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Date : 20221122


Dossier : T-234-21

Référence : 2022 CF 1598

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 22 novembre 2022

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

CHRISTOPHER PRIEST

 

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] M. Priest, le demandeur en l’espèce, est un employé de l’Agence du revenu du Canada (ARC). Il travaille dans l’unité qui gère le programme de la recherche scientifique et du développement expérimental (RS&DE). Comme d’autres employés, lorsque l’ARC a instauré de nouvelles exigences minimales en matière d’études pour son emploi, M. Priest s’est vu accorder des droits acquis sur la base de ses études et de son expérience antérieures.

[2] Lorsque l’ARC a publié une offre d’emploi qui aurait constitué une promotion pour M. Priest, celui-ci a soumis une candidature accompagnée d’une demande de mesures d’adaptation. Il a affirmé que les exigences minimales du poste constituaient une discrimination fondée sur l’âge, car lorsqu’il a obtenu son diplôme, les programmes d’informatique n’étaient pas disponibles au niveau universitaire. Il a demandé une dérogation aux exigences en matière d’études. Cette demande a été refusée et M. Priest a été écarté du concours.

[3] En vertu de la politique de l’ARC, le seul recours de M. Priest en cas d’exclusion était de demander une rétroaction individuelle, ce qui a entraîné une discussion avec le gestionnaire responsable de l’embauche, M. Kearney. À la suite de cette réunion et de quelques échanges ultérieurs, la décision d’exclure M. Priest du concours n’a pas changé. Il demande un contrôle judiciaire de cette décision et se représente lui-même devant la Cour.

[4] Pour les motifs exposés ci-dessous, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie. Je conclus que la décision n’aborde pas les éléments essentiels de la plainte de M. Priest pour discrimination par suite d’un effet préjudiciable fondée sur l’âge, et le dossier n’indique pas si le décideur l’a prise en considération.

II. Résumé des faits

[5] M. Priest a été embauché par l’ARC en 2009 en tant que conseiller sur la recherche et la technologie dans le cadre du programme de RS&DE, un poste classé au niveau CO-02. Au moment de son embauche, il était titulaire d’un baccalauréat en sciences avec grande distinction de l’Université McMaster qu’il avait obtenue en 1975, ainsi que de diverses formations complémentaires en sciences informatiques. En outre, M. Priest avait une expérience d’enseignant et de travail dans ce domaine. En 2019, M. Priest a reçu une lettre relative aux [traduction] « droits acquis ». Cette lettre confirmait qu’en tant que titulaire permanent d’un poste de niveau CO, M. Priest était [traduction] « réputé satisfaire à la norme minimale d’études pour [son] groupe et [son] niveau seulement, sur la base de [ses] études, de [sa] formation et/ou de [son] expérience » (souligné dans l’original). Le contexte de la lettre était que l’ARC avait établi des exigences minimales plus élevées ou plus précises en matière d’études pour divers postes, y compris le poste de niveau CO occupé par M. Priest.

[6] À l’automne 2020, un avis de possibilité d’emploi a été publié pour un poste de gestionnaire de la recherche et de la technologie dans le cadre du programme de RS&DE, au niveau CO-03. Le niveau d’études requis pour le poste était [traduction] « [l]a norme minimale d’études de l’ARC pour les postes CO », et les candidats devaient joindre leurs attestations d’études à leur candidature pour être admissibles au concours.

[7] L’ARC est un employeur distinct au sein du gouvernement fédéral, ce qui signifie qu’elle peut établir ses propres politiques en matière d’emploi, notamment en fixant des exigences minimales en matière d’études pour les postes à pourvoir. Pour les postes CO-02 et CO-03, les exigences pertinentes en l’espèce ont été définies dans les procédures de dotation adoptées le 17 juin 2019 :

Un grade d’études supérieures d’un établissement postsecondaire reconnu avec une spécialisation acceptable dans un domaine des sciences ou de l’ingénierie lié au Programme de la recherche scientifique et du développement expérimental (RS&DE). Les titulaires possèdent un grade en génie ou en informatique avec une combinaison acceptable d’études, de formation et/ou d’expérience seront réputés satisfaire à la norme.

[8] C’est la norme appliquée dans le cadre du concours pour le poste CO-03 pour lequel M. Priest a présenté sa candidature. Dans sa demande, il a exposé les études qu’il a suivies et son expérience, et il a énoncé son allégation selon laquelle les exigences minimales en matière d’études constituaient une discrimination à son égard en raison de son âge :

[traduction]

J’ai obtenu un diplôme avec grande distinction en biologie de l’Université McMaster, après avoir suivi tous les cours d’informatique proposés par l’Université à l’époque. Lorsque j’ai postulé pour le [poste de niveau CO-02 que [j’]occupai[s], mes études ont été prises en compte sur la base des exigences [en informatique] et du libellé de la politique de dotation, celui de RS&DE étant reconnue comme créant une discrimination structurelle fondée sur l’âge. Mes dizaines d’années d’expérience dans le domaine des technologies de l’information et mon enseignement dans ce domaine ont été considérés comme un complément à ma formation, conformément à la politique en vigueur. J’ai obtenu le droit d’être considéré comme titulaire d’un baccalauréat en informatique tout au long de ma carrière à l’ARC. Cette déclaration est confirmée par le fait que j’ai été embauché.

