenter d’autres observations, si elle le souhaitait, et que, si aucune observation ni aucun renseignement n’avait été reçu à cette date, l’ARC effectuerait les redressements proposés. La demanderesse n’a présenté aucune autre observation.
[5] Le 1er avril 2022, Mme Valencia a encore une fois écrit à la demanderesse. Elle l’informait qu’après un examen plus approfondi, de nouveaux redressements étaient proposés [la lettre du 1er avril]. Plus précisément, il était mentionné que les demandes de redressement étaient désormais rejetées, au motif que la poursuite intentée par la demanderesse n’était pas liée au salaire ou au traitement dû à la demanderesse, et que, par conséquent, la déduction des frais judiciaires qu’elle demandait n’était pas autorisée au titre de l’alinéa 18(1)a) de la LIR. La lettre indique que le traitement des redressements proposés serait retardé jusqu’au 15 avril 2022, afin de permettre à la demanderesse de présenter d’autres observations.
[6] Le 14 avril 2022, la demanderesse a écrit à Mme Valencia pour [TRADUCTION] « lui confirmer [qu’elles avaient] conclu une entente obligatoire »
, conformément à ce qui est énoncé dans la lettre du 14 février. La demanderesse a déclaré qu’elle n’avait pas répondu à cette lettre avant la date d’échéance du report du 14 mars 2021, ce qui signifiait qu’elle avait accepté la proposition et que l’ARC devait procéder aux redressements proposés et émettre des avis de nouvelle cotisation pour les années d’imposition en cause, conformément à ce qui était énoncé dans la lettre du 14 février.
[7] Dans une lettre datée du 5 mai 2022, Adewunmi Adeagbo, chef d’équipe du Programme de l’examen supplémentaire au Centre fiscal de Winnipeg et, pour les besoins de la présente affaire, le délégué du ministre, a informé la demanderesse que l’ARC procéderait aux redressements proposés dans la lettre du 1er avril. Les redressements demandés seraient refusés au titre de l’alinéa 8(1)b) de la LIR. Dans cette lettre, le délégué du ministre a informé la demanderesse de son droit de demander un examen au deuxième palier de la décision ou, subsidiairement, de présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision.
[8] Le 6 juin 2022, la demanderesse a déposé un avis de demande en vue d’obtenir un contrôle judiciaire de la décision prise par l’ARC le 5 mai 2022 [la décision].
La législation applicable
Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e supp)
Éléments déductibles
8 (1) Sont déductibles dans le calcul du revenu d’un contribuable tiré, pour une année d’imposition, d’une charge ou d’un emploi ceux des éléments suivants qui se rapportent entièrement à cette source de revenus, ou la partie des éléments suivants qu’il est raisonnable de considérer comme s’y rapportant :
[…]
Frais judiciaires d’un employé
b) les sommes payées par le contribuable au cours de l’année au titre des frais judiciaires ou extrajudiciaires qu’il a engagés pour recouvrer un montant qui lui est dû et qui, s’il le recevait, serait à inclure en vertu de la présente sous-section dans le calcul de son revenu, ou pour établir un droit à un tel montant;
[…]
Nouvelle cotisation et nouvelle détermination
152 (4.2) Malgré les paragraphes (4), (4.1) et (5), pour déterminer, à un moment donné après la fin de la période normale de nouvelle cotisation applicable à un contribuable — particulier (sauf une fiducie) ou succession assujettie à l’imposition à taux progressifs — pour une année d’imposition, le remboursement auquel le contribuable a droit à ce moment pour l’année ou la réduction d’un montant payable par le contribuable pour l’année en vertu de la présente partie, le ministre peut, si le contribuable demande pareille détermination au plus tard le jour qui suit de dix années civiles la fin de cette année d’imposition, à la fois :
a) établir de nouvelles cotisations concernant l’impôt, les intérêts ou les pénalités payables par le contribuable pour l’année en vertu de la présente partie;
b) déterminer de nouveau l’impôt qui est réputé, par les paragraphes 120(2) ou (2.2), 122.5(3) à (3.003), 122.51(2), 122.7(2) ou (3), 122.8(4), 122.9(2), 122.91(1), 127.1(1), 127.41(3) ou 210.2(3) ou (4), avoir été payé au titre de l’impôt payable par le contribuable en vertu de la présente partie pour l’année ou qui est réputé, par le paragraphe 122.61(1), être un paiement en trop au titre des sommes dont le contribuable est redevable en vertu de la présente partie pour l’année.
