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Date : 20221129


Dossier : IMM-6464-21

Référence : 2022 CF 1644

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 29 novembre 2022

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

PARWINDER SINGH THIND

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision datée du 15 septembre 2021, par laquelle un agent (l’agent) d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (« IRCC ») a rejeté sa demande de permis de séjour temporaire (PST).

[2] L’agent a jugé que les éléments de preuve ne permettaient pas de conclure que des circonstances uniques et des raisons impérieuses l’emportaient sur l’interdiction de territoire du demandeur et justifiaient la délivrance d’un PST au titre du paragraphe 24(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

[3] Le demandeur soutient que l’agent a commis une erreur en appliquant une norme incorrecte pour évaluer la demande et en ne tenant pas compte d’éléments de preuve importants.

[4] Je conclus que la décision de l’agent est déraisonnable, parce qu’elle ne tient pas dûment compte des éléments de preuve essentiels contenus dans le dossier du demandeur, ce qui entraîne des lacunes dans le raisonnement. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

II. Faits

A. Le demandeur

[5] Le demandeur est un citoyen indien âgé de 39 ans. Il est entré au Canada le 8 septembre 2010, muni d’un permis d’études qui était valide jusqu’au 31 août 2011. En août 2011, il a obtenu un diplôme en gestion du marketing du Nordic College of Business and Technology (le Nordic College) de Toronto (Ontario).

[6] Le demandeur a prolongé son permis d’études, qui a été renouvelé jusqu’au 31 août 2013. Au cours de cette période, il a également obtenu son diplôme en informatique du Nordic College.

[7] Le demandeur a épousé Daljit Kaur le 27 janvier 2013. Il a de nouveau prolongé son permis d’études, qui a été renouvelé jusqu’au 30 novembre 2014. Il a ensuite présenté une demande afin de faire prolonger son visa de visiteur et celui-ci a été prolongé du 10 mars 2014 au 22 octobre 2016.

[8] Le demandeur a présenté une demande de permis de travail ouvert, laquelle a été approuvée. Son permis était valide du 12 octobre 2016 au 2 août 2018. Le demandeur a travaillé comme maçon de janvier 2017 à août 2018.

[9] Le demandeur a présenté une demande de résidence permanente au Canada au titre de la catégorie de l’expérience canadienne. Il a également présenté une demande de permis de travail transitoire qui reposait sur sa demande de résidence permanente. Cette demande de résidence permanente a été rejetée en septembre 2018, et le permis de travail transitoire a par la suite été refusé en octobre 2018. Le demandeur a présenté une demande de contrôle judiciaire du rejet de sa demande de résidence permanente par l’agent d’immigration, et cette demande a été accueillie en février 2019.

[10] L’épouse du demandeur étudiait à temps plein pendant cette période. En tant qu’époux à charge d’un étudiant à temps plein, le demandeur satisfaisait aux exigences du code de dispense C42 de l’étude d’impact sur le marché du travail (EIMT) et était donc admissible à l’obtention d’un permis de travail ouvert. Le demandeur a retenu les services du cabinet New Vision Immigration Consultants (New Vision) à Surrey, en Colombie-Britannique, pour déposer une demande de permis de travail ouvert en vertu de cette dispense. Sa demande a été déposée le 23 novembre 2018, mais a été rejetée le 15 janvier 2019.

[11] Le permis de travail du demandeur a expiré le 20 octobre 2018, après quoi le statut du demandeur faisait l’objet d’une période de rétablissement. Lorsque la demande de permis de travail ouvert a été rejetée le 15 janvier 2019, le statut du demandeur était encore assujetti à la période de rétablissement, qui devait prendre fin le 18 janvier 2019. Le 16 janvier, le demandeur a communiqué avec New Vision pour discuter du rejet de sa demande de permis de travail ouvert. Les consultants de New Vision lui ont conseillé de demander une prolongation de son visa de visiteur avant l’expiration de la période de rétablissement. Cette période prenait fin le 18 janvier, mais New Vision a déposé une demande de prolongation et de rétablissement le 28 janvier, soit avec dix jours de retard. La demande a donc été rejetée le 13 mars 2019. Le demandeur affirme qu’il a perdu son statut temporaire au Canada en raison de la négligence de New Vision et a déposé une plainte auprès du Conseil de réglementation des consultants en immigration du Canada le 20 juin 2019.

