Dossier : T‑969‑21
Référence : 2022 CF 721
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 13 mai 2022
En présence de monsieur le juge en chef
ENTRE :
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TECHNO‑PIEUX INC.
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demanderesse
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et
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TECHNO PILES INC., TECHNO METAL POST MEDECINE HAT INC.,
TECHNO METAL POST FORT MCMURRAY INC.,
MATHIEU BERGEVIN ET RONDA BERTRAM
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défendeurs
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ET ENTRE :
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TECHNO PILES INC., TECHNO METAL POST MEDECINE HAT INC.,
TECHNO METAL POST FORT MCMURRAY INC.,
MATHIEU BERGEVIN ET RONDA BERTRAM
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demandeurs reconventionnels
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et
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TECHNO‑PIEUX INC.
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défenderesse reconventionnelle
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ORDONNANCE ET MOTIFS
I.
Introduction
[1] La Cour s’engage à réduire le temps consacré et les coûts associés aux litiges sur lesquels elle est appelée à trancher. À cette fin, voici les deux mécanismes procéduraux importants qui sont à notre disposition : (i) la requête en jugement sommaire et (ii) la requête en procès sommaire. Les parties ont tout intérêt à bien réfléchir aux mérites relatifs de chacune d’entre elles.
[2] Les présents motifs concernent deux requêtes en jugement sommaire, dont chacune porte sur un litige concernant des marques de commerce et des noms commerciaux.
[3] Dans la première requête, la demanderesse, Techno‑Pieux Inc. [Techno‑Pieux], sollicite un ensemble de jugements déclaratoires, d’injonctions et d’autres mesures réparatoires à l’encontre des défendeurs. De plus, la demanderesse sollicite une ordonnance prescrivant que les questions liées à son droit à une réparation pécuniaire et au montant de cette réparation soient renvoyées en procès ou fassent l’objet d’un renvoi au titre de l’article 153 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les Règles]. Ces questions se posent relativement à des violations présumées des droits que la demanderesse tire de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T‑13 et de la Loi sur le droit d’auteur, LRC 1985, c C‑42.
[4] Dans la deuxième requête [la requête reconventionnelle], les défendeurs sollicitent une ordonnance déclarant que les marques de commerce revendiquées par Techno‑Pieux sont invalides et qu’elles devraient par conséquent être radiées du Registre des marques de commerce. Les défendeurs sollicitent également une ordonnance rejetant intégralement l’action sous‑jacente de Techno‑Pieux et leur accordant leurs dépens sur une base avocat‑client. Subsidiairement, les défendeurs sollicitent une ordonnance rejetant la présente action intentée contre les défendeurs Techno Piles Inc., Ronda Bertram et Mathieu Bergevin. Je remarque que les défendeurs ne demandent aucune réparation en vertu de la Loi sur le droit d’auteur.
[5] Je conclus que les parties n’ont pas réussi à satisfaire les critères requis pour une requête en jugement sommaire. Bref, elles n’ont pas réussi à démontrer qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse eu égard à la réparation substantielle qu’elles sollicitent dans leurs requêtes respectives. Par conséquent, les deux requêtes sont rejetées.
II.
Les parties et leurs marques et œuvres protégées en litige
A.
Techno‑Pieux
[6] Techno‑Pieux est un fournisseur de pieux vissés, de matériaux connexes et de machinerie servant à des applications résidentielles et industrielles, qui est basé au Québec. Techno‑Pieux commercialise et vend ses produits partout au Canada et à l’étranger.
[7] Techno‑Pieux est propriétaire des marques de commerce canadiennes déposées qui sont énumérées ci‑dessous [les marques déposées] :
Numéro d’enregistrement
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Date de l’enregistrement
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Marque de commerce
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TMA562798
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Le 29 mai 2002
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TMA596228
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Le 2 décembre 2003
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TMA638884
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Le 3 mai 2005
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TMA950281
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Le 23 septembre 2016
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[8] Les trois premières marques mentionnées ci‑dessus sont déposées à l’égard des produits et services suivants : (i) produits – pieux, poteaux et piquets de fondation; instruments permettant de déterminer la capacité de charge des semelles et des pieux de fondation; (ii) services – services d’ingénierie en matière de conception de fondations et administration de tests de vérification des fondations.
[9] La quatrième marque, TECHNO PIEUX, est déposée pour des mêmes services que les trois premières marques, mais à l’égard de produits qui sont très différents et qui ne concernent pas le litige des parties. Par conséquent, cette marque de commerce ne fera pas l’objet de discussions plus approfondies au sujet des produits que je viens de mentionner.
[10] Techno‑Pieux revendique aussi le droit d’auteur sur le logo de Techno‑Pieux (TMA562798), le logo de Techno Metal Post (TMA638884) et le dessin suivant montrant un pieu [collectivement, les œuvres protégées] :
[11] Par l’intermédiaire de son réseau de titulaires de licences et de distributeurs, Techno‑Pieux offre ses produits et services en liaison avec les noms commerciaux « Techno Pieux »
et « Techno Metal Post »
et avec les marques déposées depuis 2002 au moins.
[12] En Alberta, Techno‑Pieux exerce ses activités par l’intermédiaire de sa filiale Techno Metal Post Alberta Inc., qui, à son tour, vend les produits et services aux titulaires de licences et aux distributeurs de cette province.
B.
Les défendeurs
[13] Techno Metal Post Medicine Hat Inc. [TMP Medicine Hat] est une société basée en Alberta, qui a commencé à distribuer les produits et services de Techno‑Pieux peu après sa constitution en société, à l’automne 2015, en vertu d’une entente de distribution et d’approvisionnement en date du 9 octobre 2015. À l’époque, TMP Medicine Hat appartenait à Rosaire Belisle, qui l’exploitait. Cependant, à l’automne 2018 la société a été vendue aux deux défendeurs individuels, M. Bergevin et Mme Bertram. À partir de ce moment‑là, ces derniers ont possédé et exploité la société en qualité de seuls actionnaires, administrateurs, cadres et employés (à une exception près, qui est sans importance), bien qu’ils travaillent aussi avec des entrepreneurs indépendants.
[14] Techno Metal Post Fort McMurray Inc. [TMP Fort McMurray] est une société basée en Alberta, qui a commencé à distribuer les produits et services de Techno‑Pieux peu après sa constitution en société, à la fin de 2016, en vertu d’une entente de distribution et d’approvisionnement en date du 28 novembre 2016. Dès le départ, M. Bergevin et Mme Bertram ont été propriétaires‑exploitants de TMP Fort McMurray, ainsi que les seuls actionnaires, administrateurs, cadres et employés (à une exception près, qui est sans importance). Comme dans le cas de TMP Medicine Hat, la société collabore avec des travailleurs indépendants.
[15] Techno Piles Inc. est une entité basée en Alberta, qui a été constituée en société en janvier 2020. Au dire des défendeurs, elle n’a pas encore été exploitée de façon significative. Cependant, cette entité a servi à enregistrer le nom de domaine http://www.technopilesinc.com, qui est lié à des comptes de courriel et à un site Web qui sont utilisés par certains ou tous les défendeurs.
III.
Contexte factuel
[16] La relation entre les parties s’est sensiblement détériorée en juin 2020, lorsque la demanderesse a écrit à M. Bergevin à propos des diverses difficultés qui étaient apparues dans leurs rapports. À ce moment‑là, la demanderesse a informé M. Bergevin qu’elle avait décidé qu’il était impossible de continuer à travailler avec lui et que, par conséquent, ses ententes de distribution avec TMP Medicine Hat et TMP Fort McMurray [collectivement, les ententes de distribution en litige] seraient résiliées en décembre de cette année‑là.
[17] En février 2021, la demanderesse a envoyé une autre lettre à M. Bergevin afin de l’aviser de la résiliation des ententes de distribution en litige, à compter du 16 août 2021.
[18] À la suite d’un échange de correspondance entre les parties, le 20 mai 2021, la demanderesse a avisé M. Bergevin que la résiliation prendrait effet à la fin de ce mois.
[19] Le 30 mai 2021, TMP Medicine Hat et TMP Fort McMurray [les « sociétés défenderesses principales »
] ont annoncé la [traduction] « création d’une nouvelle image de marque »
. Entre autres, cette annonce indiquait ce qui suit : [traduction] « Nous fermons nos comptes de courriel de Techno Metal Post Fort McMurray et de Medicine Hat, et nous cédons tout à Techno Piles Inc. Nos courriels personnels et courriels d’information ne seront plus valides après aujourd’hui »
. Après avoir énuméré les nouvelles adresses électroniques, l’annonce indiquait ce qui suit : [traduction] « Nous possédons toujours les mêmes entreprises épatantes, seul le nom change »
. Il semble qu'il y ait un terrain d'entente commun entre les parties que les sociétés défenderesses principales ont employé les noms commerciaux TECHNO PILES MEDICINE HAT et TECHNO PILES FORT MCMURRAY, respectivement, ainsi que le nom TECHNO PILES (enregistrements d’entreprise nos TN23307416 et TN23307374, respectivement) depuis ce moment‑là environ.
[20] En juin 2021, la demanderesse a intenté une action en inexécution de contrat à la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta [l’action intentée en Alberta], qui a été suivie par son action sous‑jacente dans la présente instance.
[21] Dans l’action intentée en Alberta, les défendeurs maintiennent que la demanderesse n’avait pas le droit de résilier les ententes de distribution en litige et que, par conséquent, ces ententes demeurent en vigueur.
IV.
La requête de la demanderesse
A.
Résumé des réparations demandées
[22] Dans son avis de requête modifié, la demanderesse sollicite un ensemble de jugements déclaratoires, d’injonctions et d’autres mesures réparatoires à l’encontre des défendeurs.
[23] En résumé, la demanderesse sollicite des jugements déclaratoires indiquant que les défendeurs ont :
i.
usurpé les quatre marques de commerce déposées, en violation des articles 19 et 20 de la Loi sur les marques de commerce;
ii.
employé ces marques d’une manière susceptible d’entraîner la diminution de la valeur de l’achalandage qui s’y rattache, en contravention de l’article 22 de cette loi;
iii.
appelé l’attention du public sur leurs produits, leurs services et leur entreprise de manière à causer vraisemblablement de la confusion au Canada entre leurs services, leurs produits et leur entreprise et ceux de la demanderesse, en violation de l’alinéa 7b) de la loi;
iv.
employé et continuent d’employer, en liaison avec les produits et les services en question, des désignations fausses sous des rapports essentiels et de nature à tromper le public en ce qui regarde les caractéristiques et la qualité des produits et services, en violation de l’alinéa 7d) de la loi;
v.
violé et sont réputés avoir violé son droit d’auteur sur les œuvres protégées, en violation des articles 3 et 27 de la Loi sur le droit d’auteur.
[24] Essentiellement, l’injonction sollicitée par la demanderesse correspond aux violations alléguées de la Loi sur les marques de commerce et de la Loi sur le droit d’auteur décrites ci‑dessus.
[25] L’autre réparation sollicitée par la demanderesse consiste largement en une injonction mandatoire, visant notamment la destruction de tous les articles qui contreviendraient la loi et qui sont en la possession des défendeurs, sous leur garde ou sous leur autorité, le changement de nom de trois sociétés défenderesses, ainsi que la réparation des dommages qui sont précisés au paragraphe 3 ci‑dessus.
B.
Question préliminaire
[26] Les défendeurs maintiennent que la question du droit de la demanderesse de résilier les ententes de distribution en litige doit être tranchée dans l’action intentée en Alberta avant qu’il soit possible de répondre aux allégations de la demanderesse devant notre Cour. À l’appui de ce point de vue, les défendeurs affirment que s’ils réussissent dans leur position que les ententes de distribution en litige n’ont pas été résiliées légitimement, ils avancent [traduction] « qu’une licence aurait été en place pendant toute la période en question, et par conséquent, qu’il ne peut y avoir contrefaçon de marque de commerce »
. Je ne suis pas de cet avis.
[27] Pendant l’audition de la présente requête, la demanderesse a fait valoir qu’elle n’allègue pas la contrefaçon au titre de la Loi sur les marques de commerce ou la Loi sur le droit d’auteur dans l’action intentée en Alberta. La demanderesse a ajouté que la présente requête se limite à l’emploi que les défendeurs ont fait des noms commerciaux comprenant les mots « TECHNO PILES »
, et qu’elle n’a pas formulé d’allégations au sujet de l’emploi de ces noms commerciaux par les défendeurs dans l’action intentée en Alberta. Ces observations n’ont pas été contestées par les défendeurs.
[28] À une exception près, les renvois aux mots « TECHNO PILES »
dans les actes de procédure produits dans l’action intentée en Alberta sont sans rapport avec les allégations et les observations faites devant notre Cour. La seule exception porte sur la position des défendeurs selon laquelle Techno Piles Inc. est une société inactive. De plus, les seuls renvois aux mots [traduction] « marque de commerce »
ou « marques de commerce »
se rapportent aux marques de commerce de la demanderesse. Ils ne visent pas les noms commerciaux ou les marques de commerce TECHNO PILES qui sont au cœur de l’instance devant notre Cour.
