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Date : 20221128


Dossier : IMM-4411-21

Référence : 2022 CF 1636

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 28 novembre 2022

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

DICKENS OCHIENG OPEE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Nature de l’affaire

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision du 12 novembre 2020 par laquelle la Section de la protection des réfugiés [la SPR] a rejeté la demande d’asile du demandeur au motif qu’elle était dépourvue d’un minimum de fondement.

II. Faits et contexte

[2] Le demandeur est un Kényan de 47 ans qui est arrivé au Canada muni d’un visa de voyage en octobre 2019. Il a présenté une demande d’asile. Le demandeur a affirmé avoir travaillé au Kenya pour le service des finances du comté de Kajiado, où il aurait été un lanceur d’alerte dans le but de dénoncer la corruption. Par conséquent, le demandeur allègue qu’il est en danger à cause des administrateurs de Tata Chemicals Magadi Ltd., des autorités du comté de Kajiado et de la police kényane.

[3] Le 12 novembre 2020, la SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur, ayant conclu que ce dernier n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger et que sa demande d’asile était dépourvue d’un minimum de fondement au sens du paragraphe 107(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[4] La SPR n’a pas cru l’allégation du demandeur selon laquelle il était un lanceur d’alerte qui avait tenté de dénoncer la corruption au Kenya. Plus précisément, la SPR a soupesé et apprécié les éléments de preuve et a conclu ce qui suit :

a. Le demandeur a affirmé qu’il travaillait au service des finances du bureau du comté de Kajiado, au Kenya. Il a confirmé à maintes reprises que son bureau n’avait jamais intenté d’action en justice contre l’entreprise Tata Chemicals au motif que les administrateurs de celle-ci avaient soudoyé des représentants du comté de Kajiado. Il a également confirmé qu’il aurait été au fait d’une telle action en justice, étant donné son rôle au sein du comté. En effet, il a dit à la SPR au cours de l’audience qu’il était [traduction] « [...] certain qu’il n’y avait pas eu d’affaire devant les tribunaux ».

b. La SPR a présenté au demandeur un article de journal, qu’elle avait obtenu sur Internet, indiquant qu’un tribunal de Kajiado avait annulé une facture d’impôt et ordonné la tenue de négociations entre Tata Chemicals et le comté de Kajiado. Le demandeur a répondu que l’article de journal n’était probablement pas authentique. Quand la SPR a souligné que l’article provenait du même journal qu’un autre article que le demandeur avait lui-même présenté, le demandeur « [...] n’a rien dit à propos de cette observation faite par le tribunal et a gardé le silence ».

c. La SPR a ensuite de nouveau demandé au demandeur s’il y avait une affaire opposant Tata Chemicals et le comté de Kajiado. Le demandeur a répété qu’il n’y en avait pas.

d. La SPR a ensuite présenté au demandeur un jugement, accessible sur Internet, tiré d’une affaire judiciaire opposant Tata Chemicals et le comté de Kajiado et lui a précisé la citation de la jurisprudence. Par la suite, le demandeur « [...] a admis qu’il y avait une affaire judiciaire entre les parties concernées ». Lorsque la SPR a demandé au demandeur pourquoi il avait caché ce fait, celui-ci « n’a pas répondu à la question et est resté silencieux ».

e. Lorsque la SPR lui a demandé s’il contestait les renseignements contenus dans la transcription de l’audience, le demandeur a répondu qu’il reconnaissait l’authenticité de la transcription de l’audience, et il a « [...] confirmé qu’il y avait une affaire judiciaire opposant Tata Chemicals et le comté de Kajiado et qu’il le savait ».

f. La SPR a conclu que la photocopie, produite par le demandeur à l’appui de ses allégations, d’un prétendu article de journal tiré du County Press, daté d’octobre 2019, qui décrivait les efforts déployés par le demandeur en tant que lanceur d’alerte, n’était pas authentique et qu’aucun poids ne devait lui être accordé. En particulier, la SPR a relevé les éléments suivants à propos de la photocopie de l’article de journal :

a. Il manquait des numéros de page;

b. Le prétendu article contenant son nom et son récit était rédigé à l’aide d’une police de caractère différente de celle des autres articles du journal;

c. Il n’y avait pas d’espacement uniforme entre la fin des paragraphes de son article et l’en-tête en gras de la section suivante;

d. Le nom de l’entreprise était incorrect dans l’article;

e. Le demandeur n’a abordé aucune de ces divergences et n’a fourni aucune explication à leur égard;

f. Le demandeur a affirmé dans son formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA) que d’autres journaux grand public avaient publié l’article concernant son récit, quoique de manière anonyme. Quand la SPR lui a demandé pourquoi il n’avait pas produit de copies de ces articles, il a répondu qu’il ne pouvait pas les obtenir auprès des éditeurs; or, il n’a pas fourni d’autres détails quant au moment où il avait communiqué avec les éditeurs, s’il avait été en mesure de communiquer avec quelqu’un d’autre pour obtenir ces articles, ou s’il s’exposait à un risque quelconque en tentant d’obtenir ces éléments de preuve. La SPR a jugé déraisonnable que le demandeur n’ait pas été en mesure d’obtenir des copies de ces articles d’autres journaux, qui sont plus connus au Kenya;

