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Date : 20050725

Dossier : IMM-8667-04

Référence : 2005 CF 1024

Ottawa (Ontario), le 25 juillet 2005

En présence de Monsieur le juge Blanchard

ENTRE :

CARLOS GONZALO GIL RONCAGLIOLO

CLAUDIA CASTAGNOLA MONTOYA

GONZALO DANIEL GIL CASTAGNOLA

CARLOS MANUEL GIL CASTAGNOLA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

INTRODUCTION


[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire, déposée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), d'une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) rendue le 21 septembre 2004 par la commissaire Bana Bazari jugeant que les demandeurs n'ont ni la qualité de « réfugiés au sens de la Convention » ni de « personnes à protéger » .

[2]                Dans la présente procédure, les demandeurs demandent que la Cour casse la décision contestée, qu'elle ordonne qu'une nouvelle audience soit tenue devant un tribunal différemment consituté et qu'elle suspende toute mesure de renvoi durant l'instance.

CONTEXTE FACTUEL

[3]                Les demandeurs forment une famille composée du demandeur principal (le demandeur), Carlos Gonzalo Gil Roncagliolo, de son épouse, Claudia Castagnola Montoya, et de leurs enfants mineurs, Gonzalo Daniel Gil Castagnola et Carlos Manuel Gil Castagnola, dont la mère est la représentante désignée. Le demandeur a la citoyenneté péruvienne; son épouse et les enfants ont la double citoyenneté péruvienne et française.

[4]                De 1993 à 2003, le demandeur a occupé un poste d'officier au sein de la marine péruvienne. En février 2003, il a été témoin de corruption au sein des rangs. Il en a avisé ses supérieurs. Il a subséquemment été menacé de mort et a subi des détentions abusives. En juillet 2003, des individus ont tenté d'intercepter la famille alors qu'elle était en voiture. Le 15 septembre 2003, les demandeurs ont quitté le Pérou à destination de la Floride et se sont rendus au Canada par autobus. Le 18 spetembre 2003, ils sont arrivés au poste frontalier de Lacolle, où ils ont demandé l'asile.


[5]                La demande d'asile a été entendue le 13 juillet 2004 par la Commission et la décision défavorable aux demandeurs a été rendue le 21 septembre 2004.

[6]                L'autorisation de présenter la présente demande de contrôle judiciaire a été accordée le 31 janvier 2005.

DÉCISION CONTESTÉE

[7]                La crainte de persécution alléguée par les demandeurs est fondée sur les opinions politiques imputées qu'on leur impute et sur leur appartenance à un groupe social soit, la famille. Ils allèguent également être exposés au risque d'être soumis à la torture ou être exposés au risque de traitements ou peines cruls et inusités.

[8]                La preuve présentée à la Commission est composée principalement du témoignage des demandeurs, de leurs Formulaires de renseignements personnels (FRP), de documents personnels, et de documents portant sur la situation socio-politique au Pérou et en France.

[9]                Bien que la demande d'asile porte sur la crainte de persécution au Pérou, la Commission a procédé tout d'abord à un examen de la crainte de persécution des demandeurs en France, puisque la demanderesse et les enfants sont citoyens français. Le demandeur a reconnu qu'il pourrait facilement obtenir la citoyenneté française, ce qui est confirmé par la preuve documentaire.


[10]            Le demandeur a confirmé qu'il avait dit aux autorités canadiennes ne pas avoir voulu revendiquer en France parce que les coûts étaient moindres pour se rendre au Canada et a déclaré que la situation en France ne lui inspirait pas confiance. La Commission n'a accordé aucun poids à la prétention du demandeur qu'il craint l'idéologie radicale de certains Français extrémistes et qu'il craint que l'on maltraite ses enfants à l'école. La Commission a souligné que les enfants des demandeurs sont citoyens français et que la France est « un pays libre, aux institutions démocratiques bien établies et qui est capable de protéger ses citoyens » .

[11]            La demanderesse a fait valoir pour sa part que sa crainte de persécution en France provient du fait que, durant des stages pédagogiques en 1987 et 1996, elle aurait été mise à l'écart par des Français qui l'avaient désignée avec mépris comme une immigrante. La Commission a réitéré que la France est un pays libre, démocratique et capable d'accorder une protection à ses citoyens.