[12] En juillet 2019, le demandeur a présenté une première demande de PST, qui a été accueillie le 16 décembre 2019. En janvier 2020, il a présenté une demande de permis de travail en vertu du code de dispense C42 de l’EIMT afin de conserver un statut valide au Canada. Le 13 juillet 2020, sa demande de permis de travail lui a été renvoyée avec une lettre indiquant qu’il n’avait pas régularisé son statut comme l’exigeait son PST et qu’il avait donc besoin d’un PST jusqu’à ce qu’il soit en mesure de régulariser son statut. Cependant, le demandeur ne pouvait pas quitter le Canada pour régulariser son statut pendant cette période en raison de la pandémie de COVID-19 et de ses répercussions sur les voyages aériens. S’il était parti et avait tenté de revenir au Canada, où il habite avec son épouse, il aurait été obligé de présenter une autre demande, ce qui aurait été difficile compte tenu de la fermeture des bureaux des visas.

[13] Afin de régulariser son statut à partir du Canada, le demandeur a présenté une deuxième demande de PST, laquelle a été accueillie le 30 mars 2021 et était valide jusqu’à la date d’expiration de son passeport, soit le 11 avril 2021. La nouvelle copie du passeport du demandeur était valide du 11 mars 2021 au 10 mars 2031. Le demandeur a reçu son PST, mais celui-ci n’était valide que jusqu’au 11 avril 2021, soit la date d’expiration de son passeport précédent. Son nouveau passeport n’avait pas été consigné dans le dossier, même s’il avait fourni une copie à IRCC le 22 mars 2021.

[14] Afin de conserver son statut au Canada, le demandeur a présenté une troisième demande de PST le 3 mai 2021. Son épouse détient un permis de travail ouvert valide jusqu’en 2024. L’emploi qu’elle occupe correspond à la catégorie B de la Classification nationale des professions (la CNP). Dans sa demande de PST, le demandeur a indiqué qu’il satisfaisait à tous les critères pour obtenir un permis de travail ouvert en vertu du code de dispense C41 de l’EIMT en tant que conjoint à charge, mais qu’il ne pouvait présenter cette demande que si sa demande de PST était également approuvée. Il a demandé à l’agent d’approuver sa demande de PST afin qu’il puisse rester avec son épouse au Canada, affirmant que le rejet antérieur de sa demande de prolongation de son visa de visiteur était attribuable à la négligence de New Vision et était hors de son contrôle.

[15] La demande de PST a été rejetée le 15 septembre 2021. Ce rejet fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

B. La décision faisant l’objet du contrôle

[16] L’agent a d’abord résumé l’historique du statut du demandeur au Canada, déclarant que, le 18 janvier 2019, [traduction] « [le demandeur] a perdu la possibilité de demander le rétablissement de son statut de résident temporaire ». En ce qui concerne l’observation du demandeur selon laquelle il a perdu son statut de résident temporaire en raison de la négligence alléguée de New Vision, l’agent a conclu que, tout compte fait, il incombe au demandeur de se conformer aux conditions imposées à l’entrée au Canada, et qu’il est donc [traduction] « raisonnable de s’attendre » à ce qu’il quitte le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.