Les questions en litige
[9] Les observations écrites de la demanderesse ne définissent pas les questions en litige. Toutefois, la demanderesse fait valoir que la décision était injuste, à la lumière de la lettre du 14 février. À cet égard, elle soutient que le délégué du ministre était empêché par préclusion de prendre la décision, qu’il s’agissait d’un abus de procédure et que l’ARC est devenue functus officio lorsqu’elle a rédigé la lettre du 14 février.
[10] Le défendeur soutient que les observations présentées par la demanderesse se résument à la seule question de savoir si la décision était équitable sur le plan de la procédure. Le défendeur ajoute que, dans l’éventualité où la Cour déciderait que la demanderesse a été privée de l’équité procédurale, une autre question en litige serait soulevée, soit celle de savoir si la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire pour accorder une réparation dans la présente demande de contrôle judiciaire.
[11] À mon avis, la question en litige peut être correctement formulée ainsi : la décision enfreignait-elle l’obligation d’équité procédurale à l’égard de la demanderesse?
La norme de contrôle
[12] Bien que les observations de la demanderesse concernent exclusivement l’équité procédurale, elle déclare [traduction] « [qu’]en fin de compte, les actes posés par le défendeur étaient déraisonnables »
, renvoyant à l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 76, 81,83. Lorsqu’il a comparu devant moi, l’avocat de la demanderesse a soutenu que la norme de contrôle de la décision raisonnable s’appliquait à la présente affaire.
[13] À l’inverse, le défendeur soutient que les questions d’équité procédurale doivent être examinées selon une norme semblable à la norme de la décision correcte, renvoyant à l’arrêt Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54 [CFCP].
[14] Je suis d’accord avec le défendeur. Il est bien établi que les questions d’équité procédurale sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte (voir Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24 au para 79; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 43). Cette exigence n’a pas été modifiée par la l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Vavilov. Cela étant dit, dans l’arrêt CFCP, la Cour d’appel fédérale a conclu que l’exercice de révision requis peut être particulièrement bien reflété, quoique de manière imparfaite, dans la norme de la décision correcte, mais que certaines questions de procédure ne se prêtent pas nécessairement à une analyse relative à la norme de contrôle applicable. Au contraire, la Cour doit décider si la procédure était équitable, eu égard à l’ensemble des circonstances. Autrement dit, « la question fondamentale demeure celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu possibilité complète et équitable d’y répondre »
(CFCP, aux para 54, 56; voir aussi Association canadienne des avocats en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196 au para 35; Première Nation d’Ahousaht c Canada (Affaires indiennes et du Nord), 2021 CAF 135 au para 31). Par conséquent, je comprends que la norme de contrôle qui s’applique aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte ou, du moins, essentiellement celle de la décision correcte.
La question préliminaire
L’intitulé
[15] Le défendeur soutient que l’ARC a été désignée à tort comme étant la défenderesse dans la présente demande de contrôle judiciaire. Conformément au paragraphe 303(2) des Règles des Cours fédérales, le défendeur approprié est le procureur général du Canada, et l’intitulé devrait être modifié en conséquence. Lorsqu’il a comparu devant moi, l’avocat de la demanderesse m’a informé qu’il ne s’opposait pas à la modification proposée. Par conséquent, j’ordonnerai que l’intitulé soit modifié, en remplaçant l’Agence du revenu du Canada par le procureur général du Canada à titre de défendeur désigné.
La décision a‑t‑elle enfreint l’obligation d’équité procédurale à l’égard de la demanderesse?
[16] Il est peut-être utile, comme point de départ, de présenter le contenu des lettres en question.
[17] La lettre du 14 février énonce, en partie, ce qui suit :
[traduction]
Selon notre examen et les renseignements dont nous disposons, nous proposons le redressement suivant aux déclarations de revenus précitées :
[…]
Nous accueillons votre demande de modification de vos autres dépenses afférentes à l’emploi (ligne 229) que vous avez déduites en 2011 et 2012, en fonction des documents que vous nous avez fournis. Toutefois, nous proposons d’augmenter vos autres revenus d’emploi (ligne 104) de 50 000 $, soit le montant que vous avez reçu de l’Université de Windsor au titre du règlement de la poursuite que vous avez intenté contre elle, conformément au paragraphe 8(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu.