[9] En même temps que sa lettre de candidature, M. Priest a soumis une [traduction] « demande de mesures d’adaptation » qui exposait en détail sa plainte pour discrimination et précisait les mesures d’adaptation demandées. Il a décrit sa demande de la manière suivante :

[traduction]

Lorsque la norme minimale d’études est respectée, elle l’est pour tous les postes de niveau CS au sein de l’ARC, sauf si le poste à doter requiert un niveau d’études supérieur au minimum requis.

Les titulaires permanents d’un poste CS à l’ARC qui, au 16 juin 2014, ne satisfaisaient pas aux normes minimales d’études sont réputés y satisfaire en raison de leurs études, de leur formation et/ou de leur expérience.

Ces droits l’emportent sur les récentes limitations apportées aux droits acquis en violation de la Loi canadienne sur les droits de la personne pour cause de discrimination fondée sur l’âge.

[…]

Je demande des mesures d’adaptation pour rajuster les exigences ou appliquer mes droits acquis.

[10] M. Priest a fait référence à plusieurs décisions du Royaume-Uni et à une décision des États-Unis (discutée ci-dessous) qui, selon lui, soutenaient son affirmation selon laquelle l’exigence en matière d’études constituait une discrimination fondée sur l’âge.

[11] Le 19 novembre 2020, M. Priest a été informé que le comité de dotation l’avait écarté du processus d’embauche :

[traduction]

Après l’examen de votre demande, nous avons constaté que vous n’avez pas démontré que vous répondez à au moins une des exigences suivantes en matière de dotation indiquées dans l’avis de possibilité d’emploi :

 

● Vous ne possédez pas les études minimales requises pour le poste CO-003.

[12] La lettre indiquait que M. Priest pouvait demander une rétroaction individuelle s’il estimait qu’il avait [traduction] « été traité de manière arbitraire à l’étape de la sélection des conditions préalables, en ce qui concerne le choix des exigences susmentionnées en matière de dotation... »

[13] Le 3 décembre 2020, M. Priest a soumis sa demande de rétroaction individuelle :

[traduction]

Je ne suis pas pris en considération en raison d’une exigence en matière d’études qui constitue une discrimination fondée sur l’âge. Selon l’obligation d’adaptation sur la page Web de l’ARC [...] les employés de l’Agence et les candidats à l’emploi peuvent demander une mesure d’adaptation afin de réduire ou d’éliminer les obstacles liés aux motifs de discrimination illicites. L’obligation d’adaptation d’un gestionnaire est une obligation légale énoncée dans la Loi canadienne sur les droits de la personne et la Loi sur l’équité en matière d’emploi. La responsabilité en incombe au comité de dotation. Le comité de dotation, en appliquant la politique en matière d’études, se livre à un traitement arbitraire et discriminatoire.

Le commissaire a également indiqué que les procédures de recours des employés pour les questions de dotation sont prévues dans le cadre du programme de dotation de l’ARC sous la forme d’une rétroaction individuelle. Là encore, la responsabilité en incombe au comité de dotation. Il est demandé au comité de modifier l’APE [avis de possibilité d’emploi] afin d’utiliser le libellé [Informatique] pour le personnel informatique, comme cela a été demandé dans la demande de mesures d’adaptation, et d’inclure M. Priest dans le bassin de candidats. Il est demandé au comité de cesser de publier des avis de possibilité d’emploi discriminatoires.

[14] Le 10 décembre 2020, dans le cadre du processus de rétroaction individuelle, M. Priest a discuté de sa demande avec le gestionnaire responsable de l’embauche, M. Kearney. Il a ensuite envoyé des courriels à M. Kearney les 10 et 15 décembre 2020, fournissant son propre résumé de la discussion ainsi que des renseignements supplémentaires.