[17] L’agent a conclu qu’il n’y avait aucune raison pour que le demandeur ne soit pas en mesure de retourner en Inde et de demander un permis de travail à partir de l’étranger, déclarant ce qui suit :

[traduction]
De plus, il est à noter que son épouse est entrée au Canada en 2010 en tant qu’étudiante et qu’elle détient actuellement un document de résidence temporaire valide jusqu’en 2024. Étant donné que l’interdiction de territoire du client est liée à son statut, il existe des mécanismes lui permettant de remédier à cette interdiction de territoire, notamment quitter le Canada et demander les documents requis afin de régulariser son statut. Il a déjà réussi à obtenir un permis de travail à partir de l’étranger. Il n’y a donc aucune raison pour qu’il ne puisse pas le faire à nouveau. Le demandeur a fait valoir que la COVID-19 avait compliqué la situation, car il est plus difficile de voyager à l’étranger et qu’il n’est pas recommandé de le faire. Comme il s’agit d’une pandémie mondiale, chaque pays a été contraint de réagir et d’imposer des restrictions à ses citoyens. Les ressortissants indiens ont le droit de retourner dans leur pays d’origine s’ils respectent les mesures de quarantaine. Bien qu’il soit plus difficile de voyager en raison de la COVID-19, les renseignements fournis n’indiquent pas clairement que le demandeur ne serait pas en mesure de retourner en Inde.

[18] En fin de compte, l’agent a conclu que le demandeur devait démontrer que [traduction] « des circonstances uniques et des raisons impérieuses » l’emportaient sur l’interdiction de territoire et justifiaient la délivrance d’un PST, et qu’il ne s’était pas acquitté de ce fardeau.

III. Question en litige et norme de contrôle applicable

[19] La présente demande ne soulève qu’une seule question, celle de savoir si la décision de l’agent de rejeter la demande de PST du demandeur est raisonnable.

[20] La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, établie dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov). Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada a fait observer que le cadre d’analyse de la norme de contrôle repose sur la présomption voulant que la norme de la décision raisonnable soit la norme applicable (au para 16). Cela est conforme à la jurisprudence de la Cour relative au contrôle des décisions des agents des visas concernant les demandes de PST : Abdelrahman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1141 aux para 13-14; Liao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 857 au para 20.

[21] La norme de la décision raisonnable est une norme de contrôle qui commande la retenue, tout en demeurant rigoureuse (Vavilov, aux para 12 et 13). La cour de révision doit déterminer si la décision faisant l’objet du contrôle est transparente, intelligible et justifiée, notamment en ce qui concerne le raisonnement suivi et le résultat obtenu (Vavilov, au para 15). Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85). La question de savoir si une décision est raisonnable dépend du contexte administratif, du dossier dont le décideur est saisi et de l’incidence de la décision sur les personnes qui en subissent les conséquences (Vavilov, aux para 88‑90, 94, 133‑135).

[22] Bien que l’un des éléments centraux du caractère raisonnable soit la justification de la décision administrative, ce qui peut nécessiter l’examen du caractère suffisant des motifs à l’appui de la décision (Vavilov, aux para 79-81), le caractère raisonnable de la décision doit également être examiné à la lumière du cadre institutionnel dans lequel la décision a été rendue (Vavilov, aux para 91, 103). Les agents des visas examinent un grand nombre de demandes et n’ont donc pas le temps de rédiger de longs motifs dans chaque cas. La décision doit quand même posséder les caractéristiques d’une décision raisonnable lorsqu’elle est examinée dans son ensemble, à la lumière de la preuve versée au dossier, et elle doit particulièrement faire état d’une analyse rationnelle (Vavilov, aux para 99, 137, 313).

IV. Analyse

[23] Le demandeur soutient que l’agent a commis une erreur en n’appliquant pas la norme appropriée pour l’évaluation d’une demande de PST. Il renvoie à la décision Shabdeen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 492 (« Shabdeen »), selon laquelle la norme applicable fait l’objet d’un débat. Dans certaines affaires, il a été conclu que le demandeur devait démontrer des « raisons impérieuses » ou un « besoin impérieux » d’entrer au Canada (au para 14). Le demandeur fait valoir que l’agent a mal appliqué le paragraphe 24(1) de la LIPR puisque la disposition ne prévoit pas qu’il faut démontrer des raisons uniques ou impérieuses pour faire lever une interdiction de territoire. Elle exige plutôt qu’un agent évalue s’il est justifié de délivrer un PST dans les circonstances.