Nous reporterons le traitement des redressements proposés au 14 mars 2022, afin de vous permettre de présenter d’autres observations dans le cadre de la présente affaire. Si vous souhaitez présenter d’autres observations, veuillez communiquer avec moi au plus tard à cette date. Si aucun nouveau renseignement n’est reçu et que vous n’avez pas communiqué avec notre bureau d’ici le 14 mars 2022, il sera présumé que vous ne souhaitez pas, pour le moment, présenter d’autres observations dans le cadre de la présente affaire, et nous procéderons aux redressements proposés ainsi qu’à l’émission d’avis de nouvelle cotisation pour les années d’imposition 2011 et 2012.
[…]
[Caractères gras dans l’original; remplacés par le soulignement.]
[18] La lettre du 1er avril 2022 énonce, en partie, ce qui suit :
[traduction]
Conformément à notre lettre du 14 février 2022 (voir la lettre ci-jointe), nous avons terminé notre examen des documents soumis les 16 août et 15 novembre 2021.
Toutefois, après avoir procédé à un examen plus approfondi du dossier, voici les nouveaux montants proposés :
[…]
Nous refusons la demande de redressement d’autres dépenses afférentes à l’emploi figurant dans vos déclarations de revenus de 2011 et de 2012, car nous avons conclu, en fonction du dossier du tribunal, qu’elles n’étaient pas liées au salaire ou au traitement qui vous était dû.
Conformément à l’alinéa 18(1)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu, vous pouvez réclamer des frais judiciaires ou extrajudiciaires que vous avez payés au cours de l’année pour recouvrer un salaire ou un traitement auquel vous avez droit, ou établir un droit à celui-ci. Les montants demandés ne sont pas liés à l’issue favorable de votre affaire. Vous devez toutefois engager des frais judiciaires ou extrajudiciaires pour recouvrer une somme qui, si vous la percevez, devrait être incluse dans votre revenu d’emploi, ou établir un droit de recouvrement de celle-ci.
[…]
[Caractères gras dans l’original; remplacés par le soulignement.]
[19] La lettre du 5 mai 2022, la décision faisant l’objet du contrôle judiciaire, énonce en partie ce qui suit :
[traduction]
En fonction de la lettre de proposition modifiée du 1er avril 2022 et des conversations téléphoniques que nous avons eues avec votre représentant, nous traiterons ainsi les redressements proposés dans notre lettre du 1er avril 2022 :
[…]
Comme suite à la lettre de proposition modifiée que nous vous avons envoyée le 1er avril 2022, et comme nous l’avons mentionné à votre représentant au cours de notre conversation téléphonique, l’alinéa 8(1)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu prévoit que « les sommes payées par le contribuable […] qu’il a engagées pour recouvrer un montant qui lui est dû et qui, s’il le recevait, serait à inclure en vertu de la présente sous-section dans le calcul de son revenu, ou pour établir un droit à un tel montant ».
Par conséquent, nous refusons la demande de modification des autres dépenses afférentes à l’emploi (ligne 229) en ce qui concerne les déclarations de revenus de 2011 et de 2012.
[…]
[Caractères gras dans l’original; remplacés par le soulignement.]
[20] Je traiterai maintenant des observations présentées.
i. La préclusion
[21] La demanderesse soutient que le délégué du ministre était empêché par préclusion de prendre la décision, du fait que la lettre du 14 février énonçait de manière claire et non équivoque que les demandes de redressement étaient accueillies. La demanderesse soutient que la lettre du 14 février, lorsqu’elle est considérée dans son ensemble, constitue une décision sans ambiguïté de procéder d’une certaine manière, en vue d’en arriver à un certain résultat. La demanderesse a compris la lettre comme signifiant que [TRADUCTION] « si nous n’avons pas de nouvelles de votre part, nous procéderons aux redressements proposés »
. La demanderesse a procédé en fonction de cette compréhension et n’a pas communiqué avec le défendeur ou fourni de nouveaux renseignements. La demanderesse renvoie à l’arrêt Amalgamated Investment & Property Co (In Liquidation) v Texas Commerce International Bank, [1982] QB 84 (CA) au para 122, pour étayer sa position.
[22] Le défendeur n’aborde pas directement la question de la préclusion dans ses observations écrites.
