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Date : 20221123


Dossier : T-1620-21

Référence : 2022 CF 1608

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 23 novembre 2022

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

DANIEL HILDEBRAND

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Commission civile d’examen et de traitement des plaintes relatives à la Gendarmerie royale du Canada [CCETP] a conclu que la Gendarmerie royale du Canada [GRC] avait agi de manière raisonnable dans son enquête sur les allégations de faux soulevées par Daniel Hildebrand [le demandeur].

Le contexte

[2] La présente affaire comporte un long historique de procédures judiciaires et administratives, tant en ce qui a trait au différend entre le demandeur et le comté de Grande Prairie [le comté], en Alberta – portant sur les permis d’aménagement pour l’immeuble résidentiel du demandeur, auxquels se rapportent les allégations de faux reprochées aux employés du comté –, qu’en ce qui concerne les plaintes faites par le demandeur relativement à la décision de la GRC de ne pas porter d’accusations relativement à ces allégations de faux.

[3] À titre préliminaire, je souligne que le demandeur n’est pas représenté par avocat. La plupart de ses arguments et des documents qu’il a produits sont liés à son opinion selon laquelle le comté a commis une erreur dans son traitement des permis d’aménagement. Le demandeur a entamé des poursuites relativement à des questions connexes devant la Cour d’appel de l’Alberta, la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta (désormais la Cour du Banc du Roi) et la Cour provinciale de l’Alberta. La présente demande de contrôle judiciaire ne vise que le rapport final du 9 mars 2020 établi par la présidente de la CCETP. La seule question en litige que doit trancher la Cour est celle de savoir si la CCETP a jugé de façon raisonnable que l’enquête menée par la GRC sur les allégations de faux soulevées par le demandeur, était raisonnable. Le bien-fondé des décisions du comté au sujet des formalités applicables aux permis d’aménagement n’est pas à l’examen dans le présent contrôle judiciaire. Par conséquent, je n’en traiterai pas dans les présents motifs si ce n’est à des fins de mise en contexte.

[4] Cela dit, la genèse de la présente instance se résume aux points qui suivent.

Le différend entre le demandeur et le comté

[5] Dans une lettre d’avis datée du 4 avril 2007, le comté a informé le demandeur que sa demande d’approbation du plan d’aménagement pour la construction d’un immeuble résidentiel avait été approuvée, sous réserve de certaines conditions [le permis initial de 2007]. Le 31 mars 2010, le comté a donné un ordre de cessation des travaux, car il craignait que le demandeur n’ait pas respecté les conditions assortissant le permis. Le ou vers le 30 juin 2010, le demandeur a déposé une demande de renouvellement de permis [la demande de renouvellement de 2010]. Le 23 juillet 2010, le comté a informé le demandeur que sa demande de renouvellement de permis avait été rejetée pour les motifs suivants :

[traduction]
Le sous-sol de sa maison se situe sous la ligne d’inondation de récurrence de 100 ans et est donc susceptible d’être inondé, ce qui pourrait mettre en jeu la responsabilité du comté. Les améliorations apportées par le demandeur au terrain du comté doivent être retirées, mais ce retrait expose le propriétaire foncier à un risque accru d’inondations. De plus, le comté est d’avis que soit le sous-sol à entrée directe peut être fermé et scellé, soit la maison devrait être démolie, et que, comme le demandeur s’oppose à l’aménagement proposé et refuse d’exécuter lui-même l’une ou l’autre de ces mesures correctives, le comté peut demander de les faire exécuter.

[6] Le demandeur a porté la décision du comté en appel devant la Subdivision Appeal Board [c’est-à-dire, la commission d’appel en matière de lotissement] [SDAB], laquelle a ensuite tenu une audience publique. Le demandeur et l’avocat qui le représentait à l’époque étaient présents à l’audience, et ce dernier a présenté des observations au nom de son client. Le 2 décembre 2010, la SDAB a rendu une décision selon laquelle un permis d’aménagement devait être accordé au demandeur, sous réserve de conditions précises, notamment que la porte-fenêtre coulissante de l’entrée directe au sous-sol soit retirée et replacée par une fenêtre située au-dessus de la ligne d’inondation de récurrence de 100 ans de sorte que la construction soit conforme au code du bâtiment de l’Alberta, qu’une dérogation soit accordée en lien avec le porte-à-faux, et que les travaux extérieurs et intérieurs soient terminés au cours des six à douze mois suivants.

[7] La SDAB a expliqué que la recommandation relative au retrait de la porte-fenêtre coulissante de l’entrée directe au sous-sol et à son remplacement par une fenêtre était fondée sur les renseignements qui avaient été fournis au demandeur avant le début des travaux de construction, et le fait qu’il avait choisi de modifier les niveaux qui avaient été établis pour l’aménagement, le lot et le bien immobilier. Elle a ajouté qu’il avait eu la possibilité de les corriger, mais qu’il avait choisi de ne pas le faire.

[8] La décision de la SDAB n’a pas été portée en appel ni n’a fait l’objet d’une demande de contrôle judiciaire.

[9] Le 10 juin 2013, le comté a donné un deuxième ordre de cessation des travaux [l’ordre de cessation des travaux de 2013] étant donné que les conditions assortissant le permis d’aménagement énoncées dans la décision de la SDAB du 2 décembre 2010 n’avaient pas été respectées et que l’immeuble n’était donc pas conforme aux règlements municipaux. Par conséquent, le plan d’aménagement du demandeur n’était plus valide. Il lui a été enjoint de présenter une demande afin d’obtenir un nouveau permis, et de cesser ses entrées non autorisées ainsi que ses travaux d’excavation sur les terrains adjacents de services publics.

[10] Le comté a enregistré une opposition relativement à l’ordre de cessation des travaux de 2013. En réponse, le demandeur a déposé un avis d’intenter des procédures sur l’opposition. Le comté a ensuite déposé une demande introductive d’instance devant la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta. Statuant sur une demande présentée dans cette instance par le demandeur, le juge responsable de la gestion de l’instance l’a rejetée dans son intégralité, y compris sa demande en vue d’obtenir une ordonnance enjoignant au comté de délivrer un permis d’aménagement conformément à la décision de la SDAB. Le demandeur a interjeté appel de cette décision devant la Cour d’appel de l’Alberta. Après avoir conclu que le demandeur n’avait pas établi le bien-fondé de ses arguments, la Cour d’appel de l’Alberta a rejeté son appel (Grande Prairie (County No. 1 v Hildebrand, 2018 ABCA 53 [Hildebrand ABCA]).

[11] Dans sa décision, la Cour d’appel de l’Alberta a souligné que, le 12 août 2016, le demandeur avait intenté une action civile devant la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta contre le comté, des fonctionnaires du comté et de nombreuses autres parties pour manquement à leurs obligations légales ou d’autre nature, diffamation et autres formes d’inconduite, et qu’il avait sollicité une injonction permanente et des dommages-intérêts. Elle a également indiqué qu’il s’était partiellement désisté de son action à l’égard du comté, des fonctionnaires du comté et de certaines autres parties, mais qu’elle n’était pas au courant de l’état de cette instance depuis le désistement (Hildebrand ABCA, au para 31).

[12] En 2020, le demandeur a intenté deux actions contre deux employées du comté, soit Paula McDermott et Shelly Page, devant la Cour provinciale de l’Alberta. La Cour provinciale a mentionné que le demandeur avait fait valoir que les défenderesses avaient, à son insu et sans son consentement, modifié de façon arbitraire ses documents juridiques, étant donné que les renseignements exacts qu’il avait fournis avaient été effacés ou masqués au moyen de ruban correcteur, que de faux renseignements avaient été ajoutés, et qu’un faux avait ainsi été créé parce que sa signature était une photocopie de la signature qu’il avait apposée sur l’original, à son détriment. De plus, dans ses documents et dans les arguments qu’il avait exposés de vive voix, le demandeur avait qualifié de faux les actes reprochés aux défenderesses. La Cour provinciale a indiqué qu’à l’exception de la question de savoir si elle avait compétence pour connaître des demandes, la déclaration que le demandeur avait déposée le 12 août 2016 devant la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta comportait les mêmes allégations de fait que celles figurant dans les deux demandes dont la Cour provinciale avait été saisie. Elle a en conclu que le demandeur avait intenté son action en 2016 après avoir eu connaissance des faits faisant l’objet de la plainte. Elle a précisé qu’il avait décidé de se désister de cette action et que depuis, toute nouvelle action devant la Cour provinciale était prescrite.

Les allégations de faux

[13] En juin 2013, le demandeur s’est rendu au détachement de la GRC à Grande Prairie et a déposé une plainte dans laquelle il disait que sa demande de renouvellement de 2010 constituait un faux devant donner lieu à des accusations au criminel. Le gendarme Marchak de la GRC a été assigné à l’enquête sur les allégations de faux formulées par le demandeur. En octobre 2013, le gendarme Marchak a informé le demandeur qu’aucune accusation ne serait portée, puisque le différend entre le demandeur et le comté était une affaire de nature civile.

[14] En juin 2016, le demandeur a rencontré le commissaire adjoint Ferguson de la GRC afin de discuter des allégations de faux soulevées en 2013 ainsi que des nouvelles. Ces nouvelles allégations de faux visaient le permis initial de 2007 qui, selon le demandeur, aurait été modifié en réponse au lancement de l’enquête de la GRC en 2013. Lors de la rencontre, le demandeur a remis au commissaire adjoint Ferguson un gros cartable regroupant des documents qui, selon le demandeur, étayaient ses allégations. Le commissaire adjoint Ferguson a confié le cartable au surintendant McKenna, lequel a chargé le gendarme Ludlow de l’examen des nouveaux renseignements fournis par le demandeur en lien avec l’enquête entreprise par le gendarme Marchak en 2013.

[15] Dans une lettre datée du 19 septembre 2016, le gendarme Ludlow a informé le demandeur qu’à l’issue de son examen, il avait conclu qu’il n’existait aucun motif raisonnable justifiant des accusations de faux au criminel ou autre infraction connexe. Il a ajouté qu’il était évident que la question de la ligne d’inondation de récurrence de 100 ans demeurait cruciale, mais qu’il n’appartenait pas à la police de la résoudre.

[16] Le 24 novembre 2016, le demandeur a déposé une plainte officielle auprès de la CCETP dans laquelle il alléguait que des membres de la GRC : n’avaient pas mis fin au harcèlement ni n’avaient inculpé les personnes visées pour harcèlement et faux; n’avaient pas soumis sa plainte à un processus d’enquête externe, alors qu’on lui avait dit qu’elle le serait; avaient fondé leurs conclusions sur de faux renseignements; avaient agi sans tenir compte des faits; et l’avaient traité de façon particulière pour des raisons inconnues.