[29] Malgré ce qui précède, les défendeurs maintiennent que la question de savoir s’ils ont le droit d’employer les mots TECHNO PILES comme nom commercial ou marque de commerce demeure une question d’interprétation contractuelle, qui devrait être tranchée dans l’action intentée en Alberta avec les autres questions contractuelles que la demanderesse a introduites devant notre cour. À l’appui de cette prétention, les défendeurs soulignent que la déclaration introductive d’instance de la demanderesse figure aux articles 6.3 et 6.5 des ententes en litige dans l’action intentée en Alberta. Ces articles sont ainsi libellés :
[traduction]
6.3 Tous les véhicules commerciaux du revendeur doivent être peints en blanc et arborer le lettrage approuvé de la marque de commerce de [Techno‑Pieux Inc.]
[…]
6.5 Le revendeur reconnaît qu’un achalandage important est associé à ces marques de commerce et que, par conséquent, il convient d’employer lesdites marques de commerce d’une façon quelconque, à condition qu’elles ne soient modifiées en aucune façon, et avec l’autorisation expresse de TPI.
[30] C’est important à noter que tandis que la déclaration introductive d’instance qui a été déposée lors de l’action intentée en Alberta fait mention des dispositions susmentionnées dans le cadre d’un aperçu des ententes de distribution en litige seulement, ils ne sont pas mentionnés dans les articles de la déclaration introductive d’instance qui portent sur les violations présumées des ententes entre les parties ou sur les réparations demandées. Dans la déclaration introductive d’instance, il n’y a pas non plus de mention des mots « marque de commerce »
ou « marques de commerce »
, ni du terme « droit d’auteur »
. Pour plus de certitude, il n’y a aucun renvoi à la Loi sur les marques de commerce ou la Loi sur le droit d’auteur.
[31] Les défendeurs ajoutent que les ententes de distribution en litige prévoient effectivement le droit d’employer le nom commercial et la marque de commerce TECHNO PILES [traduction] « en fonction de l’interprétation de la licence contractuelle ou de la mesure d’atténuation fondée sur le manquement à l’obligation contractuelle de la demanderesse »
. Les défendeurs affirment par conséquent que notre Cour devrait attendre que la Cour de l’Alberta tranche cette question, avant de se pencher sur la présente requête. Cependant, encore une fois, il n’y a pas le moindre renvoi à cette allégation dans les actes de procédure produits dans l’action intentée en Alberta qui sont joints aux pièces C, D et E, respectivement, de l’affidavit de Mme Bertram dans la présente instance [l’affidavit Bertram]. À vrai dire, ce droit allégué ne découle pas clairement de la simple lecture des ententes de distribution en litige.
[32] Même si, comme l’affirment les défendeurs, la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta est saisie de la question générale de leur besoin de prendre des mesures d’atténuation face à la prétendue résiliation des ententes de distribution en litige par la demanderesse, il ne semble pas que cette question s’étende aux questions plus restreintes qui ont été soulevées dans la présente requête. Ces questions concernent l’emploi qu’ont fait les défendeurs des marques de commerce, des noms commerciaux, des logos et des dessins, dont il est allégué qu’il enfreint la Loi sur les marques de commerce et la Loi sur le droit d’auteur. C’est une chose que de minimiser les pertes qu’une entité a subies par suite de la création d’une nouvelle image de marque, c’en est une autre que de le faire d’une façon qui pourrait être considérée comme une violation de la Loi sur les marques de commerce et/ou de la Loi sur le droit d’auteur.
[33] Je suis d’accord avec la demanderesse pour dire qu’il ne peut pas être raisonnablement suggéré que les ententes de distribution en litige permettent ou prévoient l’emploi des noms commerciaux, des marques de commerce, des logos ou des dessins de TECHNO PILES.
[34] Par conséquent, je ne pas de possibilité réelle d’un éventuel chevauchement entre les questions qui ont été soulevées dans l’action intentée en Alberta et celles qui ont été dans la présente requête. Il s’ensuit que je ne vois pas non plus de possibilité réelle que des décisions contradictoires puissent être rendues dans chacune des deux procédures.
[35] Eu égard à ce qui précède, je ne souscris pas à l’argument des défendeurs que la présente requête ne peut pas être examinée avant que les litiges contractuels relevant de l’action intentée en Alberta ne soient tranchés. Par souci de précision, je considère que les questions soulevées dans la présente requête peuvent être résolues sans avoir à aborder les questions d’interprétation contractuelle qui sont en litige dans l’action intentée en Alberta, et sans avoir à se pencher sur les articles 6.3 et 6.5 des ententes de distribution en litige.
[36] Je prends le temps de faire remarquer qu’en contre‑interrogatoire sur son affidavit, Mme Bertram a reconnu que la demanderesse n’avait jamais autorisé les sociétés défenderesses principales à mener leurs activités sous le nom de TECHNO PILES.
C.
Analyse
(1)
Le critère applicable en matière de jugement sommaire
[37] La Cour peut rendre un jugement sommaire si c’est établi qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse (paragraphe 215(1) des Règles). Les critères qui servent à établir cela doivent recevoir une interprétation large et propice à la proportionnalité et à l’accès équitable à un règlement abordable, expéditif et juste des demandes (Hryniak c Mauldin, 2014 CSC 7, au para 5 [Hryniak]).
[38] Lorsque la Cour est en mesure de tirer les conclusions de fait nécessaires, d’y appliquer la loi et de statuer justement et équitablement au fond, il conviendrait ordinairement d’accueillir une requête en jugement sommaire (Hryniak, précité, aux para 4 et 49
[1]
). À cet égard, la norme d’équité consiste à déterminer non pas si la procédure visée est aussi exhaustive que la tenue d’un procès, mais si elle permet au tribunal de pouvoir avec confiance tirer les conclusions de fait nécessaires et d’appliquer les principes juridiques pertinents pour régler le litige (Hryniak, précité, au para 50).
[39] Tel sera le cas si le tribunal est convaincu que « l’affaire est clairement sans fondement ou si son succès est tellement douteux qu’elle ne mérite pas d’être examinée par le juge des faits au procès ultérieur »
(Canmar Foods Ltd. c TA Foods Ltd., 2021 CAF 7, au para 24 [Canmar]).
[40] Même si le fardeau incombe à la partie requérante, les deux parties doivent présenter leurs meilleurs arguments. Cela exige notamment pour la partie intimée de « présenter des faits précis démontrant qu’il existe une véritable question litigieuse »
(Canmar, précité, au para 27).
(2)
Contrefaçon de marques de commerce (alinéa 20(1)a))
a) Introduction et principes juridiques applicables
[41] Dans sa requête, la demanderesse sollicite un jugement déclaratoire portant que les défendeurs ont contrefait et sont réputés avoir contrefait ses marques déposées, en contravention des articles 19 et 20 de la Loi sur les marques de commerce. En vue de cette requête, les observations écrites de la demanderesse se concentrent principalement sur son allégation selon laquelle les noms commerciaux et/ou les marques de commerce TECHNO PILE sont similaires aux marques déposées au point de créer de la confusion au sens de l’alinéa 20(1)a) de cette loi. La demanderesse n’a pas allégué que ces noms commerciaux et/ou marques de commerce sont identiques aux marques déposées, comme l’exige l’article 19 (Sandhu Singh Hamdard Trust c Navsun Holdings Ltd., 2019 CAF 295, au para 20 [Sandhu]). Par conséquent, l’examen ci‑dessous sera axé sur l’alinéa 20(1)a)
[2]
. Le texte intégral de l’alinéa 20(1)a) et des autres dispositions examinées ci‑dessous est présenté à l’annexe 1 des présentes.
[42] Selon l’alinéa 20(1)a), le droit exclusif d’un propriétaire d’utiliser une marque de commerce déposée à l’emploi partout au Canada est réputé être violé par toute personne qui n'est pas autorisée à utiliser cette marque et qui soit vend, distribue ou annonce des produits ou services en liaison avec une marque de commerce ou un nom commercial créant de la confusion.
[43] Pour déterminer si une marque de commerce ou un nom commercial crée de la confusion, l’article 6 de la loi prévoit des paramètres importants. Le paragraphe 6(2), plus particulièrement, est ainsi libellé :
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[44] Le paragraphe 6(3) formule essentiellement le même critère applicable à la confusion causée par l’emploi d’une marque de commerce, par rapport à un nom commercial existant. Il en va de même du paragraphe 6(4), mais relativement à la confusion causée par l’emploi d’un nom commercial, par rapport à une marque de commerce existante.
[45] Les facteurs dont il faut tenir compte pour déterminer si les marques de commerce ou les noms commerciaux créent de la confusion sont énoncés au paragraphe 6(5), qui est ainsi libellé :
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[46] Parmi les facteurs susmentionnés, certains peuvent être particulièrement pertinents dans un cas précis. Quoi qu’il en soit, leur poids varie en fonction de « toutes les circonstances de l’espèce »
(Veuve Clicquot Ponsardin c Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23, au para 27 [Veuve Clicquot]).
[47] Dans l’examen des facteurs pertinents et des circonstances particulières, le point de vue du tribunal doit toujours être celui du consommateur ordinaire plutôt pressé. Pour être plus précis :
Le critère applicable est celui de la première impression que laisse dans l’esprit du consommateur ordinaire plutôt pressé la vue du nom [TECHNO PILES] sur la devanture des boutiques des intimées ou sur une de leurs factures, alors qu’il n’a qu’un vague souvenir des marques de commerce [Techno‑Pieux/Techno Metal Post], et qu’il ne s’arrête pas pour réfléchir à la question en profondeur, pas plus que pour examiner de près les ressemblances et les différences entre les marques.
Veuve Clicquot, précité, au para 20.
[48] Autrement dit, la question à trancher est celle de savoir si, sous l’angle de la première impression, le « consommateur ordinaire plutôt pressé »
qui voit les noms commerciaux et/ou les marques de commerce TECHNO PILES serait susceptible d’être confus. Pour répondre à cette question, il faut présumer que le consommateur en question présente les autres caractéristiques évoquées dans le passage cité immédiatement ci‑dessus (voir aussi Masterpiece Inc. c Alavida Lifestyles Inc., 2011 CSC 27, aux para 40‑41 [Masterpiece]).
[49] Par souci de précision, le consommateur pertinent est celui du marché en question. Dans un cas où, comme en l’espèce, les produits et services sont dispendieux ou importants, le tribunal doit être conscient de la possibilité que le consommateur pertinent puisse « [porter] probablement un peu plus attention »
aux marques des défendeurs (Masterpiece, précité, aux para 69‑70). Néanmoins, on doit quand même considérer que ce consommateur possède les caractéristiques évoquées aux deux paragraphes précédents. Le fait qu’il puisse mener subséquemment des recherches approfondies et réfléchir afin de dissiper la confusion qui peut avoir découlé de la première impression est peu pertinent (Masterpiece, précité, aux para 72‑73).
[50] La confusion pertinente se rattache à la source des produits en question, plutôt qu’aux marques de commerce, noms commerciaux ou produits qui sont employés en liaison avec la(les) marque(s) de commerce revendiquée(s) (Masterpiece, précité, aux para 41, 67, 73, 104‑105).
[51] La demanderesse doit s’acquitter de la charge de présentation consistant à établir la probabilité – plutôt que la simple possibilité – de confusion, selon la prépondérance des probabilités (Loblaws Inc. c Columbia Insurance Company, 2019 CF 961, au para 44 [Loblaws], conf par 2021 CAF 29; Toys “R” Us (Canada) Ltd. c Herbs “R” Us Wellness Society, 2020 CF 682, au para 6 [Toys “R” Us]). Cependant, il n’est pas nécessaire que la demanderesse établisse une confusion réelle (Mattel, Inc. c 3894207 Canada Inc., 2006 CSC 22, aux para 55 et 89 [Mattel]; Veuve Clicquot, précité, au para 6).
[52] Dans l’arrêt Masterpiece, il est dit que le « degré de ressemblance »
prévu à l’alinéa 6(5)e) devrait constituer le point de départ de l’étude des divers facteurs énoncés au paragraphe 6(5) de la Loi sur les marques de commerce. Il en est ainsi parce que « si les marques ou les noms ne se ressemblent pas, il est peu probable que l’analyse amène à conclure à la probabilité de confusion même si les autres facteurs tendent fortement à indiquer le contraire »
(Masterpiece, précité, au para 49).
b) Le degré de ressemblance (alinéa 6(5)e))
[53] L’analyse du degré de ressemblance entre les marques de commerce et les noms commerciaux en litige doit porter sur la présentation et le son de ces mots, ainsi que sur les idées qu’ils suggèrent (Loi sur les marques de commerce, alinéa 6(5)e)).
[54] La demanderesse prétend qu’il existe un degré de ressemblance élevé entre les dessins‑marques figurant ci‑dessous :
Logo de Techno Piles
[55] De plus, la demanderesse maintient que les mots TECHNO PILES sont remarquablement similaires à ceux de ses marques nominales déposées TECHNO PIEUX et TECHNO METAL POST.
[56] En réponse, les défendeurs soutiennent que le « consommateur ordinaire plutôt pressé »
est peu susceptible de considérer que leurs noms commerciaux et logos ressemblent à ceux des marques déposées de la demanderesse à un degré tel que cela risque de créer de la confusion. Les défendeurs invoquent trois arguments à l’appui de cette position.