[23] Je souligne que la Cour suprême du Canada a conclu que le principe de la préclusion ne s’appliquait pas [TRADUCTION] « face à une disposition explicite d’une loi »
et qu’il [TRADUCTION] « n’[était] d’aucun secours pour se soustraire à l’application d’une disposition législative claire »
(St. Ann’s Island Shooting and Fishing Club Ltd v R, [1950] RCS 211, [1950] DLR 225 au para 31; Immeubles Jacques Robitaille Inc c Québec (Ville), 2014 CSC 34 au para 4; voir aussi aux para 19-30). En l’espèce, le délégué du ministre a finalement rejeté les demandes de redressement, parce qu’il a conclu, sur la base du dossier en matière de droits de la personne concernant les plaintes de discrimination déposées par la demanderesse à l’encontre de son employeur, que les sommes demandées n’étaient pas liées à un salaire ou à un traitement qui lui était dû, comme le prévoit l’alinéa 8(1)b) de la LIR. La demanderesse n’a pas contesté cette qualification de l’affaire ni son issue. Par conséquent, à mon avis, le délégué du ministre a rejeté les demandes de redressement en appliquant une [TRADUCTION] « disposition législative claire »
, soit l’alinéa 8(1)b) de la LIR, et n’était donc pas empêché par préclusion de prendre la décision.
ii. L’abus de procédure
[24] La demanderesse soutient que le délégué du ministre a commis un abus de procédure lorsqu’il a pris la décision, car, si elle était confirmée, elle déconsidérerait sans aucun doute l’administration de la justice fiscale, puisque les contribuables seraient privés de tout sentiment de certitude et de caractère définitif en ce qui concerne le règlement de cotisations ou d’autres litiges fiscaux, ou la décision prise à l’égard de ceux-ci. Lors de sa comparution devant moi, la demanderesse a soutenu qu’à première vue, la lettre du 14 février constituait une décision définitive.
[25] Le défendeur n’a pas présenté aucune observation traitant expressément ce point. Mais, comme il en sera discuté ci-dessous, il soutient que la lettre du ministre du 14 février n’était pas une décision définitive, et il s’appuie sur la décision Chekosky c Canada (Agence du revenu), 2019 CF 841 [Chekosky] aux para 25, 26.
[26] Dans la décision Chekosky, le juge Walker a conclu qu’une lettre similaire envoyée au demandeur ne constituait pas une décision définitive et a déclaré que « [l]a lettre de proposition se voulait une étape provisoire dans l’établissement de la nouvelle cotisation de l’ARC à l’égard des revenus du demandeur. L’auteur de la lettre ne se prononçait pas sur les droits ou les obligations matériels du demandeur pour les années d’imposition »
, puisque les obligations fiscales du demandeur pour ces années avaient été précisées dans les nouvelles cotisations établies ultérieurement (au para 26) (voir aussi Prince c Canada (Revenu national), 2020 CAF 32 au para 21; Newave Consulting Inc c Canada (Revenu national), 2021 CF 1203 [Newave] au para 132).
[27] Dans ce contexte, étant donné que la lettre du 14 février était une proposition qui ne déterminait pas les droits ou les obligations matériels de la demanderesse et ne constituait pas une décision définitive, je ne suis pas d’accord avec elle pour dire que les contribuables seraient privés de tout sentiment de certitude et de caractère définitif du fait que l’ARC a pris la décision. La décision a plutôt mis fin à l’incertitude.
[28] Bien que la demanderesse laisse entendre qu’une distinction devrait être faite entre les lettres de proposition qui proposent une issue favorable à un demandeur — comme la lettre du 14 février — et celles qui proposent une issue défavorable à son égard, la demanderesse n’a présenté aucun précédent à l’appui d’une telle distinction. Je suis également d’accord avec le défendeur sur le fait qu’il n’existe aucune distinction importante entre le libellé des lettres de proposition dans ces affaires et celui de la lettre du 14 février. En tout état de cause, une telle distinction ne ferait pas en sorte de faire de la lettre de proposition une décision définitive.
iii. Le principe du functus officio
[29] La demanderesse qualifie la lettre du 14 février de décision et soutient que l’ARC est devenue functus officio lorsqu’elle l’a prise. Inversement, le défendeur soutient que l’ARC n’était pas functus officio lorsqu’elle a délivré la lettre du 14 février, car il ne s’agissait pas d’une décision définitive. Il s’agissait plutôt d’une lettre de proposition (renvoyant à la décision Chekosky).
[30] Étant donné la conclusion à laquelle j’en suis arrivée plus haut, selon laquelle la lettre du 14 février ne constituait pas une décision définitive, je suis d’accord avec le défendeur sur le fait que l’ARC n’était pas functus officio lorsqu’elle a délivré cette lettre.
iv. La décision a‑t‑elle enfreint l’obligation d’équité procédurale?