[17] Le 14 novembre 2017, le demandeur a signé un formulaire intitulé « Plainte du public – Partie A – Réception » dans lequel il formulait brièvement comme suit des allégations de négligence du devoir contre des membres de la GRC : 1) les membres nommément désignés n’ont pas aidé à faire cesser les infractions de harcèlement et de faux et n’ont porté aucune accusation contre les auteurs de ces infractions; 2) le membre nommément désigné n’a pas rempli sa promesse d’obtenir un mandat de perquisition visant les originaux contrefaits; 3) le membre nommément désigné a fait des remarques au sujet de la destruction d’originaux qui auraient été contrefaits; 4) les membres nommément désignés ont mené une enquête négligente; 5) les membres nommément désignés ont donné une interprétation erronée de ce qui constitue un faux; 6) le membre nommément désigné a été malhonnête en ce qui concerne l’analyse des documents et les services d’experts en criminalistique. Dans une lettre datée du 17 avril 2018, l’inspectrice de la GRC chargée de donner suite à la plainte qu’il avait déposée le 24 novembre 2016 a informé le demandeur qu’elle avait conclu que sa plainte n’était pas fondée et lui a fourni relativement à chacune des six allégations de négligence du devoir des motifs détaillés justifiant sa décision. La lettre constitue le rapport final visé à l’article 45.64 de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, LRC 1985, c R-10 [le rapport de la GRC].

[18] Le 18 juin 2018, le demandeur a formulé une plainte dans laquelle il demandait à la CCETP de réviser le rapport de la GRC.

[19] Dans son rapport final daté du 9 mars 2020, la CCETP a conclu que le règlement par la GRC de la plainte du demandeur était raisonnable.

[20] La décision de la CCETP fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

Les dispositions législatives pertinentes

Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, LRC 1985, c R‐10 [la Loi sur la GRC]

Définitions

2 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

[...]

commissaire Le commissaire de la Gendarmerie royale du Canada. (Commissioner)

[...]

Commission La Commission civile d’examen et de traitement des plaintes relatives à la Gendarmerie royale du Canada, constituée par le paragraphe 45.29(1). (Commission)

[...]

Enquête sur les plaintes par la Gendarmerie

Enquête par la Gendarmerie

45.6 (1) Sous réserve du paragraphe (2) et de l’article 45.61, la Gendarmerie enquête sur toute plainte déposée au titre de la présente partie selon les règles établies en vertu de l’article 45.62.

[...]

Plainte — droit de refuser ou de clore une enquête

45.61 (1) Le commissaire peut ordonner à la Gendarmerie de ne pas enquêter ou de cesser d’enquêter sur une plainte, à l’exception de celle déposée en vertu du paragraphe 45.59(1), si, à son avis :

a) tout motif de refus de la Commission visé aux alinéas 45.53(2)a), b) ou c) ou au paragraphe 45.53(3) s’applique;

b) compte tenu des circonstances, il n’est pas nécessaire ni possible en pratique de commencer une enquête ou de poursuivre l’enquête déjà commencée.

[...]

Rapport

45.64 Dans les meilleurs délais après l’enquête, le commissaire établit et transmet au plaignant, au membre ou à l’autre personne en cause et à la Commission un rapport qui comporte les éléments suivants :

a) un résumé de la plainte;

b) les conclusions de l’enquête;

c) un résumé des mesures prises ou projetées pour régler la plainte;

d) la mention du droit qu’a le plaignant, dans les soixante jours suivant la réception du rapport, en cas de désaccord avec le règlement de la plainte, de renvoyer celle-ci devant la Commission pour révision.

[...]

Plaintes renvoyées à la Commission

Renvoi devant la Commission

45.7 (1) Le plaignant qui n’est pas satisfait de la décision rendue en vertu de l’article 45.61 ou du rapport visé à l’article 45.64 peut, dans les soixante jours suivant la réception de l’avis de la décision ou du rapport, renvoyer sa plainte pour révision par demande écrite à la Commission.

[...]

Révision par la Commission

45.71 (1) La Commission révise toute plainte qui lui est renvoyée en vertu de l’article 45.7.

Commission est satisfaite

(2) Après révision de la plainte, la Commission, lorsqu’elle juge satisfaisant le rapport ou la décision du commissaire, établit et transmet par écrit un rapport à cet effet au ministre, au commissaire, au plaignant et au membre ou à l’autre personne en cause.

La décision faisant l’objet du contrôle

[21] La CCETP a exposé les faits et, après avoir examiné chacune des six allégations formulées dans la plainte du demandeur, elle a conclu que le règlement par la GRC de la plainte du demandeur était raisonnable.

[22] La CCETP a tiré les conclusions suivantes :

  • 1)Le gendarme Marchak a interrogé le demandeur et deux employés du comté, et a examiné les nombreux documents fournis par le demandeur de même que la demande de permis contestée. Il a également effectué des recherches sur les éléments constitutifs de l’infraction de faux et a consulté un procureur de la Couronne. Ces démarches, conjuguées au jugement dont le gendarme Marchak a fait preuve et à la façon dont il a exercé son pouvoir discrétionnaire, démontraient que son enquête avait été raisonnable compte tenu de la gravité de l’infraction reprochée et de l’intérêt du public. La CCETP a jugé que, dans les circonstances, le gendarme Marchak avait mené une enquête raisonnable pour donner suite à la plainte du demandeur et que les conclusions tirées de son enquête étaient aussi raisonnables.

  • 2)Le commissaire adjoint Ferguson n’a pas promis au demandeur que la police obtiendrait un mandat de perquisition. Il a dit qu’il n’était pas dans ses habitudes, lors de rencontres avec des membres du public, de faire des promesses quant à des mesures d’enquête particulières. Il a simplement dit au demandeur qu’il transmettrait les renseignements fournis et demanderait à quelqu’un de faire le suivi. En outre, la parajuriste présente lors de la rencontre avec le demandeur a déclaré à l’enquêteur chargé d’examiner la plainte que le commissaire adjoint avait dit qu’il fallait un mandat de perquisition pour obtenir les documents en la possession du comté, mais qu’il n’avait pas formellement promis qu’un mandat serait obtenu.

  • 3)En 2016, le gendarme Ludlow a effectué un examen raisonnable de l’enquête de 2013 ainsi qu’une enquête raisonnable sur la nouvelle allégation du demandeur. Malgré l’opposition du demandeur quant à l’emploi du terme [traduction] « examen » au lieu du terme [traduction] « enquête », le gendarme Ludlow ne s’est pas limité à examiner uniquement les documents supplémentaires présentés par le demandeur. Son examen équivalait en fait à une nouvelle enquête, à la fois approfondie, minutieuse et très bien documentée. Il est vrai que le gendarme Ludlow a dit que la plupart des craintes soulevées par le demandeur portaient sur des éléments qui avaient déjà fait l’objet d’une enquête policière, mais il a néanmoins mené son enquête de manière très rigoureuse. Il a d’ailleurs rédigé un rapport détaillé dans lequel il a exposé les faits de l’affaire et les mesures qu’il avait prises; le rapport et ses conclusions ont été rappelés par la CCETP. Selon la CCETP, le gendarme Ludlow a fait preuve de jugement, a légitimement exercé son pouvoir discrétionnaire, a tenu compte de l’ensemble des renseignements et de la preuve ainsi que de l’avis obtenu auprès d’un procureur de la Couronne pour tirer ses conclusions.

  • 4)Dans les circonstances, il était raisonnable que les policiers n’obtiennent pas un mandat de perquisition étant donné qu’ils n’avaient aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle avait été commise ou que l’obtention des documents en la possession du comté permettrait de prouver la perpétration d’une infraction.

  • 5)Les avocats du comté avaient informé le gendarme Ludlow que le seul exemplaire des demandes de permis du demandeur était une photocopie couleur. Le demandeur a photographié le permis initial de 2007 et a envoyé la photographie de même qu’une copie de sa demande de renouvellement de 2010 (qui était déjà au dossier) au gendarme Ludlow. Le gendarme a consulté des experts en criminalistique qui lui ont expliqué que la datation de l’encre n’était fiable que dans le cas de documents dont l’âge estimé était inférieur à deux ans. Partant, même s’ils disposaient des originaux, ces experts ne pourraient effectuer une telle datation, et les copies des permis ne permettraient d’obtenir aucun renseignement additionnel. Même si, comme le soutenait le demandeur, le surintendant McKenna lui avait dit, au cours d’une conversation téléphonique, que les originaux liés à sa demande de permis n’existaient peut-être plus, cette hypothèse n’était pas inexacte et il était raisonnable que le surintendant l’en informe.

  • 6)Le gendarme Ludlow n’a pas été malhonnête envers le demandeur au sujet de l’analyse des documents ni de la question de savoir s’ils feraient l’objet d’un examen criminalistique dans le cadre de l’enquête. Le gendarme a peut-être dit au demandeur, au début de son examen, que l’analyse des documents était une option que pourrait envisager la police, mais après avoir appris qu’il n’existait plus que des copies des permis et que la datation de l’encre ne serait pas concluante, il a conclu qu’une analyse criminalistique des documents n’était d’aucune utilité à l’enquête. Le gendarme Ludlow a fait preuve de diligence et de rigueur dans l’étude de ces points. Il a d’ailleurs demandé l’avis d’experts lorsqu’il l’a jugé nécessaire et a appliqué ce qu’il avait appris aux faits de l’espèce.

  • 7)Selon la prépondérance des probabilités, le surintendant McKenna et le gendarme Ludlow n’ont pas donné une interprétation erronée de ce qui constitue une infraction de faux. Rien dans les nombreux documents du dossier ne démontre que le surintendant McKenna ou le gendarme Ludlow avaient mal saisi les éléments constitutifs de l’infraction criminelle de faux. En outre, quel que soit le sens raisonnable donné à l’infraction de faux, les faits et la preuve en l’espèce ne permettaient pas de croire qu’une telle infraction avait été commise.

[23] Le demandeur a également prétendu que les nombreux antécédents d’interactions négatives avec les employés du comté constituaient du harcèlement. Cependant, dans une lettre de l’avocat qui représentait le demandeur à l’époque, il a été admis qu’un élément de cette infraction – le fait de craindre pour sa sécurité – était absent. Par conséquent, la CCETP a été invitée à ne pas examiner la conclusion tirée par la GRC concernant l’allégation de harcèlement, et c’est effectivement ce qu’elle a fait.

Les questions en litige et la norme de contrôle applicable

[24] Le demandeur n’a pas formulé de manière cohérente les questions en litige dans ses observations écrites. Je suis toutefois d’accord avec le défendeur pour dire que la seule question qui doit être tranchée au fond en l’espèce est celle de savoir si la décision de la CCETP était raisonnable.

[25] Lorsque la Cour examine la décision sur le fond rendue par un décideur administratif, tel que la CCETP, la norme qui est présumée s’appliquer est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 23, 25 [Vavilov]). Les circonstances de l’espèce ne justifient pas de déroger à cette présomption (Vavilov, au para 53).

[26] Lorsqu’elle applique la norme de la décision raisonnable lors d’un contrôle judiciaire, la Cour « doit s’assurer de bien comprendre le raisonnement suivi par le décideur afin de déterminer si la décision dans son ensemble est raisonnable. Elle doit donc se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‐ci » (Vavilov, au para 99).

La question préliminaire

[27] Le défendeur fait valoir que la demande présentée par le demandeur de même que ses observations écrites et son dossier de demande dans son ensemble comportent des allégations de fait ou des documents dont la CCETP ne disposait pas, qui ne sont pas étayés par sa preuve par affidavits et qui sont dépourvus de pertinence.