[12]            La Commission a pris en considération la preuve documentaire présentée par les demandeurs, soit un extrait du journal communiste « Libération » faisant état d'incidents racistes en France à l'encontre d'immigrés musulmans et arabes et de citoyens juïfs. La Commission n'a pas accepté l'allégation du demandeur qu'en raison de son physique latino-américain, il pourrait être mépris pour un Arabe. Elle a rappelé que les autorités françaises ne persécutent pas leurs citoyens, leurs résidents ou leurs immigrés et qu'elles sont en mesure de les protéger en cas de persécution par des extrémistes.


[13]            La présomption établie dans l'arrêt Ward c. Procureur général du Canada, [1993] 2 R.C.S. 689, selon laquelle l'État est capable de protéger ses citoyens n'a pas été réfutée en l'espèce par les demandeurs. La Commission s'est fondée sur la décision de la Cour dans l'affaire Sahal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), no IMM-2722-98, 21 avril 1999, [1999] A.C.F. no 554 (QL), pour décider que la nationalité n'est pas laissée au choix du demandeur et, qu'en cas de double citoyenneté, le demandeur doit réclamer la protection du pays dont il peut obtenir la citoyenneté par simple formalité. La protection internationale n'est qu'une protection auxiliaire.

QUESTION EN LITIGE

[14]            À mon sens, la question litigieuse soulevée en l'espèce est de savoir si la Commission a erré en n'évaluant pas la crainte de persécution des demandeurs au Pérou en raison de sa conclusion qu'ils pouvaient réclamer la protection de la France, pays où aucune crainte de persécution n'a été établie.

ANALYSE

[15]            En ce qui a trait au droit des réfugiés, le principe de base veut que la protection internationale est une protection auxiliaire : Ward, précité. Tel que le souligne le juge Hugessen dans l'affaire Urbanek c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), no A-222-90, 19 juin 1992, [1992] A.C.F. no 556 (QL), l'objet premier de l'adhésion du Canada à la Convention des Nations Unies sur le statut des réfugiés est d'aider les personnes qui ont un besoin véritable de protection.


[...] ce processus vise à fournir un refuge sûr à ceux qui en ont vraiment besoin, et non pas à fournir un moyen rapide et pratique d'obtenir le droit d'établissement aux immigrants qui ne peuvent pas, ou ne veulent pas, l'obtenir de la manière habituelle.

[16]            De la jurisprudence portant sur des situations semblables à celle en l'espèce, il semble se dégager un principe quant aux éléments qui doivent être examinés : Grygorian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), no IMM-5158-94. 23 novembre 1995, 33 Imm.L.R. (2d) 52; [1995] A.C.F. no 1608 (QL); Bouianova c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), no 92-7-1437, 11 juin 1993, [1993] A.C.F. no 576 (QL); De Barros c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 FC 283. Dans un premier temps, la Commission doit déterminer s'il est possible pour le demandeur d'asile d'obtenir la citoyenneté d'un autre pays et, dans l'affirmative, s'il existe une crainte de persécution dans ce pays. Advenant que la preuve ne démontre pas une crainte de persécution, le principe de la protection internationale auxiliaire entre en jeu et fait en sorte que l'asile au Canada n'est pas accessible au demandeur.

[17]            En l'espèce, la Commission a tout d'abord considéré la question de savoir si le demandeur, un citoyen péruvien, pouvait réclamer la citoyenneté française compte tenu de la double citoyenneté péruvienne et française de sa femme et de ses enfants. Elle a conclu que le demandeur pouvait l'obtenir sans trop de difficultés.


[18]            Le demandeur soutient que la Commission a erré dans quelques déterminations d'ordre factuel. Il fait valoir qu'il n'a pas dit, contrairement à ce qu'affirme la Commission, qu'il n'avait jamais tenté d'obtenir la citoyenneté française. Il avance avoir dit à l'agent d'immigration qu'il ne pouvait pas obtenir un visa français assez rapidement pour sortir du Pérou, puisqu'il ne parlait alors pas français. Le demandeur soutient également ne pas avoir dit qu'il était plus coûteux de se rendre en France qu'au Canada.

[19]            J'accepte l'argument du défendeur qu'il est loisible à la Commission de conclure qu'un demandeur d'asile est un ressortissant d'un certain pays aux fins de son analyse si la preuve démontre que le demandeur d'asile pourrait facilement acquérir la nationalité de ce pays en vertu de sa filiation ou de son mariage avec un citoyen de ce pays : Canales c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), no IMM-1520-98, 11 juin 1999, [1999] A.C.F. no 949 (QL); Sahal, précité; Espinoza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 3 C.F. 73; Engoian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), no IMM-1260-97, 5 février 1998, [1998] A.C.F. no 168 (QL).

