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Date : 20221110


Dossier : IMM-53-22

Référence : 2022 CF 1535

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 10 novembre 2022

En présence de madame la juge Walker

ENTRE :

RAJWINDER SINGH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur est citoyen de l’Inde. Il a demandé l’asile au Canada du fait de ses opinions politiques à titre de membre du parti Aam Adami. Il soutient qu’il a fait campagne pour ce parti lors des élections de 2016-2017 à l’Assemblée législative du Pendjab et que le parti rival, le congrès national indien, après avoir remporté les élections, aurait commencé à exercer des représailles contre son parti. Le demandeur affirme que, le 15 mars 2017, la police du Pendjab l’a arrêté, l’a torturé et a prélevé ses empreintes digitales. Il a été libéré après le paiement d’un pot‑de‑vin et, craignant pour sa vie, il a quitté son village pour se rendre à Mumbai avant de partir pour le Canada, en septembre 2017.

[2] La Section de la protection des réfugiés (la SPR) a entendu le fond de la demande d’asile du demandeur les 3 et 26 février 2021. Une audience devait avoir lieu le 1er février, mais a été ajournée peu après l’ouverture de la séance pour permettre la communication de documents, et celle du 10 février a été ajournée parce que le demandeur était malade.

[3] Le 17 mars 2021, la SPR a rejeté la demande d’asile au motif que bon nombre de questions de crédibilité à la fois importantes et déterminantes minaient la demande dans son ensemble.

[4] Dans une décision datée du 13 décembre 2021, la Section d’appel des réfugiés (la SAR) a rejeté l’appel du demandeur et confirmé la décision de la SPR selon laquelle le demandeur n’avait pas établi sa demande de manière crédible. Le demandeur sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la SAR.

[5] Devant notre Cour, le demandeur plaide que la SAR a violé son droit à l’équité procédurale, car elle a tiré des conclusions défavorables en matière de crédibilité et par conséquent rejeté son appel alors que les enregistrements et les transcriptions des audiences de la SPR dont elle disposait étaient incomplets.

I. Analyse

[6] Dans le cadre du contrôle d’allégations de manquement à l’équité procédurale, le rôle de la Cour consiste à déterminer si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 aux para 54-56; Pardo Quitian c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 846 au para 18 (Pardo Quitian)).

[7] La SAR a traité de la question du caractère incomplet des enregistrements des audiences de la SPR dans sa décision de la manière suivante :

[13] Je fais observer que l’enregistrement audio ne semble pas contenir le début de l’audience du 3 février et qu’une partie des questions et des observations du représentant de l’appelant ne se trouve pas dans l’enregistrement audio de l’audience du 26 février. Suivant les directives récentes de la Cour fédérale, j’estime que les renseignements manquants ne sont pas déterminants pour ce qui est de trancher les questions centrales de la demande d’asile et que je suis en mesure de statuer convenablement sur la demande d’asile.

[8] Lorsqu’elle mentionne les « directives récentes de la Cour fédérale », la SAR fait référence aux paragraphes 28 à 30 de la décision Ait Elhocine c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1068 (Ait Elhocine), rendue par le juge Grammond.

[9] Les principes qui s’appliquent à l’argument du demandeur ne sont pas contestés.

[10] La SPR n’a pas l’obligation d’enregistrer les audiences relatives aux demandes d’asile même s’il est pratique courante de le faire (Ait Elhocine, au para 28). Comme l’a mentionné le juge Norris dans la décision Patel c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CF 804 (Patel) :

[31] [. . .] Dans les cas où il n’y a pas de droit à un enregistrement expressément reconnu par la loi, « les cours de justice doivent déterminer si le dossier dont elles disposent leur permet de statuer convenablement sur la demande d’appel ou de révision. Si c’est le cas, l’absence d’une transcription ne violera pas les règles de justice naturelle » (Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301 c Montréal (Ville), [1997] 1 RCS 793, au paragraphe 81). D’autre part, si la Cour ne peut statuer sur la demande dont elle est saisie en raison de l’absence d’une transcription, il y aura manquement aux règles de justice naturelle.

[11] L’enregistrement d’une audience de la SPR n’a pas à être parfait. Le demandeur doit soulever une question qui « a une incidence sur l’issue de l’affaire et qui peut uniquement être tranchée sur la transcription de ce qui a été dit à l’audience pour que l’absence de transcription empêche la Cour d’examiner correctement la question » (Patel, au para 32, citant Nweke c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 242 au para 34). L’absence d’un enregistrement complet dans des affaires où la crédibilité est importante, comme c’est le cas en l’espèce, inquiète particulièrement (Patel au para 33).

[12] Pour appuyer son argument selon lequel la SAR a violé son droit à l’équité procédurale, le demandeur souligne (1) que la question de la crédibilité a joué un rôle déterminant dans le rejet de sa demande par la SPR et la SAR et (2) que la SAR a reconnu que les passages manquants des enregistrements des audiences de la SPR comprennent une partie des questions posées au demandeur par son conseil, les réponses du demandeur à ces questions et le début des observations de son conseil devant la SPR. En raison de ces deux faits, qui ne sont pas contestés par le défendeur, le demandeur soutient que la Cour n’est pas en mesure de décider si les conclusions de la SAR sont raisonnables ou non (Patel, au para 55).