[28] La jurisprudence établit clairement que, en règle générale, le dossier de preuve qui est soumis à la Cour lors d’un contrôle judiciaire se limite à celui dont disposait le décideur. Un élément de preuve qui n’a pas été soumis au décideur et qui a trait au fond de l’affaire est, sauf quelques exceptions restreintes, non admissible. Constitue une exception reconnue à cette règle générale l’affidavit : qui contient des informations générales susceptibles d’aider la Cour à comprendre les questions qui se rapportent au contrôle judiciaire, mais qui ne va pas plus loin en fournissant des éléments de preuve se rapportant au fond de la question déjà tranchée par le décideur administratif; qui porte à l’attention de la cour de révision des vices de procédure qu’on ne peut déceler dans le dossier de la preuve du décideur administratif, permettant ainsi à la Cour de remplir son rôle d’organe chargé de censurer les manquements à l’équité procédurale; ou qui fait ressortir l’absence totale de preuve dont disposait le décideur administratif lorsqu’il a tiré une conclusion déterminée (Première nation de Namgis c Canada (Pêches et Océans), 2019 CAF 149 aux para 4, 7-10; Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 au para 20; voir également Bernard c Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263 aux para 19-25, et Delios c Canada (Procureur général), 2015 CAF 117 au para 45).

[29] Le défendeur soutient que le dossier de demande semble comporter des documents additionnels – lesquels sont des pièces jointes à l’affidavit que le demandeur a souscrit le 7 décembre 2021 – qui ne faisaient pas partie de l’affidavit tel qu’il avait été signifié, que ces documents sont dénués de pertinence et qu’ils ne sont visés par aucune des exceptions susmentionnées à la règle générale selon laquelle les éléments de preuve dont ne disposait pas le décideur et qui ont trait au fond de l’affaire ne sont pas admissibles.

[30] Je tiens à faire remarquer que le dossier du demandeur est quelque peu désordonné. L’un des problèmes que pose le dossier est le fait qu’il semble mêler, sans faire de distinction claire, l’affidavit du demandeur et les trois pièces cotées y afférentes ainsi que d’autres renseignements. À titre d’exemple, immédiatement à la suite de l’affidavit et avant les pièces A, B et C y afférentes, se trouvent 73 pages de documents (pages 9-82) qui, selon le défendeur, ne faisaient pas partie de l’affidavit du demandeur tel que signifié et semblent maintenant faire partie intégrante de l’affidavit figurant dans son dossier de demande. La table des matières de son dossier de demande fait également référence à d’autres renseignements qui se trouvent à la suite des pièces, notamment les pages 83 à 641, sans indication claire de leur source.

[31] Il est peut-être plus efficace de simplement examiner chaque point contesté par le défendeur.

  1. Les dispositions du Code criminel, LRC 1985, c C-46, portant sur le faux (art 366(1)), l’entrave à la justice (art 139), le complot (art 465(1)) et les participants à une infraction (art 21). — Il n’est pas nécessaire qu’un demandeur joigne à son affidavit le texte de dispositions législatives. En l’espèce, le demandeur a mêlé de telles dispositions et la jurisprudence, ce qui porte à croire qu’il entendait se servir de ces dispositions pour étayer ses observations écrites. Cela dit, aux fins du présent contrôle judiciaire, la seule disposition pertinente est le paragraphe 366(1), qui porte sur le faux.

  2. La lettre de Kate Engel, du cabinet Engel Law, adressée au caporal Richard Browne du détachement de la GRC à Grande Prairie et datée du 29 mars 2022. — Me Engel a indiqué que son cabinet représentait effectivement le demandeur, mais que son mandat était limité parce qu’il avait demandé que la lettre à rédiger soit transmise afin de l’aider à résumer, ordonner et présenter les renseignements supplémentaires (et les renseignements dont disposait déjà la GRC) devant être examinés aux fins de l’enquête criminelle. La lettre n’est pas une pièce cotée jointe à l’affidavit du demandeur. De plus, rien dans la preuve dont je dispose n’indique qu’une enquête criminelle est en cours, et il importe de mentionner que la date de la lettre est postérieure à celle la décision de la CCETP. La CCETP ne disposait donc pas de ce document quand elle a rendu sa décision. Le demandeur ne soutient pas que la lettre est visée par l’une des exceptions à la règle générale, et, après en avoir pris connaissance, je suis d’avis que le contenu de la lettre ne se limite clairement pas à des informations générales et que son auteure expose à nouveau la thèse du demandeur quant au fond. Par conséquent, la lettre n’est pas admissible en preuve.

  3. Les documents figurant aux pages 83 à 641 du dossier de demande, que le demandeur qualifie d’éléments de preuve manquants utilisés par la GRC, mais qui ne faisaient pas partie des onglets 1-39 fournis à la CCETP, sauf les onglets 33, 34, 37 et 39 dont la GRC ne disposait pas. — Je tiens à souligner que ces documents ne font pas partie des pièces jointes à l’affidavit du demandeur et qu’il ne dit pas, dans son affidavit, à quelle date il les a fournis à la GRC ni de quelle manière. Le demandeur décrit ces documents plus en détail dans une deuxième table des matières. Le demandeur ne donne dans son affidavit aucune explication quant à la date à laquelle il aurait fourni ces documents à la GRC, et à supposer qu’ils aient été fournis, il n’explique pas non plus en quoi ils sont pertinents pour le présent contrôle de la décision de la CCETP : c’est pourquoi, puisqu’ils ne figurent pas au dossier certifié du tribunal, ils ne sont pas admissibles en preuve. Je souligne en outre que le demandeur n’a pas contesté le caractère suffisant du dossier certifié du tribunal.

  4. L’onglet 33. — Il semble s’agir d’une clause restrictive stipulée dans une convention entre Sunnyside Lane Developments et le comté, datée du 15 février 2019. Le demandeur reconnaît que la CCETP ne disposait pas de ce document; par conséquent, il n’est pas admissible en preuve. Je tiens par ailleurs à souligner qu’il n’est pas évident en quoi ce document est pertinent.

  5. L’onglet 34. — Il comporte deux rapports de graphologie, rédigés par G. L. Pitney, spécialiste judiciaire en graphologie, Docu-Scan (une entreprise qui offre des services d’analyse de documents), datés du 25 mai 2020 et du 11 juin 2020. Ces rapports constituent de nouveaux éléments de preuve dont la date est également postérieure à celle de la décision de la CCETP. Par conséquent, ils sont inadmissibles en preuve.

  6. L’onglet 37. — Il s’agit d’une ordonnance de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta (dossier du greffe no 1404 00005), datée du 12 décembre 2017, concernant la demande introductive d’instance déposée par le comté en janvier 2014 et dans laquelle le demandeur est le défendeur désigné. Dans cette ordonnance, la cour adjuge au comté des frais s’élevant à 26 700 $ et des débours s’élevant à 15 000 $. Une deuxième ordonnance rendue dans la même affaire, cette fois datée du 11 décembre 2017, figure également à l’onglet 37. Dans cette deuxième ordonnance, la cour rejette la demande modifiée que le demandeur a déposée le 23 mars 2017 et elle conclut, entre autres choses, que l’opposition enregistrée par le comté était valide et que le demandeur ne s’était pas conformé à la décision de la SDAB et à l’ordre de cessation des travaux de 2013, lesquels exigeaient qu’il se conforme aux dispositions qui y étaient énoncées de même qu’à celles du règlement administratif sur l’utilisation des terres du comté et de la Municipal Government Act, RSA 2000, c M‐26, notamment en retirant toute porte, fenêtre ou autre ouverture située dans une quelconque mesure sous la ligne d’inondation de récurrence de 100 ans de 677,73 mètres et en fournissant une attestation d’un ingénieur le certifiant. Une fois que le comté aurait jugé que le demandeur avait satisfait aux exigences de l’ordonnance, il devait délivrer un permis d’aménagement autorisant l’aménagement ainsi modifié de la résidence. Rien n’indique pourquoi ces ordonnances n’ont pas été fournies à la GRC ou à la CCETP et, honnêtement, je ne vois pas comment elles aident le demandeur dans la présente affaire.

  7. L’onglet 39. — Il s’agit de la lettre datée du 4 juillet 2018, dont Stephen Hinkley, procureur en chef de la Couronne au ministère de la Justice et du Solliciteur général du gouvernement de l’Alberta est l’auteur, adressée au gendarme Marchak. La lettre figure au dossier certifié du tribunal et a été examinée par la CCETP.

  8. L’affidavit souscrit le 23 octobre 2014 par John Simpson et déposé devant la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta (dossier du greffe no 404 00005). — Ce document n’est pas une pièce jointe à l’affidavit du demandeur. Le demandeur indique dans sa table des matières que ce document fait partie des éléments de preuve manquants. Il n’a pas mentionné si l’affidavit de John Simpson avait été fourni à la GRC et, le cas échéant, à quelle date il l’a été. Il ne conteste pas non plus le dossier certifié du tribunal au motif qu’il comporterait des lacunes. Comme l’affidavit ne figure pas au dossier certifié du tribunal, il n’est pas admissible en preuve.

  9. La lettre du 14 septembre 2021 de l’avocate du demandeur, représenté par le cabinet Engel Law, laquelle constitue la pièce B jointe à son affidavit. — La lettre est adressée au commissaire de la GRC et l’auteure demande une reprise d’enquête sur les plaintes au criminel déposées antérieurement compte tenu des nouveaux éléments de preuve importants. Plus spécifiquement, est joint à cette lettre le long affidavit que le demandeur a souscrit le 30 juin 2020 et qui a apparemment été déposé devant la Cour provinciale de l’Alberta relativement aux actions civiles intentées contre deux employées du comté (ces actions sont frappées de prescription). Constituent des pièces jointes à l’affidavit les deux rapports de graphologie, rédigés par G. L. Pitney, spécialiste judiciaire en graphologie, Docu-Scan (une entreprise qui offre des services d’analyse de documents), datés du 25 mai 2020 et du 11 juin 2020. La lettre du cabinet Engel Law constitue un nouvel élément de preuve dont la date est également postérieure à celle de la décision de la CCETP. Par conséquent, elle n’est pas admissible en preuve.

  10. La pièce C jointe à l’affidavit demandeur, comporte également le rapport de graphologie du 25 mai 2020. — Dans son affidavit, le demandeur explique que son avocate avait fourni les rapports de graphologie avec sa lettre du 14 septembre 2021 dans le but que ces rapports soient versés au dossier. Son avocate et lui ont toutefois appris par la suite que la CCETP avait déjà rendu sa décision, mais qu’elle ne leur avait pas été communiquée. Il dit qu’il joint le rapport à son affidavit, car il se peut qu’il présente une demande relativement à la présente instance en vue de le faire admettre en preuve. Je tiens à faire remarquer que la date de ce rapport de graphologie est postérieure à celle du rapport de la GRC (le 17 avril 2018) de même qu’à celle de la décision de la CCETP (le 9 mars 2020). De plus, et quelle que soit la raison pour laquelle la CCETP ne disposait pas de cette information, la Cour ne peut admettre en preuve un élément qui n’était pas au dossier dont disposait la CCETP. Si le demandeur affirme que la Cour peut se prononcer sur la valeur des nouveaux éléments de preuve, sur le fond, il n’appartient pas à la Cour de le faire lors d’un contrôle judiciaire. Le demandeur n’a pas non plus fait valoir qu’il avait été privé de son droit à l’équité procédurale parce que son avocate et lui ne savaient pas que la CCETP avait déjà rendu sa décision lorsqu’ils ont présenté d’autres observations et qu’en conséquence ni la GRC ni la CCETP n’avaient examiné les nouveaux éléments de preuve. Par ailleurs, aucune demande de réexamen n’a été déposée devant la Cour. Dans ces circonstances, le rapport de graphologie n’est pas admissible en preuve.

