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Date : 20221122


Dossier : T-89-22

Référence : 2022 CF 1596

Toronto (Ontario), le 22 novembre 2022

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

TIMONIER MUDING NTUER

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] M. Timonier Muding Ntuer demande le contrôle judiciaire des décisions de l’Agence du Revenu du Canada [ARC] de rejeter ses demandes pour la Prestation canadienne de la relance économique [PCRE] et la Prestation canadienne de maladie pour la relance économique [PCMRE]. Pour les raisons qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

I. Contexte et faits

[2] M. Ntuer allègue qu’il a contacté l’ARC pour la première fois en janvier 2021 en vue de faire des demandes de prestations pour la PCRE et la PCMRE. Le 5 février 2021, M. Ntuer a appelé l’ARC pour faire des demandes de prestations supplémentaires. Un agent a alors informé M. Ntuer que ses demandes faisaient l’objet d’un examen [premier examen] et lui a demandé de fournir des informations supplémentaires au sujet de ses revenus en 2019-2020.

[3] Le 22 février 2021, M. Ntuer a soumis par fax à l’agent du premier examen des factures et des reçus de paiements de ses clients en soutien à ses demandes de prestations.

[4] Les 30 avril 2021, 2 juin 2021 et 10 juin 2021, l’agent du premier examen a tenté de contacter M. Ntuer par téléphone pour obtenir des précisions et a laissé un message sur sa boîte vocale, mais n’a jamais eu de réponse de sa part. M. Ntuer a contesté ce fait et a maintenu qu’il n’a jamais reçu d’appels entre février et juin 2021.

[5] Le 14 juin 2021, l’agent de premier examen a rendu ses décisions selon lesquelles M. Ntuer était inadmissible pour la PCRE et la PCMRE. Les lettres envoyées à M. Ntuer l’informant des décisions indiquaient « Nous avons essayé de vous joindre sans succès. Par conséquent, nous n’avons pas pu vérifier les critères de votre admissibilité. »

[6] Le 14 juillet 2021, M. Ntuer présente par écrit, une demande de deuxième examen de ses demandes de PCRE et PCMRE. Il transmet également à l’ARC ses avis de cotisation de Revenu Québec pour les années d’imposition 2019 et 2020, qu’il n’a pas pu transmettre à l’agent de premier examen parce que ses déclarations d’impôts n’avaient pas encore été traitées.

[7] Le 8 décembre 2021, l’agent de deuxième examen [Agent] a contacté M. Ntuer par téléphone pour obtenir des précisions sur ses demandes. Les notes de l’Agent pour cet appel indiquent : « Ct avait une entreprise (fret maritime) qui envoyait des conteneurs à la demande de clients en Afrique. En 2020 il n’a pas eu de revenu. Il dit que c’est en raison de la COVID. »

II. Décisions contestées

[8] Le 10 décembre 2021, l’Agent a rendu ses décisions à l’effet que M. Ntuer était inadmissible à la PCRE et à la PCMRE parce qu’il n’a pas rempli les critères d’admissibilité de la Loi sur les prestations canadiennes de relance économique, LC 2020, ch 12 [Loi].

[9] La lettre de refus de la PCRE indiquait que les motifs étaient :

  • M. Ntuer n’avait pas gagné au moins 5000$ (avant impôts) de revenus d’emploi ou de revenus nets de travail indépendant en 2019, en 2020, ou au cours des 12 mois avant la date de sa première demande.
  • M. Ntuer ne travaillait pas pour des raisons autres que la COVID-19.

[10] La lettre de refus de la PCMRE indiquait que les motifs étaient :

  • M. Ntuer n’avait pas gagné au moins 5000$ (avant impôts) de revenus d’emploi ou de revenus nets de travail indépendant en 2019, en 2020, ou au cours des 12 mois avant la date de sa première demande.
  • L’horaire de travail hebdomadaire de M. Ntuer n’a pas été réduit d’au moins 50% parce qu’il était en isolement pour des raisons liées à la COVID-19.
  • M. Ntuer n’était ni salarié ni travailleur indépendant le jour précédant sa première période de demande.