[15] Le 7 janvier 2021, M. Kearney a rendu sa décision finale sur la demande de rétroaction individuelle, rejetant la plainte de M. Priest selon laquelle l’exigence d’un diplôme en informatique pour le poste CO-03 constituait une discrimination fondée sur l’âge. Dans la décision, il était précisé que l’offre d’emploi utilisait la norme minimale d’études fixée pour les postes CO-03, et que la politique de dotation [traduction] « indique un niveau d’études requis et s’applique de la même manière à tous les candidats ». La conclusion selon laquelle le traitement de la norme minimale d’études n’était pas arbitraire ou discriminatoire s’explique de la manière suivante :

[traduction]

L’ARC prend des mesures d’adaptation pour tous les employés qui souhaitent améliorer leurs qualifications et leurs compétences grâce au programme d’aide aux études et au congé d’études. Chris [M. Priest] sait que le programme d’aide aux études offre un certain nombre d’avantages, notamment un soutien financier et des congés aux employés qui souhaitent améliorer leurs compétences afin d’atteindre leurs objectifs de carrière ou les objectifs opérationnels de l’Agence. Des demandes de soutien aux études sont sollicitées et examinées chaque année. Chris a indiqué qu’il n’avait pas demandé une aide aux études pour améliorer ses qualifications.

 

Le Centre pour la discrimination et le harcèlement a été consulté sur la question de la discrimination liée à l’âge. Le conseiller a confirmé que les exigences basées sur celles en matière d’études ne constituent pas une discrimination fondée sur l’âge. La réduction des normes minimales d’études ne constitue pas une mesure d’adaptation nécessaire lorsqu’un employé ne satisfait pas à la norme minimale. Chris a été informé des nombreux programmes qui existent pour parfaire ses qualifications, avec la possibilité de suivre des cours en même temps que son travail ou pendant ses congés.

[16] M. Priest sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.

III. Questions en litige et norme de contrôle

[17] Le demandeur soulève les questions suivantes :

  1. Le fait qu’une discrimination par suite d’un effet préjudiciable puisse être causée par une exigence (analogue) en matière d’études constitue-t-il une question de droit?

  2. L’exigence en matière d’études a-t-elle un effet préjudiciable sur M. Priest en raison de son âge?

  3. L’ARC a-t-elle fait preuve de discrimination à l’égard de M. Priest en raison de son âge?

  4. La rétroaction individuelle représente-t-elle le moyen approprié pour le règlement d’une plainte pour discrimination concernant une politique?

  5. La plainte doit-elle être renvoyée au processus de rétroaction individuelle ou le niveau minimal est-il celui du commissaire ou du commissaire délégué?

[18] Le défendeur soulève les questions suivantes :

  1. Y a-t-il eu manquement à l’équité procédurale?

    1. Le processus de rétroaction individuelle est-il équitable sur le plan de la procédure?

    2. Le processus de rétroaction individuelle a-t-il été mené de manière équitable sur le plan de la procédure?

  2. La décision était-elle raisonnable?

[19] Je reformulerais les questions en litige de la façon suivante :

  1. Le processus de rétroaction individuelle a-t-il été équitable pour M. Priest, compte tenu de toutes les circonstances?

  2. La décision est-elle déraisonnable?

[20] Les questions relatives à l’équité procédurale exigent une approche similaire à la norme de contrôle de la décision correcte, qui amène la cour de révision à se demander « si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances » (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 [Canadien Pacifique] au para 54). Comme l’indique l’arrêt Canadien Pacifique au paragraphe 56, « la question fondamentale demeure celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu possibilité complète et équitable d’y répondre » (voir Alvarenga Torres c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 549 au para 30).

[21] À mon avis, le fond de la décision doit être examiné à la lumière du cadre d’analyse établi dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. Selon le cadre d’analyse établi dans l’arrêt Vavilov, le rôle de la cour de révision « consiste à examiner les motifs qu’a donnés le décideur administratif et à déterminer si la décision est fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles pertinentes » (Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 [Société canadienne des postes] au para 2). Il incombe au demandeur de convaincre la Cour que « la lacune ou la déficience [invoquée] [...] est suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] déraisonnable » (Vavilov, au para 100, cité avec approbation dans l’arrêt Société canadienne des postes, au para 33). Le cadre d’analyse établi dans l’arrêt Vavilov vise à renforcer une « culture de la justification » dans l’administration publique (voir les para 2 et 14). Il cherche en partie à atteindre cet objectif en exigeant des décideurs qu’ils soient attentifs aux principaux arguments avancés par les parties (voir le para 125).

[22] M. Priest a fait valoir que la norme de la décision correcte s’appliquait à l’évaluation du fond de la décision, citant la décision Patterson c Canada (Agence du revenu), 2011 CF 1398 [Patterson]. Il a fait valoir qu’étant donné qu’elle concerne l’interprétation des garanties fondamentales en matière d’égalité énoncées à l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés [la Charte], ainsi que dans la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H-6 [la LCDP], sa cause relève des exceptions énoncées dans l’arrêt Vavilov.