La position de la demanderesse
[31] Pour l’essentiel, la demanderesse soutient que la décision prise par le délégué du ministre a enfreint l’obligation d’équité procédurale, puisque l’ARC a d’abord pris une décision dans la lettre du 14 février, accueillant les demandes de redressement, puis a pris une autre décision les rejetant. Elle soutient que le délégué du ministre a, en fait, infirmé ou annulé la décision énoncée dans la lettre du 14 février, ou en a clairement fait fi, et a tenté de lui substituer la décision faisant l’objet du contrôle. Dans son avis de demande, la demanderesse semble également s’appuyer sur la doctrine des attentes légitimes pour établir qu’il y a eu manquement à l’obligation d’équité procédurale. Bien que la demanderesse n’en ait pas fait état dans ses observations écrites, lors de sa comparution devant moi, son avocat a fait valoir que l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CSC 699, [1999] 2 RCS 817 [Baker], appuyait la position de la demanderesse. En outre, la demanderesse soutient que l’ARC a reconnu que la lettre du 14 février était erronée. Par conséquent, la demanderesse ne devrait pas subir les conséquences de cette erreur.
La position du défendeur
[32] Le défendeur soutient que le processus suivi par l’ARC pour prendre la décision était équitable sur le plan de la procédure. Il y a peu d’exigences en matière d’équité procédurale dans le cas de demande d’allègement pour les contribuables, et les demandeurs n’ont « droit qu’à une occasion adéquate, et non optimale, d’informer le décideur de [leur] cause »
(citant la décision Ontario Addiction Treatment Centres c Canada (Procureur général), 2022 CF 393 aux para 81-83, et renvoyant en outre aux décisions Costabile c Canada (Agence des douanes et du revenu), 2008 CF 943 [Costabile] au para 38, et 1680169 Ontario Limited c Canada (Procureur général), 2019 CF 562 [1680169 Ontario Ltd] au para 29). En l’espèce, l’ARC a informé la demanderesse à plusieurs reprises, avant et après l’émission de la lettre du 14 février, de la preuve à réfuter pour que l’ARC accueille les demandes de redressement. Elle a aussi communiqué verbalement, en de multiples d’occasions, avec la demanderesse à propos de son dossier, malgré le fait qu’elle n’était pas tenue de le faire.
[33] En ce qui concerne toute attente légitime que la demanderesse aurait pu avoir à la suite de la lettre du 14 février, le défendeur soutient que, lorsque la correspondance d’un décideur administratif ou d’un autre agent peut conduire à une attente légitime d’un résultat quant au fond à l’égard d’une affaire particulière, cette attente n’est pas exécutoire (renvoyant à l’arrêt Canada (Revenu national) c JP Morgan Asset Management (Canada) Inc, 2013 CAF 250 [JP Morgan] au para 75). En effet, les attentes légitimes ne peuvent pas créer de droits matériels (renvoyant à l’arrêt Baker, au para 26). Bien que la demanderesse ait pu, de façon légitime, s’attendre à ce que l’ARC accueille les demandes de redressement, en fonction de la proposition contenue dans la lettre du 14 février, l’ARC n’était pas tenue de procéder à ces redressements, et la demanderesse n’a pas droit à l’exécution de la décision contenue dans la lettre du 14 février. L’ARC a conservé le pouvoir discrétionnaire de rejeter les demandes de redressement, en vertu du mandat qui lui est conféré, eu égard à l’application du paragraphe 152(4.2) de la LIR, conformément au droit. Le processus suivi pour en arriver à la décision a été équitable sur le plan de la procédure, malgré toute attente légitime que pouvait avoir la demanderesse.
Analyse
[34] Dans l’arrêt Baker, la Cour suprême du Canada a statué que l’obligation d’équité procédurale était souple et variable et reposait sur une appréciation du contexte de la loi particulière et des droits visés. Les droits de participation faisant partie de l’obligation d’équité procédurale visent à garantir que les décisions administratives sont prises au moyen d’une procédure équitable et ouverte, adaptée au type de décision et à son contexte légal institutionnel et social, comprenant la possibilité donnée aux personnes visées par la décision de présenter leurs points de vue complètement ainsi que des éléments de preuve, de sorte qu’ils soient considérés par le décideur (au para 22). En outre, plusieurs facteurs sont pertinents pour déterminer la teneur de l’obligation d’équité : 1) la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir; 2) la nature du régime législatif et les termes de la loi en vertu de laquelle agit l’organisme en question; 3) l’importance de la décision pour les personnes visées; 4) les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision; 5) les choix de procédure que l’organisme fait lui-même (aux para 23-27). Cette liste n’est pas exhaustive (au para 28).