III. Question préliminaire

[11] M. Ntuer demande à cette Cour de considérer des documents additionnels, dont des reçus de paiements de clients datant de 2020, et qui n’étaient pas devant l’Agent lors de son analyse.

[12] En règle générale, seuls les documents qui étaient devant le décideur peuvent être admis en preuve dans un contrôle judiciaire (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 au para 19 [Association des universités]). Cette Cour a récemment appliqué cette règle dans le cadre de demandes de contrôle judiciaire visant des décisions sur l’admissibilité à la PCRE (Kleiman v Canada (Attorney General), 2022 FC 762 aux paras 25-26; Sid Seghir c Canada (Procureur général), 2022 CF 466 aux paras 10-11; Aryan c Canada (Procureur Général), 2022 CF 139 au para 42 [Aryan]; Lussier c Canada (Procureur général), 2022 CF 935 au para 16).

[13] En l’espèce, j’estime que la demande de M. Ntuer de considérer des documents additionnels constitue une tentative de faire admettre en contrôle judiciaire des documents que M. Ntuer aurait voulu soumettre à l’Agent, mais qu’il a négligé de faire. Les documents additionnels portent sur le fond du litige et ne relèvent pas d’une exception permettant de les admettre en preuve, conformément aux exceptions énumérées au para 20 de l’arrêt Association des universités. Ils sont donc inadmissibles.

IV. Questions en litige

[14] Les questions en litige sont à savoir (i) si l’équité procédurale dans le cadre du deuxième examen a été respectée, et (ii) si les décisions de l’Agent de rejeter les demandes de PCRE et de PMCRE de M. Ntuer étaient raisonnables.

[15] Pour la question d’équité procédurale, la Cour doit évaluer « si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances » et « si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il y a eu possibilité complète et équitable d’y répondre » (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 aux paras 54, 56, cité dans Maltais c Canada (Procureur général), 2022 CF 817 au para 19; Fortier c Canada (Procureur général), 2022 CF 374 au para 15).

[16] La norme applicable pour le contrôle judiciaire des deux décisions de l’Agent est celle de la décision raisonnable (Aryan aux paras 15-16). Une décision raisonnable est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux paras 16-17, 85 [Vavilov]).

V. Analyse

A. L’équité procédurale dans le cadre du deuxième examen a été respectée.

[17] M. Ntuer soumet comme argument principal qu’il y a eu atteinte à l’équité procédurale parce qu’il ne savait pas que ses avis de cotisation de 2019 affichaient une perte de 43 242$ et que l’Agent aurait dû le lui signaler dans le cadre du deuxième examen. De plus, M. Ntuer nie les appels de suivi de la part de l’agent de premier examen les 30 avril, 2 juin, et 10 juin 2021, et maintient qu’il ne connaissait pas les inquiétudes de l’ARC par rapport à son dossier et ne pouvait donc y répondre.

[18] Premièrement, je note que les appels manqués de l’agent de premier examen étaient horodatés et inscrits dans les notes d’appel au dossier de M. Ntuer, mais qu’ils ne font pas l’objet de la présente cause étant donné que l’ARC a accordé à M. Ntuer un deuxième examen, et qu’il n’a pas soulevé cet argument dans le cadre du deuxième examen, et spécifiquement ni dans les motifs de sa lettre du 14 juillet 2021, ni lors de son appel avec l’Agent le 8 décembre 2021.