[23] Je ne suis pas d’accord. Premièrement, il convient de noter que la décision Patterson précède l’arrêt Vavilov, et que l’analyse qui y est faite ne reflète donc pas le cadre défini dans ce dernier. Deuxièmement, dans la décision Patterson, il s’agissait de savoir si la LCDP protège le congé pour obligations familiales de la même manière qu’elle protège le congé de maternité, ce qui nécessitait l’« [i]nterprétation des dispositions de la LCDP qui affectent l’ensemble de la main-d’œuvre canadienne » (para 30). En revanche, l’espèce soulève la question plus restreinte de savoir si l’application des exigences minimales en matière d’études au poste en question constitue une discrimination fondée sur l’âge par suite d’un effet préjudiciable. Toutes les affaires entraînant l’interprétation ou l’application de la LCDP ne relèvent pas des exceptions à la présomption de contrôle selon la norme de la décision raisonnable prévue par l’arrêt Vavilov. À mon avis, l’espèce ne soulève pas de « question de droit générale d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble » et ne relève donc pas d’une exception à la présomption générale de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Vavilov, au para 58).

[24] En outre, un certain nombre de questions préliminaires ont été traitées au cours de la présente instance, notamment des modifications à l’intitulé de la cause et des questions concernant le caractère adéquat du dossier qui a été produit en vertu de l’article 317 des Règles. Des arrêts antérieurs ont traité de ces questions et il n’est pas nécessaire de les répéter ici.

[25] Le défendeur a soulevé des objections concernant certaines parties de l’affidavit de M. Priest qui, selon lui, contenaient des renseignements nouveaux qui n’avaient pas été présentés au décideur, ou des arguments. Les parties ont présenté des observations sur cette question au début de l’audience et j’ai rendu une décision afin que toutes les parties soient au fait du dossier.

[26] En résumé, M. Priest a accepté certaines des objections du défendeur et j’ai jugé certains autres paragraphes de son affidavit inadmissibles parce qu’ils contenaient de nouveaux renseignements, en particulier sur d’autres processus d’embauche ou sur la situation d’autres employés de l’ARC. J’ai conclu que certaines des objections du défendeur n’étaient pas fondées, en grande partie parce que les paragraphes en question faisaient référence à des renseignements dont le décideur avait incontestablement connaissance et qui étaient pertinents pour la décision faisant l’objet du contrôle. À cet égard, il convient de noter que l’espèce concerne une relation de travail continue et qu’il est donc plus difficile dans ce cas d’isoler les renseignements qui auraient été pris en compte par le décideur que dans une situation où l’espèce fait intervenir deux parties comparaissant devant un tribunal indépendant.

[27] Les principes généraux qui s’appliquent sont clairs : dans la plupart des cas, seuls les éléments qui se trouvaient devant le décideur initial doivent être pris en compte dans le cadre d’un contrôle judiciaire : Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 [Access Copyright]. Il existe des exceptions à cette règle, mais aucune ne s’applique en l’espèce : Sharma c Canada (Procureur général), 2018 CAF 48 au para 8 [Sharma]. Ma décision reflète ces principes et je n’ai pas pris en compte les aspects de l’affidavit du demandeur qui ont été jugés inadmissibles.

IV. Analyse

A. Le processus de rétroaction individuelle a-t-il été équitable pour M. Priest, compte tenu de toutes les circonstances?

[28] Bien qu’il n’ait pas expressément utilisé ces termes, M. Priest s’est inquiété du fait que le gestionnaire responsable de l’embauche a consulté le Centre d’expertise de la discrimination et du harcèlement (appelé CEDH) avant d’entendre ses observations lors de la rencontre de rétroaction individuelle. Il semble laisser entendre que le gestionnaire responsable de l’embauche a abordé la discussion de rétroaction individuelle avec un esprit fermé, en raison des renseignements qu’il a reçus du CEDH et du fait que M. Kearney était conscient que ses griefs antérieurs concernant des questions similaires n’avaient pas abouti. M. Priest souligne également le fait que le gestionnaire responsable de l’embauche n’a pas pris de notes détaillées de la discussion avec le CEDH et qu’il n’y a pas d’autres documents indiquant si cette consultation comprenait une discussion sur la discrimination par suite d’un effet préjudiciable, ce qui constitue sa principale plainte.

[29] Je ne suis pas convaincu que M. Priest ait été traité injustement dans ces circonstances. Les exigences en matière d’équité procédurale doivent être évaluées en fonction du contexte de la décision et, en l’espèce, la jurisprudence indique clairement que la sélection des candidats à un poste ou à un programme « n’est pas une décision de nature judiciaire ou décisionnelle qui ferait appel à une norme moins exigeante en matière d’impartialité » (Mital c Canada (Santé), 2015 CF 571 au para 45). Dans la décision Anderson c Canada (Agence des douanes et du revenu), 2003 CFPI 667, cette approche a été appliquée à la procédure de rétroaction individuelle du prédécesseur de l’ARC, et la Cour a estimé que la procédure était conforme aux exigences de l’équité procédurale.