[57] Premièrement, les défendeurs affirment que le préfixe « Techno »
est employé trop couramment pour être distinctif. À l’appui de cette prétention, ils invoquent le témoignage de Mme Bertram selon lequel des centaines de marques déposées au Canada font usage du terme « Techno »
, et que certains concurrents du marché des pieux vissés emploient le terme « Tech »
ou « tech »
dans leurs noms et logos, notamment Postech et Goliath Tech. Malgré cela, les défendeurs n’ont produit aucun élément de preuve des noms commerciaux ou des marques de commerce, déposées ou autres, qui contiennent le mot « Techno »
et sont employés en liaison avec la vente de pieux vissés au Canada ou les autres produits en litige dans la présente instance. À vrai dire, Mme Bertram a reconnu qu’elle ignorait pour quel motif ces autres marques étaient déposées.
[58] Je n’accepte pas la prétention des défendeurs selon laquelle le terme « Tech »
est hautement similaire à celui de « Techno »
. À mon avis, le consommateur ordinaire de ce marché, qui est plutôt pressé, est susceptible de considérer que le terme « Techno »
est distinctif, même en rapport avec le mot « Tech »
, au moins sous l’angle de la première impression. À ce titre, le fait que les marques de commerce et noms commerciaux en litige contiennent tous deux le terme TECHNO est un facteur qui milite en faveur d’une conclusion selon laquelle la confusion est probable, même dans une industrie où le terme « Tech »
est employé par certains participants au marché.
[59] Deuxièmement, les défendeurs soutiennent que les termes « Metal Post »
et « Pile »
sont largement employés par de nombreux concurrents des parties, et qu’ils ont le même sens que le terme français « Pieux »
. Par conséquent, les défendeurs maintiennent que cet élément favorise l’attribution de peu de poids à la similitude des mots dans l’analyse de la confusion. Ils affirment que cela est particulièrement vrai compte tenu de l’emploi répandu des représentations de pieux vissés dans l’industrie. À mon avis, ces considérations n’aident pas les défendeurs à cette étape de l’analyse, c’est‑à‑dire, qu’elles ne font pas pencher la balance en faveur des défendeurs dans l’étude du degré de ressemblance entre leurs noms commerciaux et marques de commerce et les marques déposées de la demanderesse au sens de l’alinéa 6(5)e).
[60] Troisièmement, les défendeurs affirment que les termes « Metal Post »
, « Pile »
et « Pieux »
sont suffisamment différents pour écarter la possibilité de confusion pour le consommateur moyen pressé, surtout compte tenu des différences entre les langues employées.
[61] J’accepte que les différences au niveau de la présentation et du son entre les termes « Pieux »
et « Metal Post »
, d’une part, et le terme « Pile »
d’autre part, favorisent les défendeurs. Cependant, aux fins de l’analyse au titre de l’alinéa 6(5)e), deux autres facteurs font pencher la balance en faveur de la demanderesse, notamment : (i) le fait que le premier mot des marques de commerce et noms commerciaux des parties (TECHNO) soit identique et particulièrement frappant (Masterpiece, précité, aux para 63‑64); et (ii) les idées que suggèrent les derniers mots de ces marques de commerce et noms commerciaux sont également identiques. Sur ce dernier point, comme je l’ai déjà mentionné, les défendeurs reconnaissent que ces mots ont tous le même sens. Ils reconnaissent également que le terme « Pieux »
a [traduction] « une forte connotation française »
. Par conséquent, le consommateur moyen de ce marché qui est pressé peut très bien présumer (avec raison) que « Pile »
s’entend au sens de « Pieux »
, et que les marques de commerce et noms commerciaux en litige ont donc la même source.
[62] Ces considérations distinguent l’espèce de la situation qui prévalait dans Compulife Software Inc. c Compuoffice Software Inc., 2001 CFPI 559 au paragraphe 33, où la Cour a conclu que les suffixes étaient suffisamment différents pour qu’il soit peu probable que les acheteurs des logiciels COMPULIFE ou COMPUOFFICE pensent que les marques de commerce émanent de la même source, malgré les préfixes « COMPU »
identiques. Dans la même veine, pour les motifs que j’ai déjà examinés, la situation en cause se distingue également du litige dans Ikea Ltd. et al. c Idea Design Ltd. et al. (1987), 13 CPR (3d) 476 aux paragraphes 477‑478. Dans cette affaire, la Cour a conclu que la lettre k du terme IKEA donnait une forte allure scandinave à cette marque de commerce, de sorte que les consommateurs qui voyaient la marque ou le dessin IDEA de l’opposante ne seraient pas susceptibles d’être confus. En l’espèce, il n’y a aucune différence visuelle, phonétique ou autre aussi distinctive, qui pourrait faire pencher la balance en faveur des défendeurs.
[63] Par souci de précision, le fait que la demanderesse emploie ses marques TECHNO METAL POST, plutôt que TECHNO PIEUX, dans la région du pays où les défendeurs mènent leurs activités, importe peu (Masterpiece, précité, au para 30). Il en est ainsi parce que la Cour doit tenir compte du scénario hypothétique selon lequel les marques de commerce et noms commerciaux des défendeurs pourraient être employés dans la même région que les marques déposées de la demanderesse (Loi sur les marques de commerce, paragraphes 6(2) à (4)).
[64] En résumé, pour les motifs exposés ci‑dessus, je considère que, selon la perception probable d’un consommateur ordinaire qui est plutôt pressé et qui n’a qu’un vague souvenir, les marques de commerce et noms commerciaux en litige présentent un degré de ressemblance qui crée de la confusion. Cette conclusion joue en faveur de la demanderesse. Par souci de précision, il n’existe pas de véritable question litigieuse en ce qui concerne ce facteur.
c) Le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus (alinéa 6(5)a))
[65] La demanderesse reconnaît que les termes « Pieux »
et « Metal Post »
décrivent bien ses produits. Cependant, elle maintient que, considérées dans leur ensemble, chacune des marques déposées est distinctive en raison de (i) la présence du premier mot frappant « TECHNO »
, et (ii), dans le cas de ses logos, la combinaison de ce mot et de son illustration originale d’un pieu vissé. La demanderesse ajoute que ses marques déposées sont devenues connues à l’échelle internationale et qu’elles ont acquis un caractère distinctif au fil du temps.
[66] Les défendeurs ne sont pas de cet avis. Ils affirment que les marques déposées sont génériques, descriptives, sont dépourvues de caractère distinctif inhérent et n’ont pas acquis un caractère distinctif au fil du temps.
[67] À l’appui de leur prétention, les défendeurs affirment que l’emploi du mot TECHNO, conjointement avec les mots « METAL POST »
ou « PIEUX »
, donne aux consommateurs l’impression que la demanderesse fournit des pieux ou des poteaux d’acier et/ou des services connexes par des moyens technologiques. À ce titre, ces mots sont uniquement descriptifs.
[68] Je ne suis pas de cet avis. À mon avis, le mot « TECHNO »
a un certain degré de caractère distinctif en liaison avec les produits et services pour lesquels les marques sont déposées. Je considère que ce degré de caractère distinctif est plus important, et moins descriptif, que celui auquel notre Cour a conclu à l’égard (i) du terme SUPERWASH, employé en liaison avec certains lainages lavables, et (ii) le terme SUPERSET, employé en liaison avec des téléphones (Wool Bureau of Canada Ltd. c Canada (Registrar of Trademarks) (1978), 40 CPR (2d) 25; Mitel Corporation c Canada (Registrar of Trademarks) (1984), 79 CPR (2d) 202).
[69] Je reconnais que les termes « TECH »
, « TECHNO »
, « METAL POST »
et « PIEUX »
peuvent être largement employés dans l’industrie de la construction de façon générale. Cependant, il n’y a aucune preuve que personne d’autre que la demanderesse emploie ou ait employé le mot « TECHNO »
en combinaison avec les termes « METAL POST »
ou « PIEUX »
, ainsi qu’en rapport avec les produits et services pour lesquels les marques ont été déposées (McDowell c Laverana GmbH & Co. KG, 2017 CF 327. aux para 43‑46; Eclectic Edge Inc. c Gildan Apparel (Canada) LP, 2015 CF 1332, aux para 82‑84). Comme je l’ai déjà mentionné, je considère que le mot « TECHNO »
est assez frappant, surtout parce qu’il s’agit du premier mot des marques déposées. Il est peu probable que ce caractère frappant soit atténué de manière importante en vertu du fait que certains concurrents des parties emploient les mots « Tech »
, « Technology »
ou « Technologies »
dans leurs marques de commerce ou noms commerciaux. Ma conclusion à cet égard est renforcée par la déclaration de Mme Bertram pendant le contre‑interrogatoire sur son affidavit, selon laquelle elle était distributrice pour la demanderesse et elle considérait que la [traduction] « marque »
était « Techno »
, plutôt que le nom intégral de la société (transcription du contre‑interrogatoire de Mme Bertram, le 22 novembre 2021, à la p 109).
[70] Je ne souscris pas non plus à la prétention des défendeurs selon laquelle les marques déposées n’ont pas acquis de caractère distinctif au fil du temps. À mon avis, la preuve des ventes substantielles de la demanderesse, de pair avec l’ampleur des activités de publicité et de promotion qu’elle et ses distributeurs ont menées au fil des ans, incite raisonnablement à conclure que les marques déposées ont acquis un caractère distinctif valable au fil des ans (H‑D U.S.A., LLC c Varzari, 2021 CF 620, au para 26; Toys “R” Us, précité, aux para 24 et 27; Micro Focus (IP) Limited c Information Builders Inc., 2014 FC 632 au para 5).
[71] La preuve démontre notamment ce qui suit :
i.
Le total global des recettes perçues par la demanderesse pour les produits et services associés aux marques déposées a augmenté régulièrement au cours des dernières années, de plus de 16 millions de dollars à plus de 32 millions de dollars. Au cours de cette période, le total de ses recettes réalisées au Canada a aussi augmenté régulièrement, de plus de 11,5 millions de dollars à plus de 18 millions de dollars, et le total de ses recettes réalisées en Alberta a augmenté de 600 000 $ à plus de 1,6 million de dollars.
ii.
Au cours de cette même période, le total des dépenses publicitaires et promotionnelles de la demanderesse a augmenté régulièrement, de plus de 350 000 $ à plus de 660 000 $. Ces dépenses comprennent des annonces placées dans les magazines et les journaux, ainsi que sur les ondes de stations de radio.
iii.
Les marques déposées ont été affichées bien en vue sur le site Web de la demanderesse depuis l’année 2002 au moins.
iv.
Les marques déposées ont été affichées bien en vue sur la page Facebook de la demanderesse depuis le début de l’année 2010. En date du 18 octobre 2021, cette page Facebook comptait 5 911 « suiveurs »
.
v.
Les marques déposées ont également été affichées en liaison avec les produits de la demanderesse sur son compte Instagram et sa page Twitter, qui comptaient respectivement 555 et 195 « suiveurs » au
18 octobre 2021.
vi.
La demanderesse a aussi annoncé et promu ses produits en liaison avec les marques déposées sur son compte YouTube, qui est actif depuis mars 2010.
vii.
Au cours de la période où elle était distributrice pour la demanderesse, TMP Fort McMurray a réalisé des affaires intéressantes par suite de sa participation à des foires commerciales et de la publicité affichée sur ses camions (qui emploient une ou plusieurs des marques déposées).
[72] En ce qui concerne les marques de commerce et noms commerciaux TECHNO PILES des défendeurs, il n’y a aucune preuve substantielle de leur caractère distinctif inhérent ou acquis, par rapport aux marques déposées. Comme il appert clairement, le mot TECHNO est identique dans toutes les marques en litige, et il semble être admis de part et d’autre que le mot PILES est purement descriptif – pour la même raison que le sont les mots METAL POST et PIEUX.
[73] Compte tenu de tout ce qui précède, je conclus que le facteur du « caractère distinctif »
inhérent et/ou acquis favorise la demanderesse. Par souci de précision, il n’existe pas de véritable question litigieuse en ce qui concerne ce facteur.
d) La période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage (alinéa 6(5)b))
[74] Comme je l’ai déjà indiqué, la demanderesse emploie sa marque nominale TECHNO METAL POST (TMA596228) depuis 2003. Elle emploie également ses deux dessins‑marques (TMA562798 et TMA638884) depuis 2002 et 2005, respectivement, en liaison avec les produits et services enregistrés. De plus, elle emploie sa marque nominale TECHNO PIEUX (TMA950281) depuis 2016.
[75] En comparaison, les défendeurs n’emploient leurs marques TECHNO PILES sur le marché que depuis environ mai 2021
[3]
.
[76] Les défendeurs maintiennent que le caractère distinctif des marques déposées a pu s’éroder avec le temps dans le passé, au point que le poids accordé à la période d’usage devrait être réduit. À l’appui de cette prétention, les défendeurs réitèrent leur point de vue selon lequel le mot TECHNO est employé par plusieurs autres sociétés dans l’industrie de la construction de façon générale, tandis que les marques faisant usage de mots très similaires tels que « Tech »
et « Technology »
sont employés par de multiples concurrents dans la [traduction] « sous‑industrie des pieux vissés »
. Essentiellement pour les mêmes motifs que ceux exposés aux paragraphes 68 et 69, ci‑dessus, je rejette la prétention des défendeurs. Je n’accepte pas leur suggestion que l’omission de la demanderesse de prendre des mesures contre ces concurrents et participants de l’industrie de la construction qui emploient le terme « Techno »
, devrait donner lieu à la conclusion que les marques déposées ont perdu le caractère distinctif qu’elles auraient pu avoir dans le passé.
