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Date : 20221102


Dossier : IMM-1527-22

Référence : 2022 CF 1496

[TRADUCTION FRANÇAISE]

St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador), le 2 novembre 2022

En présence de madame la juge Heneghan

ENTRE :

IRFAN AHMED

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS ET JUGEMENT

[1] Dans son avis de requête, daté du 24 mai 2022, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre) demande que l’affaire soit examinée sans comparution des parties conformément à l’article 369 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, (les Règles) et sollicite un jugement à l’égard de la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire déposée par M. Irfan Ahmed (le demandeur) le 16 février 2022. La demande d’autorisation et de contrôle judiciaire vise la décision par laquelle un agent des visas (l’agent) de l’ambassade du Canada aux Émirats arabes unis à Abou Dhabi a refusé la demande de permis d’études présentée par le demandeur.

[2] À l’appui de sa requête, le ministre a déposé l’affidavit de Mme Mireille Dankalian. Il s’appuie également sur l’affidavit que le demandeur a joint à son dossier de demande.

[3] Mme Dankalian est assistante juridique auprès du ministère de la Justice à Calgary, au bureau où travaille l’avocat du défendeur. Elle a souscrit son affidavit le 24 mai 2022. Elle a renvoyé à une certaine correspondance qui a été envoyée à l’avocat du demandeur. Des copies de cette correspondance ont été jointes à son affidavit comme pièces.

[4] La première pièce est une lettre, datée du 3 mai 2022, de l’avocat du défendeur qui « confirme » les conditions auxquelles le défendeur consentirait à la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire présentée par le demandeur, à savoir que la décision défavorable de l’agent soit annulée, que le demandeur ait la possibilité de présenter des documents à jour et que l’affaire soit renvoyée à un autre agent, le tout sans dépens. Cette offre était conditionnelle au dépôt, par le demandeur, d’un avis de désistement de sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire.

[5] La deuxième pièce est une lettre, datée du 6 mai 2022, de l’avocat du défendeur qui apporte des « précisions » à la lettre du 3 mai 2022. Dans cette lettre, l’avocat affirme encore une fois que, dès le dépôt d’un avis de désistement par le demandeur, le défendeur consentira à l’annulation de la décision, car l’agent n’a pas adéquatement tenu compte d’éléments de preuve extrinsèques et que les motifs ne satisfont pas au critère juridique de la décision raisonnable. Cette lettre a été rédigée « sous toutes réserves ».

[6] La troisième pièce est une lettre, datée du 13 mai 2022, toujours de l’avocat du défendeur. Dans cette lettre, qui n’a cette fois-ci pas été rédigée « sous toutes réserves », l’auteur demandait qu’une réponse lui soit remise avant la fermeture des bureaux le 18 mai 2022.

[7] Le demandeur a présenté son affidavit, souscrit le 13 avril 2022, à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire. Dans ce document, il relate l’historique de sa demande de permis d’études au Canada.

[8] Le demandeur a d’abord présenté une demande de permis d’études en juin 2019. Après le refus de cette demande le 17 juin 2019, il a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. Le défendeur a consenti à l’annulation du refus, et l’affaire a été renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

[9] À la suite de ce nouvel examen, la demande a été refusée une seconde fois le 16 août 2020.

[10] Le demandeur a sollicité l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire dans le dossier IMM-4093-20. L’autorisation a été accordée et, à la suite d’une audience, le juge Fothergill a accueilli la demande de contrôle judiciaire le 22 septembre 2021, annulant la décision défavorable et renvoyant l’affaire pour qu’une nouvelle décision soit rendue.

[11] À la suite du nouvel examen, le demandeur a reçu une troisième décision défavorable le 1er février 2022. C’est cette décision qui fait l’objet de la présente demande d’autorisation et de contrôle judiciaire.

[12] Selon le défendeur, la Cour « devrait » accueillir sa requête en jugement, car il a reconnu que la décision de l’agent présente une erreur susceptible de contrôle, et, en tout état de cause, ne satisfait pas au critère juridique de la décision raisonnable. Il soutient également que l’accueil de sa requête répondrait au souci d’économie des ressources judiciaires et qu’il propose la réparation qu’accorderait la Cour si la demande d’autorisation et la demande de contrôle judiciaire du demandeur étaient accueillies à la suite d’une audience.

[13] Le demandeur s’oppose à la requête du défendeur. Même s’il convient que l’affaire doit être renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision, il soutient que des instructions claires sont nécessaires pour que l’agent qui tranchera l’affaire de nouveau ne commette pas la même erreur, ce qui donnerait lieu à d’autres demandes de contrôle judiciaire. À l’appui de cet argument, il invoque l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, [2019] 4 RCS 653, au paragraphe 142.

[14] Le demandeur réclame les dépens de la présente requête, faisant valoir que l’agent n’a pas tenu compte de l’ordonnance du juge Fothergill selon laquelle il fallait rendre une nouvelle décision au sujet de la demande conformément aux motifs de la Cour. En outre, il soutient que le défendeur a prolongé inutilement la présente instance en refusant de consentir aux instructions à l’intention de l’agent des visas qu’il a proposées.

[15] Dans son avis de demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, le demandeur sollicite la réparation suivante :

A. Une ordonnance annulant la décision, datée du 1er février 2022, par laquelle l’agent des visas de l’ambassade du Canada a décidé que le demandeur ne se verrait pas accorder un permis d’études au Canada;

B. Une ordonnance renvoyant la demande de permis d’études du demandeur à l’agent des visas de l’ambassade du Canada pour nouvel examen ou, subsidiairement, une ordonnance renvoyant l’affaire à l’ambassade du Canada afin qu’il soit statué sur la demande de permis d’études du demandeur conformément aux instructions que la Cour jugera appropriées.