g. N’ayant pas cru que le demandeur avait déjà été lanceur d’alerte, la SPR a rejeté toutes les allégations selon lesquelles Tata Chemicals, les autorités du comté ou la police le poursuivraient au Kenya;

h. Quoi qu’il en soit, rien n’indique que la police poursuit le demandeur au Kenya;

i. Bien que le demandeur ait affirmé avoir été attaqué à plusieurs reprises en raison de ses activités de lanceur d’alerte, la SPR a conclu qu’aucun de ces événements ne s’était produit, car le demandeur n’avait jamais été lanceur d’alerte;

j. Bien que le demandeur affirme que quelqu’un a tenté de s’introduire par effraction chez lui une fois et qu’il s’est fait voler à une gare d’autobus à une autre occasion, il ne prétend pas savoir qui a commis ces crimes, et rien n’indique que ceux-ci soient liés de quelque façon que ce soit à ses activités de dénonciation alléguées.

A. Question de procédure : erreur d’écriture dans l’avis de décision

[5] L’avis de décision de la SPR indiquait à tort que le demandeur pouvait interjeter appel de sa décision devant la Section d’appel des réfugiés [la SAR]. Toutefois, selon le paragraphe 110(2) de la LIPR, la décision ne peut être portée en appel lorsque la SPR a conclu à l’absence de minimum de fondement.

[6] Le 4 décembre 2020, le conseil du demandeur, parfaitement au fait de la décision de la SPR, a déposé auprès de la Cour une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire contestant la décision de la SPR. Cette demande de contrôle judiciaire désignait à tort le tribunal saisi de l’affaire comme étant la SAR, mais portait le bon numéro de dossier de la SPR et la bonne date, et se rapportait à la même décision.

[7] Le demandeur a déclaré que, le 20 janvier 2021, son conseil avait recommandé le désistement du contrôle judiciaire parce qu’il y avait [traduction] « incompatibilité » entre l’avis de décision de la SPR et les motifs de la décision à l’égard de laquelle le conseil avait déjà fait une demande d’autorisation à la Cour. Le demandeur a cherché à obtenir un avis de décision qui [traduction] « concordait » avec les motifs de la SPR.

[8] Le 20 janvier 2021, le conseil du demandeur a envoyé à la SPR une lettre indiquant ce qui suit :

[traduction]
a. La SPR a conclu que la demande d’asile était manifestement infondée et que, par conséquent, le demandeur n’a pas le droit d’interjeter appel devant la SAR;

b. L’avis de décision de la SPR était donc erroné;

c. Un avis de décision corrigé est demandé.

[9] Comme il a été mentionné, pendant toute la période pertinente, le demandeur avait à sa disposition les motifs de la SPR datés du 12 novembre 2020, le bon numéro de dossier de la SPR et la bonne date, et il a seulement demandé un avis de décision révisé.

[10] Le 21 janvier 2021, le conseil du demandeur a déposé un avis de désistement à l’égard de la demande de contrôle judiciaire déposée antérieurement. Il semble avoir agi ainsi parce que, selon lui, l’avis de décision modifié et corrigé en raison d’une erreur d’écriture constituait une décision distincte donnant lieu à un nouveau délai de dépôt et au droit de présenter une nouvelle demande d’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire.

[11] Le 2 février 2021, un avis de décision modifié a été publié. Dans l’avis modifié, le droit du demandeur d’interjeter appel devant la SAR n’était plus mentionné, et il était expressément indiqué que la SPR avait conclu que la demande d’asile du demandeur était dépourvue d’un minimum de fondement. La décision dans l’avis de décision modifié est demeurée la même que dans l’avis de décision initial. Il s’agissait de la même décision de la SPR datée du 12 novembre 2020 à l’égard de laquelle le demandeur avait présenté une demande d’autorisation, dont il s’est par la suite désisté.

[12] La SPR a envoyé l’avis de décision modifié par la poste au demandeur et par télécopieur à l’ancien conseil du demandeur, qui avait agi en son nom devant la SPR. Cela dit, le demandeur et son ancien conseil soutiennent qu’ils n’ont jamais reçu le document, même si nul ne conteste qu’ils disposaient de la décision sous-jacente de la SPR datée du 12 novembre 2020. Le demandeur affirme n’avoir reçu l’avis de décision modifié que le 29 juin 2021, date à laquelle un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada le lui a remis.

[13] Ce n’est que le 30 juin 2021 que le demandeur a déposé la présente demande, qui conteste la décision du 12 novembre 2020. Le demandeur a également déposé une requête en sursis à l’exécution de la mesure de renvoi du Canada prise contre lui, laquelle était prévue pour le 21 juillet 2021. Le 20 juillet 2021, le juge Southcott a rejeté la requête du demandeur visant à surseoir à l’exécution de la mesure de renvoi. Le demandeur a été renvoyé du Canada vers le Kenya ce même jour.