[24] Le demandeur souligne que l’agent a vraisemblablement suivi les lignes directrices d’IRCC concernant l’évaluation des demandes de PST, lesquelles énoncent qu’un agent peut tenir compte du fait qu’il « existe un motif impérieux justifiant la nécessité d’accorder à l’étranger le droit d’entrer ou de rester au Canada ». Il avance que l’agent a outrepassé son pouvoir discrétionnaire en évaluant son dossier selon la norme plus élevée des « raisons impérieuses », ce qui rend la décision déraisonnable.

[25] Le demandeur soutient également que, quelle que soit la norme applicable aux demandes de PST, la décision était déraisonnable, parce qu’elle ne tenait pas compte des éléments clés de la situation et de la preuve du demandeur. Plus précisément, il fait valoir que les motifs de l’agent ne montrent pas qu’il a tenu compte des considérations importantes suivantes :

  • la négligence de New Vision, qui a déposé la demande de prolongation du visa du demandeur après la période de rétablissement;

  • l’incidence réelle que la COVID-19 aurait sur la capacité du demandeur de quitter le pays pour régulariser son statut, puis de revenir au Canada;

  • le fait que, si l’agent des visas précédent avait tenu compte du nouveau passeport du demandeur, le PST précédent n’aurait pas été valide pendant seulement 11 jours;

  • le fait que l’incapacité du demandeur à retourner au Canada en raison de la COVID-19 l’empêcherait d’être avec sa famille au Canada.

[26] Le demandeur soutient que l’agent n’a pas correctement évalué sa situation puisqu’il n’a pas démontré qu’il avait tenu compte de ces éléments dans son évaluation.

[27] Le défendeur soutient que la décision de l’agent est raisonnable. Pour ce qui est de la norme applicable à l’évaluation des demandes de PST, le défendeur soutient que la Cour a conclu que le critère des « raisons impérieuses » était approprié pour évaluer une demande de PST et qu’elle l’a récemment appliqué dans la décision Ju c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 669 au para 24.

[28] En ce qui concerne l’évaluation de la preuve, le défendeur fait remarquer que dans les observations qu’il a présentées dans le cadre du contrôle judiciaire, le demandeur réitère les observations qu’il avait initialement présentées à l’agent dans le but d’obtenir une conclusion plus favorable. Toutefois, il n’appartient pas à la Cour d’apprécier la preuve à nouveau lors d’un contrôle judiciaire. Le défendeur soutient en outre qu’il est bien établi que les décideurs ne sont pas tenus de mentionner tous les éléments de preuve présentés dans une demande, et qu’une cour de révision doit plutôt examiner la décision dans son ensemble pour comprendre le raisonnement suivi. Il affirme que l’agent a raisonnablement conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer que le demandeur ne pourrait pas voyager ou retourner au Canada une fois qu’il aurait régularisé son statut à partir de l’étranger.

[29] Je conclus que l’agent n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle en appliquant le critère des « raisons impérieuses » à la demande de PST. Il est raisonnable pour l’agent d’examiner si la preuve établissait qu’il y avait des raisons impérieuses d’accorder un PST, puisque cette expression est utilisée dans les Lignes directrices d’IRCC décrivant les procédures d’évaluation des demandes de PST. Comme le fait remarquer le demandeur, la norme applicable fait toujours l’objet d’un débat devant la Cour. Mon collègue, le juge McHaffie, en fait état dans la décision Shabdeen, au paragraphe 14 :