[30] En l’espèce, la consultation du CEDH par le gestionnaire ne donne pas lieu à une crainte raisonnable de partialité, au sens où l’entend la jurisprudence contraignante en la matière. Ce critère consiste à se demander si « une personne bien renseignée qui étudierait la question … de façon réaliste et pratique » arriverait à la conclusion que le décideur ne prendrait pas une décision équitable (Committe for Justice and Liberty c L’Office national de l’énergie, [1978] 1 RCS 369, à la p 394). Plus récemment, les connaissances, l’expérience ou les activités antérieures d’un décideur n’ont généralement pas été considérées comme donnant automatiquement lieu à une crainte de partialité. Ce point a été exprimé dans l’axiome suivant : « Autrement dit, il y a une différence capitale entre un esprit ouvert et un esprit vide » (Commission scolaire francophone du Yukon, district scolaire #23 c Yukon (Procureure générale), 2015 CSC 25 au para 33).

[31] En l’espèce, M. Priest avait soulevé une question complexe sur la discrimination par suite d’un effet préjudiciable, dont lui-même et le gestionnaire responsable de l’embauche ont reconnu qu’elle n’était pas le type de question habituellement soulevée dans le cadre d’une discussion de rétroaction individuelle. Par conséquent, la consultation par M. Kearney du centre d’expertise sur ces questions n’était ni inappropriée ni le signe d’une fermeture d’esprit. Aucune autre preuve ne vient étayer cet argument et je rejette donc cet aspect de la demande.

B. La décision est-elle déraisonnable?

(1) Aperçu

[32] M. Priest soutient que la décision est déraisonnable pour plusieurs raisons, notamment parce qu’elle ne tient pas compte de la garantie d’égalité de la Charte des droits et libertés, que le gestionnaire responsable de l’embauche a appliqué le mauvais critère juridique et que la décision ne contient aucune analyse permettant de déterminer si la norme minimale d’études constitue une discrimination par suite d’un effet préjudiciable. M. Priest soutient que le gestionnaire responsable de l’embauche, M. Kearney, connaissait les efforts antérieurs infructueux qu’il avait déployés pour se plaindre des exigences en matière d’études, et que M. Keaney était donc au courant de la nature de ses préoccupations selon lesquelles les exigences en matière d’études constituaient une discrimination fondée sur l’âge. M. Priest soutient que le gestionnaire responsable de l’embauche aurait dû prendre en compte cette question au cours du processus de rétroaction individuelle, car l’ARC lui avait indiqué que ce processus était la voie à suivre pour obtenir réparation.

[33] En outre, un thème récurrent dans les observations de M. Priest – tant écrites qu’orales – est que les différents recours de l’ARC qu’il a exercés l’ont fait « tourner en rond ». Il affirme qu’aucun responsable de l’ARC n’a répondu à sa plainte fondamentale, à savoir que les exigences strictes en matière d’études imposées pour les postes CO constituent une discrimination fondée sur l’âge, et qu’il n’existe aucune raison valable pour laquelle l’ARC n’a pas appliqué l’approche plus souple qui a été appliquée aux emplois en informatique (CS).

[34] Comme nous le verrons plus loin, certains de ses arguments peuvent être traités rapidement, tandis que d’autres nécessitent une analyse plus approfondie.

[35] M. Priest a soutenu que la Cour devrait juger que les études constituent un motif analogue de discrimination au sens de l’article 15 de la Charte. Cet argument doit être rejeté pour la simple raison que M. Priest n’a pas soulevé la question de la Charte dans le cadre du processus de rétroaction individuelle ou de sa demande de mesures d’adaptation.

[36] Une demande de contrôle judiciaire est presque toujours limitée aux faits et aux questions qui ont fait l’objet d’un examen par le décideur. Ce n’est pas le moment de soulever de nouvelles questions qui n’ont jamais été présentées auparavant, car le contrôle judiciaire n’est pas une nouvelle audience sur le fond de l’affaire. Il s’agit plutôt d’évaluer si la décision est raisonnable au regard du cadre établi par l’arrêt Vavilov. Il existe des exceptions reconnues à cette règle générale, mais aucune ne s’applique en l’espèce.

[37] Par conséquent, il n’est pas nécessaire d’examiner plus avant les arguments de M. Priest sur la question de l’égalité au titre de l’article 15, et en particulier son affirmation selon laquelle les études devraient être reconnues comme un motif analogue de discrimination. Il est préférable d’attendre une autre occasion pour examiner cette question.