[35] En ce qui concerne les attentes légitimes, la Cour suprême a déclaré ce qui suit :
26 Quatrièmement, les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision peuvent également servir à déterminer quelles procédures l’obligation d’équité exige dans des circonstances données. Notre Cour a dit que, au Canada, l’attente légitime fait partie de la doctrine de l’équité ou de la justice naturelle, et qu’elle ne crée pas de droits matériels : Vieux St-Boniface, précité, à la p. 1204; Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C.-B.), [1991] 2 R.C.S. 525, à la p. 557. Au Canada, la reconnaissance qu’une attente légitime existe aura une incidence sur la nature de l’obligation d’équité envers les personnes visées par la décision. Si le demandeur s’attend légitimement à ce qu’une certaine procédure soit suivie, l’obligation d’équité exigera cette procédure : Qi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1995), 33 Imm. L.R. (2d) 57 (C.F. 1re inst.); Mercier-Néron c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social) (1995), 98 F.T.R. 36; Bendahmane c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 3 C.F. 16 (C.A.). De même, si un demandeur s’attend légitimement à un certain résultat, l’équité peut exiger des droits procéduraux plus étendus que ceux qui seraient autrement accordés : D. J. Mullan, Administrative Law (3e éd. 1996), aux pp. 214 et 215; D. Shapiro, « Legitimate Expectation and its Application to Canadian Immigration Law » (1992), 8 J.L. & Social Pol’y 282, à la p. 297; Canada (Procureur général) c. Comité du tribunal des droits de la personne (Canada) (1994), 76 F.T.R. 1. Néanmoins, la doctrine de l’attente légitime ne peut pas donner naissance à des droits matériels en dehors du domaine de la procédure. Cette doctrine, appliquée au Canada, est fondée sur le principe que les « circonstances » touchant l’équité procédurale comprennent les promesses ou pratiques habituelles des décideurs administratifs, et qu’il serait généralement injuste de leur part d’agir en contravention d’assurances données en matière de procédures, ou de revenir sur des promesses matérielles sans accorder de droits procéduraux importants.
[36] Dans l’arrêt JP Morgan, la Cour d’appel fédérale a déclaré que certaines questions, prises isolément et considérées en elles-mêmes, ne constituaient pas un abus de pouvoir discrétionnaire, c’est-à-dire qu’elles n’étaient pas substantiellement déraisonnables. Un exemple de ces questions visait l’attente d’un résultat quant au fond (au paragraphe 75) :
L’attente d’un résultat quant au fond. Parfois, le décideur administratif amène une personne à croire qu’il prendra une décision particulière sur le fond, puis omet de la prendre. Même si la personne a une attente légitime d’un résultat quant au fond à l’égard d’une affaire particulière, cette attente n’est pas exécutoire : Agraira c. Canada (Sécurité et protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 97; Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C.-B.), [1991] 2 R.C.S. 525; St. Ann’s Island Shooting and Fishing Club Ltd. V. The King, [1950] S.C.R. 211, motifs du juge Rand, à la page 220 ([traduction] « il ne peut y avoir préclusion face à une disposition explicite d’une loi »); The King v. Dominion of Canada Postage Stamp Vending Co., [1930] S.CR. 500; Canada c. South Yukon Forest Corporation, 2012 CAF 165, au paragraphe 79. Dans le contexte fiscal, voir l’arrêt M.R.N. c. Inland Industries Limited, [1974] R.C.S. 514; Louis Sheff (1984) Inc. C. La Reine, 2003 CCI 589, au paragraphe 45 (« une préclusion ne peut aller à l’encontre des lois d’application générale, et la Couronne n’est pas liée par les erreurs ou omission de ses préposés »); Gibbon c. La Reine, [1978] 1 C.F. 247 (1re inst.).
[Non souligné dans l’original.]
[37] De façon plus générale, dans la décision 1680169 Ontario Ltd, la Cour a conclu que la teneur de l’obligation d’équité procédurale était minime dans les demandes d’allègement pour les contribuables (au para 26). Dans la décision Costabile, la Cour a conclu que, aux termes du paragraphe 152(4.2) de la LIR, le ministre est tenu d’agir équitablement. Ses pouvoirs doivent être exercés en conformité avec les règles de l’équité procédurale, mais la LIR ne fait mention d’aucune règle précise d’équité procédurale en ce qui concerne les demandes d’allègement soumises en vertu de celle-ci (au para 37). Dans cette affaire, la Cour a conclu que le ministre n’avait pas violé les règles de l’équité procédurale, puisque le demandeur avait eu l’occasion de soumettre des renseignements et des documents lorsqu’il avait présenté sa demande d’allègement (au para 38). Et, dans la décision Sherry c Canada (Ministre du Revenu national), 2011 CF 1208, la Cour s’est appuyée sur la décision Costabile pour conclure que le ministre s’était acquitté de son obligation d’équité procédurale lorsqu’il avait offert à la demanderesse amplement la possibilité de communiquer tous les renseignements nécessaires relativement à sa demande de redressement (au para 17).