La décision était-elle raisonnable?

La thèse du demandeur

[32] Le demandeur fait un exposé détaillé de sa version des faits qui sont à l’origine de son différend avec le comté, de son allégation de faux concernant les modifications qui auraient été apportées à sa demande de renouvellement de 2010 et concernant la ligne d’inondation de récurrence de 100 ans qui lui a été imposée, et de ce qui l’a mené à déposer des plaintes au criminel à la GRC le 26 juin 2013 et le 22 juin 2016.

[33] Il ne formule pas ses observations d’une manière qui se rapporte au caractère raisonnable de la décision de la CCETP. Il demande toutefois à la Cour de rendre un jugement portant annulation de la décision de la CCETP et portant renvoi de l’affaire pour nouvel examen pour les motifs qui, d’après ce que je comprends de ses observations, sont les suivants :

  • La GRC n’a pas fourni des renseignements exacts au procureur de la Couronne et elle a omis des renseignements importants. Pour ces raisons, les enquêteurs de la GRC n’auraient pas dû s’appuyer sur l’avis du procureur;
  • Lors de son examen de l’enquête menée par le gendarme Marchak, le gendarme Ludlow ne s’est pas penché sur les faux renseignements fournis à la Couronne;
  • La preuve dont disposait la GRC et qu’elle a examinée aux fins de son enquête n’a pas été fournie à la CCETP. Par conséquent, la CCETP n’a pas pu mener une enquête convenable;
  • La CCETP n’a pas bien compris la chronologie et les faits de l’espèce;
  • La CCETP s’est appuyée sur l’avis qui avait été obtenu auprès du procureur de la Couronne en lien avec la première enquête menée par la GRC en 2013;
  • La supervision de la reprise d’enquête demandée à la suite de son enquête initiale placerait le gendarme Marchak en situation de conflit d’intérêts, comme le donne à penser la date de la lettre du procureur de la Couronne adressée au gendarme Marchak, soit le 4 juillet 2018;
  • La GRC a donné une interprétation erronée de l’infraction de faux;
  • Aucune démarche n’a été effectuée pour identifier les personnes qui ont falsifié les documents du demandeur;
  • Aucune démarche n’a été effectuée pour obtenir un mandat de perquisition;
  • Le gendarme Ludlow n’a pas fait de liens entre la ligne d’inondation et le faux;
  • La GRC n’a pas donné au règlement administratif du comté une interprétation fidèle à son contexte et ne s’est pas penchée sur le sens véritable d’un autre règlement administratif dans son ensemble;
  • La CCETP a commis les erreurs suivantes : elle n’a pas reconnu que les demandes de permis du demandeur ne comportaient aucune lacune; elle n’a pas reconnu que le comté ne lui avait pas délivré de permis à la suite de la décision de la SDAB; elle n’a pas bien saisi la chronologie des évènements; elle n’a pas remarqué que la date de la demande du 28 juin 2010 avait été changée pour le 30 juin 2010; elle n’a pas reconnu que la conversion des pieds en mètres de la marge de recul du côté ouest était incorrecte et que cette erreur était un prétexte pour soumettre la nouvelle demande à la Municipal Planning Commission [c’est-à-dire, la commission municipale d’aménagement] [MPC] et introduire la fausse exigence relative à la ligne d’inondation; elle n’a pas reconnu dans quelle mesure les modifications apportées à l’utilisation prévue du site lui portaient préjudice; et elle n'a pas reconnu que si certaines des modifications apportées aux documents portaient sur la conversion des mesures impériales en mesures métriques, la conversion de la mesure du côté ouest était néanmoins erronée et n’avait pas été calculée à partir des bons points sur la propriété du demandeur;
  • Le gendarme Ludlow n’a pas interrogé les personnes que le demandeur soupçonnait de faux.

[34] Le demandeur a également présenté de longues observations au sujet des erreurs que le gendarme Marchak aurait commises dans la lettre qu’il a envoyée en 2013 au bureau des procureurs de la Couronne.

[35] Le demandeur ajoute que le point le plus important concerne [traduction] « le fait que ce n’est pas l’ensemble de la preuve examinée dans l’enquête de la GRC qui a été fournie à la CCETP et que, par conséquent, la CCETP ne disposait pas d’un dossier complet lorsqu’elle a rendu sa décision ».

La thèse du défendeur

[36] Le défendeur fait valoir que la CCETP a, dans sa décision, appliqué aux allégations formulées dans la plainte déposée par le demandeur un raisonnement convaincant et approfondi. Elle y a examiné chacun des points soulevés dans la plainte du demandeur, sans tenir compte du fait que bon nombre d’entre eux n’étaient ni cohérents ni fondés. La décision était transparente, intelligible et justifiée.

[37] Le défendeur soutient également que les arguments du demandeur équivalent à une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’erreurs sans importance ou à une demande d’apprécier à nouveau la preuve, et que l’ensemble des allégations du demandeur sont non pertinentes ou non fondées. Il ajoute que bon nombre de ses allégations ont déjà été soulevées dans le cadre d’actions intentées devant les tribunaux de l’Alberta, actions dans lesquelles le demandeur a été débouté, et qu’il tente à présent de débattre à nouveau des questions déjà tranchées.

[38] Le défendeur répond également à chacun des arguments que le demandeur a avancés dans son avis de demande et dans ses observations écrites.

Analyse

[39] Le demandeur analyse les évènements et les documents à la loupe. Cependant, je conviens avec le défendeur que ce genre d’exercice n’est tout simplement pas utile ou important pour le présent litige. Mon rôle consiste à décider si la décision de la CCETP était raisonnable.

[40] Par conséquent, je m’en tiendrai à examiner les allégations formulées par le demandeur dans la plainte qu’il a déposée auprès de la CCETP et la façon dont la CCETP a répondu à ces allégations.

[41] Je tiens toutefois à souligner, à titre préliminaire, que le demandeur fait valoir que le point le plus important dans la présente demande de contrôle judiciaire est le fait que ce n’est pas l’ensemble de la preuve présentée à la GRC qui a été fournie à la CCETP et que, par conséquent, que la CCETP ne disposait pas d’un dossier complet lorsqu’elle a rendu sa décision. Il semble avancer cet argument parce que les documents qu’il fournit dans son dossier de demande (lesquels ne constituent pas des pièces jointes à son affidavit) ne figurent pas, comme j’en ai traité précédemment, dans le dossier certifié du tribunal. Les documents en question semblent être ceux que le demandeur affirme avoir présentés à la GRC en lien avec les enquêtes de 2013 et de 2016.

[42] À ce sujet, il convient de rappeler que la CCETP n’effectue pas une nouvelle enquête, mais qu’elle doit décider si le rapport de la GRC portant refus de déposer des accusations de faux, était raisonnable. Sur ce point, la CCETP a préparé le dossier certifié du tribunal qui contient les documents qu’elle a examinés pour régler la plainte du demandeur visant le rapport de la GRC. La CCETP devait faire porter son examen sur le caractère raisonnable de l’enquête menée par la GRC au titre du paragraphe 45.6(1) de la Loi sur la GRC pour régler la plainte déposée par le demandeur et sur celui de la décision rendue par la GRC à la suite de cette enquête.

[43] En l’absence d’allégations précises formulées par le demandeur permettant de justifier comment le fait que la CCETC n’a pas obtenu les documents qu’il dit avoir fournis à la GRC a rendu la décision de la CCETP déraisonnable, cet argument ne peut être retenu.

[44] Pour revenir à l’examen par la CCETP des allégations formulées par le demandeur dans la plainte qu’il a déposée auprès d’elle, voici les six allégations de négligence du devoir contenues dans sa plainte :

  1. Le commissaire adjoint Ferguson, le surintendant McKenna, le gendarme Ludlow et le gendarme Marchak n’ont pas aidé à faire cesser le harcèlement dont faisait l’objet le demandeur et ils n’ont porté aucune accusation contre les auteurs de cette infraction, à qui il reproche également d’avoir commis un faux;

  2. Le commissaire adjoint Ferguson a promis d’obtenir un mandat de perquisition visant les originaux contrefaits, mais il ne l’a pas fait;

  3. Le surintendant McKenna a dit au demandeur qu’il serait inutile de chercher à obtenir les originaux au moyen d’un mandat de perquisition, car ils avaient probablement été détruits;

  4. Le commissaire adjoint Ferguson, le surintendant McKenna et le gendarme Ludlow ont mené une enquête négligente en réponse à la plainte déposée en 2016 relativement à la plainte de 2013;

  5. Le gendarme Ludlow et le surintendant McKenna ont donné au demandeur une interprétation erronée de ce qui constitue un faux;

  6. Le gendarme Ludlow a été malhonnête envers le demandeur en ce qui concerne l’analyse des documents et la question de savoir si des services d’experts en criminalistique avaient été retenus au cours de l’enquête.

[45] Dans son analyse, la CCETP rappelle d’abord les dispositions législatives et la politique de la GRC qui s’appliquent.

[46] Elle reproduit le paragraphe 366(1) du Code criminel, qui s’applique à un faux :

366 (1) Commet un faux quiconque fait un faux document le sachant faux, avec l’intention, selon le cas :

a) qu’il soit employé ou qu’on y donne suite, de quelque façon, comme authentique, au préjudice de quelqu’un, soit au Canada, soit à l’étranger;

b) d’engager quelqu’un, en lui faisant croire que ce document est authentique, à faire ou à s’abstenir de faire quelque chose, soit au Canada, soit à l’étranger.

[47] La CCETP explique que lorsqu’elle examine une plainte sur des enquêtes criminelles qui sont perçues comme étant inadéquates, elle tient compte des mesures prises pendant l’enquête. De plus, conformément à la politique de la GRC, les membres « doi[vent], sous réserve des ressources disponibles, des priorités établies et du pouvoir discrétionnaire approprié, mener une enquête sur une infraction au Code criminel » (extrait du Manuel des opérations de la GRC, chapitre IV.1 « Infractions au Code Criminel », art C.1.). Les membres de la GRC doivent également suivre toutes les pistes raisonnables et faire appel à des ressources additionnelles, au besoin. Si une enquête criminelle doit être raisonnablement approfondie, la norme ne commande toutefois pas une démarche parfaite (renvoyant à Hill c Commission des services policiers de la municipalité régionale de Hamilton-Wentworth, [2007] 3 RCS 129).

Les allégations de faux soulevées en 2013

[48] La CCETP a pris acte de l’allégation du demandeur voulant qu’un employé du comté ait modifié sa demande de renouvellement de 2010, à son détriment, et qu’il a de ce fait commis un faux.