Comme Mme Shabdeen le souligne, il y a une certaine divergence dans la jurisprudence de la Cour concernant la norme applicable à une demande de PST au titre de l’article 24. Dans certaines décisions, il a été conclu que le demandeur devait démontrer des « raisons impérieuses » ou un « besoin impérieux » d’entrer au Canada : voir, par exemple, Osmani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 872, aux par. 15 et 19; Abdelrahman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1085, aux par. 8 et 9; César Nguesso c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 880, aux par. 93 à 97, chacune citant Farhat c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1275 au par 22. Dans d’autres, la conclusion est qu’imposer une norme de « raisons impérieuses » va, à tort, au‑delà du libellé de la LIPR : voir, par exemple, Krasniqi, au par. 19, citant Palmero c Canada (Citoyenneté et immigration), 2016 FC 1128, au par. 21.

[30] Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada a conclu que, dans le cadre de l’évaluation du caractère raisonnable d’une décision à la lumière des contraintes juridiques qui ont une incidence sur celle-ci, « lorsque la loi habilitante prévoit l’application d’une norme bien connue en droit et dans la jurisprudence, une décision raisonnable sera généralement conforme à l’acception consacrée de cette norme » (au para 111). Cependant, la jurisprudence révèle que la norme applicable à l’évaluation des demandes de PST demeure incertaine. Il est raisonnable que l’agent applique une norme que la Cour a déjà appliquée lors du contrôle de décisions d’agents des visas relativement à des demandes de PST (Betesh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1374 aux para 63 et 64; Abdelrahman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1085 aux para 16 et 17; Farhat c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1275 au para 22).

[31] Cela dit, je conviens avec le demandeur que l’agent a commis une erreur en évaluant incorrectement la preuve. Bien que le rôle de la Cour lors d’un contrôle judiciaire ne soit pas d’apprécier la preuve à nouveau, « [l]e caractère raisonnable d’une décision peut être compromis si le décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte » (Vavilov, au para 126). La preuve relative au statut du demandeur au Canada comporte des faits clés qui, s’ils avaient été correctement pris en compte, auraient pu modifier fondamentalement l’analyse de l’agent. Par exemple, bien que l’agent affirme qu’il incombe au demandeur de se conformer aux conditions imposées à l’entrée, il n’a guère fait plus que reformuler les observations du demandeur concernant la négligence alléguée de New Vision. Les motifs de l’agent ne démontrent pas qu’il a porté une attention particulière à l’ampleur des répercussions que cette négligence alléguée a pu avoir sur la capacité du demandeur à régulariser son statut, ce qui est un élément central de la demande de PST.

[32] L’agent a également consacré une partie importante des motifs à expliquer pourquoi les difficultés à voyager causées par la pandémie de COVID-19 n’empêchaient pas le demandeur de quitter le Canada et de régulariser son statut depuis l’étranger. Il a répété les renseignements diffusés au public concernant les exigences d’entrée pour toutes les personnes arrivant en Inde. Cependant, ses motifs ne montrent pas qu’il a porté une attention particulière aux difficultés auxquelles le demandeur aurait été confronté pour revenir au Canada et rejoindre son épouse, qui est le seul membre de sa famille ici. Ces difficultés sont la principale raison pour laquelle le demandeur a déposé sa deuxième demande de PST, afin de régulariser son statut au Canada sans être coincé en Inde, sans possibilité de revenir pendant la pandémie, et de continuer à travailler et à résider avec son épouse ici. Il s’agit de facteurs importants qui auraient pu donner lieu à un résultat différent s’ils avaient été correctement pris en compte.

[33] Les motifs de l’agent ne semblent pas tenir compte de la situation de vulnérabilité des immigrants qui retiennent les services de consultants pour les aider dans le processus d’immigration. La vulnérabilité d’un client dans une relation client-professionnel est « souvent exacerbée par les antécédents socio-économiques du client, dont son statut d’immigrant » (Conseil de réglementation des consultants en immigration du Canada c Bansal, 2022 CF 1070 au para 76). Le demandeur a fait preuve d’une diligence raisonnable en assurant un suivi auprès de New Vision au sujet du rejet de sa demande de permis de travail ouvert le 16 janvier 2019, avant la fin de la période de rétablissement. Il était raisonnable qu’il s’attende à ce qu’en tant que professionnel dont il a retenu les services pour le guider dans le processus d’immigration, New Vision respecte les délais prévus pour protéger son statut. L’agent n’a pas dûment tenu compte de la preuve du demandeur concernant la négligence alléguée de New Vision et, en conséquence, du fait qu’il n’avait possiblement pas le contrôle sur la régularisation de son statut au Canada.