[77] Compte tenu de ce qui précède, ce facteur est favorable à la demanderesse. Par souci de précision, il n’y a aucune question sérieuse à trancher relativement à ce facteur.
e) Le genre de produits, de services ou d’entreprise (alinéa 6(5)c))
[78] La demanderesse maintient que les produits et services qui sont vendus, offerts à la mise en vente et annoncés par la demanderesse et les défendeurs sont effectivement les mêmes.
[79] Dans son affidavit, Mme Bertram a reconnu que les sociétés défenderesses principales offrent les produits énumérés ci‑dessous, pour lesquels la marque nominale TECHNO METAL POST de la demanderesse et ses deux dessins‑marques sont enregistrés : [traduction] « pieux, poteaux et piquets de fondation »
. Mme Bertram a également reconnu que ces sociétés défenderesses offrent les services d’ingénierie suivants à l’égard des quatre marques déposées de la demanderesse : « Services d’ingénierie en matière de conception de fondations et administration de tests de vérification des fondations »
(voir de façon générale les paragraphes 7‑8, ci‑dessus).
[80] Par conséquent, il est admis de part et d’autre qu’il y a un chevauchement direct entre les parties en ce qui concerne un large éventail de produits et de services en liaison avec lesquels les marques sont déposées.
[81] Ce chevauchement direct et vaste est un facteur qui milite en faveur de la demanderesse. Ceci est vrai malgré le fait que ce chevauchement ne s’étende pas aux produits pour lesquels la marque nominale TECHNO PIEUX est déposée (voir le paragraphe 9, ci‑dessus) et qu’il ne puisse pas s’étendre aux [traduction] « instruments permettant de déterminer la capacité de charge des semelles et des pieux de fondation »
(voir le paragraphe 8 ci‑dessus).
[82] Par souci de précision, il n’y a aucune question sérieuse à trancher en rapport avec ce facteur.
f) La nature du commerce (alinéa 6(5)d))
[83] La demanderesse soutient que ce facteur joue en sa faveur parce que les produits et services des sociétés défenderesses principales, censément contrefaits, sont offerts et vendus par les mêmes voies de commercialisation que ses propres produits et services. La demanderesse maintient que cela est le cas parce que les produits et services respectifs des parties sont destinés et vendus aux mêmes consommateurs finaux, notamment les constructeurs et les entrepreneurs qui ont besoin de pieux vissés et/ou d’installations pour leurs projets de construction.
[84] En réponse, les défendeurs maintiennent que ce facteur joue en leur faveur et mérite qu’on lui accorde un poids important. À l’appui de cette prétention, ils affirment que la demanderesse vend principalement ses produits à des revendeurs qui revendent exclusivement ces produits. Les défendeurs ajoutent qu’il est peu probable que ces [traduction] « clients »
ne puissent jamais confondre la source des produits respectifs des parties. Ils soulignent qu’il en va de même pour leurs propres clients, en particulier les constructeurs et les entrepreneurs auxquels ils vendent directement les produits. À cet égard, selon la preuve par affidavit non contestée de Mme Bertram, les ventes des défendeurs s’effectuent en grande partie par des contacts personnels ou par suite des recommandations faites par des personnes avec lesquelles Mme Bertram et M. Bergevin ont travaillé directement. Dans ce contexte, la valorisation de la marque ou la publicité connexe sont comparativement moins importantes et la confusion des clients à l’égard de la source des produits et services offerts par les sociétés défenderesses principales est [traduction] « hautement improbable »
. La preuve par affidavit de Mme Bertram sur ce point est étayée par son témoignage en contre‑interrogatoire, à l’effet que beaucoup de clients s’adressent aux défendeurs par suite des aiguillages et des contacts personnels, plutôt qu’en raison de la publicité (transcription du contre interrogatoire de Mme Bertram, le 22 novembre 2021, aux p 26‑29).
[85] Je considère que la preuve fournie par Mme Bertram soulève une véritable question litigieuse. Compte tenu de cette preuve, je ne suis pas convaincu que l’argument des défendeurs concernant la « nature du commerce »
dans l’analyse « soit clairement sans fondement, ou que son succès soit tellement douteux qu’il ne mérite pas d’être examiné par le juge des faits au procès ultérieur »
(Canmar, précité, au para 24). Cette preuve peut être lourde de conséquences pour la Cour dans son évaluation de la probabilité de confusion, sous l’angle de la première impression, de la part du consommateur ordinaire de ce marché qui est plutôt pressé. Cela est particulièrement vrai compte tenu de certains éléments de preuve produits par le principal déposant de la demanderesse, M. Jérôme Chabot, en contre‑interrogatoire. Plus précisément, il a convenu qu’une bonne part des aiguillages vers la demanderesse découle normalement des liens personnels. Je reconnais que Mme Bertram n’a pas beaucoup étayé ses déclarations, et que les défendeurs (tout comme la demanderesse) doivent présenter leurs meilleurs arguments. Cependant, malgré ses lacunes, la preuve de Mme Bertram atteint le seuil nécessaire pour résister à une requête en jugement sommaire, qui est précisé ci‑dessus.
[86] J’ouvre une parenthèse pour formuler deux observations en passant. Tout d’abord, même si je reconnais la preuve par affidavit de Mme Bertram selon laquelle [traduction] « l’installation de pieux vissés est une question qui fait généralement l’objet de recherches approfondies de la part de la clientèle [celle des défendeurs], en raison du coût et de l’importance du produit »
, le critère applicable met l’accent sur « la première impression du consommateur lorsqu’il voit les marques en question »
(Masterpiece, précité, au para 70 [souligné dans l’original]). Par conséquent, le fait que les clients puissent mener subséquemment des recherches approfondies avant de prendre une décision finale à l’égard d’un achat est sans importance (Masterpiece, précité, au para 71). Dans la mesure où les déclarations de notre Cour dans Énergie atomique du Canada limitée c AREVA NP Canada Ltd., 2009 CF 980 aux para 24‑25, peuvent être interprétées comme étant incompatibles avec ce principe, elles devraient être tenues pour périmées au vu de Masterpiece. Par souci de précision, je signalerai pour le dossier du tribunal que je suis conscient de la possibilité que les consommateurs finaux de pieux vissés et de produits connexes puissent porter probablement un peu plus d’attention aux produits concurrentiels sur le marché.
[87] Ensuite, je souscris à l’argument de la demanderesse selon lequel le fait que ses revendeurs fournissent ses produits sur le même marché en aval que celui où les défendeurs offrent et vendent leurs produits est un facteur qui crée une certaine confusion pour les constructeurs, les entrepreneurs et les autres acheteurs des produits et services au sein de ce marché. Il en découle implicitement que je souscris également à l’argument plus général de la demanderesse selon lequel on peut conclure que les défendeurs ont contrefait les marques déposées, même si, actuellement, la demanderesse ne vend pas directement les produits à ces constructeurs et entrepreneurs. Il en est ainsi parce qu’en définitive, la Cour doit se concentrer sur toute la portée des droits exclusifs qui ont été conférés à la demanderesse en liaison avec les marques déposées, plutôt que seulement sur l’emploi réel que la demanderesse fait de cette marque de commerce (Masterpiece, précité, aux para 53‑59). Néanmoins, lorsqu’il s’agit d’évaluer la probabilité de confusion, l’emploi réel n’est certes pas dénué de pertinence (Masterpiece, précité, au para 59). Il convient donc d’examiner la portée des activités réelles des parties et la mesure dans laquelle elles évolueront probablement au fil du temps (Distribution Prosol PS Ltd. c Custom Building Products Ltd, 2015 CF 1170, aux para 70‑71).
g) Autres circonstances pertinentes présumées
[88] Pour les besoins de la présente requête, il n’est pas nécessaire de pousser plus loin l’analyse de la confusion, compte tenu du fait que (i) les défendeurs ont soulevé une véritable question litigieuse à l’égard de la nature du commerce et (ii) l’analyse ultérieure de ce facteur par la Cour (alinéa 6(5)d)) peut avoir une incidence importante sur son analyse globale de la confusion.
[89] Cependant, compte tenu du fait que la présente instance puisse être instruite, je considère qu’il convient de faire observer que la conduite des défendeurs, après qu’ils eurent commencé à employer leur nom commercial et leurs marques de commerce TECHNO PILES sur le marché, sera pertinente quant aux fins de l’évaluation ultime que la Cour fera de la possibilité de confusion. En résumé, cette conduite comprend ce qui suit :
i.
L’envoi l’un courriel général le 30 mai 2021, au nom de « Techno Metal Post Fort McMurray and Medicine Hat »
, qui s’intitulait [traduction] « Faire passer le message – Nouvelles coordonnées de Techno Metal Post Fort McMurray and Medicine Hat »
. Ce courriel indiquait notamment ce qui suit : [traduction] « Nous possédons toujours les mêmes entreprises épatantes, seul le nom change ».
Le courriel énumérait ensuite les adresses et numéros de téléphone que les défendeurs avaient utilisés antérieurement en qualité de distributeurs des produits de la demanderesse. Après avoir indiqué que les courriels personnels et les courriels d’« information »
ne seraient plus valides, l’annonce fournissait de nouveaux courriels comportant le suffixe @technopilesinc.com.
ii.
L’annonce de la [traduction] « création d’une nouvelle image de marque »
et l’affichage d’une vidéo intitulée [traduction] « Création d’une nouvelle image de marque »
sur la page Facebook de Techno Piles.
iii.
La création d’une nouvelle image de marque pour divers comptes de médias sociaux que les défendeurs avaient employés lorsqu’ils se positionnaient encore à titre de distributeurs des produits de la demanderesse sur le marché, et le fait d’avoir continué à afficher des photos ou d’autre matériel arborant une ou plusieurs marques déposées, y compris l’équipement de la demanderesse, qui est décrit comme étant [traduction] « notre équipement exceptionnel d’installation de pieux vissés »
.
iv.
L’indication suivante dans le profil LinkedIn de Mme Bertram : [traduction] « Ronda Bertram, gestionnaire principale de projet chez techno Piles, autrefois connue sous le nom de Techno Metal Post Fort McMurray and Techno Metal Post Medicine Hat Inc. […] Même entreprise épatante, même équipe formidable, seul le nom change »
.
v.
L’indication suivante à la section [traduction] « À propos de nous »
d’une page Web qui appartient à Medicine Hat : [traduction] « Mat et Ronda travaillent tous deux à temps plein dans leur entreprise, ce qui est rare pour des revendeurs de Techno Metal Post […] »
.
vi.
Le renvoi, sur leur site Web, à une liste de [traduction] « Projets réalisés »
qui consistait principalement en des projets qui avaient été réalisés par TMP Fort McMurray en sa qualité de distributeur autorisé des produits de la demanderesse.
vii.
L’affichage d’une annonce sur Kijiji, qui indiquait notamment ce qui suit : [traduction] « technoPILES mène ses activités en vertu du code du bâtiment de l’Alberta et du Rapport d’évaluation du Centre canadien de matériaux de construction (CCMC), à partir d’ALMITA PILING, de ROTERRA PILLING et de TECHNO METAL POST, qui sont CONFORMES AU CODE DU BÂTIMENT »
.
viii.
L’affirmation, sur leur site Web, selon laquelle Techno Piles est [traduction] « conforme au code du bâtiment de l’Alberta et du CCMC »
, suivi du renvoi au numéro CCMC‑13059‑R, qui est celui de l’enregistrement de la demanderesse.
ix.
L’envoi d’une ou plusieurs estimations comportant (i) le logo, le numéro d’attestation du CCMC et le numéro de certification ISO de la demanderesse, bien en évidence au haut de la page, ainsi que (ii) la nouvelle adresse électronique des défendeurs (estimates@technopiles.com) au bas de la page.
h) Résumé et conclusion concernant la confusion et la contrefaçon alléguée
[90] En résumé, sur le fondement de la preuve produite dans la présente requête, je conclus que quatre des cinq facteurs à examiner pour déterminer si les marques de commerce ou noms commerciaux créent de la confusion au sens des alinéas 6(5)a) à c) et e) de la Loi sur les marques de commerce, jouent en faveur de la demanderesse. Les défendeurs n’ont pas démontré qu’il existe une véritable question litigieuse relativement à ces quatre facteurs. Cependant, j’estime que les défendeurs ont satisfait au niveau de base en démontrant qu’il existe une véritable question litigieuse en ce qui concerne le cinquième facteur, soit la nature du commerce. À mon avis, ce facteur peut avoir une incidence importante sur l’analyse globale de la confusion que la Cour effectuera.
[91] Par conséquent, la requête en jugement sommaire relative aux allégations de violation présumée de la demanderesse, au sens des articles 19 et 20 de la Loi sur les marques de commerce, sera rejetée.
(3)
Dépréciation de l’achalandage (art. 22)
[92] L’article 22 interdit l’utilisation d’une marque de commerce déposée par une autre personne d’une manière susceptible d’entraîner la diminution de la valeur de l’achalandage attaché à cette marque de commerce.
[93] Pour démontrer la violation de cette interdiction, un demandeur doit démontrer que le défendeur a « employé des marques dont la ressemblance avec [la marque du demandeur] suffit pour établir, dans l’esprit des consommateurs de la population de référence, un lien entre les deux marques qui est susceptible de déprécier l’achalandage attaché à sa marque [celle du demandeur] »
(Veuve Clicquot, précité, au para 38).