[49] Voici ce qu’elle a souligné au sujet du gendarme Marchak : il a obtenu du demandeur une longue déclaration enregistrée dans laquelle ce dernier exposait l’historique de son différend avec le comté et expliquait les nombreux documents qu’il avait fournis; le gendarme s’est présenté au bureau du comté où il a discuté avec deux employés du comté, à savoir John Simpson et Paula McDermott, qui n’ont pu identifier les personnes qui avait effectué les modifications ni à quelle date, mais qui lui ont expliqué qu’à l’occasion, les employés du comté aidaient les demandeurs à remplir les formulaires et qu’il n’était dans ce cas pas rare d’y trouver des modifications ou plus d’une écriture; après avoir examiné le libellé de la disposition du Code criminel au sujet du faux, il a conclu que les modifications en question ne causaient aucun préjudice au demandeur, ni ne l’engageaient à faire ou à s’abstenir de faire quelque chose, et qu’elles semblaient avoir été effectuées de bonne foi dans le déroulement du processus administratif; après avoir reçu le courriel du 23 juillet 2013 dans lequel le demandeur disait vouloir que des accusations supplémentaires soient portées pour [traduction] « méfait, méfait à l’égard de données, libelle diffamatoire, publication, harcèlement criminel, extorsion, intimidation, complot et entrave à la justice » contre onze personnes avec qui il avait été en contact dans le contexte de son différend avec le comté, le gendarme a écrit au procureur en chef de la Couronne pour lui dire qu’à son avis les nouvelles accusations étaient injustifiées étant donné que les onze personnes avaient agi dans le cadre de leurs fonctions habituelles, mais qu’il voulait obtenir son avis au sujet des allégations de faux parce qu’il était évident que la demande de permis avait été modifiée par une personne autre que le demandeur; le gendarme a pris connaissance de la réponse du procureur en chef de la Couronne, dans laquelle le procureur disait qu’à son avis, les éléments constitutifs d’un faux — soit un acte coupable et une intention coupable — n’étaient pas présents et il s’agissait de modifications mineures de nature administrative effectuées sans [traduction] « intention malveillante »; le gendarme a conclu qu’il n’y avait que peu ou pas d’intérêt public à intenter de telles poursuites; et il a expliqué ses conclusions au demandeur dans une lettre datée du 22 octobre 2013.

[50] Ces démarches, conjuguées au jugement dont le gendarme Marchak a fait preuve et à la façon dont il a exercé son pouvoir discrétionnaire, démontraient que son enquête avait été raisonnable compte tenu de la gravité de l’infraction reprochée et de l’intérêt du public. La CCETP a jugé que le gendarme Marchak avait mené une enquête raisonnable pour donner suite à la plainte du demandeur et que les conclusions tirées de son enquête étaient aussi raisonnables.

[51] Le principal argument avancé par le demandeur au soutien de sa demande de contrôle judiciaire est que l’enquête réalisée par le gendarme Marchak était viciée, car ce dernier avait donné de faux renseignements au procureur de la Couronne. Comme l’avis du procureur de la Couronne reposait sur ces faux renseignements, il était mal fondé. De plus, le gendarme Ludlow s’est appuyé sur l’enquête menée par le gendarme Marchak ainsi que sur l’avis du procureur de la Couronne sans examiner les faux renseignements. Enfin, la CCETP n’a pas mené une enquête convenable étant donné qu’elle ne disposait pas du dossier de l’enquête de 2013 et qu’elle s’est appuyée sur les conclusions tirées par le gendarme Marchak.

[52] Le demandeur affirme essentiellement que les trois éléments suivants ont été modifiés dans la demande de renouvellement de 2010 qu’il avait été déposée le 28 juin 2010 : 1) la date de la demande, soit le 28 juin 2010, a été changée pour le 30 juin 2010; 2) le mot [traduction] « renouvellement », écrit à la main sur la demande, a été retiré; 3) le libellé de la section portant sur l’utilisation prévue du site a été réécrit et les marges de recul latérales proposées ont été modifiées.

[53] S’agissant de la modification apportée à la date, le demandeur ne dit pas qu’elle lui a causé un préjudice.

[54] S’agissant du retrait du mot [traduction] « renouvellement », je constate, après un examen des documents contenus dans le dossier certifié du tribunal, que la demande de permis initial de 2007 a été approuvée le 5 avril 2007. Cependant, lorsque l’ordre de cessation des travaux a été donné, soit le 31 mars 2010, la construction de la maison n’était pas terminée. L’ordre de cessation des travaux renvoyait à l’alinéa 2(15)(h) du règlement administratif no 2680 sur l’utilisation des terres, selon lequel les parties de l’aménagement n’ayant pas été terminées dans les 24 mois suivant la date d’approbation du plan d’aménagement ne seront plus réputées être approuvées, et les éléments du permis d’aménagement qui s’y appliquent seront frappés de nullité. Pour cette raison, le comté a jugé que le plan d’aménagement n’était plus valide et que le demandeur devait déposer une nouvelle demande de permis d’aménagement.

[55] Le demandeur a contesté l’obligation de demander un nouveau permis, mais il a déposé plus tard la demande de renouvellement de 2010, qui n’a pas été approuvée et sur laquelle a été retiré le mot [traduction] « renouvellement » qui y avait été écrit à la main.

[56] Il importe de souligner que le dossier certifié du tribunal comprend un rapport d’incident de la GRC qui comporte des entrées détaillées rédigées par chacun des agents ayant participé aux enquêtes de 2013 et de 2016. Le gendarme Marchak a créé des entrées pour consigner chacune de ses nombreuses interactions avec le demandeur de même que les mesures d’enquête qu’il avait prises. Il ressort clairement de ses entrées que, selon sa compréhension, le demandeur affirmait que le comté l’avait trompé de manière à lui faire croire que son permis n’était plus valide, et que le demandeur croyait que le comté n’avait pas le pouvoir d’annuler le permis initial de 2007. Le gendarme Marchak a également examiné le règlement administratif en question : selon sa compréhension, ce règlement confirmait l’interprétation selon laquelle le demandeur devait obtenir un nouveau permis d’aménagement étant donné que la maison n’était qu’à moitié terminée deux ans après la délivrance du permis initial de 2007.

[57] Rien dans les documents qui font partie du dossier que je dois examiner n’étaye l’argument voulant que le retrait du mot [traduction] « renouvellement » sur le plan d’aménagement présenté en 2010 ait causé – volontairement ou non – un préjudice au demandeur. Avant de déposer sa demande de renouvellement, le demandeur connaissait, sans toutefois y souscrire, la position du comté selon laquelle le permis initial de 2007 n’était plus valide étant donné que le délai de 24 mois imparti pour la construction de sa maison avait expiré et, comme elle n’était pas terminée, le demandeur était tenu de déposer une nouvelle demande de permis.

[58] Il importe de souligner – et j’examinerai ce point plus loin – que le comté a donné l’ordre de cessation des travaux avant le dépôt de la demande de renouvellement de 2010, en raison des travaux non terminés et des craintes liées au risque d’inondation. Au sujet de ce dernier point, le comté a également indiqué, dans l’ordre de cessation des travaux, qu’il avait appris que des modifications avaient été apportées au plan de la maison par rapport à ce qui avait été prévu au permis initial et que les niveaux du terrain entraîneraient l’inondation de l’habitation.

[59] Ces remarques me mènent à l’examen du principal argument que le demandeur a exposé aux gendarmes Marchak et Ludlow, et qu’il présente à nouveau à la Cour, portant que le permis a été modifié.

[60] Plus précisément, dans la demande de renouvellement de 2010, l’utilisation prévue du site était décrite comme suit :

[traduction]
Habitation privée conforme à l’exécution des plans ci-joints, soit les plans d’ingénierie de la demande initiale de permis préparés par Focus Engineering et Scheunhage Popek & Associates Ltd.

[61] La description a été remplacée par celle-ci :

[traduction]
Habitation unifamiliale possédant un garage attenant, une terrasse couverte et deux terrasses (1,16 m x 4,28 m et 3,05 m x 5,80 m), et nécessitant une dérogation afin d’autoriser une marge de recul latérale de 1,36 m plutôt que de 3 m.

[62] Les marges de recul inscrites étaient les suivantes :

[traduction]
Avant : 50 pieds Latérales : 10 pieds (ouest) 10 pieds (est) Arrière :

[63] Les marges de recul ont été remplacées par celles-ci :

[traduction]
Avant : 12,19 m Latérales : 1,36 m 3,02 m Arrière : 21,50 m

[64] Dans le rapport d’incident, le gendarme Marchak expose en détail ses discussions et rencontres avec Paula McDermott et John Simpson au bureau du comté, les observations qu’il a formulées lors de l’audience publique de la SDAB ainsi que son examen des documents. Il ressort clairement de ses entrées que le demandeur avait été avisé par Beairsto Lehners Ketchum Engineering Ltd. [BLK] le 14 août 2007, soit avant de poser les fondations, que les élévations de la maison que le demandeur avait modifiées par rapport au plan d’aménagement qui avait été approuvé (les élévations étant désormais 3 pieds plus bas) entraîneraient l’inondation de l’habitation étant donné qu’elle se trouvait sous la ligne d’inondation de récurrence de 100 ans. L’avocat du demandeur a indiqué, lors de l’audience devant la SDAB, que le demandeur considérait que les mesures d’atténuation des risques qu’il avait prises, notamment l’aménagement d’un talus, étaient suffisantes, puisqu’il n’avait pas eu d’autres nouvelles à ce sujet. Son avocat a ajouté que la maison constituait un usage permis du terrain et qu’une demande de dérogation avait été déposée relativement à l’avant-toit. Les entrées du gendarme Marchak indiquent également que la SDAB avait conclu qu’un permis d’aménagement devait être accordé au demandeur, sous réserve des conditions énoncées dans la décision de la SDAB.

[65] Il convient de noter que les entrées du gendarme Marchak figurant dans le rapport d’incident décrivent aussi les documents présentés par le demandeur et leur examen par le gendarme Marchak. Les résumés des documents que le demandeur a fournis dans un cartable, dont bon nombre portent sur la ligne d’inondation de récurrence de 100 ans, en font également partie.

[66] L’argument avancé par le demandeur en lien avec les modifications apportées à ses documents porte essentiellement sur la lettre non datée que le gendarme Marchak a envoyée au procureur de la Couronne [la lettre]. Dans la lettre, le gendarme Marchak dit qu’il est allé au bureau du comté le 16 juillet 2013 afin de discuter avec deux employés du comté. S’agissant de la demande de renouvellement de 2010, le gendarme Marchak a indiqué que le document semblait avoir été modifié au moyen de ruban correcteur, et ce, de trois façons :

  1. La mention [traduction] « renouvellement » ainsi que le numéro de permis avaient été retirés;

  2. Les mesures inscrites à la section sur les marges de recul proposées avaient été converties de pieds en mètres, ce qui avait donné lieu à des écarts très négligeables (p. ex., 10 pieds était devenu 3,02 mètres);

  3. Le libellé de la section portant sur l’utilisation prévue du site avait été entièrement réécrit (il faisait environ quatre lignes).

[67] Dans la lettre, le gendarme Marchak a indiqué que le demandeur avait fourni de nombreux documents dans lesquels ce dernier exposait son différend avec le comté et en présentait une brève chronologie. Le gendarme y mentionnait également que le demandeur n’était pas d’accord que sa maison ne respectait pas la ligne d’inondation de récurrence de 100 ans et qu’il avait présenté un rapport technique à l’appui de son interprétation; que le demandeur avait déposé une plainte disciplinaire contre les ingénieurs qui avaient dessiné le plan de lotissement; et que le demandeur avait présenté une demande sous le régime de la Freedom of Information and Protection of Privacy Act, RSA 2000, c F-25, afin que de nombreux documents du comté lui soient communiqués.