[13] Je suis d’accord avec le demandeur pour dire que la Cour doit être vigilante dans son examen des répercussions des enregistrements incomplets des audiences de la SPR puisque la question déterminante à la fois pour la SPR et la SAR était le manque de crédibilité du demandeur. Toutefois, l’affirmation du demandeur selon laquelle il manque certaines des questions qui lui ont été posées par son conseil, les réponses qu’il a données à ces questions et une partie des observations finales de son conseil ne signifie pas que le processus décisionnel de la SAR était inéquitable.

[14] La jurisprudence exige qu’un demandeur qui invoque des coupures dans l’enregistrement d’une audience démontre une possibilité sérieuse que ces coupures l’aient privé d’un moyen d’appel (Ait Elhocine, au para 30). Dans la décision Pardo Quitian (aux paragraphes 27 à 29), la Cour a noté que les demandeurs n’avaient pas pu déterminer en quoi l’absence d’une transcription ou d’un enregistrement les avait privés de la possibilité d’aborder les motifs du contrôle judiciaire qui allaient au cœur de leur demande d’asile. Dans la décision Kaur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1219, le juge en chef a déclaré :

[14] J’ajouterai simplement au passage que non seulement les demandeurs n’ont pas été en mesure de démontrer que la SAR ne disposait pas de renseignements importants concernant la question de la PRI, ils n’ont même pas été en mesure de mentionner ces renseignements. (Souligné dans l’original.)

[15] En l’espèce, le demandeur n’a pas précisé quelles questions, réponses et observations ne figurent pas dans l’enregistrement de l’audience de la SPR, ni de quelle manière les renseignements manquants ont pu influer sur l’évaluation qu’a faite la SAR des principaux éléments de sa demande. Il n’a pas non plus expliqué en quoi ces renseignements pouvaient toucher ou contredire les conclusions défavorables de la SPR au sujet de sa crédibilité.

[16] Les parties dans l’affaire Patel, en revanche, avaient déposé divers affidavits visant à démontrer la portée de ce qui avait été omis de l’enregistrement de l’audience de la Section d’appel de l’immigration et à expliquer la pertinence des renseignements manquants compte tenu des questions dont la Cour était saisie. Dans cette affaire, le juge Norris a admis à titre de nouveaux éléments de preuve les affidavits suivants : un autre affidavit de la demanderesse dans le seul but d’établir ce qui avait été omis de l’enregistrement, deux affidavits du conseil de la demanderesse au sujet de la portée des lacunes et un affidavit de l’agent de l’ASFC présent à l’audience auquel était jointe à titre de pièce une copie de ses notes manuscrites se rapportant au témoignage de la demanderesse. Je ne prétends pas qu’il soit nécessaire de déposer une preuve par affidavit détaillée pour établir un manquement à l’équité procédurale dans tous les cas où l’enregistrement d’une audience est incomplet. Cependant, le demandeur ne peut pas simplement se fonder sur le fait qu’il y a des lacunes dans l’enregistrement ou la transcription d’une audience, même dans les cas où les principales conclusions portent sur la crédibilité.

[17] En l’espèce, les enregistrements des audiences de la SPR du 3 et du 26 février durent plus de six heures. Ils contiennent le témoignage du demandeur en réponse aux questions du commissaire de la SPR, notamment au sujet des éléments importants de son récit des événements qui ont conduit à son départ de l’Inde. Les enregistrements contiennent également un long extrait de l’interrogatoire mené par le conseil du demandeur, qui fait la lumière sur les questions soulevées par la SPR. De plus, la transcription de l’audience du 26 février indique que l’enregistrement a été interrompu vers la fin de cet interrogatoire et le début des observations finales du conseil du demandeur. L’enregistrement reprend après l’interruption et dure 35 à 40 minutes additionnelles.

[18] La décision de la SAR, en revanche, est détaillée et cohérente. La SAR explique chacune de ses conclusions défavorables quant à la crédibilité du demandeur et cite abondamment le témoignage du demandeur. La SAR a relevé d’importantes incohérences et contradictions entre l’exposé circonstancié contenu dans le formulaire Fondement de la demande d’asile du demandeur et son témoignage. Ces écarts, qui ont finalement donné lieu à la conclusion que le demandeur n’avait pas établi de façon crédible sa demande d’asile, sont : (1) sa crainte d’un certain nombre de partis politiques et de la police du Pendjab, ainsi que de leurs « gangsters et [de] leurs propres gangs personnels »; (2) son affiliation au parti Aam Adami, qui constitue le fondement de sa demande d’asile; (3) les incohérences dans son témoignage concernant le lien entre son arrestation et le congrès national indien, ainsi que sa raison de croire que la police agissait sous les ordres du congrès national indien et (4) les contradictions dans son témoignage au sujet de la torture qu’il aurait subie aux mains des policiers pendant sa détention.

[19] En résumé, le demandeur n’a ni précisé quels renseignements ne figuraient pas dans les enregistrements ni expliqué en quoi ces renseignements étaient essentiels pour qu’il puisse faire valoir sa position à l’égard d’une question centrale de sa demande d’asile et pour que la Cour soit en mesure d’examiner correctement la décision de la SAR. Par conséquent, l’allégation de manquement à l’équité procédurale n’est pas fondée, et la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[20] Les parties n’ont proposé aucune question à certifier et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-53-22

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

« Elizabeth Walker »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Blain McIntosh


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-53-22

 

INTITULÉ :

RAJWINDER SINGH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 2 NOVEMBRE 2022

 

JUGeMENT ET MOTIFS :

la jUGE WALKER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 10 NOVEMBRE 2022

 

COMPARUTIONS :

Mark J. Grusczynski

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Simone Truong

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Canada Immigration Team

Avocats

Westmount (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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