[94] Pour satisfaire à ce critère, un demandeur doit établir les quatre éléments suivants :
Premièrement, la marque de commerce déposée de la demanderesse a été employée par la défenderesse en liaison avec des marchandises ou services — peu importe que ces marchandises ou services entrent en concurrence avec ceux de la demanderesse. Deuxièmement, la marque de commerce déposée de la demanderesse est suffisamment connue pour que l’achalandage qui y est attaché soit appréciable. L’article 22 n’exige pas que la marque soit connue ou célèbre (contrairement aux lois européennes et américaines analogues), mais une défenderesse ne peut faire diminuer la valeur d’un achalandage qui n’existe pas. Troisièmement, la marque de la demanderesse a été employée d’une manière susceptible d’avoir une incidence sur cet achalandage (c.‑à‑d. de faire surgir un lien) et, quatrièmement, cette incidence sera probablement la diminution de la valeur de l’achalandage (c.‑à‑d. un préjudice).
[Italiques dans l’original]
Veuve Clicquot, précité, au para 46.
[95] Les observations écrites et orales que les parties ont formulées à l’égard de l’article 22 étaient très brèves.
[96] En résumé, la demanderesse soutient que les défendeurs ont contrevenu à l’article 22 en employant une marque de commerce (TECHNO PILES) dont le nom est une traduction littérale du nom de sa marque (TECHNO PIEUX), ainsi que les noms commerciaux et marques de commerce TECHNO PILES d’une manière susceptible d’entraîner la dépréciation de l’achalandage attaché à ces marques déposées.
[97] En réponse, les défendeurs maintiennent qu’ils n’ont pas employé les marques déposées sous la forme enregistrée et que, par conséquent, ils n’ont pas contrevenu à l’article 22. Ils ajoutent que leurs noms et les marques de commerce TECHNO PILES peuvent aisément se distinguer des marques déposées dans leurs aspects essentiels, et que la demanderesse n’a produit aucun élément de preuve pour démontrer que les consommateurs sont susceptibles d’associer les marques déposées à l’entreprise des défendeurs.
[98] À mon avis, la demanderesse n’a pas réussi à démontrer qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse touchant les allégations qu’elle a présentées concernant l’article 22. Bref, bien que je sois convaincu qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse quant aux deux premiers éléments de l’analyse, il m’est impossible d’en arriver à cette conclusion à l’égard des deux derniers éléments.
[99] En ce qui concerne le premier élément, je suis convaincu que les défendeurs ont employé des noms commerciaux et des marques de commerce (c’est‑à‑dire, les noms et marques de commerce TECHNO PILES) « dont la ressemblance [avec les marques déposées] suffit »
pour entrer dans les paramètres de l’article 22 (Veuve Clicquot, précité, au para 38).
[100] Quant au deuxième élément, je suis convaincu que les marques déposées sont suffisamment bien connues pour être associées à un achalandage important.
[101] Cependant, pour ce qui est du troisième élément, la preuve produite dans le cadre de la présente requête ne suffit pas pour démontrer que les noms commerciaux et marques de commerce TECHNO PILES ont été, ou sont, employés d’une manière susceptible d’avoir un effet sur l’achalandage de la demanderesse. Il en va de même à l’égard du quatrième élément, à savoir si l’effet probable de l’emploi que les défendeurs ont fait des noms et marques de commerce TECHNO PILES consisterait à diminuer la valeur de l’achalandage de la demanderesse.
[102] Il faut des éléments de preuve additionnels pour chacun de ces deux éléments. Cela est particulièrement vrai quant à la mesure dans laquelle les constructeurs, les entrepreneurs et d’autres personnes parmi la population de référence des consommateurs sont susceptibles d’associer les marques de commerce en litige dans leur esprit, d’une manière susceptible de diminuer la valeur de l’achalandage attaché aux marques déposées.
[103] Par conséquent, la requête en jugement sommaire que la demanderesse a présentée relativement à son allégation de dépréciation de l’achalandage au sens de l’article 22 de la Loi sur les marques de commerce sera rejetée.
(4)
Commercialisation trompeuse et fausses déclarations
[104] Dans son avis de requête modifié, la demanderesse sollicite des jugements déclaratoires portant que les défendeurs ont contrevenu aux alinéas 7b) et 7d) de la Loi sur les marques de commerce.
[105] Voici le texte de ces dispositions :
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a)
Commercialisation trompeuse (alinéa 7b))
[106] Pour démontrer qu’il y a eu contravention à l’alinéa 7b), un demandeur doit établir (i) l’existence d’un achalandage, (ii) le fait d’induire le public en erreur par une représentation trompeuse, faite par négligence ou avec insouciance et (iii) des dommages actuels ou possibles (Kirkbi AG c Gestions Ritvik Inc., 2005 CSC 65, aux para 66‑68). Comme question préliminaire, un demandeur doit également prouver la possession d’une marque de commerce valide et exécutoire, qu’elle ait été déposée ou non, à l’époque où le défendeur a commencé à attirer l’attention du public vers ses propres produits et services (Sandhu, précité, au para 39).
[107] J’estime que la demanderesse a satisfait à la condition préalable consistant de prouver la possession d’une marque de commerce valide et exécutoire à l’époque pertinente. Bref, la demanderesse a fourni des copies des enregistrements de chacune des marques déposées. Pour les motifs examinés aux paragraphes 181‑189, ci‑dessous, les défendeurs n’ont pas réussi à soulever une véritable question litigieuse relativement à leur allégation selon laquelle les marques déposées sont invalides.
[108] Compte tenu de la preuve résumée au paragraphe 71, ci‑dessus, j’estime également que la demanderesse a démontré l’existence de l’achalandage attaché aux marques déposées.
[109] Cependant, j’estime que la demanderesse n’a pas démontré qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse en ce qui concerne les éléments du fait d’induire le public en erreur et des dommages actuels. Bien que je sois convaincu que la conduite décrite au paragraphe 89, ci‑dessus, constituait dans son ensemble une représentation trompeuse, faite par négligence ou avec insouciance, la preuve produite dans le cadre de la présente requête ne démontre pas qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse à l’égard de l’élément de tromperie du critère. Cet élément est évalué par rapport aux mêmes facteurs, énoncés au paragraphe 6(5) de la Loi sur les marques de commerce, que ceux examinés pour déterminer la confusion (Sandhu, précité, au para 53). Pour les motifs examinés aux paragraphes 85‑87, ci‑dessus, il existe une véritable question litigieuse quant à la question de savoir si un ou plusieurs acheteurs de la population de référence des acheteurs des produits et services en litige ont été ou sont susceptibles d’être confus ou trompés par la conduite des défendeurs et leur emploi des marques et noms commerciaux TECHNO PILES. Pour des raisons essentiellement identiques, il existe une véritable question litigieuse quant à la question de savoir si la demanderesse a subi ou subira probablement des dommages réels ou éventuels. Ces dommages ne sauraient être présumés (Cheung c Target Event Production Ltd., 2010 CAF 255, au para 24). À défaut de preuve, la confusion ou la tromperie réelle ou probable ne peut pas être déduite. Au vu du dossier dont je suis saisi dans la présente requête, je doute qu’il me soit possible de tirer les conclusions de fait nécessaires et d’appliquer les principes juridiques pertinents pour déterminer de manière juste et équitable le bien‑fondé des prétentions de la demanderesse (Hryniak, précité, aux para 49‑50).
[110] J’ajouterai en passant que la demanderesse n’a pas produit d’éléments de preuve convaincants pour établir que des personnes se sont réellement méprises ou ont été confuses par suite de la conduite des défendeurs et de leur emploi des marques et noms commerciaux TECHNO PILES.
b)
Fausse représentation (alinéa 7d))
[111] L’alinéa 7d) prévoit « […] de la duperie dans l’offre au public de marchandises ou services, duperie au sens de désignation fausse sous un rapport essentiel et de nature à tromper le public en ce qui regarde […] »
les questions énumérées dans les dispositions 7d)(i) à (iii), respectivement (voir le paragraphe 105, ci‑dessus; MacDonald et al. c Vapor Canada Ltd., [1977] 2 RCS 134, au para 148).
[112] Comme dans le cas des observations de la demanderesse sur l’alinéa 7b), les observations formulées à l’égard de l’alinéa 7d) étaient très brèves. Elles consistaient en la simple affirmation que les défendeurs avaient employé des marques et des noms susceptibles d’induire le public en erreur que leurs produits sont associés à la demanderesse ou autorisés par celle‑ci. À mon avis, cette simple prétention, même étayée par les observations faites à l’égard de la contrefaçon présumée en vertu de l’article 20, ne permet pas d’établir qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse. Même si la conduite analysée au paragraphe 89, ci‑dessus, semble avoir englobé des déclarations et l’affichage d’autres documents qui étaient faux sous un rapport essentiel, la question de savoir si le public est ou a été susceptible de se méprendre en conséquence constitue une véritable question litigieuse.
(5)
Violation du droit d’auteur
a) Les principes juridiques applicables
[113] La Loi sur le droit d’auteur protège l’expression des idées dans les œuvres originales, et non les idées comme telles (CCH Canadienne Ltée c Barreau du Haut‑Canada, 2004 CSC 13, au para 8 [CCH]).
[114] Le droit d’auteur subsiste dans toutes les œuvres littéraires, dramatiques, musicales et artistiques si l’une des conditions énumérées, qui ne sont pas contestées dans la présente requête (Loi sur le droit d’auteur, paragraphe 5(1)), est satisfaite.
[115] Pour être originale au sens de cette loi, une œuvre doit être davantage qu’une copie d’une autre œuvre. Point n’est besoin toutefois que l’œuvre soit « créative, c’est‑à‑dire novatrice ou unique »
. Au contraire, « [l]’élément essentiel à la protection de l’expression d’une idée par le droit d’auteur est l’exercice du talent et du jugement »
(CCH, précité, au para 16). On peut faire preuve de talent par « […] le recours aux connaissances personnelles, à une aptitude acquise ou à une compétence issue de l’expérience pour produire l’œuvre »
, tandis qu’on exerce son jugement par « […] la faculté de discernement ou la capacité de se faire une opinion ou de procéder à une évaluation en comparant différentes options possibles pour produire l’œuvre »
(CCH, précité, au para 16).
[116] Le degré requis de talent et de jugement ne peut pas être négligeable au point qu’on puisse le qualifier d’entreprise purement mécanique (CCH, précité, au para 16).
[117] Le « droit d’auteur »
sur l’œuvre comporte le droit exclusif de produire ou reproduire la totalité ou une partie de l’œuvre, sous une forme matérielle quelconque (Loi sur le droit d’auteur, article 3). Par conséquent, il y a violation du droit d’auteur chaque fois qu’une personne reproduit l’œuvre protégée par le droit d’auteur, ou toute partie importante de celle‑ci, sans le consentement du propriétaire (Loi sur le droit d’auteur, paragraphe 27(1)). Il en va de même chaque fois qu’une personne fait une « imitation déguisée »
(Loi sur le droit d’auteur, article 2).
[118] Ce qui constitue une partie « importante »
d’une œuvre est une notion souple et une question de fait et de degré. « En règle générale, une partie importante d’une œuvre est une partie qui représente une part importante du talent et du jugement de l’auteur exprimés dans l’œuvre. »
(Cinar Corporation c Robinson, 2013 CSC 73, au para 26 [Cinar]).
[119] Pour déterminer si une partie importante d’une œuvre protégée par le droit d’auteur a été reproduite, il faut considérer l’œuvre protégée par le droit d’auteur dans son ensemble, plutôt que des extraits isolés de l’œuvre (Cinar, précité, aux para 35‑36). Par souci de précision, l’accent ne porte pas sur la question de savoir si ce qui aurait été copié constitue une partie importante de l’œuvre du défendeur (Cinar, précité, au para 39). De plus, la modification de certaines caractéristiques reproduites ou leur intégration dans une œuvre qui est considérablement différente de l’œuvre protégée par le droit d’auteur n'exclut pas nécessairement une décision en faveur du demandeur (Cinar, précité, au para 39).
[120] Une « imitation déguisée »
d’une œuvre est une forme de l’œuvre originale qui a été altérée ou modifiée de façon à tromper (Rains v Molea, 2013 ONSC 5016, au para 45, citant May M. Cheng et Michael Shortt, « Colourable Imitation : The Neglected Foundation of Copyright Law »
, dans Intellectual Property, vol 17, 2012, à la p 1131).
[121] À défaut de preuve qu’il y a eu plagiat, on peut déduire de la preuve qu’il existe une similitude importante et qu’il y a eu accès à l’œuvre protégée par le droit d’auteur (Philip Morris Products S.A. c Malboro Canada limitée, 2010 CF 1099, au para 320 [Philip Morris], conf par 2012 CAF 201, au para 119; Pyrrha Design Inc. c Plum and Posey Inc., 2019 CF 129, au para 121). Cependant, cette conclusion peut être réfutée en établissant que l’œuvre présumée contrefaite a été créée indépendamment de l’œuvre protégée par le droit d’auteur, même si l’on a pu avoir recours à une source commune (Philip Morris, précité, au para 320).
[122] Conformément à l’alinéa 34.1(1)b), dans une poursuite civile intentée sous le régime de la Loi, l’auteur est présumé être le propriétaire du droit d’auteur.
b) Les observations des parties
(i)
La demanderesse
[123] Comme je l’ai déjà mentionné, les œuvres protégées qui sont revendiquées par la demanderesse se composent du logo de Techno‑Pieux (TMA562798) et du logo de Techno Metal Post (TMA638884) (voir le para 10, ci‑dessus).