[34] Dans la décision Osmani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 872 (« Osmani »), la Cour a aussi examiné le rejet d’une demande de PST par un agent des visas. Elle a conclu que les motifs se « limit[aient] à énoncer une conclusion » et n’indiquaient pas pourquoi les circonstances du demandeur ne justifiaient pas l’octroi d’un PST (au para 25). La Cour a conclu que l’agent s’était principalement appuyé sur l’examen des risques avant renvoi (« l’ERAR ») et le permis de travail du demandeur, et que cela était déraisonnable parce qu’il « ne pouvait s’appuyer uniquement sur l’ERAR en cours et sur le permis de travail ouvert, à l’exclusion de toute autre circonstance » [non souligné dans l’original] (Osmani, au para 26). Bien qu’en l’espèce, l’agent ait fourni une certaine explication pour justifier le rejet, son analyse de la demande de PST était analogue à celle de l’agent dans l’affaire Osmani, car il a notamment exclu des éléments clés de la preuve du demandeur en faveur de considérations moins importantes.

[35] De même, dans la décision Mousa c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2016 CF 1358 (« Mousa »), la Cour a jugé que le rejet d’une demande de PST par l’agent était déraisonnable. Elle a conclu que même si c’est avec circonspection que l’on doit délivrer un PST, « cela ne signifie pas [...] que l’analyse requise peut être écartée » étant donné que l’évaluation des « motifs impérieux des [demandeurs] d’entrer au Canada est au cœur de l’analyse de la demande de permis de séjour temporaire » (Mousa, au para 12). Dans l’affaire Mousa, le fait que l’agent des visas ait omis de mentionner ou d’analyser les observations du demandeur démontrait que sa décision n’avait pas été rendue « d’après les éléments de preuve à sa disposition ainsi que les facteurs applicables à prendre en considération dans le contexte de l’analyse équilibrée d’une demande de permis de séjour temporaire » (Mousa, aux para 14 et 19).

[36] Cette analyse peut s’appliquer à la décision de l’agent en l’espèce. Les motifs ne montrent pas qu’il a porté une attention particulière à la preuve centrale du demandeur, comme il était tenu de le faire. Comme ma collègue, la juge Strickland, l’a conclu dans la décision Mousa, pour rendre une décision à l’égard d’une demande de PST, « une analyse complète des motifs avancés par le demandeur doit être entreprise » (au para 9; Osmani, aux para 20 et 21). En l’espèce, l’agent n’a pas effectué d’analyse complète et la décision qu’il a rendue est donc déraisonnable.

V. Conclusion

[37] Le rejet par l’agent de la demande de PST du demandeur est déraisonnable, car l’agent n’a pas évalué correctement le dossier de preuve, ce qui a donné lieu à une décision qui ne repose pas sur une analyse rationnelle et qui ne tient pas compte des contraintes factuelles et juridiques. Aucune question n’a été soumise aux fins de certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-6464-21

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision faisant l’objet du contrôle est annulée, et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Shirzad A. »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6464-21

 

INTITULÉ :

PARWINDER SINGH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 SEPTEMBRE 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

 

DATE DES MOTIFS :

LE 29 NOVEMBRE 2022

 

COMPARUTIONS :

Parveer Singh Ghuman

 

Pour le demandeur

 

Aminollah Sabzevari

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

CityLaw Group

Avocats

Surrey (Colombie-Britannique)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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