[68] Le gendarme Marchak a indiqué qu’à la date où il a rédigé la lettre, il était d’avis que les modifications apportées au document n’avaient causé aucun préjudice au demandeur étant donné que le problème refaisant constamment surface portait sur le fait que sa maison était apparemment soumise à une exigence relative à la ligne d’inondation de récurrence de 100 ans, et non sur les trois sections du formulaire qui avaient été modifiées. Cependant, comme il était assez évident que la demande avait été modifiée, le gendarme Marchak a demandé l’avis du procureur de la Couronne.

[69] Le gendarme a également mentionné dans sa lettre qu’il joignait un CD qui contenait [traduction] « essentiellement tous les renseignements que HILDEBRAND avait transmis à la GRC en lien avec sa plainte ».

[70] Dans sa réponse datée du 4 juillet 2018, le procureur en chef de la Couronne a énuméré les éléments de preuve qu’il a examinés pour donner son avis, notamment les rapports d’enquête du gendarme visé ainsi que des courriels envoyés par le demandeur. Le procureur a conclu que, quelles qu’aient été les modifications manifestement apportées au document, la Couronne était tenue de prouver la mens rea et l’actus reus pour prouver la commission d’une infraction criminelle. Compte tenu de la preuve dont il disposait, le procureur en chef de la Couronne a dit qu’il n’était pas en mesure de prouver une intention malveillante. Les modifications semblaient plutôt avoir été effectuées pour des raisons de commodité administrative. Comme il n’était pas possible d’établir les éléments constitutifs de l’infraction, il n’y avait aucune perspective raisonnable d’obtenir une déclaration de culpabilité. Il a rédigé comme suit sa conclusion : [traduction] « Comme il n’est pas possible d’établir la mens rea, les accusations au criminel sont vouées à l’échec. Il n’existe aucune perspective raisonnable d’obtenir une déclaration de culpabilité et, bien honnêtement, je ne suis pas certain qu’une quelconque infraction ait été commise. Il s’agit d’une affaire dont le règlement relève des tribunaux civils. »

[71] Le demandeur fait observer que la lettre du gendarme Marchak indique que les modifications des chiffres n’ont entraîné que des erreurs mineures de conversion. Il ajoute que, s’il s’agit bien d’une erreur mineure dans le cas de la marge de recul du côté est, le gendarme Marchak n’a toutefois pas dit au procureur de la Couronne que la conversion de la mesure de la marge de recul du côté ouest avait fait passer cette mesure de 10 pieds à 1,36 mètre. Le procureur de la Couronne n’avait donc pas tenu compte du fait que cette modification avait sciemment été faite pour obliger l’autorité visée à refuser la demande de renouvellement de 2010 et pour qu’une [traduction] « fausse » exigence relative à la ligne d’inondation de récurrence de 100 ans puisse lui être imposée. Le demandeur prétend également qu’un document a été retiré de sa demande de renouvellement de 2010. Le document en question était une copie de la lettre du 4 octobre 2005 adressée au comté, dans laquelle BLK traitait du plan de gestion des eaux pluviales du lotissement sur lequel le demandeur avait construit sa maison. Le document comprenait divers graphiques qui, selon le demandeur, précisaient que la ligne d’inondation de récurrence de 100 ans correspondait à 674,368 mètres [la ligne d’inondation de 2005]. Le demandeur affirme que la ligne d’inondation de 2005 a été remplacée, dans la lettre de BLK du 10 juin 2010, par une ligne d’inondation de récurrence de 100 ans correspondant à 677,76 mètres.

[72] Je comprends que le demandeur estime que si le permis initial de 2007 n’est plus valide, ce n’est pas parce que la construction n’a pas été achevée à l’intérieur du délai de 24 mois; qu’il n’avait pas besoin d’une dérogation en lien avec la marge de recul latérale, ou que les mesures des marges de recul latérales auraient dû être prises à partir d’un point de départ différent; et que la modification, sur la demande de renouvellement de 2010, de la marge de recul du côté ouest, la faisant passer de 10 pieds à 1,36 mètre, avait été effectuée sciemment pour que le permis soit refusé, que sa demande soit soumise à la MPC et que John Simpson puisse y ajouter la fausse exigence relative à la ligne d’inondation de récurrence de 100 ans.

[73] Il ressort toutefois clairement du rapport d’incident que la question de la ligne d’inondation de récurrence de 100 ans était litigieuse bien avant le dépôt de la demande de renouvellement de 2010. Même si la ligne d’inondation applicable était celle de 2005 – établie pour le comté et à nouveau fournie au comté en pièce jointe à la demande de renouvellement de 2010 – et malgré le débat important autour de la question de savoir quelle était la bonne ligne d’inondation, le gendarme Marchak, comme l’a conclu la CCETP, a raisonnablement conclu que les modifications apportées à la demande de renouvellement de 2010 n’avaient causé aucun préjudice au demandeur. La conclusion tirée par le gendarme Marchak était raisonnable parce que les problèmes du demandeur découlaient du non-respect de l’exigence relative à la ligne d’inondation de récurrence de 100 ans, et que cette exigence existait avant le dépôt de la demande de renouvellement de 2010.

[74] S’agissant de la dérogation relative à la marge de recul du côté ouest, bien que le demandeur fasse valoir que cette modification est à l’origine du renvoi à la MPC de sa demande de renouvellement de 2010, l’avocat du demandeur a reconnu lors de l’audience devant la SDAB qu’une dérogation était requise et la SDAB en a d’ailleurs accordée une. Cette information concorde avec les notes que le gendarme Marchak a prises à la suite de sa rencontre avec les représentants du comté qui lui ont expliqué que la version modifiée de la demande de renouvellement de 2010 reflétait fidèlement l’objet de la demande présentée par le demandeur, que les mesures figurant sur la demande de renouvellement de 2010 n’avaient aucunement influencé leur refus et qu’il n’était pas inhabituel pour les commis à la planification d’écrire sur les demandes afin d’aider les personnes qui demandent un permis.

[75] Contrairement à ce que prétend le demandeur, j’estime que le gendarme Marchak n’a pas fourni des renseignements faux ou incomplets au procureur de la Couronne. Les entrées figurant dans le rapport d’incident sont très détaillées et exhaustives. La lettre indique que le procureur a reçu essentiellement tous les documents que le demandeur avait présentés au gendarme Marchak. Malgré l’absence d’une mention précise dans la lettre au sujet de la dérogation relative à la marge de recul latéral du côté ouest et de l’argument du demandeur selon lequel cette modification constituait un faux prétexte visant sciemment à le forcer à déposer la demande de renouvellement de 2010 – laquelle permettait à John Simpson de porter à l’attention de la MPC la fausse exigence relative à la ligne d’inondation de récurrence de 100 ans –, le procureur a néanmoins conclu, à l’issue de son examen approfondi de l’ensemble des documents qui lui avaient été fournis et des points qui lui avaient été présentés, qu’il ne serait pas en mesure de prouver, hors de tout doute raisonnable, une intention malveillante étant donné que les modifications semblaient avoir été effectuées pour des raisons de commodité administrative.

[76] De plus, après avoir pris connaissance du dossier dont disposait la CCETP, je suis d’avis qu’il était raisonnable de sa part de décider que le gendarme Marchak pouvait conclure que les modifications apportées à la demande de renouvellement de 2010 n’avaient causé aucun préjudice au demandeur étant donné que le problème refaisant constamment surface portait sur le fait que sa maison était apparemment soumise à une exigence relative à la ligne d’inondation de récurrence de 100 ans, et non sur les trois sections du formulaire qui avaient été modifiées. Le problème concernant la ligne d’inondation de récurrence de 100 ans existait avant le dépôt de la demande de renouvellement de 2010; l’avocat du demandeur a ensuite reconnu lors de l’audience devant la SDAB que la dérogation relative à la marge de recul latérale était requise; les modifications apportées à la demande de renouvellement de 2010 ont été jugées s’inscrire dans le cours normal des tâches administratives dont s’acquittent les fonctionnaires du comté; et le procureur en chef de la Couronne était d’avis qu’aucune intention malveillante n’avait été établie et qu’il n’y avait donc pas lieu de porter des accusations.

[77] Bien que le demandeur soit d’avis contraire, j’estime qu’il n’a pas démontré que la décision de la CCETP était déraisonnable eu égard au dossier dont elle disposait.

[78] Le demandeur fait également valoir que la réponse du procureur en chef de la Couronne, datée du 4 juillet 2018, est adressée au gendarme Marchak, alors que c’était le gendarme Ludlow qui était chargé de l’examen de 2016. Il est d’avis que si le gendarme Marchak supervisait lui-même l’examen de sa propre enquête initiale, il pourrait y avoir un conflit d’intérêts. Compte tenu des documents au dossier et après avoir entendu l’avocat du défendeur sur ce point, j’estime qu’il est raisonnable de tenir pour acquis que la date du 4 juillet 2018 écrite sur la réponse était erronée et que cette réponse donnait en réalité suite à la lettre non datée du gendarme Marchak. Contrairement à ce qu’affirme le demandeur, je ne crois pas non plus que le fait de nommer le gendarme Marchak à titre d’agent responsable dans l’une des entrées du rapport d’incident démontre qu’il menait lui-même une enquête à son sujet. Le dossier démontre clairement que l’enquêteur principal en 2013 était le gendarme Marchak et en 2016, le gendarme Ludlow.

[79] Le demandeur soutient également que la CCETP a conclu à tort que la présente affaire n’était toujours pas réglée depuis 2007. Il n’a fourni aucun élément de preuve au soutien de son argument et, comme il ressort du dossier, la question de la ligne d’inondation de récurrence de 100 ans et le fait qu’il construisait sa maison sous les élévations approuvées ont été portés à son attention en 2007, avant qu’il ne pose les fondations.

La promesse d’obtenir un mandat de perquisition

[80] S’agissant des allégations du demandeur selon lesquelles l’obtention d’un mandat de perquisition lui avait été promise, la CCETP a conclu qu’il n’y avait eu aucune promesse à cet égard.

[81] La CCETP a expliqué que la déclaration du commissaire adjoint Ferguson – selon laquelle il avait dit à l’enquêteur de la plainte du public qu’il n’était pas dans ses habitudes de faire des promesses quant à des mesures d’enquête particulières et qu’il avait simplement dit au demandeur qu’il transmettrait les renseignements fournis et demanderait à quelqu’un de faire le suivi – ne permettait pas de corroborer les allégations du demandeur. La déclaration de la parajuriste qui avait accompagné le demandeur à la rencontre – selon laquelle elle relatait que le commissaire adjoint Ferguson avait dit qu’il fallait un mandat de perquisition pour obtenir les documents en la possession du comté, mais qu’il n’avait pas formellement promis qu’un mandat serait obtenu – ne permettait pas non d’étayer l’allégation du demandeur.

[82] Le demandeur ne semble pas contester le caractère raisonnable de cette conclusion. Il conteste toutefois la décision de ne pas obtenir un mandat de perquisition, que j’examinerai plus loin.

