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Date : 20221118


Dossier : IMM-4965-21

Référence : 2022 CF 1579

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 18 novembre 2022

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

LOVEDEEP SINGH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision, datée du 5 février 2019, par laquelle un agent des visas [l’agent] du Haut-commissariat du Canada d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC] en Inde à New Delhi a rejeté la demande de permis de travail ouvert du demandeur.

[2] L’agent n’était pas convaincu que le mariage du demandeur était authentique. En conséquence, il a conclu que le demandeur était interdit de territoire pour fausses déclarations en application de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], et que l’interdiction de territoire courait pour les cinq ans suivant sa décision en application de l’alinéa 40(2)a) de cette même loi.

II. Le contexte

[3] Le demandeur, Lovedeep Singh, est un citoyen de l’Inde âgé de 26 ans. En janvier 2016, il a rencontré son épouse, Navpreet Kaur, qu’il a épousée le 1er juin 2017. En décembre 2017, l’épouse du demandeur a obtenu un permis d’études pour étudier au Canada.

[4] Le 4 mai 2018, le demandeur a retenu les services de M. Ravi Kumar Garg de Pioneer Immigration & Education Consultancy Pvt. Ltd., une société indienne de consultation en immigration, en vue de présenter une demande de permis de travail ouvert en qualité de conjoint d’une étrangère étudiant au Canada. Il a présenté cette demande plus tard ce mois-là.

[5] Le 23 juin 2018, l’agent a envoyé au demandeur une lettre d’équité procédurale dans laquelle il lui demandait de fournir d’autres documents afin d’établir l’authenticité de son mariage. En réponse, le demandeur lui a fait parvenir une lettre, datée du 30 juin 2018, à laquelle étaient jointes des photographies de lui et de son épouse prises lors des cérémonies de fiançailles et de mariage, ainsi que le certificat de mariage religieux du couple et des documents afférents à des comptes bancaires conjoints.

[6] Le 26 octobre 2018, IRCC a convoqué le demandeur à une entrevue et l’a invité à apporter tous les documents pertinents. Le 14 novembre 2018, le demandeur s’est présenté à l’entrevue. L’agent qui a mené l’entrevue [l’agent chargé de l’entrevue] n’est pas celui qui a rendu la décision à l’examen.

[7] Selon ses notes, l’agent chargé de l’entrevue avait des réserves concernant les réponses fournies par le demandeur au cours de l’entrevue :

  1. Le demandeur a affirmé que, lorsque son épouse ne travaillait pas, elle étudiait ou l’appelait. Toutefois, les documents joints à la demande de permis indiquaient que les cours de l’épouse du demandeur ne commençaient que le 7 janvier 2019. D’ailleurs, le demandeur n’a fourni aucun élément de preuve visant à établir que lui et son épouse s’étaient appelés.

  2. Le demandeur ne savait pas quels étaient les lieux que son épouse avait visités au Canada.

  3. Le demandeur a fourni des renseignements incohérents à propos du moment où il avait fait la connaissance de son épouse, du moment où il avait parlé d’elle à ses parents et de la période au cours de laquelle il avait cohabité avec son épouse en Inde avant le départ de celle-ci pour le Canada.

  4. Peu d’invités figuraient sur les photographies des cérémonies de fiançailles et de mariage du demandeur, et ce que ces photographies montraient semblait mis en scène.

  5. Aucun élément de preuve concernant des rencontres ou d’autres contacts entre le demandeur et son épouse avant le mariage n’a été présenté.

[8] En conclusion, l’agent chargé de l’entrevue a estimé que le mariage du demandeur n’était pas authentique et qu’il n’avait été contracté qu’à des fins d’immigration.

[9] Dans la décision à l’examen, datée du 5 février 2019, l’agent a rejeté la demande de permis de travail du demandeur.

[10] Le demandeur sollicite une ordonnance annulant la décision à l’examen et renvoyant l’affaire à un autre agent pour qu’une nouvelle décision soit rendue.

I. La décision faisant l’objet du contrôle

[11] L’agent a rejeté la demande de permis de travail parce qu’il a conclu que le demandeur n’avait pas établi que son mariage était authentique. Émettant les mêmes réserves que l’agent chargé de l’entrevue, il a jugé que le demandeur n’avait pas présenté une preuve suffisante pour établir que sa relation avec son épouse avant et après le mariage était authentique.