[38] Je conviens avec la demanderesse que la lettre du 14 février énonçait clairement que l’ARC accueillait sa demande de redressement. En outre, si aucun nouveau renseignement n’était reçu et si la demanderesse ne communiquait pas avec le bureau de l’ARC au plus tard le 14 mars 2022, il serait présumé que la demanderesse ne souhaitait pas présenter d’autres observations et que l’ARC [traduction] « procéderait »
aux redressements proposés et à l’établissement d’avis de nouvelle cotisation pour les années d’imposition 2011 et 2012. Il ressort également des documents contenus dans le dossier que le 15 mars 2022, Mme Valencia, n’ayant reçu aucune réponse de la part de la demanderesse, a préparé une lettre définitive, clos le dossier et l’a envoyé au chef d’équipe, le délégué du ministre, pour approbation. Le 19 mars 2022, le délégué du ministre a rejeté la décision et a demandé à Mme Valencia de rédiger une autre proposition visant à rejeter la demande fondée sur l’alinéa 8(1)b) de la LIR. Dans ses communications ultérieures avec la demanderesse, Mme Valencia a confirmé qu’elle avait commis une erreur concernant la lettre du 14 février, mais a déclaré que cela ne l’empêchait pas d’effectuer un examen plus approfondi du dossier.
[39] Je fait également observer qu’en réponse à la demande de contrôle judiciaire, le défendeur a déposé l’affidavit du chef d’équipe/délégué du ministre, souscrit le 19 juillet 2022. Dans cet affidavit, le déposant déclare que Mme Valencia n’avait pas le pouvoir délégué de prendre une décision définitive visant à accorder ou à refuser les redressements demandés au titre des dispositions d’allègement pour les contribuables. Cela pourrait bien être le cas, mais cela n’aurait certainement pas été évident pour la demanderesse, à la lecture de la lettre du 14 février.
[40] En dépit de ces observations, et en tout état de cause, dans la mesure où la demanderesse pouvait avoir une attente légitime d’un résultat particulier quant au fond, à savoir que les demandes de redressement seraient accueillies et que de nouvelles cotisations reflétant cette décision seraient établies, cette attente n’est pas exécutoire. Même si la lettre du 14 février proposait par erreur d’accueillir les demandes de redressement, le délégué du ministre n’avait pas de pouvoir discrétionnaire et était tenu d’appliquer le paragraphe 152(4.2) de la LIR, conformément aux paramètres énoncés à l’alinéa 8(1)b). Aux fins de la détermination de l’impôt à payer par un contribuable, « le ministre n’a généralement pas de pouvoir discrétionnaire à exercer et partant, aucun pouvoir discrétionnaire dont il puisse abuser. Lorsqu’il ressort des faits et de la loi qu’il doit y avoir assujettissement à l’impôt, le ministre doit établir une cotisation »
(JP Morgan, au para 77), et :
[78] À cet égard, en ce qui a trait à l’établissement des cotisations par suite de l’assujettissement du contribuable à l’impôt, « [n]i le ministre du Revenu ni ses préposés n’ont quelque discrétion que ce soit dans l’application qu’ils doivent faire de la Loi de l’impôt sur le revenu »; ils sont tenus de « la suivre de manière absolue » : Ludmer c. Canada, [1995] 2 C.F. 3 (C.A.), à la page 17; Harris c. Canada, [2000] 4 C.F. 37 (C.A.), au paragraphe 36. Notre Cour ne peut empêcher le ministre de remplir ses fonctions : Société Télé‑Mobile Co. C. Canada (Agence du revenu), 2011 CAF 89, au paragraphe 5 (dans le contexte de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, ch. E-15); Ludmer, précité, à la page 9.
(Voir également Newave, au para 115.)