[14] En juillet 2021, avant que l’autorisation ne soit accordée dans le cadre de la présente demande, le demandeur a déposé un affidavit indiquant qu’il [traduction] « se cache actuellement à Nairobi, au Kenya ». Le défendeur a fait valoir que la présente demande était théorique parce que le demandeur ne se trouvait pas à l’extérieur de son pays de nationalité et n’était donc pas visé par les paramètres énoncés aux articles 96 et 97 de la LIPR. À l’époque, cette position était défendable. Cependant, après la clôture des actes de procédure, en août 2022, la Cour a autorisé le demandeur à déposer des éléments de preuve tardifs. Le demandeur affirme maintenant qu’il vit à Dubaï, aux Émirats arabes unis, à l’extérieur de son pays de nationalité. L’argument du défendeur concernant le caractère théorique a été abandonné.

III. Décision faisant l’objet du présent contrôle

[15] La présente demande vise à contester l’avis de décision modifié et ses motifs sous-jacents publiés par la SPR le 12 novembre 2020. Comme j’ai reproduit en grande partie la plupart des motifs de la SPR ci-dessus, je ne le ferai pas de nouveau, sauf pour dire que la décision de la SPR était fondée sur un grand nombre de conclusions défavorables en matière de crédibilité, l’insuffisance des éléments de preuve et des incohérences dans le témoignage du demandeur, ce qui a amené la SPR à conclure que la demande d’asile du demandeur était dépourvue d’un minimum de fondement.

IV. Questions en litige

[16] La principale question en litige dans la présente demande est celle du caractère raisonnable de la décision. Les éléments procéduraux seront évalués selon la norme de la décision correcte.

V. Normes de contrôle

[17] Aucune des parties n’a formulé d’observations explicites quant à la norme de contrôle applicable. J’aborderai successivement la norme de la décision raisonnable et celle de la décision correcte.

A. Décision raisonnable

[18] Dans l’arrêt Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, que la Cour suprême du Canada a rendu en même temps que l’arrêt Vavilov, le juge Rowe, s’exprimant au nom de la majorité, a exposé les critères d’une décision raisonnable et les exigences que doit respecter la cour de révision qui procède au contrôle d’une décision selon cette norme :

[31] La décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, par. 85). Par conséquent, lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, « une cour de révision doit d’abord examiner les motifs donnés avec “une attention respectueuse”, et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à [l]a conclusion » (Vavilov, par. 84, citant Dunsmuir, par. 48). Les motifs devraient être interprétés de façon globale et contextuelle afin de comprendre « le fondement sur lequel repose la décision » (Vavilov, par 97, citant Newfoundland Nurses).

[32] La cour de révision devrait se demander si la décision dans son ensemble est raisonnable : « ce qui est raisonnable dans un cas donné dépend toujours des contraintes juridiques et factuelles propres au contexte de la décision particulière sous examen » (Vavilov, par. 90). Elle doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci » (Vavilov, par. 99, citant Dunsmuir, par. 47 et 74, et Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5, par. 13).

[33] Lors d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, « [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov, par. 100). La partie qui conteste la décision doit convaincre la cour de justice que « la lacune ou la déficience [invoquée] [. . .] est suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] déraisonnable » (Vavilov, par. 100).

[Non souligné dans l’original.]

[19] Cela dit, l’arrêt Vavilov indique très clairement que le rôle de la Cour n’est pas d’apprécier à nouveau la preuve, à moins de « circonstances exceptionnelles ». Selon la Cour suprême du Canada, notre Cour « doit » s’abstenir d’effectuer un tel examen :

[125] Il est acquis que le décideur administratif peut apprécier et évaluer la preuve qui lui est soumise et qu’à moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne modifient pas ses conclusions de fait. Les cours de révision doivent également s’abstenir « d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur » : CCDP, par. 55; voir également Khosa, par. 64; Dr Q, par. 41-42. D’ailleurs, bon nombre des mêmes raisons qui justifient la déférence d’une cour d’appel à l’égard des conclusions de fait tirées par une juridiction inférieure, dont la nécessité d’assurer l’efficacité judiciaire, l’importance de préserver la certitude et la confiance du public et la position avantageuse qu’occupe le décideur de première instance, s’appliquent également dans le contexte du contrôle judiciaire : voir Housen, par. 15-18; Dr Q, par. 38; Dunsmuir, par. 53.

[Non souligné dans l’original.]

[20] La Cour d’appel fédérale a récemment réitéré dans l’arrêt Doyle c Canada (Procureur général), 2021 CAF 237 [Doyle] que le rôle de la Cour n’est pas d’apprécier à nouveau la preuve, sous réserve de certaines exceptions :

[3] La Cour fédérale avait tout à fait raison d’agir ainsi. Selon ce régime législatif, le décideur administratif, en l’espèce le directeur, examine seul les éléments de preuve, tranche les questions d’admissibilité et d’importance à accorder à la preuve, détermine si des inférences doivent en être tirées, et rend une décision. Lorsqu’elle effectue le contrôle judiciaire de la décision du directeur en appliquant la norme de la décision raisonnable, la cour de révision, en l’espèce la Cour fédérale, peut intervenir uniquement si le directeur a commis des erreurs fondamentales dans son examen des faits, qui minent l’acceptabilité de la décision. Soupeser à nouveau les éléments de preuve ou les remettre en question ne fait pas partie de son rôle. S’en tenant à son rôle, la Cour fédérale n’a relevé aucune erreur fondamentale.