[83] J’estime que la déclaration de la parajuriste n’était peut-être pas aussi claire que l’a affirmé la CCETP. Toutefois, le commissaire adjoint Ferguson a catégoriquement affirmé à l’enquêteur de la plainte du public que lors de sa rencontre avec le demandeur, ce dernier avait soulevé la question liée à l’obtention d’un mandat de perquisition. Le commissaire adjoint Ferguson lui a répondu qu’une telle décision relevait des agents de la GRC chargés d’enquêter sur la plainte et a dit qu’il n’avait jamais promis d’obtenir un mandat de perquisition. J’estime qu’il était loisible à CCETP de préférer la preuve du commissaire adjoint Ferguson et que sa conclusion selon laquelle il n’avait pas promis l’obtention d’un mandat de perquisition était raisonnable.

L’examen négligent de la plainte de 2016

[84] S’agissant des allégations du demandeur voulant que l’examen de sa plainte de 2016 ait été effectué de manière négligente, la CCETP a conclu que l’enquête était raisonnable.

[85] En ce qui concerne le rôle joué par le commissaire adjoint Ferguson, la CCETP a souligné que sa participation s’était limitée à la rencontre avec le demandeur, après quoi il avait exposé au surintendant McKenna les craintes du demandeur et lui avait remis les documents dont il disposait. Quant à la participation du surintendant McKenna, il a chargé le gendarme Ludlow de l’examen des allégations du demandeur, a supervisé le travail du gendarme Ludlow, a parlé au téléphone avec le demandeur à maintes reprises et il a participé à plusieurs rencontres tenues avec ce dernier.

[86] En ce qui concerne le gendarme Ludlow, s’il a indiqué, lors de son entretien avec l’enquêteur de la plainte du public, que la plupart des craintes soulevées par le demandeur étaient liées à des questions qui avaient déjà été examinées dans une enquête, il a néanmoins examiné la grande quantité de documents et de renseignements que lui avait fournis le demandeur. En outre, malgré le souhait du demandeur de voir la police interroger les personnes qui, à son avis, avaient joué un rôle dans le processus d’évaluation des plans d’aménagement du comté, rien ne permettait de croire, compte tenu des renseignements qu’il avait présentés, du temps qui s’était écoulé et de la conclusion selon laquelle ces personnes avaient simplement agi dans l’exercice de leurs fonctions administratives lorsqu’elles avaient effectué des modifications mineures aux demandes de permis, qu’une démarche policière auprès de ces personnes aurait été d’une quelconque utilité à l’enquête. Qui plus est, le gendarme Marchak a discuté avec deux employés du bureau du comté en 2013, et il a rédigé des rapports que le gendarme Ludlow a examinés.

[87] Voici ce que la CCETP a conclu au sujet du gendarme Ludlow : il a minutieusement examiné les nombreux documents fournis par le demandeur; il a laborieusement examiné les longs courriels du demandeur et a établi des renvois entre ces courriels et les documents au dossier; il a rédigé un rapport détaillé dans lequel il a fait état des mesures d’enquête qu’il avait prises; il a examiné le volumineux dossier d’enquête du gendarme Marchak, le cartable que le demandeur avait remis au commissaire adjoint Ferguson, un courriel de huit pages dans lequel le demandeur énonçait sa position de manière détaillée et 26 autres courriels envoyés par le demandeur, dont certains comportaient de nombreuses pièces jointes; il a rencontré le demandeur à deux occasions et a obtenu sa déclaration détaillée; il a communiqué, en lien avec la datation de l’encre, avec un expert externe en criminalistique et, en se fondant sur les explications reçues, il a conclu qu’une datation de l’encre des demandes de permis de 2007 et de 2010 ne serait pas possible; il a conclu qu’aucun renseignement n’étayait l’hypothèse du demandeur voulant que le comté eût modifié sa demande initiale de 2007 en 2013 ou 2014; il a conclu que le demandeur avait été informé, en 2007, du principal point qui posait problème pour le comté, mais que, faisant fi des avertissements, celui-ci avait coulé les fondations de sa maison en contravention aux conditions de son permis; il n’a pu conclure à l’existence d’un lien entre les modifications apportées aux demandes de permis et les conditions imposées par la SDAB, un tel lien étant nécessaire pour prouver que les modifications avaient porté préjudice au demandeur; il a conclu que, même si le processus administratif suivi par le comté pouvait présenter certaines lacunes, il n’avait toutefois aucun motif raisonnable de croire qu’un acte criminel avait été commis et qu’en conséquence, il n’était pas possible d’obtenir un mandat de perquisition; il a conclu que derrière le vaste éventail d’allégations formulées par le demandeur et les diverses instances devant lesquelles il avait cherché à obtenir réparation était dissimulée la question fondamentale des conditions du permis, laquelle ne relevait pas de la police; il a souligné que la volonté déclarée du demandeur consistait à ce que la GRC obtienne certains documents dont il aurait pu se servir dans ses poursuites civiles, et qu’ainsi, selon la CCETP, le demandeur cherchait à faire avancer sa cause en droit privé en tirant profit du système de justice pénale aux frais de l’État et qu’une telle situation constituait un abus de procédure; il a obtenu d’un procureur de la Couronne la confirmation que les nouveaux renseignements ne modifiaient pas l’avis qu’avait donné le procureur en chef de la Couronne.

[88] La CCETP a conclu que l’enquête menée par le gendarme Ludlow était approfondie, minutieuse et très bien documentée. Il s’est fondé à raison sur les renseignements et les documents recueillis en 2013 par le gendarme Marchak, puisqu’il n’avait aucune raison de douter de leur pertinence ni de leur exactitude. Selon la CCETP, le gendarme Ludlow a fait preuve de jugement, a légitimement exercé son pouvoir discrétionnaire, et a tenu compte de l’ensemble des renseignements et de la preuve ainsi que de l’avis obtenu auprès d’un procureur de la Couronne pour tirer ses conclusions.

[89] Le demandeur ne conteste pas le caractère raisonnable des conclusions tirées par la CCETP. En revanche, il soutient que le gendarme Ludlow n’a pas examiné les faux renseignements fournis au procureur de la Couronne, faisant référence à la lettre que le gendarme Marchak a envoyée au procureur de la Couronne et à l’avis, daté du 4 juillet 2018, que ce dernier lui a donné en réponse. Il soutient que les faux renseignements présentés au procureur de la Couronne n’ont fait l’objet ni d’un examen ni d’une enquête par le gendarme Ludlow. Il fait également valoir, de façon plus générale, que les enquêteurs se sont appuyés à tort sur l’avis du procureur de la Couronne, puisque cet avis reposait sur des renseignements inexacts.

[90] J’ai déjà examiné cet argument.

[91] De plus, il convient de souligner que le gendarme Ludlow n’était pas chargé de reprendre l’enquête sur les allégations de faux formulées en 2013. Sa tâche consistait plutôt à examiner les nouvelles allégations (selon lesquelles, à un certain moment après le début de l’enquête de la GRC en 2013, des employés du comté avaient modifié la demande initiale de 2007 – notamment en inscrivant qu’une dérogation était nécessaire – afin de protéger leurs arrières) et les nouveaux documents afin de savoir si ces éléments avaient eu une incidence sur la conclusion de l’enquête initiale. En l’absence de preuve démontrant que le gendarme Marchak avait commis une erreur lorsqu’il a mené son enquête, le gendarme Ludlow était en droit de s’appuyer sur les conclusions de ce dernier, ainsi que l’a souligné la CCETP. Par ailleurs, comme l’a fait remarquer la CCETP, bien que le gendarme Ludlow n’ait pas jugé nécessaire, aux fins de son enquête, de s’adresser à la Couronne pour obtenir un autre avis, il a communiqué avec un procureur de la Couronne, qui lui a confirmé que les nouveaux renseignements ne permettaient pas de modifier l’avis qui avait déjà été donné.

[92] Le demandeur prétend également que le gendarme Ludlow n’a pas fait de liens entre la ligne d’inondation et le faux. Cependant, le dossier comprend une étude de dossier rédigée par le gendarme Ludlow dans laquelle il a indiqué que, dans le cadre de l’enquête initiale, le demandeur avait affirmé que des modifications avaient été apportées à la marge de recul latérale, ce qui avait entraîné de nombreuses conséquences négatives, et que ces modifications constituaient une infraction de faux. Lorsqu’il a examiné l’ensemble des documents, il est devenu clair pour le gendarme Ludlow que le point le plus contesté avait été – et demeurait – la ligne d’inondation de récurrence de 100 ans. Il a souligné qu’une grande quantité de documents portaient sur ce point. S’agissant de l’intention, le gendarme Ludlow a souligné que bon nombre des allégations formulées par le demandeur relevaient de la conjecture. À titre d’exemple, John Simpson avait, selon le demandeur, échangé des courriels avec l’ingénieur John Lehners dans lesquels ils collaboraient pour inventer une ligne d’inondation de récurrence de 100 ans. Toutefois, il a examiné les courriels en question et a conclu que ces courriels n’appuyaient pas l’allégation du demandeur. De plus, le demandeur a indiqué que, six ans après les modifications apportées à la demande de renouvellement de 2010, le comté avait modifié sa demande initiale de 2007; toutefois, comme il n’était pas possible de savoir quand les modifications avaient été effectuées, rien au dossier ne permettait d’appuyer cette allégation, qui était purement conjecturale. Le gendarme Ludlow a aussi précisé que, tout au long de son examen, il avait pris les mesures nécessaires afin d’établir l’existence d’un quelconque lien entre les documents modifiés et la question de la ligne d’inondation de récurrence de 100 ans, mais qu’il n’avait pu conclure à l’existence d’un lien permettant de démontrer que les problèmes liés à la ligne d’inondation découlaient des modifications. Cette conclusion était d’ailleurs étayée par le fait que le problème lié à la ligne d’inondation se posait déjà en 2007, alors que le demandeur affirmait que les documents avaient probablement été modifiés plusieurs années plus tard.

[93] Je tiens également à souligner que, dans sa lettre du 19 septembre 2016 adressée au demandeur, le gendarme Ludlow a reconnu explicitement que la question cruciale qui était demeurée au premier plan depuis 2007 était celle de la ligne d’inondation de récurrence de 100 ans, mais que, bien que cette question n’ait toujours pas été réglée, il n’appartenait pas à la police de le faire, un tel règlement pouvant plus vraisemblablement intervenir dans le cadre d’une instance civile.

[94] Enfin, le demandeur soutient que le gendarme Ludlow n’a pas interrogé les personnes que le demandeur soupçonnait de faux. Toutefois, comme l’a souligné la CCETP, le gendarme Ludlow ne les a pas interrogées, car il était d’avis qu’une démarche policière auprès de ces personnes à qui le demandeur reprochait d’avoir commis un faux n’aurait été d’aucune utilité à l’enquête compte tenu du temps qui s’était écoulé depuis et la conclusion selon laquelle ces personnes avaient simplement agi dans l’exercice de leurs fonctions administratives lorsqu’elles avaient effectué les modifications mineures en question. De plus, le gendarme Marchak avait déjà discuté, en 2013, avec deux personnes au bureau du comté, et il n’avait aucune raison de douter de la pertinence des renseignements recueillis par ce dernier.