[41] En outre, et de manière importante, une fois qu’il a été établi que la demanderesse ne remplissait pas les exigences prévues à l’alinéa 8(1)b) de la LIR, puisque les frais judiciaires ou extrajudiciaires qu’elle avait payés n’étaient pas destinés à recouvrer un salaire ou un traitement qui lui était dû, ou à établir un droit à un tel montant, Mme Valencia a informé la demanderesse de la nouvelle proposition selon laquelle les demandes de redressement étaient rejetées, sur cette base, par l’entremise de la lettre du 1er avril. Dans cette lettre, la demanderesse s’est fait offrir la possibilité de présenter des observations sur la question jusqu’au 15 avril 2022. La demanderesse a répondu au moyen d’une lettre datée du 14 avril 2022 pour exprimer son opinion selon laquelle la lettre du 14 février constituait une entente obligatoire, mais elle n’a présenté aucune observation sur la manière dont les frais judiciaires ou extrajudiciaires qu’elle avait payés en 2011 et en 2012 visaient à recouvrer un salaire ou un traitement qui lui était dû, ou à établir un droit à ce montant. La demanderesse a plutôt demandé au ministre d’honorer [traduction] « [l’]entente »
énoncée dans la lettre du 14 février. Le dossier démontre également que Mme Valencia s’est également entretenue avec la demanderesse les 12, 21 et 28 avril 2022 au sujet de la proposition visant à rejeter les demandes de redressement et a expliqué à la demanderesse qu’elle devait présenter d’autres documents justificatifs, afin de fournir la preuve que la déduction demandée au titre des frais judiciaires était liée à un salaire ou à un traitement. Toutefois, la demanderesse n’a rien présenté d’autre.
[42] Lors de sa comparution devant moi, l’avocat de la demanderesse a soutenu que celle‑ci n’avait pas fourni de réponse étoffée à la lettre du 1er avril, parce qu’elle ne voulait pas que sa réponse soit interprétée comme signifiant que la demanderesse convenait que la lettre du 14 février n’était pas une décision définitive et exécutoire. Je souligne que cette explication ne figure pas dans l’affidavit souscrit le 4 juillet 2022 et déposé par la demanderesse à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire. La demanderesse ne fait pas non plus état d’éléments de preuve documentaire qu’elle aurait autrement pu déposer pour étayer sa prétention selon laquelle les circonstances entourant le paiement de ses frais judiciaires ou extrajudiciaires relevaient des exigences de l’alinéa 8(1)b) de la LIR.
[43] Dans ces circonstances, j’en conclus que, bien que la demanderesse ait pu avoir une attente légitime d’un résultat spécifique du fait de la proposition énoncée dans la lettre du 14 février, cette lettre ne constituait pas une décision définitive. Et, en tout état de cause, cette attente n’est pas exécutoire. En outre, l’obligation d’équité procédurale à l’égard de la demanderesse a été satisfaite par la lettre du 1er avril et les communications ultérieures avec celle‑ci, du fait qu’il lui a été expliqué que les demandes de redressement étaient rejetées, au titre de l’alinéa 8(1)b) de la LIR, et qu’il lui a été donné la possibilité de fournir des documents pour démontrer que les déductions demandées relativement aux frais judiciaires étaient visées par les paramètres prévus à l’alinéa 8(1)b). Autrement dit, les frais judiciaires ou extrajudiciaires constituaient des sommes qu’elle avait versées pour recouvrer un montant qui lui était dû et qui, si elle l’avait reçu, devrait être inclus dans le calcul de son revenu, ou pour établir un droit à un tel montant. En bref, la demanderesse s’est vue accorder l’équité procédurale, car elle a été informée de la preuve qui devait être réfutée, et qu’elle a eu l’occasion de la contester.
[44] Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.
Les dépens
[45] Les parties ont informé la Cour qu’elles avaient convenu du montant des dépens devant être versés à la partie qui aurait gain de cause, soit 1 920 $. Par conséquent, le défendeur se verra adjuger ce montant au titre des dépens.
JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-1174-22
LA COUR STATUE :
L’intitulé de la cause est par les présentes modifié, et le procureur général du Canada est désigné comme défendeur au lieu de l’Agence du revenu du Canada.
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Les dépens sont adjugés au défendeur, pour une somme forfaitaire de 1 920 $, tout compris.
« Cecily Y. Strickland »
Juge
Traduction certifiée conforme
C. Laroche
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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T-1174-22
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INTITULÉ :
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EMILY CARASCO c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Par vidéoconférence sur la plateforme Zoom
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 24 novembre 2022
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LA JUGE STRICKLAND
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DATE DU JUGEMENT
ET DES MOTIFS :
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Le 2 décembre 2022
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COMPARUTION :
Emir Crowne
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POUR LES DEMANDEURS
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Jason Stober
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Law Offices of Dr. Emir Crowne
Cambridge (Ontario)
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POUR LES DEMANDEURS
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Procureur général du Canada
Ottawa (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR
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