[4] En appel, l’appelant nous invite essentiellement dans ses observations écrites et faites de vive voix à soupeser à nouveau les éléments de preuve et à les remettre en question. Nous déclinons cette invitation.

[21] De plus, dans la décision Martinez Giron c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 7, la juge Kane de la Cour a décrit l’importante déférence dont il faut faire preuve à l’égard des décideurs des tribunaux :

[14] En ce qui a trait à l’analyse de la Commission portant sur la crédibilité et le caractère vraisemblable, vu son rôle en tant que juge des faits, les conclusions de la Commission justifient une importante déférence : Lin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1052, [2008] ACF no 1329 au paragraphe 13; Faith c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 857 [2012] ACF no 924 au paragraphe 65.

[15] Toutefois, cela ne signifie pas que les décisions de la Commission jouissent d’une immunité eu égard au contrôle judiciaire lorsqu’une intervention est justifiée. Dans Njeri c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) [2009] 2 CF 291, [2009] ACF no 350, le juge Phelan a déclaré ce qui suit :

[11] En ce qui concerne les conclusions sur la crédibilité, j’ai remarqué que la Cour a, et devrait avoir, des réticences à annuler de telles conclusions, à moins qu’il y ait eu une erreur des plus manifestes (Revolorio c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1404). La retenue due tient compte tant du contexte de l’affaire et de l’intention du législateur que de la situation particulière dans laquelle se trouve le juge des faits qui évalue la preuve apportée par des témoignages. Le degré de retenue varie selon le fondement de la conclusion de crédibilité. La raisonnabilité est la norme applicable et la Cour doit faire preuve d’une retenue non négligeable à l’égard de la décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.

[12] Toutefois, la retenue n’est pas un chèque en blanc. Le décideur doit donner les motifs qui l’ont amené à tirer une conclusion justifiable. C’est avec beaucoup de réticence que j’ai conclu que la décision de la Commission ne satisfaisait pas à la norme de contrôle.

B. Décision correcte

[22] Les questions d’équité procédurale sont examinées selon la norme de la décision correcte : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, le juge Binnie, au para 43. Cela dit, je souligne qu’au paragraphe 69 de l’arrêt Bergeron c Canada (Procureur général), 2015 CAF 160, le juge Stratas, au nom de la Cour d’appel fédérale, affirme qu’il peut être de mise d’appliquer la norme de la décision correcte « en se montrant respectueux [des] choix [du décideur] » et en faisant preuve d’un « degré de retenue » : Ré: Sonne c. Conseil du secteur du conditionnement physique du Canada, 2014 CAF 48, 455 NR 87, au paragraphe 42 ». Voir cependant l’arrêt Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 [le juge Rennie]. À cet égard, je souligne aussi un arrêt récent, dans lequel la Cour d’appel fédérale conclut que le contrôle judiciaire d’une question d’équité procédurale s’effectue selon la norme de la décision correcte : voir Association canadienne des avocats en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196, le juge de Montigny [les juges Near et LeBlanc ayant souscrit aux motifs] :

[35] Ni l’arrêt Vavilov ni, à ce sujet, l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, n’ont abordé la question de la norme applicable pour déterminer si le décideur a respecté l’obligation d’équité procédurale. Dans ces circonstances, je préfère m’en remettre à l’abondante jurisprudence, de la Cour suprême et de notre Cour, selon laquelle la norme de contrôle concernant l’équité procédurale demeure celle de la décision correcte.

[23] En outre, à la lecture des principes que la Cour suprême du Canada a énoncés au paragraphe 23 de l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], je comprends que la norme de contrôle qui s’applique aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte :

[23] Lorsqu’une cour examine une décision administrative sur le fond (c.-à-d. le contrôle judiciaire d’une mesure administrative qui ne comporte pas d’examen d’un manquement à la justice naturelle ou à l’obligation d’équité procédurale), la norme de contrôle qu’elle applique doit refléter l’intention du législateur sur le rôle de la cour de révision, sauf dans les cas où la primauté du droit empêche de donner effet à cette intention. L’analyse a donc comme point de départ une présomption selon laquelle le législateur a voulu que la norme de contrôle applicable soit celle de la décision raisonnable.

[Non souligné dans l’original.]

[24] Au paragraphe 50 de l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada explique ce qui est exigé d’un tribunal qui procède à un examen selon la norme de la décision correcte :

[50] La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur. En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose. La cour de révision doit se demander dès le départ si la décision du tribunal administratif était la bonne.

VI. Analyse

A. Évaluation de la preuve

(1) Absence de minimum de fondement

[25] Le demandeur fait remarquer que, selon la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Rahaman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 89, au paragraphe 51 [Rahaman], le critère de l’absence de minimum de fondement exige que la Commission « examin[e] tous les éléments de preuve qui lui sont présentés et conclu[e] à l’absence de minimum de fondement seulement s’il n’y a aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel elle aurait pu se fonder pour reconnaître le statut de réfugié au revendicateur ».