[19] Deuxièmement, M. Ntuer fait valoir qu’en raison de ses connaissances limitées en fiscalité, il n’a pas reconnu l’erreur dans ses avis de cotisation lorsqu’il les a envoyés à l’Agent. M. Ntuer affirme qu’il l’a appris à travers les lettres lui refusant ses demandes de PCRE et PCMRE, et qu’il a depuis engagé les services d’un comptable pour corriger l’erreur. Bien que cette erreur soit malencontreuse pour M. Ntuer, elle ne donne pas lieu à une atteinte à l’équité procédurale, parce que M. Ntuer savait que l’ARC avait des inquiétudes par rapport à ses revenus de 2019, et qu’il a eu la chance de répondre à ces inquiétudes en soumettant des documents supplémentaires et en parlant à l’Agent dans le cadre du deuxième examen.

[20] Lors de l’appel du 5 février 2021, l’agent de premier examen a indiqué à M. Ntuer qu’il « n’est pas admissible selon les critères de 5000$ en 2019-2020 » et l’a invité à soumettre des « preuves de revenu aux validations » (extraits des notes d’appels). De plus, les lettres de refus de PCRE et PCMRE du 14 juin 2021 indiquent que l’ARC n’a pas pu joindre M. Ntuer pour vérifier ses critères d’admissibilité et qu’il pouvait faire une demande de deuxième examen et y inclure « tout nouveau document, fait nouveau ou correspondance pertinents ». À l’issue du premier examen, M. Ntuer savait (i) que l’ARC avait des inquiétudes par rapport à ses revenus de 2019, et (ii) que ces inquiétudes n’avaient pas été adressées étant donné que M. Ntuer n’était pas joignable. M. Ntuer avait également été invité à répondre à ces inquiétudes suite à l’appel du 5 février 2021, et suite à la lettre du 14 juin 2021.

[21] En dépit du fait que M. Ntuer connaissait les inquiétudes de l’ARC par rapport à ses revenus de 2019, il a affirmé lors de l’audience qu’il n’a soumis aucun document supplémentaire dans le cadre du deuxième examen, sauf pour ses avis de cotisation de Revenu Québec pour les années d’imposition 2019 et 2020. Or, je note que son avis de cotisation provincial de 2019 indiquait à la ligne 275 un revenu net de 0,00 tant pour le montant déclaré que le montant établi.

[22] Il incombe à celui qui fait une demande de PCRE ou PCMRE d’établir auprès de l’ARC qu’il satisfait, selon la prépondérance des probabilités, les critères de la Loi (Cantin c Canada (Procureur général), 2022 CF 939 au para 15, citant Walker c Canada (Procureur Général), 2022 CF 381 au para 55). Il incombait à M. Ntuer de soumettre de la preuve suffisante – et correcte – pour établir son admissibilité à la PCRE et PCMRE, ce qu’il n’a pas fait en l’espèce.

[23] Troisièmement, M. Ntuer plaide que les Règles des cours fédérales, DORS/98-106 [Règles] n’ont pas été respectées parce que les enregistrements des appels avec l’ARC ne lui ont pas été fournis. Par ailleurs, toutes les transcriptions existantes de ces appels ont été fournies à M. Ntuer, et l’Agent a indiqué, lors de son contre-interrogatoire écrit, qu’il ne dispose d’aucun enregistrement des appels téléphoniques de M. Ntuer avec l’ARC, tant dans le cadre du premier examen que du deuxième examen. J’estime qu’il n’y a pas eu violation des Règles en l’espèce.

B. Les décisions de l’Agent de rejeter les demandes de PCRE et de PMCRE de M. Ntuer sont raisonnables.

[24] Les décisions de l’Agent de refuser les demandes de PCRE et PCMRE de M. Ntuer sont raisonnables. Les critères d’admissibilité à l’article 3 de la Loi sont cumulatifs, c’est-à-dire qu’un demandeur doit satisfaire tous les critères pour être admissible à recevoir des prestations en vertu de la PCRE et/ou PCMRE. En l’espèce, l’Agent a déterminé que M. Ntuer ne satisfaisait pas à plusieurs critères d’admissibilité pour la PCRE (au para 9 de ces Motifs) et pour la PCMRE (au para 10 de ces Motifs). Je n’adresserai dans mon analyse que les critères contestés par M. Ntuer dans le cadre de sa demande de contrôle judiciaire.