[38] De même, M. Priest a reconnu lors de l’audience qu’il s’agissait d’un contrôle judiciaire de la décision relative à sa demande de rétroaction individuelle, et non d’un contrôle d’autres décisions antérieures relatives à sa situation. Il existe peu d’éléments de preuve de la participation du gestionnaire responsable de l’embauche dans la plupart de ces procédures antérieures. Bien que le manque de réussite de M. Priest dans ces procédures antérieures ait pu contribuer à son sentiment de frustration relativement au fait qu’il n’a pas obtenu les réponses qu’il cherchait, cela ne rend pas en soi les éléments de preuve produits ou les conclusions tirées dans ces autres procédures pertinents pour la demande dont la Cour est actuellement saisie, si ce n’est qu’à titre de contexte général de la décision faisant l’objet du contrôle.

[39] Il reste donc le point essentiel de l’argument de M. Priest, à savoir que la décision est déraisonnable parce que M. Kearney a appliqué le mauvais critère juridique et n’a pas répondu à sa demande de mesures d’adaptation pour remédier à la discrimination par suite d’un effet préjudiciable fondée sur l’âge. Cet argument comporte plusieurs éléments, que je vais examiner successivement.

(2) Contrôle d’une décision relative à une rétroaction individuelle selon la norme de la décision raisonnable

[40] Avant d’entrer dans cette analyse, il est utile de replacer cette question dans le cadre juridique et conceptuel qui est le sien, conformément à l’arrêt Vavilov. En d’autres termes, l’espèce soulève la question de savoir ce qu’exige le contrôle selon la norme de la décision raisonnable lorsqu’il s’agit d’examiner la décision d’un gestionnaire responsable de l’embauche dans le contexte d’une discussion relativement informelle avec un employé au sujet d’un concours d’emploi. Comme l’a reconnu M. Priest au cours de l’audience, cette procédure est assez éloignée du processus décisionnel traditionnel d’un tribunal administratif ou d’un arbitre du travail ayant reçu une formation juridique.

[41] Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada a établi un certain nombre de principes utiles qui guident l’analyse de cette question. Une considération primordiale est la reconnaissance du fait que le contrôle selon la norme de la décision raisonnable doit tenir compte du contexte dans lequel la décision a été prise. En conséquence, la Cour suprême rappelle aux cours de révision que « [l]a "justice administrative" ne ressemble pas toujours à la "justice judiciaire" et [que] les cours de révision doivent en demeurer pleinement conscientes » (Vavilov, au para 92). Les tribunaux doivent respecter les connaissances spécialisées et l’expertise que les décideurs administratifs apportent aux tâches que le législateur leur a confiées.

[42] L’arrêt Vavilov confirme que, lorsque les motifs d’une décision sont requis et qu’ils ont été fournis, le contrôle selon la norme de la décision raisonnable se concentrera sur les motifs qui ont été effectivement fournis (par opposition à ceux qui pourraient être inventés après coup par des avocats créatifs ou des juges entreprenants). En effet, « la prise de décisions motivées constitue la pierre angulaire de la légitimité des institutions » (Vavilov, au para 74).

[43] La Cour suprême donne les indications suivantes, qui sont particulièrement pertinentes en l’espèce :

Nonobstant les différences importantes qui existent entre le contexte administratif et le contexte judiciaire, les motifs répondent à bon nombre des mêmes besoins dans les deux contextes [...]. Les motifs donnés par les décideurs administratifs servent à expliquer le processus décisionnel et la raison d’être de la décision en cause. Ils permettent de montrer aux parties concernées que leurs arguments ont été pris en compte et démontrent que la décision a été rendue de manière équitable et licite. Les motifs servent de bouclier contre l’arbitraire et la perception d’arbitraire dans l’exercice d’un pouvoir public [...]. Comme l’a fait remarquer le juge L’Heureux‑Dubé dans l’arrêt Baker, « [i]l est plus probable que les personnes touchées ont l’impression d’être traitées avec équité et de façon appropriée si des motifs sont fournis » [...]

Qui plus est, le processus de rédaction des motifs incite nécessairement le décideur administratif à étudier soigneusement son propre raisonnement et à mieux formuler son analyse [...] (Vavilov, aux para 79-80).

[renvois omis]

[44] Par conséquent, une cour de révision doit prêter une attention particulière aux motifs fournis par le décideur, interprétés à la lumière des éléments de preuve et des arguments dont il disposait à l’époque, et en tenant dûment compte du contexte institutionnel. Le rôle d’une cour de révision n’est pas d’entreprendre une nouvelle analyse de la question sous-jacente – un point particulièrement important en l’espèce, car M. Priest a demandé, entre autres, qu’il soit établi que l’exigence en matière d’études équivalait à une discrimination par suite d’un effet préjudiciable fondée sur l’âge. Je n’ai pas à jouer un tel rôle en l’espèce; je dois plutôt déterminer si la décision relative à la rétroaction individuelle est raisonnable et, dans la négative, la renvoyer pour réexamen.