[26] Le demandeur soutient que la SPR n’a pas examiné tous les éléments de preuve présentés. Plus précisément, il renvoie à un affidavit daté du 22 août 2019 souscrit par un certain George Owino Oguma, qui a fourni des renseignements très sommaires – lesquels pourraient provenir du demandeur, mais cela n’est pas confirmé – reprenant essentiellement les allégations de base du demandeur selon lesquelles il est un lanceur d’alerte.

[27] Le demandeur explique que, parce qu’aucune référence n’est faite à cet affidavit dans les motifs de la SPR, le critère de l’absence de minimum de fondement n’a pas été satisfait.

[28] En toute déférence, je ne suis pas d’accord. Je comprends que le demandeur s’appuie sur l’arrêt Rahaman de la Cour d’appel fédérale; cependant, et en toute déférence, j’estime que cet arrêt ne s’applique pas aux faits de l’espèce. Selon cet arrêt, « [l]a Commission doit [...] examiner tous les éléments de preuve qui lui sont présentés et conclure à l’absence de minimum de fondement seulement s’il n’y a aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel elle aurait pu se fonder pour reconnaître le statut de réfugié au revendicateur ».

[29] À mon avis, l’arrêt Rahaman n’exige pas que la SPR fasse expressément et distinctement référence à chaque document qu’elle a examiné, pas plus qu’elle n’exige de la SPR qu’elle mentionne et examine séparément chaque partie de la preuve testimoniale.

[30] Je ne suis pas non plus d’avis que, comme le prétend le demandeur, l’arrêt Rahaman apporte des nuances à la doctrine bien connue et fréquemment appliquée selon laquelle les juges des faits ne sont pas tenus de relever et d’apprécier chaque élément de preuve, ni de tirer une conclusion explicite sur chacun des éléments constitutifs du raisonnement. C’est d’ailleurs la règle établie succinctement dans l’arrêt Vavilov au paragraphe 128 :

[128] Les cours de révision ne peuvent s’attendre à ce que les décideurs administratifs « répondent à tous les arguments ou modes possibles d’analyse » (Newfoundland Nurses, par. 25) ou « tire[nt] une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit‐il, qui a mené à [leur] conclusion finale » (par. 16). Une telle exigence aurait un effet paralysant sur le bon fonctionnement des organismes administratifs et compromettrait inutilement des valeurs importantes telles que l’efficacité et l’accès à la justice.

[Non souligné dans l’original.]

[31] Il est également bien établi en droit que la SPR est présumée avoir pris en considération tous les éléments de preuve, qu’elle indique expressément ou non l’avoir fait dans les motifs, à moins que le contraire ne soit démontré.

[32] Quoi qu’il en soit, je suis loin d’être convaincu que la SPR a manqué à son obligation d’examiner l’affidavit en question. Je souscris à la position du défendeur, qui a avancé ce qui suit :

[traduction]
32. Bien que l’affidavit de M. Oguma ne soit pas mentionné dans les motifs, il n’y a aucune raison de croire que la SPR a omis d’en tenir compte et de l’examiner avant de rendre sa décision. Au cours de l’audience de la SPR, le demandeur a répondu à des questions sur George Oguma et sur les éléments que l’affidavit de ce dernier était censé confirmer. En particulier, le demandeur a témoigné que M. Oguma le connaît depuis 2008 et sait qu’il est lanceur d’alerte depuis 2008. La SPR n’est pas tenue de mentionner le témoignage vague du demandeur au sujet d’une personne dont le titre ainsi que la relation avec le demandeur ne sont pas précisés, et dont la connaissance des faits en cause n’est pas confirmée, ni d’y accorder du poids. L’affidavit de M. Oguma n’apporte aucun autre éclaircissement sur ces détails, et il incombe au demandeur de présenter les meilleurs éléments de preuve possible.

[Notes de bas de page omises.]

[33] En tout respect, je conclus que le demandeur n’a pas étayé adéquatement ses observations à cet égard.

(2) Évaluation de la crédibilité de l’article de journal présenté par le demandeur et de son témoignage, oral et autre

[34] Le demandeur soutient également que la SPR a commis une erreur dans son appréciation de certains éléments de preuve concernant son allégation principale selon laquelle il était un lanceur d’alerte qui a divulgué des renseignements privilégiés sur de la corruption. À l’appui de ses allégations à cet égard, le demandeur a présenté un article de journal faisant prétendument état de sa découverte et de sa divulgation des renseignements en question.

[35] La SPR a examiné ce document et a jugé que son contenu n’était pas véridique :

a. Le demandeur a affirmé qu’il travaillait au service des finances du bureau du comté de Kajiado, au Kenya. Il a confirmé à maintes reprises que son bureau n’avait jamais intenté d’action en justice contre l’entreprise Tata Chemicals au motif que les administrateurs de celle-ci avaient soudoyé des représentants du comté de Kajiado. Il a également confirmé qu’il aurait été au fait d’une telle action en justice, étant donné son rôle au sein du comté. En effet, il a affirmé à la SPR au cours de l’audience qu’il était [traduction] « certain qu’il n’y avait pas eu de poursuite devant le tribunal ».