[25] M. Ntuer allègue que les décisions de l’Agent sont déraisonnables parce que (i) il s’est appuyé sur un avis de cotisation erroné pour conclure que M. Ntuer n’a pas gagné au moins 5000$ en revenus nets; et (ii) il a conclu sans fondement que M. Ntuer ne travaillait pas en 2020 pour des raisons autres que la Covid-19.

[26] Premièrement, les conclusions de l’Agent par rapport aux revenus de M. Ntuer sont raisonnables et justifiées compte tenu de toute la preuve au dossier. Tel qu’expliqué auparavant, il incombait à M. Ntuer d’établir qu’il satisfaisait les critères d’admissibilité à la PCRE et la PCMRE et de soumettre des éléments de preuve suffisants et corrects.

[27] De plus, un avis de cotisation n’est pas suffisant pour établir qu’un demandeur a gagné un revenu net d’au moins 5000$ (Aryan au para 35). L’Agent était tenu d’évaluer non seulement les avis de cotisation soumis par M. Ntuer, mais également les autres éléments de preuve au dossier, dont les factures et reçus de paiement de clients soumis par M. Ntuer, ainsi que les informations disponibles à travers les registres internes de l’ARC, pour vérifier que M. Ntuer avait bel et bien gagné un revenu net d’au moins 5000 $.

[28] L’Agent a indiqué dans son rapport de deuxième examen qu’il a consulté toutes ces sources d’information, et a conclu que les reçus de paiements ne pouvaient justifier un revenu de travail indépendant de 5000$ pour l’année 2019, puisque tant l’avis de cotisation fédéral que l’avis de cotisation provincial de M. Ntuer indiquaient une perte d’entreprise de 43 242 $. Le raisonnement de l’Agent est logique et justifié à la lumière des éléments de preuve auxquels il avait accès (Vavilov aux paras 16-17, 85). M. Ntuer avait la responsabilité de prouver ses revenus adéquatement (He c Canada (Procureur général), 2022 CF 1503 au para 33).

[29] Deuxièmement, M. Ntuer affirme qu’il était déraisonnable que l’Agent ait conclu qu’il ne travaillait pas en 2020 pour d’autres raisons que la Covid-19 simplement parce qu’il n’avait pas de clients en 2020. M. Ntuer n’a soumis aucune preuve pour appuyer son allégation que sa perte de clientèle était due à la pandémie. L’Agent a raisonnablement conclu que la perte de clientèle de M. Ntuer avait commencé avant le début de la pandémie en mars 2020, parce qu’il n’avait eu aucun client en 2020 et que les factures soumises indiquaient qu’il avait habituellement des clients en janvier, février et mars.

C. Dépens

[30] La règle 400 confère à cette Cour « le pouvoir discrétionnaire de déterminer le montant des dépens, de les répartir et de désigner les personnes qui doivent les payer ». Après avoir pris en considération les facteurs énumérés au paragraphe 400(3) des Règles, ainsi que le calcul effectué par le défendeur, et toutes les autres circonstances de cette cause, j'estime qu’il est approprié d’accorder un montant de 250 $ de dépens, payable par M. Ntuer à la demanderesse.

VI. Conclusion

[31] J’estime, compte tenu des circonstances, que les décisions de l’Agent sont raisonnables et qu’il n’y a pas eu atteinte à l’équité procédurale. La demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec dépens.


JUGEMENT dans T-89-22

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Le demandeur payera des dépens de 250 $ au défendeur.

« Alan S. Diner »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-89-22

 

INTITULÉ :

TIMONIER MUDING NTUER c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENue PAR VIDEOCONFÉRENCE À MONTRÉAL

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 novembre 2022

 

JUGEMENT et motifs :

LE JUGE DINER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 22 novembre 2022

 

COMPARUTIONS :

Mr Timonier Muding Ntuer

 

Pour le demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Me Audrey Turcotte

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aucun

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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