[45] Le passage suivant présente le cadre qui s’applique à l’évaluation de la question de savoir si la décision relative à la rétroaction individuelle est raisonnable au regard de l’arrêt Vavilov (para 85) :

Comme nous l’expliquerons davantage, une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti. La norme de la décision raisonnable exige de la cour de justice qu’elle fasse preuve de déférence envers une telle décision.

[46] Il en ressort que l’analyse doit porter sur deux types de questions : premièrement, la décision est-elle conforme au droit applicable? En l’espèce, il s’agit des politiques de dotation de l’ARC qui s’appliquent. Deuxièmement, la décision repose-t-elle sur un raisonnement clair et logique qui tient compte des faits essentiels et des questions qui ont été présentées au décideur? Il s’agit d’une part de la logique de base de la décision et d’autre part de la prise en compte des principaux éléments de preuve et arguments présentés. Ces éléments sont importants compte tenu du « principe suivant lequel l’exercice de tout pouvoir public doit être justifié, intelligible et transparent non pas dans l’abstrait, mais pour l’individu qui en fait l’objet » (Vavilov, au para 95).

[47] Un élément important du contrôle selon la norme de la décision raisonnable concerne la mesure dans laquelle la décision répond aux principales questions juridiques et factuelles soulevées par l’espèce. L’arrêt Vavilov explique cela de la manière suivante :

[127] Les principes de la justification et de la transparence exigent que les motifs du décideur administratif tiennent valablement compte des questions et préoccupations centrales soulevées par les parties. Le principe suivant lequel la ou les personnes visées par une décision doivent avoir la possibilité de présenter entièrement et équitablement leur position est à la base de l’obligation d’équité procédurale et trouve son origine dans le droit d’être entendu [...]. La notion de « motifs adaptés aux questions et préoccupations soulevées » est inextricablement liée à ce principe étant donné que les motifs sont le principal mécanisme par lequel le décideur démontre qu’il a effectivement écouté les parties.

[128] Les cours de révision ne peuvent s’attendre à ce que les décideurs administratifs « répondent à tous les arguments ou modes possibles d’analyse » [...] ou « tire[nt] une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit‑il, qui a mené à [leur] conclusion finale » [...]. Une telle exigence aurait un effet paralysant sur le bon fonctionnement des organismes administratifs et compromettrait inutilement des valeurs importantes telles que l’efficacité et l’accès à la justice. Toutefois, le fait qu’un décideur n’ait pas réussi à s’attaquer de façon significative aux questions clés ou aux arguments principaux formulés par les parties permet de se demander s’il était effectivement attentif et sensible à la question qui lui était soumise. En plus d’assurer aux parties que leurs préoccupations ont été prises en considération, le simple fait de rédiger des motifs avec soin et attention permet au décideur d’éviter que son raisonnement soit entaché de lacunes et d’autres failles involontaires [...].

[renvois omis]

[48] En fin de compte, « la cour de révision doit être convaincue que le raisonnement du décideur se "tient" » (Vavilov, au para 104), en tenant compte du contexte institutionnel, de l’expertise du décideur, ainsi que des éléments de preuve et des arguments avancés par les parties.

[49] En l’espèce, plusieurs points doivent être soulignés d’emblée :

  1. Le mécanisme de rétroaction individuelle est censé permettre une discussion relativement informelle entre un candidat à un poste et le gestionnaire responsable de l’embauche; il constitue une forme de recours pour les candidats lésés qui estiment avoir été traités de manière arbitraire, mais aussi un moyen d’expliquer pourquoi ils n’ont pas réussi dans le processus de dotation, en vue d’améliorer leurs chances la prochaine fois;

  2. La rétroaction individuelle est une discussion relativement informelle entre le gestionnaire responsable de l’embauche et le candidat; elle n’équivaut pas à une procédure formelle de règlement des griefs;

  3. Le gestionnaire responsable de l’embauche possède une expertise dans le programme de RS&DE et est familiarisé avec les règles et le processus de dotation de l’ARC;

  4. Aucune des parties n’a de formation juridique;

  5. Les « raisons » de la décision sont contenues dans un formulaire créé par l’ARC pour enregistrer la demande et les principaux résultats de la discussion de rétroaction individuelle.

[50] Dans ce contexte, nous passons au fond des arguments sur le caractère raisonnable de la décision.