[124] La demanderesse maintient que les œuvres protégées par le droit d’auteur sont des œuvres artistiques qui atteignent le critère peu exigeant d’originalité prévue par la Loi sur le droit d’auteur. À cet égard, la demanderesse ajoute que ses logos découlent de l’exercice du talent de deux employés, M. Laurent Binet et Mme Nadia Tardif, qui ont exercé leur jugement pour produire les logos parmi les nombreuses autres possibilités qui s’offraient à eux.
[125] À défaut de preuve démontrant que les défendeurs ont copié leurs logos des œuvres protégées, la demanderesse demande à la Cour de déduire de l’accès des défendeurs aux œuvres protégées et de la similitude entre les logos en litige qu’il y a eu plagiat.
[126] En ce qui concerne l’accès, la demanderesse souligne que Mme Bertram a été conseillère en communications et responsable des médias sociaux chez Techno‑Pieux pour une période qui a débuté à la fin de 2016. En cette qualité, Mme Bertram était chargée de la commercialisation de l’entreprise, des communications, des relations publiques et de la gestion des médias sociaux. Mme Bertram utilisait par ailleurs les marques déposées et les œuvres protégées dans le cadre de la préparation de matériel de promotion. Les défendeurs n’ont pas nié ces faits.
[127] Quant à la question de la similitude importante, la demanderesse maintient que cela ressort clairement des comparaisons juxtaposées des deux logos en litige figurant ci‑dessous
[4]
:
[128] La demanderesse adopte la même position à l’égard des pieux vissés illustrés dans les logos en litige, qu’elle a reproduits de la manière suivante :
Œuvre protégée par le droit d’auteur de Techno Pieux Logo de Techno Piles
[129] Plus particulièrement, la demanderesse maintient que les dessins illustrant des pieux vissés qui figurent ci‑dessus ont la même forme; que les pieux vissés sont orientés dans le même sens (à la verticale, la pointe tombant du côté gauche); que le côté gauche du pieu est ombré en blanc dans les deux cas; et que les proportions sont les mêmes (longueur et diamètre). La demanderesse ajoute que les trous au sommet des pieux suivent aussi la même orientation.
[130] Compte tenu de ce qui précède, la demanderesse soutient que les éléments similaires des logos et des images de pieux vissés en litige représentent dans leur ensemble une partie importante du talent et du jugement que ses employés susmentionnés ont exprimés dans les œuvres protégées. Par conséquent, elle demande à la Cour de conclure que la reproduction des logos Techno Piles des défendeurs constitue une violation de son droit d’auteur.
(ii)
Les défendeurs
[131] Les défendeurs maintiennent que la demanderesse ne peut pas revendiquer le droit d’auteur sur une image illustrant un pieu vissé générique qui est employé dans une industrie où de nombreuses entreprises ont des images similaires dans leurs logos. Quoi qu’il en soit, les défendeurs affirment qu’il n’y a aucune preuve que l’un d’eux ait copié les œuvres protégées, ni aucune preuve de l’exercice d’un talent ou d’un jugement important ou particulier dans le logo de Techno‑Pieux. À cet égard, les défendeurs affirment que l’image de la demanderesse montrant un pieu vissé est extrêmement répandue dans beaucoup d’industries, notamment sur le marché des pieux vissés et de la construction de façon générale. Ils ajoutent que cette image est simplement une copie mécanique des pieux vissés réels dont la demanderesse fait usage. Dans ce contexte, les défendeurs soutiennent que la Cour ne saurait en conclure qu’il y a eu violation d’un droit d’auteur.
[132] À l’appui de leur prétention, les défendeurs soulignent que le principal déposant de la demanderesse, M. Chabot, a reconnu en contre‑interrogatoire que le pieu vissé représenté dans les logos de la demanderesse [traduction] « ressemble vraiment beaucoup »
aux pieux galvanisés qui sont vendus par la demanderesse. M. Chabot a également reconnu que la principale différence entre le pieu représenté dans le logo de la demanderesse et celui représenté dans le logo de ses concurrents, Postech, est la coloration verte que la demanderesse emploie.
[133] Outre ce qui précède, les défendeurs soutiennent qu’il existe des différences importantes entre les logos en litige, notamment au niveau des couleurs
[5]
, de la partie vissée des pieux illustrés et quant au nombre de trous au sommet du pieu vissé. Ils ajoutent que les autres participants à l’industrie, tels que Postech et Pro Post, ont des logos qui présentent un plus grand nombre de similitudes avec l’image de la demanderesse montrant un pieu vissé qu’avec les logos de TECHNO PILES. Même si certains défendeurs ont pu avoir accès au logo de la demanderesse, ils avaient aussi accès à ces autres logos.
[134] De plus, dans son affidavit, Mme Bertram a ajouté que les logos des défendeurs utilisent une police de caractères différente de celle employée dans les logos de la demanderesse, et que le soulignement qui apparaît sous le mot « techno »
dans les logos de la demanderesse n’y est pas employé. En contre‑interrogatoire, Mme Bertram a également expliqué que M. Bergevin avait créé la représentation du pieu vissé qui figure dans les logos des défendeurs longtemps avant que les relations entre les parties aient commencé à se gâter. La demanderesse avait inséré ultérieurement, dans son ordinateur, la création dessinée à la main par M. Bergevin dans les illustrations qui sont devenues les logos de TECHNO Piles.
c) Évaluation
[135] À mon avis, les trois œuvres protégées que la demanderesse revendique constituent des œuvres artistiques originales. Il n’existe aucune véritable question litigieuse en ce qui concerne cette question.
[136] Deux des œuvres en question comportent plusieurs éléments, pas seulement l’image montrant un pieu vissé dont les défendeurs allèguent qu’il s’agit d’une simple copie des pieux vissés réels qui sont vendus par la demanderesse. Entre autres éléments importants, les deux logos comprennent le mot « techno »
souligné, les autres mots, « Pieux »
et « Metal Post »
, ainsi que l’insertion du pieu vissé à l’intérieur du logo – là où se trouverait le i dans l’un des logos – ou entre les mots « Metal »
et « Post »
dans l’autre logo.
[137] Je considère que chacun des deux logos est le résultat d’un exercice du talent et du jugement de la part des employés de la demanderesse, Mme Tardif et M. Binet, chacun d’eux ayant fait appel à ses compétences en qualité d’adjoint à la commercialisation et de graphiste. Faute d’éléments de preuve tendant à démontrer, ou même à suggérer, que les logos dans leur ensemble sont de simples copies d’autres œuvres en particulier, il est manifeste qu’ils ont demandé un effort intellectuel. De toute évidence, cet effort n’a pas été négligeable au point qu’on puisse le qualifier comme un exercice purement mécanique (CCH, précité, au para 16).
[138] Notamment, l’insertion du pieu vissé à la place du i dans le mot « Pieux »
indique un élément de créativité et de nouveauté. Cela est accentué par la disposition d’un seul trou au sommet du pieu vissé, où apparaîtrait autrement le point sur le « i »
. Dans la même veine, l’insertion du pieu vissé entre les mots « METAL »
et « POST »
dans l’autre logo témoigne de la décision consciente de choisir cet emplacement de préférence à d’autres possibilités. Une décision similaire a manifestement été prise à l’égard du soulignement du mot « techno »
et de la présentation de ce mot entièrement en minuscules.
[139] En ce qui concerne le pieu vissé lui‑même, Mme Tardif a présenté l’illustration ci‑dessous de l’évolution du pieu, qui reflète encore l’exercice du talent et du jugement, ainsi que l’étude de diverses possibilités dans la production de l’œuvre (CCH, précité, au para 16) :
2011 2012 2014 2015 2017
créé par modifié par modifié par modifié par modifié par
Laurent Binet Laurent Binet Laurent Binet Laurent Binet Nadia Tardif
[140] Comme il appert de ce qui précède, M. Binet et Mme Tardif ont dû exercer leur talent et leur jugement pour concevoir la partie supérieure du pieu vissé, son épaisseur et sa couleur, le nombre de trous (les logos des défendeurs ont deux trous au sommet, tandis que le logo d’un autre concurrent en a trois), ainsi que l’angle et l’orientation de la partie inférieure du pieu.
[141] Quant à l’allégation de violation faite par la demanderesse, les défendeurs ne nient pas que Mme Bertram ait eu accès aux œuvres protégées. Mme Bertram l’a reconnu d’emblée. Cependant, dans le contexte de cette industrie en particulier, le simple accès aux œuvres protégées de la demanderesse n’étaye pas nécessairement une solide inférence de copie. Ceci est dû au fait que d’autres participants à l’industrie emploient des pieux vissés dans leurs logos. Au moins deux d’entre eux ont été employés et enregistrés au Canada avant que les défendeurs eussent commencé à employer leurs logos TECHNO PILES. Malheureusement, aucun élément de preuve similaire n’a été produit à l’égard des logos des autres participants de l’industrie.
[142] De plus, Mme Bertram a déclaré en contre‑interrogatoire qu’elle avait obtenu la représentation du pieu vissé qui figure dans les logos des défendeurs en s’inspirant d’un objet que M. Bergevin avait créé dans un cours de céramique. Mme Bertram a aussi déclaré qu’elle et M. Bergevin avaient choisi consciemment la couleur rouge pour leurs logos dans le but de [traduction] « s’éloigner du vert le plus possible »
et d’éviter de créer de la confusion sur le marché. Mme Bertram a ajouté que les défendeurs souhaitaient distinguer leur marque en insérant le signe mathématique « moins que »
(<) au bas de leur pieu vissé, pour exprimer l’idée de la technologie industrielle.
[143] Compte tenu de ce qui précède, je conclus que les défendeurs ont soulevé une véritable question litigieuse quant à savoir s’ils peuvent réfuter la présomption de copie qui découle de leur accès non contesté aux œuvres protégées. À mon avis, leur argumentation ne saurait être considérée comme étant « clairement sans fondement ou […] tellement douteu[se] qu’elle ne mérite pas d’être examinée par le juge des faits au procès ultérieur »
(Canmar, précité, au para 24). Au vu du dossier dont je suis saisi dans la présente requête, je doute qu’il me soit possible de tirer les conclusions de fait nécessaires et d’appliquer les principes juridiques pertinents pour déterminer le bien‑fondé des prétentions de la demanderesse de manière juste et équitable (Hryniak, précité, aux para 49‑50). Par conséquent, la demanderesse n’a pas établi qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse pour ce qui est de la copie.
[144] Compte tenu de cette conclusion, il est inutile d’examiner l’allégation de la demanderesse selon laquelle les défendeurs ont copié une partie « importante »
des œuvres protégées.
(6)
Responsabilité personnelle des défendeurs à titre individuel
[145] Dans leur défense contre la requête en jugement sommaire de la demanderesse, ainsi que dans leur requête reconventionnelle (examinée ci‑dessous), les défendeurs maintiennent que les allégations formulées à l’encontre des défendeurs à titre individuel sont sans fondement et qu’elles ne satisfont pas au critère applicable pour lever le voile de la personnalité juridique. Dans les deux requêtes, les défendeurs invoquent essentiellement les mêmes arguments à l’appui de leur point de vue. Par souci de commodité, je traiterai de ces arguments immédiatement.
[146] Les défendeurs affirment que les affaires dans lesquelles le voile de la personnalité juridique a été levé mettaient généralement en cause la constitution d’une société comme une façade pour dissimuler un but illicite, frauduleux ou inapproprié. Ce n’est pas ce qui est allégué par la demanderesse. Par conséquent, je ne traiterai pas plus amplement de ce courant jurisprudentiel précis.
[147] Les défendeurs invoquent aussi un deuxième courant jurisprudentiel. Ils soulignent notamment que dans l’arrêt Normart Management Ltd. v West Hill Redevelopment Co.(1998), 155 DLR (4th) 627, au para 18, la Cour d’appel de l’Ontario a déclaré ce qui suit :
[traduction]
Il est de jurisprudence constante que les têtes dirigeantes des personnes morales ne sont tenues civilement responsables des actes de la personne morale qu’elles contrôlent et qu’elles dirigent que si ces têtes dirigeantes ont elles‑mêmes commis un acte qui est délictueux en lui‑même ou qui témoigne d’une identité distincte ou d’intérêts différents de ceux de la personne morale de telle manière que les actes ou les agissements reprochés à la personne morale peuvent être attribués à ses têtes dirigeantes.
[148] Les défendeurs reconnaissent que dans la décision Tommy Hilfiger Licensing Inc. c Produits de Qualité I.M.D. Inc., 2005 CF 10, au para 142, notre Cour a statué que le critère applicable pour lever le voile de la personnalité juridique exige de prouver qu’il existe « des circonstances qui permettent raisonnablement de conclure que l’objectif visé par l’administrateur ou dirigeant de la compagnie était de délibérément, volontairement et sciemment adopter une ligne de conduite qui inciterait à la contrefaçon ou à l’indifférence face au risque de contrefaçon »
[non souligné dans l’original].