[95] Je tiens également à faire remarquer qu’il ressort clairement des entrées du gendarme Ludlow figurant dans le rapport d’incident qu’il était au courant des craintes du demandeur en lien avec la modification de la marge de recul du côté ouest, qui était passée de 10 pieds à 1,36 mètre, de l’allégation du demandeur selon laquelle cette modification avait été effectuée par John Simpson, et de celle selon laquelle les plans de sa maison ainsi que certains documents techniques avaient été retirés de sa demande de renouvellement de 2010. Lors de son entretien avec l’enquêteur de la plainte du public, le gendarme Ludlow a également dit que, même si les documents en question avaient été falsifiés, il n’aurait pas été en mesure d’affirmer que ce faux avait eu une incidence sur la situation (à savoir qu’il avait causé préjudice au demandeur) étant donné qu’en définitive, les renseignements qu’il avait examinés démontraient que l’élément à l’origine des problèmes du demandeur et qui ne cessait de refaire surface durant toutes ces années était la ligne d’inondation de récurrence de 100 ans. Autrement dit, les modifications apportées aux documents n’étaient pas la raison pour laquelle le comté avait pris les mesures qu’il a prises (c.-à-d. aucune intention n’a été établie).

[96] Je suis d’avis que le demandeur n’a pas établi que la décision de la CCETP, selon laquelle le gendarme Ludlow avait effectué un examen raisonnable dans le cadre de l’enquête de 2016, était déraisonnable.

L’absence d’un mandat de perquisition

[97] La CCETP a renvoyé à l’article 487 du Code criminel, lequel énonce qu’un juge ou un juge de paix peut décerner un mandat de perquisition s’il est convaincu qu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise ou est présumée avoir été commise. Elle a aussi souligné que la police avait conclu qu’il n’existait aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle avait été commise ni que l’obtention des documents en la possession du comté permettrait de prouver la perpétration d’une infraction. Par conséquent, la CCETP a conclu que, dans les circonstances, il était raisonnable que la police n’ait pas cherché à obtenir au moyen d’un mandat de perquisition les documents en la possession du comté étant donné que rien dans la preuve ne démontrait qu’une infraction avait été commise.

[98] Le demandeur conteste la décision de ne pas obtenir de mandat de perquisition. Selon lui, la justification du gendarme Ludlow tenait au fait qu’il considérait que les modifications avaient été apportées à des copies et que [traduction] « par conséquent, aucun faux ne pouvait avoir été commis ». La preuve n’étaye pas cette allégation. Lors de son entretien avec l’enquêteur de la plainte du public, le gendarme Ludlow a souligné qu’il ne faisait aucun doute que des sections de la demande initiale de 2007 avaient été effacées au moyen de ruban correcteur et que de nouveaux éléments, de couleurs et d’écritures différentes, y avaient été ajoutés. La question pertinente était toutefois celle de savoir à quel moment ces modifications avaient été effectuées.

[99] Le demandeur fait aussi valoir que la CCETP n’a pas motivé sa conclusion selon laquelle l’obtention d’un mandat de perquisition n’était pas raisonnable. Cette allégation est également dénuée de fondement étant donné que la CCETP a fourni des motifs, lesquels sont exposés plus haut.

[100] Je suis d’avis que la décision de la CCETP concernant l’absence d’un mandat de perquisition était raisonnable.

La destruction des originaux

[101] Il n’est pas nécessaire de faire une analyse détaillée des motifs et conclusions de la CCETP concernant l’allégation du demandeur selon laquelle le surintendant McKenna lui avait dit qu’il serait inutile d’obtenir un mandat de perquisition parce que le comté avait probablement déjà détruit les originaux, et concernant son argument selon lequel rien ne permettait au surintendant d’avancer une telle hypothèse. Je me fonde sur le fait que le demandeur ne semble pas contester le caractère raisonnable de cet aspect de la décision de la CCETP. Je tiens cependant à souligner qu’à mon avis les motifs de la CCETP à cet égard sont transparents, intelligibles et justifiés.

L’interprétation erronée de l’infraction de faux.

[102] Selon le demandeur, le surintendant McKenna et le gendarme Ludlow lui ont donné, lors d’une rencontre tenue en septembre 2016, une interprétation erronée de ce qui constitue une infraction de faux. Bien que ni l’un ni l’autre des agents n’aient gardé un souvenir précis de cette rencontre, le gendarme Ludlow a dit à l’enquêteur de la plainte du public qu’il n’y avait eu aucune confusion dans son esprit quant aux éléments qui seraient requis pour que l’enquête se solde par le dépôt d’accusations, comme le confirment ses communications avec le procureur de la Couronne.

[103] La CCETP a conclu que les arguments du demandeur se limitaient à sa propre définition de l’infraction de faux et à son affirmation selon laquelle l’examen effectué par le gendarme Ludlow comportait des lacunes. La CCETP a conclu que rien dans les nombreux documents au dossier ne démontrait que le surintendant McKenna ou le gendarme Ludlow avaient mal saisi les éléments constitutifs de l’infraction criminelle de faux. Quoi qu’il en soit, quel que soit le sens raisonnable donné à l’infraction de faux, les faits et la preuve en l’espèce ne permettaient pas de croire qu’une telle infraction avait été commise.

[104] J’estime que la conclusion de la CCETP portant que, selon la prépondérance des probabilités, le surintendant McKenna et le gendarme Ludlow n’ont pas donné une interprétation erronée de ce qui constitue une infraction de faux ne comporte aucune erreur.

L’analyse criminalistique des documents

[105] Le demandeur prétend que le gendarme Ludlow a été malhonnête en ce qui concerne l’analyse des documents et la question de savoir si des services d’experts en criminalistique avaient été retenus au cours de l’enquête. La CCETP a souligné que le gendarme Ludlow avait indiqué qu’il avait peut-être dit au demandeur, au début de son examen, que l’analyse des documents était une option que pourrait envisager la police. Toutefois, après en avoir appris davantage au sujet de l’affaire, notamment le fait qu’il n’existait plus que copies des demandes de permis originales et que la datation de l’encre ne serait pas concluante pour des inscriptions écrites plus de deux ans auparavant, il a conclu qu’une analyse criminalistique des documents ne serait d’aucune utilité à l’enquête. La CCETP a fait remarquer que le dossier démontrait que le gendarme Ludlow s’était raisonnablement renseigné auprès d’experts dans le domaine de l’analyse de documents, mais que, comme ces derniers lui avaient expliqué qu’ils ne pourraient émettre d’opinion quant à l’âge estimé des inscriptions, il ne leur avait pas transmis les documents.

[106] Je tiens à faire remarquer que, dans la déclaration qu’il a faite à l’enquêteur de la plainte du public, le gendarme Ludlow a dit qu’il avait cru comprendre au départ que les documents obtenus dans le cadre de l’enquête de 2013 étaient les originaux, mais qu’il avait réalisé plus tard qu’il s’agissait de photocopies couleur, et que ce fait avait une incidence sur l’utilité de recourir à un quelconque examen criminalistique.

[107] De plus, le gendarme Ludlow a d’abord communiqué avec le laboratoire judiciaire de la GRC, qui l’a informé qu’il ne faisait plus l’analyse criminalistique de documents. Il a ensuite communiqué avec un tiers approuvé, au cours de l’été 2016, qui lui a dit qu’il le rappellerait en septembre. Le tiers en question lui a expliqué que la datation de l’encre est fiable dans le cas d’inscriptions dont l’âge estimé de création ne dépasse deux ans. Comme le demandeur était d’avis que les modifications avaient été effectuées en 2007 ou en 2013, dans les deux cas, le laps de temps qui s’était écoulé depuis ne permettait plus de faire l’analyse. Le gendarme Ludlow a souligné que s’il avait été en mesure d’établir que les modifications avaient été effectuées à une autre date que celle où les documents avaient été remplis, il aurait disposé d’une piste pour justifier l’obtention d’un mandat de perquisition. S’agissant de l’analyse graphologique, il n’en a pas été beaucoup question parce que nul n’a contesté le fait que les écritures d’autres personnes apparaissaient sur le document et qu’il ressortait des entretiens entre le gendarme Marchak et les employés du comté qu’il n’était pas inhabituel qu’un employé aide les personnes qui demandent des permis à remplir des documents. La datation de l’encre était d’une grande utilité à l’enquête. La question de savoir qui avait effectué les modifications aurait pu être pertinente s’il avait été possible d’établir qu’elles avaient été apportées après le dépôt de la demande de renouvellement de 2010 ou, dans le cas de la demande initiale de 2007, après que la GRC eut entamé son enquête en 2013.

[108] La CCETP a également examiné les observations du demandeur au sujet de ses propres démarches pour l’analyse graphologique, mais elle a dit que la question de savoir qui avait effectué les modifications n’aurait pas été très utile à l’enquête s’il n’était pas possible de déterminer quand elles avaient été effectuées.

[109] J’estime que la CCETP a raisonnablement conclu que le gendarme Ludlow n’avait pas été malhonnête envers le demandeur en ce qui concerne l’analyse criminalistique des demandes d’aménagement et que, bien que les limites quant à l’analyse de documents ne sont pas des questions que la plupart des enquêteurs sont appelés à examiner au quotidien, le gendarme Ludlow a fait preuve de diligence et de rigueur dans l’étude de ces points.

[110] Pour tous les motifs qui précèdent, j’estime que la décision rendue par la CCETP était raisonnable.

Les autres arguments du demandeur

[111] Le demandeur formule divers autres arguments. Cependant, bon nombre d’entre eux ne sont pas pertinents dans le contexte du présent contrôle judiciaire de la décision de la CCETP. Par exemple, le demandeur affirme que la GRC n’a pas donné au règlement administratif du comté une interprétation fidèle à son contexte et que, dans le cas d’un autre règlement administratif du comté, elle ne s’est pas penchée sur le sens véritable de cet autre règlement dans son ensemble. Je tiens à souligner que, dans les deux cas, la CCETP exposait soit l’argument soit la position du comté. De plus, il n’appartenait pas à la CCETP de se prononcer sur le bien-fondé de l’interprétation du comté portant que le permis d’aménagement n’est plus valide si la construction n’est pas achevée dans les 24 mois suivant la délivrance du permis ou portant que la décision de la SDAB constituait en soi un nouveau permis d’aménagement.

[112] Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que le fait pour le demandeur de soulever ce point et d’autres points semble équivaloir à une chasse, ligne par ligne, à la recherche d’erreurs. De plus, les erreurs qu’il dénonce ne constituent pas des lacunes suffisamment importantes pour rendre la décision de la CCETP déraisonnable.

Les dépens

[113] Le défendeur est d’avis que des dépens de l’ordre de 2 080 $ seraient appropriés en l’espèce. Lorsqu’il a comparu devant moi, le demandeur a convenu que ce montant était raisonnable.

[114] Comme le défendeur a obtenu gain de cause, il a droit aux dépens que j’adjuge sous la forme d’une somme forfaitaire de 2 080 $, tout compris.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-1620-21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Le défendeur a droit aux dépens, payables par le demandeur, adjugés sous la forme d’une somme forfaitaire de 2 080 $, tout compris.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

L. Brisebois


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1620-21

 

INTITULÉ :

DANIEL HILDERBRAND c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Audience tenue par vidéoconférence au moyen de LA PLATEFORME Zoom

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 31 OCTOBRE 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 23 NOVEMBRE 2022

 

COMPARUTIONS :

Daniel Hildebrand

 

Pour le demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Daniel Vassberg

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ministère de la Justice du Canada

Edmonton (Alberta)

 

Pour le défendeur

 

 

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