b. La SPR a présenté au demandeur un article de journal, qu’elle avait obtenu sur Internet, indiquant qu’un tribunal de Kajiado avait annulé une facture d’impôt et ordonné la tenue de négociations entre Tata Chemicals et le comté de Kajiado. Le demandeur a répondu que l’article de journal n’était probablement pas authentique. Quand la SPR a souligné que l’article provenait du même journal qu’un autre article que le demandeur avait lui-même présenté, le demandeur « [...] n’a rien dit à propos de cette observation faite par le tribunal et a gardé le silence ».

c. La SPR a ensuite de nouveau demandé au demandeur s’il y avait une affaire judiciaire opposant Tata Chemicals et le comté de Kajiado. Le demandeur a répété qu’il n’y en avait pas.

d. La SPR a ensuite présenté au demandeur un jugement, accessible sur Internet, tiré d’une affaire judiciaire opposant Tata Chemicals et le comté de Kajiado et lui a précisé la citation de la jurisprudence. Par la suite, le demandeur « [...] a admis qu’il y avait une affaire judiciaire opposant les parties concernées ». Lorsque la SPR a demandé au demandeur pourquoi il avait caché ce fait, celui-ci « n’a pas répondu à la question et est resté silencieux ».

e. Lorsque la SPR lui a demandé s’il contestait les renseignements contenus dans la transcription de l’audience, le demandeur a répondu qu’il reconnaissait l’authenticité de la transcription de l’audience, et il a « [...] confirmé qu’il y avait une affaire judiciaire opposant Tata Chemicals et le comté de Kajiado et qu’il le savait ».

f. La SPR a conclu que la photocopie d’un prétendu article de journal tiré du County Press, daté d’octobre 2019, qui décrivait les efforts déployés par le demandeur en tant que lanceur d’alerte n’était pas authentique et qu’aucun poids ne devait lui être accordé. En particulier, la SPR a relevé les éléments suivants à propos de la photocopie de l’article de journal :

a. Il manquait des numéros de page;

b. Le prétendu article contenant son nom et son récit était rédigé à l’aide d’une police de caractère différente de celle des autres articles du journal;

c. Il n’y avait pas d’espacement uniforme entre la fin des paragraphes de son article et l’en-tête en gras de la section suivante;

d. Le nom de l’entreprise était incorrect dans l’article;

e. Le demandeur n’a abordé aucune de ces divergences et n’a fourni aucune explication à leur égard;

f. Le demandeur a affirmé dans son formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA) que d’autres journaux grand public avaient publié l’article concernant son récit, quoique de manière anonyme. Quand la SPR lui a demandé pourquoi il n’avait pas produit de copies de ces articles, il a répondu qu’il ne pouvait pas les obtenir auprès des éditeurs; or, il n’a pas fourni d’autres détails quant au moment où il avait communiqué avec les éditeurs, s’il avait été en mesure de communiquer avec quelqu’un d’autre pour obtenir ces articles, ou s’il s’exposait à un risque quelconque en tentant d’obtenir ces éléments de preuve. La SPR a jugé déraisonnable que le demandeur n’ait pas été en mesure d’obtenir des copies de ces articles d’autres journaux, qui sont plus connus au Kenya;

g. N’ayant pas cru que le demandeur avait déjà été lanceur d’alerte, la SPR a rejeté toutes les allégations selon lesquelles Tata Chemicals, les autorités du comté ou la police le poursuivraient au Kenya.

[...]

[36] Le demandeur ne m’a pas convaincu que ces conclusions étaient déraisonnables. La règle à cet égard est que, à moins de circonstances exceptionnelles qui, à mon avis, ne sont pas réunies, la Cour doit s’abstenir d’apprécier de nouveau les éléments de preuve examinés par la SPR. Cela ne fait pas partie du contrôle judiciaire, comme la Cour d’appel fédérale l’a indiqué dans l’arrêt Doyle. Et comme l’affirme notre plus haut tribunal dans l’arrêt Vavilov au paragraphe 125 :

[125] Il est acquis que le décideur administratif peut apprécier et évaluer la preuve qui lui est soumise et qu’à moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne modifient pas ses conclusions de fait. Les cours de révision doivent également s’abstenir « d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur » : CCDP, par. 55; voir également Khosa, par. 64; Dr Q, par. 41-42.

[Non souligné dans l’original.]

[37] En l’espèce, la SPR a procédé à un examen détaillé et raisonnable des allégations contradictoires tout en soupesant et en appréciant la preuve. Elle a eu l’avantage de voir et d’entendre le demandeur et d’examiner les documents originaux, ce que je n’ai pas la possibilité de faire. Comme je l’ai déjà mentionné, l’appréciation du témoignage et de la preuve documentaire par la SPR doit faire l’objet d’une grande déférence et, en tout respect, je m’en remets à la SPR à cet égard. Je n’y vois rien de déraisonnable.