[149] Cette dernière formulation du critère a été adaptée à partir du passage suivant de l’affaire de contrefaçon de brevet Mentmore Manufacturing Co. v National Merchandise Manufacturing Co. (1978), 89 DLR (3d) 195, aux para 204‑205 (CAF) [Mentmore] :
[traduction]
[…] il existe […] certainement des circonstances à partir desquelles il y a lieu de conclure que
ce que visait l’administrateur ou le dirigeant n’était pas la conduite ordinaire des activités de fabrication et de vente de celle‑ci, mais plutôt la commission délibérée d’actes qui étaient de nature à constituer une contrefaçon ou qui reflètentune indifférence à l’égard du risque de contrefaçon. La formulation exacte du critère applicable est de toute évidence difficile. Il y a lieu à une vaste appréciation des faits de l’espèce pour décider si la responsabilité personnelle est engagée. [non souligné dans l’original]
[150] La première phrase du passage cité ci‑dessus a été adoptée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Cinar, précité, au para 60. Par conséquent, il s’agit du critère applicable.
[151] Les défendeurs soutiennent qu’ils allèguent encore avoir le droit d’employer les marques en litige en vertu des ententes de distribution en litige. Quoi qu’il en soit, ils maintiennent que leur emploi du nom commercial et de la marque TECHNO PILES ne porte pas atteinte aux marques déposées. Par conséquent, ils affirment qu’il ne s’agit pas ici d’un cas où l’on pourrait conclure qu’ils ont [traduction] « commis délibérément, volontairement et sciemment des actes qui étaient de nature à constituer une contrefaçon »
.
[152] En réponse, la demanderesse souligne que M. Bergevin et Mme Bertram sont les têtes dirigeantes des sociétés défenderesses. Ces faits ne sont pas contestés.
[153] La demanderesse affirme également que, compte tenu de la période pendant laquelle ils ont travaillé pour elle en qualité de distributeurs autorisés, M. Bergevin et Mme Bertram ont agi en toute connaissance de ses droits et avec une totale indifférence à l’égard de ces droits. La demanderesse ajoute que M. Bergevin et Mme Bertram ont activement entretenu la confusion et la demande en produits associés à des noms et marques similaires aux marques déposées, au point de créer de la confusion. La demanderesse maintient que cela outrepasse les fonctions légitimes des administrateurs ou des dirigeants d’une société. Elle ajoute que M. Bergevin et Mme Bertram ont personnellement induit les consommateurs en erreur, notamment en affichant un contenu illicite dans leurs pages personnelles de médias sociaux.
[154] Lors du contre‑interrogatoire sur son affidavit, Mme Bertram a maintenu qu’elle avait seulement [traduction] « communiqué »
de la documentation que les sociétés défenderesses avaient affichée. Cependant, une partie de la documentation qui aurait prétendument été [traduction] « communiquée »
sur la page Facebook personnelle de Mme Bertram s’accompagnait d’un texte nouveau que celle‑ci avait écrit. Cela vaut également pour la documentation qui a été affichée ou réaffichée sur la page Facebook personnelle de M. Bergevin. Il y avait aussi des affichages ou des réaffichages de documents en litige dans les comptes Twitter respectifs des défendeurs, ainsi que dans le profil LinkedIn de Mme Bertram. Quoi qu’il en soit, à ce stade, je ne suis pas convaincu que le « réaffichage »
de documents d’entreprise trompeurs soit une conduite qui puisse échapper à la responsabilité personnelle.
[155] À mon avis, il existe une véritable question litigieuse quant à savoir si le but sous‑jacent aux actes contestés de M. Bergevin et de Mme Bertram équivalait à la commission délibérée d’actes qui étaient de nature à constituer une contrefaçon ou qui reflétaient une indifférence à l’égard du risque de contrefaçon.
[156] Par conséquent, je rejette la requête des défendeurs visant à obtenir une ordonnance de rejet de l’action intentée par la demanderesse contre M. Bergevin et Mme Bertram, à titre personnel.
(7)
Conclusion
[157] La requête en jugement sommaire de la demanderesse est rejetée.
[158] Pour les motifs que j’ai exposés, je ne suis pas convaincu qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse en ce qui concerne les allégations (i) de contrefaçon de marques de commerce au sens des articles 19 et 20 de la Loi sur les marques de commerce; (ii) de dépréciation de l’achalandage au sens de l’article 22; (iii) de commercialisation trompeuse, en contravention du sous‑alinéa 7b); (iv) de conduite contraire à l’alinéa 7d) et (v) de violation du droit d’auteur au sens des articles 3 et 27 de la Loi sur le droit d’auteur, qu’a faites la demanderesse. La demanderesse ne m’a pas convaincu que la cause soutenue par les défendeurs à l’égard de ces allégations « est clairement sans fondement ou [que] son succès est tellement douteux qu’elle ne mérite pas d’être examinée par le juge des faits au procès ultérieur »
(Canmar, précité, au para 24).
[159] Il en va de même à l’égard de l’allégation des défendeurs selon laquelle la preuve présentée contre M. Bergevin et Mme Bertram est sans fondement et ne satisfait pas au critère applicable pour lever le voile de la personnalité juridique.
[160] Je considère que toutes les questions susmentionnées peuvent et devraient être tranchées par voie de procès sommaire (par 215(3) des Règles).
V.
La requête reconventionnelle des défendeurs
A.
Résumé des réparations demandées
[161] Les réparations demandées par les défendeurs dans leur requête reconventionnelle sont résumées au paragraphe 4, ci‑dessus.
B.
Analyse
(1)
Le critère applicable en matière de jugements sommaires
[162] Le critère applicable à la requête reconventionnelle en jugement sommaire des défendeurs est le même que celui qui est présenté aux paragraphes 37‑40 ci‑dessus, en ce qui concerne la requête de la demanderesse.
(2)
Invalidité des marques de commerce (absence de caractère distinctif)
(a)
Les principes juridiques applicables
[163] Selon l’alinéa 18(1)b) de la Loi sur les marques de commerce, l’enregistrement d’une marque de commerce est invalide dans le cas où la marque de commerce n’est pas distinctive au moment où les procédures contestant la validité de cet enregistrement sont entamées.
[164] Le mot « distinctive »
qualifie une marque de commerce qui distingue véritablement les produits ou services en liaison avec lesquels elle est employée par son propriétaire, des produits ou services d’autres propriétaires, ou qui est adaptée à les distinguer ainsi (Loi sur les marques de commerce, article 2).
[165] Une marque de commerce distingue véritablement les produits ou services en acquérant son caractère distinctif par l’emploi, ce qui lui confère un caractère distinctif dans les faits. Un tel caractère distinctif acquis peut s’inférer de la preuve de l’étendue de l’emploi de la marque, de l’importance des activités de promotion et de publicité se rapportant à la marque, ainsi que du niveau du chiffre d’affaires lié aux produits ou services associés à la marque (voir la jurisprudence précitée, au paragraphe 70, et Boston Pizza International Inc. c Boston Chicken Inc., 2003 CAF 120, au para 5 [Boston Pizza]).
[166] Une marque de commerce qui est « adaptée à […] distinguer »
les produits auxquels elle est associée est une marque qui a un caractère distinctif inhérent. Un mot forgé ou inventé relève de cette catégorie (Astrazeneca AB c Novopharm Ltd, 2003 CAF 57, au para 16 [Astrazeneca]).
[167] Dans ce contexte, le caractère distinctif dénote le degré de qualité de la marque de commerce qui fabrique les produits ou offre les services auxquels elle est associée, par opposition à ceux d’autres fabricants ou fournisseurs de ces produits ou services (Astrazeneca, précité, au para 14).
[168] Pour évaluer le caractère distinctif d’une marque de commerce, il faut évaluer la marque dans son ensemble, plutôt que de décomposer ses éléments constitutifs (AIL International Inc c Canadian Energy Services L.P., 2019 CF 795, au para 70).
[169] Dans le cas où il est démontré qu’une marque de commerce a acquis un caractère distinctif au fil du temps, et qu’elle avait maintenu ce caractère distinctif à l’époque d’une procédure de radiation, cette marque résistera à la contestation de sa validité, même si le tribunal conclut à l’absence de caractère distinctif inhérent (Boston Pizza, précité, au para 14).
[170] L’article 19 de la Loi sur les marques de commerce est libellé ainsi :
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[171] Ce libellé est caractérisé comme créant une présomption de validité dans la mesure où « […] une demande de radiation sera accueillie seulement si l’examen de toute la preuve présentée à la Cour fédérale permet d’établir que la marque de commerce n’était pas enregistrable à l’époque pertinente »
(Cheaptickets and Travel Inc. c Emall Inc., 2008 CAF 50, au para 12 [Cheaptickets]).
[172] Il s’ensuit qu’il incombe à la partie qui allègue l’invalidité de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que la marque de commerce contestée est invalide (Bedessee Imports Ltd. c GlaxoSmithKline Consumer Healthcare (UK) IP Limited, 2020 CAF 94, au para 18).
[173] Dans le cas où une partie allègue l’invalidité en invoquant l’absence de caractère distinctif, cette partie doit établir que la marque de commerce est « si peu distinctive »
qu’elle ne distingue pas les produits ou services de la titulaire de ceux des autres (Services alimentaires A&W du Canada Inc. c Restaurants McDonald du Canada Ltée, 2005 CF 406, au para 99 [A&W]).
(b)
Les positions des parties
(i)
Les défendeurs (demandeurs reconventionnels)
[174] Les défendeurs maintiennent qu’en employant les mots « Techno »
, « Pieux »
, « Metal »
et « Post »
, la demanderesse a indûment puisé au vocabulaire commercial courant. Les défendeurs affirment que la demanderesse ne devrait pas être autorisée à monopoliser concrètement ces mots censément descriptifs et génériques en liaison avec la vente et l’installation de pieux vissés, qui sont littéralement des poteaux d’acier.
[175] À l’appui de leur prétention, les défendeurs soulignent que les mots « pile »
et « metal posts »
sont diverses traductions du mot français « pieux »
. Comme à l’égard de leur réponse à la requête en jugement sommaire de la demanderesse, les défendeurs maintiennent que la combinaison des mots « Techno Pieux »
et « Techno Metal Post »
indiquent seulement que la demanderesse fournit et installe des pieux vissés par divers moyens technologiques (voir le paragraphe 67, ci‑dessus). Les défendeurs soutiennent par conséquent que la combinaison de ces termes n’est aucunement distinctive.
[176] Les défendeurs ajoutent que si les marques nominales déposées ont déjà été distinctives, elles ont perdu ce caractère distinctif parce que de nombreuses entreprises dans l’industrie de la construction ont été autorisées à employer les mots « Techno »
, « Piles »
et « Post »
, ou des variations de ces termes. Ces variations comprennent les mots « Tech »
et « Technologies »
. Les défendeurs invoquent essentiellement ces mêmes faits pour affirmer que les marques nominales déposées n’ont pas acquis de caractère distinctif au fil du temps.
[177] Les défendeurs présentent des arguments semblables à l’égard des logos enregistrés de la demanderesse (TMA562798 et TMA638884). En résumé, ils soulignent que plusieurs concurrents ont des représentations de pieux vissés très similaires dans leurs logos. Au moins un concurrent, Pro Post, a un logo comportant un pieu vissé qui est inséré au même endroit (entre les deux mots) que dans le logo de Techno Metal Post. Les défendeurs soulignent en outre que pendant son contre‑interrogatoire, Mme Tardif n’a pas été en mesure de relever les différences entre un véritable pieu vissé et le pieu représenté dans le logo de la demanderesse. Mme Tardif a aussi admis que la principale différence entre l’image représentant un pieu vissé qu’elle avait créée pour la demanderesse et l’image correspondante dans le logo de Postech est la couleur. Mme Tardif a également reconnu que l’image figurant dans le logo de la demanderesse [traduction] « ressemble à un vrai pieu »
.
(ii)
La demanderesse (défenderesse reconventionnelle)
[178] La demanderesse commence par affirmer que la position des défendeurs dans la présente requête reconventionnelle est incompatible avec celle qu’ils ont présentée dans sa requête en jugement sommaire. À cet égard, la demanderesse souligne que les défendeurs maintiennent que la Cour peut conclure, sur le fondement du dossier existant, que les marques déposées n’ont pas de caractère distinctif. La demanderesse affirme que cet argument est incompatible avec la position antérieure des défendeurs, selon laquelle un procès à la lumière des faits est requis pour permettre à la Cour d’évaluer le caractère distinctif de ces marques.
[179] La demanderesse invoque aussi la présomption de validité des marques déposées, et elle affirme que la preuve déposée par les défendeurs est loin d’établir les éléments requis pour écarter cette présomption (Cheaptickets, précité). Notamment, la demanderesse fait ressortir l’absence de preuve de l’emploi concret de marques appartenant à des tiers, de preuve des consommateurs, de preuve qu’une autre partie emploie le mot « Techno »
en liaison avec les produits ou services pertinents et de preuve indiquant que les marques déposées ne se distinguent plus des marques soi‑disant similaires appartenant à des tiers.
[180] En revanche, la demanderesse affirme avoir déposé une preuve convaincante démontrant que les marques déposées ont un caractère distinctif inhérent et acquis.
(c)
Évaluation
[181] De façon générale, je suis du même avis que la demanderesse. Les défendeurs ne se sont pas acquittés de leur fardeau d’écarter la présomption de validité des marques déposées, ni, à plus forte raison, de satisfaire à la norme élevée qui est requise dans une requête en jugement sommaire (voir le para 39, ci‑dessus).