[12] En conséquence, l’agent a conclu que le demandeur était interdit de territoire pour fausses déclarations en application de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR et que l’interdiction de territoire courait pour les cinq ans suivant sa décision en application de l’alinéa 40(2)a) de cette même loi.

II. Les questions en litige

A. Le demandeur a-t-il présenté des éléments de preuve de façon irrégulière dans le cadre du présent contrôle judiciaire?

B. La décision est-elle raisonnable?

C. Le demandeur a-t-il reçu de la part de son conseil une assistance inefficace constituant un manquement à l’obligation d’équité procédurale?

III. La norme de contrôle

[13] La norme de contrôle applicable au fond d’une décision est celle de la décision raisonnable [Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 23].

[14] Les questions relatives à un manquement à l’équité procédurale sont examinées selon la norme de la décision correcte ou selon une norme de même teneur [Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 aux para 34-35 et 54-55, citant Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24 au para 79].

IV. Analyse

A. Le demandeur a-t-il présenté des éléments de preuve de façon irrégulière dans le cadre du présent contrôle judiciaire?

[15] Dans le cadre du contrôle judiciaire, le demandeur a présenté un affidavit contenant des renseignements qui n’étaient pas à la disposition de l’agent.

[16] Le défendeur soutient que ces renseignements ont été présentés de façon irrégulière.

[17] Le demandeur fait valoir que l’affidavit est nécessaire pour mettre en relief des vices de procédure.

[18] Le principe général voulant qu’une cour de révision soit liée par le dossier dont disposait le décideur souffre quelques exceptions. Les éléments de preuve qui mettent en relief des vices de procédure en sont une (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 au para 20).

[19] En l’espèce, le demandeur présente deux arguments, soit que la décision est déraisonnable et que l’inefficacité de l’assistance de son conseil a constitué un manquement à l’équité procédurale. L’affidavit semble contenir des renseignements liés à ces deux questions.

[20] Il serait inapproprié que la Cour examine les éléments de preuve contenus dans l’affidavit qui se rapportent au caractère raisonnable de la décision; toutefois, les éléments qui se rapportent à l’équité procédurale en l’espèce seront pris en considération. De toute nécessité, la question de l’assistance inefficace d’un conseil ne se pose qu’au terme du processus décisionnel. Le dossier certifié du tribunal contiendra donc peu d’éléments utiles au demandeur. Celui-ci doit pouvoir présenter une preuve à l’appui de ses allégations lorsqu’il cherche à démontrer que son consultant en immigration a fait preuve d’incompétence.

[21] Par ailleurs, il est d’usage que la Cour permette au conseil de répondre aux allégations d’assistance inefficace qui le visent [voir la directive sur la pratique de la Cour intitulée « Concernant les allégations formulées contre les avocats ou contre d’autres représentants autorisés au cours des instances de la Cour fédérale en matière de citoyenneté, d’immigration et de personnes à protéger », datée du 7 mars 2014]. M. Garg a effectivement présenté une réponse. L’agent ne disposait pas non plus de cette réponse, mais il s’agit néanmoins d’un élément de preuve pertinent que la Cour examinera.

B. La décision à l’examen est-elle raisonnable?

[22] Pour établir que la décision est déraisonnable, le demandeur insiste sur la façon dont l’agent chargé de l’entrevue a évalué les réponses qu’il avait données lors de l’entrevue. En grande partie, il allègue que les notes sont inexactes et incomplètes, et qu’elles ne reflètent pas équitablement ses réponses réelles. Essentiellement, le demandeur conteste l’appréciation, par l’agent chargé de l’entrevue, de la preuve orale et de la preuve documentaire qu’il a présentées à l’appui de sa demande.

[23] Le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire n’est pas d’apprécier à nouveau la preuve. Qui plus est, la plupart des affirmations du demandeur à cet égard ne sont étayées que par l’affidavit qu’il a présenté après la décision, un affidavit qui, comme je l’ai mentionné plus haut, n’est pas pertinent quant à l’appréciation du caractère raisonnable de la décision de l’agent.

[24] Le demandeur soutient également que la décision est déraisonnable parce qu’une conclusion de fausses déclarations en application de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR n’est appropriée que si elle est fondée sur une preuve des plus [traduction] « claire et convaincante ».