[38] Je tire les mêmes conclusions en ce qui concerne le reste des principales constatations de la SPR, et je n’apprécierai pas de nouveau les éléments de preuve relatifs aux constatations suivantes :


[...]

h. Quoi qu’il en soit, rien n’indique que la police poursuit le demandeur au Kenya;

i. Bien que le demandeur ait affirmé avoir été attaqué à plusieurs reprises en raison de ses activités de lanceur d’alerte, aucun de ces événements ne s’est produit, car le demandeur n’a jamais été lanceur d’alerte;

j. Bien que le demandeur affirme que quelqu’un a tenté de s’introduire par effraction chez lui une fois et qu’il s’est fait voler à une gare d’autobus à une autre occasion, il ne prétend pas savoir qui a commis ces crimes, et rien n’indique que ceux-ci soient liés de quelque façon que ce soit à ses activités de dénonciation alléguées.

[Notes de bas de page supprimées.]

B. Recherche externe et malentendu : manquement à l’équité procédurale

[39] Le demandeur conteste le recours à la recherche externe par la SPR. Le commissaire de la SPR a ajourné l’audience afin d’effectuer des recherches et est revenu avec un article de journal concernant les litiges entre la Magadi Soda Company et le gouvernement du comté, où le demandeur travaillait. Le demandeur affirme que, à la reprise de l’audience, le commissaire a posé une série de questions problématiques, c’est-à-dire sur le litige fiscal tandis que le demandeur a répondu en faisant référence à des pratiques de corruption au sujet des reconductions de bail. L’objectif du commissaire était apparemment de déterminer si le demandeur avait connaissance d’un différend juridique entre la société et le gouvernement du comté. De l’avis du demandeur, étant donné qu’il avait mal compris l’objet de la question, il lui aurait été [traduction] « difficile, voire impossible » de dissiper cette confusion.

[40] Le demandeur soutient en outre que cette confusion alléguée aurait pu être évitée si la SPR avait communiqué au préalable l’article de journal auquel le commissaire a fait référence, conformément au paragraphe 33(1) des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256 [les Règles de la SPR]. Comme le souligne le demandeur, aucune copie du document n’a été fournie 10 jours avant l’audience, contrairement à ce qu’exige le paragraphe 34(3) des Règles. Le demandeur affirme que la SPR doit expliquer pourquoi elle n’a pas à se conformer à cette exigence de communication.

[41] Le demandeur soutient que la communication de ces renseignements et documents au milieu d’une audience constituait un manquement à l’obligation d’équité.

[42] En toute déférence, je ne suis pas d’accord. Je ne suis pas convaincu que la SPR a commis une erreur en trouvant deux documents accessibles au public sur Internet pendant une pause, en questionnant le demandeur au sujet de ces documents et en s’appuyant sur ces documents pour rendre sa décision. En tout respect, la SPR a procédé ainsi avec l’approbation expresse du conseil du demandeur lors de l’audience en présence du demandeur.

[43] En toute déférence, il me semble également que la distinction que le demandeur souhaite que la Cour établisse entre les litiges concernant les baux et les litiges concernant les impôts est une invention récente. Je dis cela parce que cette question n’a pas été soulevée à l’audience, mais plutôt devant la Cour pour la première fois. En toute déférence, et nonobstant les observations contraires du demandeur, je conclus qu’à aucun moment le demandeur n’a fait cette distinction devant la SPR, pendant ou après l’audience, même s’il était représenté par un conseil et qu’il aurait pu le faire à l’un ou l’autre de ces moments. Je suis certain que cette distinction alléguée aurait pu et aurait dû être soulevée à l’audience.

[44] Je souligne également que, quoi qu’il en soit, le défaut d’une partie de s’opposer en temps opportun à une procédure – même si elle est inéquitable, ce qui n’était pas le cas – constitue une renonciation implicite : Somani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 734 au para 7 :

[7] Enfin, je suis d’accord avec le juge Mosley pour dire que le défaut d’une partie de s’opposer en temps utile à une procédure inéquitable et notamment à une entrave à l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire, constitue une renonciation implicite. Comme il ne s’est pas opposé à l’application des Directives no 7 lorsque la Commission était saisie de l’affaire, le demandeur n’est plus recevable à soulever cette question pour la première fois devant le présent tribunal (voir le jugement Benitez, précité, aux paragraphes 221 et 237).

[45] À cet égard, la SPR a expressément demandé au conseil du demandeur à l’audience s’il s’opposait à une pause afin que le commissaire de la SPR puisse chercher sur Internet [traduction] « [...] les poursuites intentées par les fonctionnaires du comté de Kajiado devant les tribunaux, le cas échéant ». Le conseil a répondu [traduction] « Bien sûr, Monsieur. Aucune objection, Monsieur. »

[46] Il est difficile d’imaginer une absence d’opposition plus claire à l’égard de ce que la SPR a fait.

[47] Je suis également convaincu que la SPR s’est conformée aux Règles de la SPR et à son obligation d’équité. Comme le fait remarquer le défendeur, le paragraphe 33(1) des Règles de la SPR indique que « pour utiliser un document à une audience, la Section en transmet une copie aux parties ». La jurisprudence confirme qu’il n’y a pas de contraintes de temps concernant le paragraphe 33(1) des Règles de la SPR et que la SPR peut communiquer des documents à un demandeur d’asile à l’audience : Kandiah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1388.

[48] En l’espèce, il n’est pas contesté que la SPR a remis au demandeur et à son conseil une copie de l’un des deux documents en question, à savoir l’article paru dans le journal County Press. Il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale.