[182] À mon avis, la demanderesse a « […] présent[é] des faits précis démontrant qu’il existe une véritable question litigieuse […] »
(Canmar, précité, au para 27). À vrai dire, elle est allée plus loin en démontrant que les marques déposées ont un certain degré de caractère distinctif inhérent et qu’elles ont acquis un caractère distinctif au fil du temps (voir Canmar, précité, aux para 68‑73).
[183] Il est inutile de reprendre tous les éléments de preuve examinés aux paragraphes susmentionnés. Pour les fins de la présente question, il suffira de dire que je suis d’accord avec la demanderesse pour affirmer que chacune des marques déposées, considérées dans leur ensemble, est distinctive en raison de (i) la présence du premier mot frappant « TECHNO »
, (ii) de la combinaison particulière des mots « TECHNO PIEUX »
et « TECHNO METAL POST »
et, (iii) dans le cas des logos, de la combinaison de ces mots particuliers et du dessin illustrant un pieu vissé. Ce caractère frappant ne saurait vraisemblablement être atténué de façon importante en vertu du fait que certains concurrents des parties emploient les mots « Tech »
, « tech »
, « Technology »
ou « Technologies »
dans leurs marques de commerce ou noms commerciaux. Il en va de même à l’égard du fait que certains participants au marché emploient un pieu vissé similaire dans leurs dessins‑marques.
[184] En outre, la preuve des ventes substantielles de la demanderesse, de pair avec l’ampleur des activités de publicité et de promotion qu’elle et ses distributeurs ont menées sur un grand nombre d’années, incitent raisonnablement à conclure que les marques déposées ont acquis un caractère distinctif valable au fil du temps (voir les paragraphes 70‑71, ci‑dessus).
[185] Les défendeurs n’ont pas démontré qu’au moment du dépôt de la présente requête reconventionnelle, ce caractère distinctif acquis s’était émoussé au point de ne plus distinguer les produits et services de la demanderesse de ceux des autres fabricants (A&W, précité, au para 99). Cela constitue un fondement suffisant pour conclure que la présomption de validité n’a pas été écartée (Loi sur les marques de commerce, alinéa 18(1)b); Boston Pizza, précité, au para 14).
(3)
Invalidité des marques de commerce (clairement descriptives)
[186] Dans leurs observations écrites et orales, les défendeurs ont allégué que chacune des marques déposées est clairement descriptive au sens de l’alinéa 12(1)b) de la Loi sur les marques de commerce.
[187] En réponse, la demanderesse a soutenu que cette allégation ne figurait pas gation dans l’avis de requête des défendeurs, comme l’exige l’alinéa 359c) des Règles, ni dans leur défense et leur demande reconventionnelle. En conséquence, la demanderesse maintient que les défendeurs ne lui ont pas donné un préavis suffisant, et qu’ils l’ont privée de la possibilité de déposer des éléments de preuve sur ce point et de vérifier leur preuve en contre‑interrogatoire. Par conséquent, la demanderesse a demandé à la Cour de rejeter cette demande particulière sans autre considération.
[188] Après avoir confirmé qu’il n’était pas fait mention de cette allégation dans l’avis de requête des défendeurs, ni dans leurs plaidoiries, leur avocat a reconnu à l’audience qu’il n’était pas nécessaire que la Cour se penche sur cette allégation.
[189] Compte tenu de ce qui précède, l’allégation des défendeurs selon laquelle les deux marques nominales de la demanderesse sont clairement descriptives au sens de l’alinéa 12(1)b), est rejetée.
(4)
Techno Piles Inc.
(a)
Les positions des parties
[190] Les défendeurs soutiennent qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse en ce qui a trait à la participation de Techno Piles Inc. dans la présente action. À l’appui de cette prétention, les défendeurs soulignent que cette entité n’a jamais participé aux activités ni employé les marques de commerce en liaison avec les produits ou services. Par souci de précision, ils ajoutent que l’entité ne s’est pas livrée à des opérations, à la distribution, au transport, à des achats, des ventes ou des transferts. Elle ne possède pas non plus de compte enregistré de TPS ou de TVH, de numéro de paye enregistré ou de compte bancaire.
[191] En réponse, la demanderesse souligne que Techno Piles Inc. est propriétaire de l’enregistrement du nom de domaine technopiles.com. À ce titre, la demanderesse affirme que Techno Piles Inc. est présomptivement responsable du contenu affiché dans ce site Web. Pour ces seuls motifs, la demanderesse maintient que cette entité est une défenderesse régulière dans le cadre de la présente action.
(b)
Évaluation
[192] Je souscris au point de vue de la demanderesse.
[193] Pendant l’audition des présentes requêtes, les défendeurs ont fait valoir que les réparations demandées par la demanderesse à l’égard du nom Techno Piles Inc. et du nom de domaine susmentionné pouvaient être mises en œuvre sans inclure ladite entité dans la procédure. L’avocat de la demanderesse a indiqué qu’il ne se sentait pas à l’aise de procéder ainsi.
[194] Après réflexion, je comprends ce malaise. Je souscris à l’observation écrite de la demanderesse selon laquelle le maintien de Techno Piles Inc. à titre de défenderesse dans la présente action est la façon appropriée de s’assurer que la demanderesse pourra obtenir les réparations précisées ci‑dessus, si ces réparations sont accordées en dernier ressort. Cela permettra notamment de s’assurer que l’ordonnance qui sera éventuellement rendue à cet égard vise Techno Piles Inc. directement. Les défendeurs n’ont pas précisé quels seraient les coûts pour eux ou les effets préjudiciables qu’ils subiraient si Techno Piles Inc. demeurait une défenderesse nommée dans la présente action.
(5)
Conclusion
[195] Pour les motifs énoncés dans la partie V.B.(2)c), ci‑dessus, les défendeurs n’ont pas démontré qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse relativement à leur prétention selon laquelle les marques déposées sont invalides au titre de l’alinéa 18(1)b) de la Loi sur les marques de commerce. À mon avis, la demanderesse a présenté « des faits précis démontrant qu’il existe une véritable question litigieuse »
(Canmar, précité, au para 27).
[196] Pour les motifs présentés dans la partie V.B.(3), ci‑dessus, l’allégation des défendeurs selon laquelle les deux marques nominales de la demanderesse sont clairement descriptives au sens de l’alinéa 12(1)b) de la Loi sur les marques de commerce, est rejetée.
[197] Pour les motifs présentés dans la partie V.B.(4), ci‑dessus, les défendeurs n’ont pas démontré qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse quant à la participation de Techno Piles Inc. à la présente action.
[198] Dans leur requête reconventionnelle, les défendeurs ont également demandé que l’action sous‑jacente de la demanderesse soit intégralement rejetée. Cependant, ils n’ont présenté aucun argument à l’appui de cette position. Par conséquent, ils n’ont pas démontré qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse à l’égard des demandes présentées par la demanderesse dans la présente action. Au contraire, pour les motifs présentés dans la partie IV C.(2), la demanderesse a établi que quatre des cinq facteurs énoncés au paragraphe 6(5) de la Loi sur les marques de commerce jouent en sa faveur dans la réponse à la question de savoir si les noms commerciaux et marques de commerce des défendeurs sont similaires aux marques déposées, au point de créer de la confusion. La demanderesse a aussi présenté des éléments de preuve de la conduite des défendeurs, qui pourrait fort bien être considérée comme un élément jouant en sa faveur. Pour les motifs que j’ai exposés dans les parties IV.C.(2) à (5), je considère qu’il existe une véritable question litigieuse en ce qui concerne les diverses demandes faites par la demanderesse au titre de la Loi sur les marques de commerce et la Loi sur le droit d’auteur. Il existe également une véritable question litigieuse quant à la responsabilité personnelle des défendeurs Mathieu Bergevin et Ronda Bertram.
VI.
Dépens
[199] Peu après l’audition des présentes requêtes, j’ai émis une directive afin d’encourager les parties à tenter de s’entendre sur une somme forfaitaire à verser à la partie qui obtiendrait gain de cause dans chacune des requêtes. Au cas où les parties seraient incapables d’en venir à une pareille entente, celles‑ci ont été enjointes à présenter des observations, de préférence à l’appui de l’adjudication d’une somme forfaitaire.
[200] Dans une lettre en date du 21 mars 2022, l’avocat de la demanderesse a avisé la Cour que les parties avaient conjointement proposé que la partie qui obtiendrait gain de cause dans chacune des requêtes se voit adjuger le paiement forfaitaire d’un montant de 10 000 $, incluant les honoraires et les débours. Cette entente ne visait pas à régler le cas où une partie obtiendrait partiellement gain de cause dans une requête.
[201] Eu égard aux facteurs énumérés dans l’article 400 des Règles, je considère que la proposition susmentionnée est juste et équitable dans les circonstances.
[202] Cependant, étant donné que les défendeurs ont largement eu gain de cause relativement à la requête de la demanderesse, alors que l’inverse était vrai en ce qui concernait la requête reconventionnelle des défendeurs, les sommes auxquelles les parties ont droit, respectivement, se compensent l’une l’autre dans une large mesure. Cependant, elles ne se contrebalancent pas complètement. Il en est ainsi parce que la demanderesse a eu gain de cause à l’égard d’une question soulevée dans sa requête, à savoir l’existence d’une véritable question litigieuse quant à la responsabilité personnelle de M. Bergevin et Mme Bertram. La demanderesse a aussi eu gain de cause à l’égard de la question préliminaire examinée dans la partie VI.B. des présents motifs. Par conséquent, j’estime qu’il convient d’accorder à la demanderesse le paiement forfaitaire d’un montant de 2 000 $.
ORDONNANCE rendue dans le dossier T‑969‑21
LA COUR ORDONNE :
La requête en jugement sommaire de la demanderesse est rejetée.
La requête reconventionnelle en jugement sommaire des défendeurs est rejetée.
Par souci de précision, la demande des défendeurs visant à obtenir une ordonnance rejetant la présente action de la demanderesse contre les défendeurs Techno Piles Inc., Ronda Bertram et Mathieu Bergevin est rejetée.
Les défendeurs verseront les dépens à la demanderesse par la voie d’un montant forfaitaire de 2 000 $, incluant tous les frais et débours.
Conformément à l’alinéa 215(3)a) des Règles, la poursuite qui sous‑tend la présente instance sera tranchée par voie de procès sommaire. Le soussigné demeurera saisi de l’instance.
« Paul S. Crampton »
Juge en chef
Traduction certifiée conforme
Claude Leclerc
ANNEXE 1 : DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES
Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T‑13
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Loi sur le droit d’auteur, RSC 1985, c C‑42
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Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106
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COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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T‑969‑21
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INTITULÉ :
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TECHNO‑PIEUX INC. c TECHNO PILES INC., TECHNO METAL POST MEDECINE HAT INC., MATHIEU BERGEVIN ET RONDA BERTRAM
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 14 MARS 2022
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ORDONNANCE ET MOTIFS :
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LE JUGE EN CHEF CRAMPTON
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DATE DE L’ORDONNANCE :
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LE XX MARS 2022
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COMPARUTIONS :
R. Nelson Godfrey
Sarah Li
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PoUr LA DEMANDERESSE/
dÉFENDERESSE RECONVENTIONNELLE
|
Kyle H. T. Smith
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POUR LES DÉFENDEURs/
DEMANDEURs RECONVENTIONNELS
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Gowling WLG (Canada) LLP
Calgary (Alberta)
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PoUr LA DEMANDERESSE/
dÉFENDERESSE RECONVENTIONNELLE
|
Parlee McLaws LLP
Calgary (Alberta)
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POUR LES DÉFENDEURs/
DEMANDEURs RECONVENTIONNELS
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[1]
Même si ce principe a été énoncé en relation avec le critère plus libéral qui s’applique en matière de jugement sommaire en Ontario, je considère qu’il peut s’appliquer ordinairement à l’examen des requêtes introduites en vertu de l’article 215 des Règles auquel procède la Cour. Le critère applicable en Ontario est plus libéral parce qu’il oblige le tribunal à rendre un jugement sommaire si, entre autres, « il est convaincu qu’une demande ou une défense ne soulève pas de véritable question litigieuse nécessitant la tenue d’une instruction »
(Règles de procédure civile, RRO 1990, Règl 194, règle 20.04(2)a) [non souligné dans l’original]; voir Hryniak, précité, aux para 42‑43).
[2]
L’article 19 demeure pertinent à la présente requête, parce qu’il confère à la demanderesse le droit exclusif d’employer les marques de commerce déposées partout au Canada, eu égard aux services décrits dans l’enregistrement des marques de commerce.
[3]
Je reconnais que les défendeurs ont inscrit Techno Piles Inc. en janvier 2020. Cependant, d’après la preuve non contestée cette entité n’est pas encore exploitée de manière importante et elle n’a servi qu’à enregistrer le nom de domaine http://www.technopilesinc.com. Ce domaine a commencé à servir de « page de renvoi » pour les défendeurs et à recueillir leur courrier électronique le 30 mai 2021, ou vers cette date. Je reconnais également que le nom commercial TECHNO PILES a été enregistré en mars 2021.
[4]
Les défendeurs emploient parfois d’autres logos, notamment l’un qui indique diverses villes à côté de leur pieux vissé. En contre‑interrogatoire, Mme Bertram a reconnu que les défendeurs emploient la version dépourvue des noms de villes, qui est illustrée ci‑dessus.
[5]
Dans les logos de la demanderesse, les pieux vissés sont verts, tandis qu’ils sont rouges dans les logos des défendeurs.