[25] L’alinéa 40(1)a) est libellé ainsi :

40 (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi;

[…]

40 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible for misrepresentation

(a) for directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter that induces or could induce an error in the administration of this Act;

 

[26] Au cours de l’entrevue de novembre 2018, le demandeur a fait plusieurs déclarations sur la nature de sa relation avec son épouse qui sont incompatibles avec les documents présentés à l’appui de sa demande. Par exemple, le demandeur a affirmé que son épouse et lui avaient cohabité pendant environ deux mois après le mariage, alors que les documents présentés à l’appui de sa demande indiquent que ce n’est pas le cas.

[27] L’agent a raisonnablement conclu que le demandeur avait fait de fausses déclarations sur l’authenticité de son mariage aux fins de l’immigration et que, si celles-ci avaient été tenues pour vraies, elles auraient risqué d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR [Bains c Canada, 2020 CF 57 aux para 62 à 67; Maan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 118 aux para 25 et 26].

[28] La décision à l’examen est raisonnable.

C. Le demandeur a-t-il reçu de la part de son conseil une assistance inefficace constituant un manquement à l’obligation d’équité procédurale?

[29] La Cour a jugé que l’assistance inefficace d’un conseil constituait un manquement à l’équité procédurale seulement dans des « circonstances extraordinaires » [Rendon Segovia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 99 au para 22]. Le demandeur doit établir qu’il a satisfait aux volets de fond et de forme du critère :

  1. les omissions ou les actes de l’ancien avocat constituaient de l’incompétence ou de la négligence;

  2. n’eût été la conduite alléguée, il existe une probabilité raisonnable que le résultat ait été différent (autrement dit, la conduite a entraîné un déni de justice);

  3. le représentant a bénéficié d’une possibilité raisonnable de répondre aux allégations d’incompétence ou de négligence.

[Nik c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 522 au para 23]

[30] Le demandeur soutient que M. Garg, son consultant en immigration en Inde, a fourni une assistance inefficace. Selon lui, M. Garg a fait preuve d’incompétence de plusieurs façons :

  1. en demandant à deux employés qui n’étaient pas des consultants réglementés en immigration d’aider le demandeur, ce qui est interdit par l’article 91 de la LIPR;

  2. en ne préparant pas adéquatement le demandeur à son entrevue de novembre 2018;

  3. en ne produisant pas de façon appropriée les documents que le demandeur avait fournis en réponse à la lettre d’équité procédurale du 23 juin 2018;

  4. en n’informant pas le demandeur de la possibilité de solliciter le contrôle judiciaire de la décision de l’agent.

[31] Je juge que le demandeur n’a pas établi que M. Garg avait fait preuve d’incompétence.

[32] M. Garg conteste chacune des allégations du demandeur. Il nie que ses employés se soient présentés comme des consultants en immigration ou qu’ils aient fourni au demandeur les types de conseils que l’article 91 de la LIPR proscrit. Il affirme qu’il a préparé le demandeur en vue de l’entrevue de novembre 2018 et qu’il a produit les documents pertinents à l’appui de la demande du demandeur. Il affirme également que certains des documents que le demandeur a inclus dans le dossier de la présente demande ne lui avaient pas été fournis au moment où il a présenté la réponse à la lettre d’équité procédurale. Dans la lettre d’accompagnement signée par le demandeur qui a été jointe à la réponse à la lettre d’équité procédurale de juin 2018, il n’y a aucune mention des documents qui, aux dires du demandeur, ont été omis.

[33] Le demandeur invite la Cour à conjecturer sur la véracité de la preuve contradictoire que lui et M. Garg ont présentée. Le résultat est que la preuve est insuffisante pour satisfaire au premier des trois volets du critère.

[34] En outre, même s’il s’avérait que les prétendus manquements du consultant sont réels, je ne suis pas convaincu qu’il existe une probabilité raisonnable que l’issue de la demande soit différente.

[35] La demande est rejetée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4965-21

LA COUR STATUE :

  1. La demande est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Michael D. Manson »

Juge

Traduction certifiée conforme

N. Belhumeur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4965-21

 

INTITULÉ :

LOVEDEEP SINGH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

JUGEMENT ET MOTIFS

LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 18 NOVEMBRE 2022

 

COMPARUTIONS :

Rafeena Rashid

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Kevin Spykerman

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rashid Urosevic LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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