[20]            En l'espèce, la Commission n'a pas erré en concluant que le demandeur pouvait facilement obtenir la citoyenneté française. En effet, l'article 21-2 du Code civil français prévoit que :

L'étranger ou apatride qui contracte un mariage avec un conjoint de nationalité française peut, après un délai de deux ans à compter du mariage, acquérir la nationalité française par déclaration à condition qu'à la date de cette déclaration la communauté de vie n'ait pas cessé entre les époux et que le conjoint français ait conservé sa nationalité.

Le délai de deux ans est supprimé lorsque naît, avant ou après le mariage, un enfant dont la filiation est établie à l'égard des deux conjoints, si les conditions relatives à la communauté de vie et à la nationalité du conjoint français sont satisfaites.


[21]            Le défendeur avance qu'en dépit du fait que le demandeur doit effectuer quelques démarches administratives relativement à l'obtention de la citoyenneté française, il n'en demeure pas moins qu'il s'agit d'un processus simple et rapide. Quant à la prétention du demandeur qu'il devra subir un examen de français, le défendeur reconnaît que l'octroi de la citoyenneté est sujet à certaines conditions. Toutefois, le défendeur souligne qu'on ne connaît pas le niveau de maîtrise du français du demandeur et il rappelle que son épouse détient la citoyenneté française et est enseignante de français.

[22]            En l'espèce, le demandeur, en vertu de son mariage à une femme détenant la citoyenneté française, a le droit d'être citoyen de la France. Le fait d'avoir à faire une demande, qui dans les circonstances requiert quelques formalités d'ordre administratif, n'ouvre pas la porte à l'argument du demandeur que la Commission s'est méprise en évaluant sa demande d'asile en supposant qu'il avait la citoyenneté française.

[23]            Quant aux prétentions du demandeur relativement à des déterminations factuelles, il m'apparaît clairement du dossier que la Cour n'a aucune latitude pour intervenir en l'espèce. À mon avis, la Commission n'a pas commis d'erreur méritant l'intervention de la Cour dans son appréciation des faits. L'allégation du demandeur qu'il n'a pas dit qu'il était plus coûteux de se rendre en France qu'au Canada, mais qu'il avait plutôt affirmé qu'il n'avait pas les moyens de se rendre en France est, à mon sens, une distinction sans différence.


[24]            La Commission a par la suite procédé à l'examen de la crainte de persécution en France, pour conclure que la preuve ne supportait pas les allégations des demandeurs à cet effet.

[25]            Sur ce point, je partage le point de vue du défendeur que la Commission a correctement rejeté la prétention des demandeurs qu'ils craignent la persécution en France. La Commission a également bien conclu que les autorités françaises sont en mesure de protéger leurs citoyens. Les demandeurs n'ont pas réussi à réfuter la présomption voulant que l'État soit capable d'offrir une protection à ses citoyens : Ward, précité.

[26]            En somme, contrairement à ce qu'avance le demandeur, la Commission n'a pas erré en ne se prononçant pas sur le fond de sa revendication, soit la crainte de persécution au Pérou.

CONCLUSION

[27]            À la lumière de mon examen du dossier, et en raison des motifs énoncés précédemment, je conclus que l'intervention de la Cour n'est pas requise. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[28]            Les parties n'ont pas proposé que la Cour certifie que l'affaire soulève une question grave de portée générale telle qu'envisagé à l'alinéa 74d) de la LIPR. Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.


                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.         Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

                                                                                                                  « Edmond P. Blanchard »       

                                                                                                                                                      juge                       


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-8667-04

INTITULÉ :                                        Carlos Gonzalo Gil Roncagliolo et al. c. Le Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                Le 28 avril 2005

MOTIFS de l'ordonnance :             L'honorable Edmond P. Blanchard

DATE DES MOTIFS :                       le 25 juillet 2005

COMPARUTIONS:

Me Jacques Tamrazo                                                     POUR LES DEMANDEURS

Me François Joyal                                                          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Me Jacques Tamrazo                                                     POUR LES DEMANDEURS

Montréal (Québec)

John H. Sims, c.r.                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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