[49] En ce qui concerne le jugement du tribunal kényan (l’autre document que la SPR a trouvé en faisant une brève recherche sur Internet à laquelle le demandeur a consenti), la SPR n’en a pas imprimé de copie et ne l’a pas remise physiquement au conseil du demandeur. Elle a informé verbalement le demandeur et son conseil de ce document. Encore une fois, je souligne que le conseil ou le demandeur n’a soulevé aucune objection de quelque nature que ce soit. De plus, la SPR a fourni au demandeur tous les renseignements nécessaires pour accéder au jugement : le site Web Kenyalaw.org, requête no 2 de 2019, le titre du jugement, la date (le 3 mai 2019) et le nom du juge (Nykaundi).

[50] À l’audience, le conseil n’a pas demandé de copie physique du jugement. Le conseil n’a pas affirmé ne pas avoir accès au jugement du tribunal kényan par voie électronique, pas plus qu’il n’a indiqué avoir besoin de temps pour examiner le jugement du tribunal kényan avant de présenter des observations finales.

[51] Le conseil du demandeur a choisi de ne procéder à aucun réinterrogatoire du demandeur sur ce point. Aucune mise en garde ou réserve n’a été formulée à l’audience ni dans aucun document déposé après les observations.

[52] Je reconnais, comme le demandeur lui-même l’affirme, que ni lui ni son conseil n’ont même examiné le jugement du tribunal kényan jusqu’à ce qu’il soit mentionné dans les motifs de la SPR.

[53] Le demandeur veut que je blâme la SPR pour son propre défaut de protéger ses intérêts à cet égard, mais, en toute déférence, je ne peux pas parce qu’il a eu toutes les occasions de le faire au moment où des préoccupations – légitimes ou non – auraient pu et auraient dû être soulevées, et qu’il était représenté par un conseil.

[54] Je conviens que la SPR a qualifié à tort le jugement kényan de « transcription » à l’audience, et qu’elle le qualifie de jugement dans ses motifs. Cela dit, la SPR l’a aussi explicitement qualifié de [traduction] « jugement très long » à l’audience. Cette question sémantique n’est pas pertinente et n’est qu’une distinction sans importance.

C. Abus de procédure

[55] J’ai décidé d’examiner la demande sur le fond et de la rejeter. Par conséquent, il n’est pas nécessaire d’examiner les observations en matière d’abus de procédure du défendeur concernant le dépôt d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire d’une décision, son désistement, puis le dépôt d’une deuxième demande d’autorisation de contrôle judiciaire de la même décision ayant eu lieu plusieurs mois plus tard. Cela dit, je suis quelque peu déconcerté par la décision du demandeur de renoncer à sa demande initiale, d’autant plus que l’avis de décision initial et l’avis modifié se rapportent à la même décision. Je ne recommanderais pas l’approche adoptée en l’espèce si une telle erreur d’écriture se reproduisait, même si, bien entendu, il appartiendra ensuite à la Cour d’apprécier la question si le conseil le juge utile.

D. Caractère théorique

[56] Le défendeur a retiré son argument sur le caractère théorique de son mémoire avant l’audience. Par conséquent, je n’ai pas non plus à me pencher sur cette question.

E. Paiement du retour du demandeur au Canada par le Canada si la demande de contrôle judiciaire est accueillie

[57] Il n’est pas nécessaire d’examiner cette question, car la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

F. Intitulé

[58] Le défendeur fait remarquer que dans le mémoire des arguments supplémentaire du demandeur, l’intitulé de la cause a été modifié unilatéralement : un deuxième défendeur y a été ajouté, soit le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile. Le défendeur fait remarquer que le demandeur n’a pas expliqué pourquoi il avait ajouté un défendeur et n’a pas obtenu l’autorisation de la Cour, laquelle est nécessaire pour modifier l’intitulé de la cause.

[59] Le défendeur soutient, et je partage son avis, que la Cour devrait laisser le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration comme seul défendeur dans l’intitulé.

VII. Conclusion

[60] Je suis d’avis que le demandeur n’a pas établi que la décision de la SPR était déraisonnable ou incorrecte. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

VIII. Question à certifier

[61] Le demandeur a proposé deux questions à certifier : la question de l’abus de procédure, qui n’est pas abordée, et la question du paiement, qui n’est pas non plus abordée. Le défendeur n’a pas proposé de question aux fins de certification. À mon avis, il n’y a aucune question à certifier. Par conséquent, aucune question de portée générale ne sera certifiée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4411-21

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée, qu’aucune question de portée générale n’est certifiée et qu’aucuns dépens ne sont adjugés.

« Henry S. Brown »

Juge

Traduction certifiée conforme

Philippe Lavigne-Labelle


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4411-21

 

INTITULÉ :

DICKENS OCHIENG OPEE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 23 NOVEMBRE 2022

JUGEMENT ET MOTIFS

LE JUGE BROWN

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 28 NOVEMBRE 2022

COMPARUTIONS :

Kobra Rahimi

David Matas

 

POUR LE DEMANDEUR

Alexander M. Menticoglou

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rahimi Law

Avocats

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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