[16] Selon le paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, la Cour jouit d’un pouvoir discrétionnaire quant à la réparation qu’elle peut accorder dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Le paragraphe 18.1(3) prévoit ce qui suit :

Pouvoirs de la Cour fédérale

(3) Sur présentation d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour fédérale peut :

Powers of Federal Court

(3) On an application for judicial review, the Federal Court may

a) ordonner à l’office fédéral en cause d’accomplir tout acte qu’il a illégalement omis ou refusé d’accomplir ou dont il a retardé l’exécution de manière déraisonnable;

(a) order a federal board, commission or other tribunal to do any act or thing it has unlawfully failed or refused to do or has unreasonably delayed in doing; or

b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu’elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l’office fédéral.

(b) declare invalid or unlawful, or quash, set aside or set aside and refer back for determination in accordance with such directions as it considers to be appropriate, prohibit or restrain, a decision, order, act or proceeding of a federal board, commission or other tribunal.

[17] La réparation proposée par le défendeur dans son avis de requête est la réparation « habituelle » accordée par la Cour lors d’une demande de contrôle judiciaire. Il est rare que la cour donne des instructions lorsqu’elle se prononce sur une demande de contrôle judiciaire, comme l’a indiqué la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Tennant, [2020] 1 RCF 231.

[18] Dans l’affaire Kiss c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1247, le ministre a déposé une requête en vue d’obtenir une ordonnance accueillant la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire.

[19] La requête a été contestée principalement au motif que la réparation proposée par le ministre dans cette affaire n’était pas celle qui était sollicitée dans la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. La requête du ministre a été rejetée et l’instance s’est poursuivie.

[20] En l’espèce, l’argument principal présenté par le demandeur pour faire opposition à la requête du ministre est qu’il craint un autre refus, suivi d’une autre demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. Il soutient que l’agent n’a pas tenu compte des « instructions » du juge Fothergill, lequel, après audition de la demande de contrôle judiciaire concernant la deuxième décision défavorable, a accueilli la demande et annulé le deuxième refus de la demande de permis d’études du demandeur.

[21] Dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, la réparation relève du pouvoir discrétionnaire de la Cour et, généralement, une demande de contrôle judiciaire qui est accueillie donne lieu à l’annulation de la décision contestée et au renvoi de l’affaire à un nouveau décideur. La Cour ne donne des instructions quant à l’issue de la nouvelle décision qu’en de rares circonstances, comme l’a indiqué la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Tennant, précité.

[22] Au paragraphe 72 de l’arrêt Tennant, précité, la Cour d’appel fédérale a décrit les circonstances limitées dans lesquelles la Cour peut substituer sa décision à celle du décideur administratif :

[…] Il est maintenant bien établi que cette forme de réparation, soit une combinaison du certiorari et du mandamus, est possible lorsque, selon les faits et le droit, le décideur administratif dispose d’une seule issue légale ou peut tirer une seule conclusion raisonnable, de sorte qu’il serait inutile de renvoyer la décision au décideur pour nouvelle décision. [Renvois omis.]

[23] Je ne suis pas convaincue que le demandeur ait satisfait au critère énoncé dans l’arrêt Tennant, précité. Il n’y a pas lieu de s’écarter, du moins à ce stade, des réparations qui sont habituellement accordées dans le cas où une demande de contrôle judiciaire est accueillie. Cela n’élimine toutefois pas la possibilité de demander des instructions dans une future demande de contrôle judiciaire, si la même situation se présente.

[24] Bien que l’économie des ressources judiciaires entre en ligne de compte lorsque la Cour est appelée à trancher une requête comme celle qui nous occupe, il ne s’agit pas d’un facteur déterminant en l’espèce.

[25] Par conséquent, la requête du défendeur est accueillie, la décision de l’agent est annulée et la demande de permis d’études du demandeur est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

[26] Le demandeur réclame les dépens de la présente requête.

[27] Selon l’article 22 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, la Cour peut accorder des dépens dans les affaires d’immigration pour des « raisons spéciales ». L’article 22 prévoit ce qui suit :

22 Sauf ordonnance contraire rendue par un juge pour des raisons spéciales, la demande d’autorisation, la demande de contrôle judiciaire ou l’appel introduit en application des présentes règles ne donnent pas lieu à des dépens.

22 No costs shall be awarded to or payable by any party in respect of an application for leave, an application for judicial review or an appeal under these Rules unless the Court, for special reasons, so orders.

[28] Je souscris aux observations du défendeur selon lesquelles le demandeur n’a pas réussi à démontrer l’existence de « raisons spéciales » justifiant l’octroi de dépens. Je ne suis pas convaincue qu’il y a eu prolongation inutile et déraisonnable des procédures, contrairement à l’affaire Bageerathan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 513, où notre Cour a conclu qu’il convenait d’accorder des dépens.

[29] Par conséquent, la requête du défendeur est accueillie, sans dépens.


JUGEMENT dans le dossier IMM-1527-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant : la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de l’agent est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision. Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, et compte tenu de la jurisprudence applicable, la Cour n’adjuge aucuns dépens.

blank

« E. Heneghan »

blank

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

IMM-1527-22

 

INTITULÉ :

IRFAN AHMED c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

REQUÊTE ÉCRITE EXAMINÉE À ST. JOHN’S (TERRE‑NEUVE‑ET‑LABRADOR) AU TITRE DE L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

MOTIFS ET JUGEMENT :

LA JUGE HENEGHAN

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

LE 2 NOVEMBRE 2022

OBSERVATIONS ÉCRITES :

G. Michael Sherrit

POUR LE DEMANDEUR

David Shiroky

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sherrit Greene

Avocat

Calgary (Alberta)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Calgary (Alberta)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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