(3) Arguments de M. Priest

[51] Le cœur de la demande de rétroaction individuelle de M. Priest, qui semble avoir été traitée par les parties comme étant fusionnée avec sa demande de mesures d’adaptation, est que les exigences minimales en matière d’études qui ont été appliquées au concours pour le poste CO-03 ont été discriminatoires à son égard en raison de son âge. C’est ce qui ressort de la documentation, notamment du formulaire de rétroaction individuelle qu’il a rempli, de la lettre de candidature et du document officiel de demande de mesures d’adaptation qu’il a soumis, ainsi que des notes de M. Kearney concernant la discussion de rétroaction individuelle. Cette affirmation nécessite un certain développement, car il est essentiel de comprendre son point de vue pour déterminer si la décision relative à la rétroaction individuelle est raisonnable.

[52] En termes simples, l’argument de M. Priest repose sur le fait que les programmes d’informatique n’existaient pas dans les universités canadiennes lorsqu’il a obtenu son premier diplôme. Comme ces programmes n’ont été adoptés qu’au cours des années suivantes, il affirme que le profil d’âge des personnes titulaires d’un tel diplôme est biaisé en faveur de la cohorte des employés plus jeunes. M. Priest a produit le graphique suivant à l’appui de son argumentation :

  1. Diplômes en informatique par tranche d’âge

  2. Décennie/année

  3. Baccalauréat

  4. Âge de début pour le graphique

  5. De 25 à 34 ans

  6. De 35 à 44 ans

  7. De 45 à 54 ans

  8. De 55 à 64 ans

  9. De 65 à 74 ans

  10. 75 ans et plus

  11. Les points en gras sont des extrapolations

  12. Diplômes en informatique par tranche d’âge

  13. Données de StatCan, numéro de catalogue 99-012-X2011040

  14. Les diplômes STIM comprennent les sciences, les technologies, l’ingénierie et les mathématiques.

  15. https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/81-582-x/2010004/tbl/tbld2.8-fra.htm

  16. Date de naissance

  17. Âge

 

[53] M. Priest affirme que cette répartition des âges parmi les titulaires de diplômes se reflète également dans les attitudes plus générales de la profession d’informaticien, qui, selon lui, est marquée par un âgisme généralisé. Il reconnaît que l’ARC n’avait pas l’intention de l’exclure du concours pour le poste CO-03 parce qu’il est plus âgé, mais il soutient que cela n’est pas pertinent. La Loi canadienne sur les droits de la personne reconnaît depuis longtemps que les règles qui s’appliquent à tous peuvent assurer une égalité formelle, mais être néanmoins discriminatoires lorsqu’elles ont pour effet (ou incidence) d’imposer un désavantage à un groupe particulier en raison de caractéristiques associées à ce groupe.

[54] Selon M. Priest, l’exigence minimale en matière d’études qui a été appliquée pour l’écarter du concours CO-03 est précisément une règle de ce type. Il affirme que la décision relative à la rétroaction individuelle doit être annulée parce que son gestionnaire n’a pas traité son allégation principale. Il souligne que la décision ne mentionne pas la discrimination par suite d’un effet préjudiciable et qu’il n’est pas clair si cette question a été abordée lorsque M. Kearney a communiqué avec les experts du CEDH. Au lieu de cela, la déclaration figurant dans la décision relative à la rétroaction individuelle, selon laquelle la politique relative aux exigences en matière d’études [traduction] « indique un niveau d’études requis et s’applique de la même manière à tous les candidats », démontre qu’ils ne se sont concentrés que sur l’égalité formelle.

[55] En ce qui concerne la demande de mesures d’adaptation, M. Priest soutient que la décision montre que le décideur n’a pas une bonne compréhension du terme tel qu’il est compris dans le contexte des droits de la personne. La décision indique ce qui suit : [traduction] « L’ARC prend des mesures d’adaptation pour tous les employés qui souhaitent améliorer leurs qualifications et leurs compétences grâce au programme d’aide à l’éducation et au congé d’études. » M. Priest allègue que l’ARC assimile l’adaptation à l’assistance qu’elle fournit à tous les employés. Elle ne reflète pas l’usage du terme dans la Loi canadienne sur les droits de la personne, où l’idée est que la réalisation de l’égalité réelle implique parfois des mesures spéciales pour remédier à une situation de désavantage subie par un individu en raison d’une caractéristique liée à un groupe.

[56] M. Priest soutient que la déclaration selon laquelle le [traduction] « conseiller du CEDH a confirmé que les exigences basées sur celles en matière d’études ne constituent pas une discrimination fondée sur l’âge » n’indique pas si son allégation d’effet préjudiciable a déjà été examinée et qu’elle n’est pas conforme à la jurisprudence qu’il a citée dans le passage suivant de sa demande de mesures d’adaptation :

[traduction]

En ce qui concerne la question du diplôme par rapport à l’âge, les arguments et la décision finale fournis par les affaires Homer vs the Chief Constable et Games vs University of Kent fournissent des conseils qui ont une correspondance directe. [Liens hypertextes omis.]

Aux États-Unis, l’affaire qui a établi le concept d’effet préjudiciable ou de discrimination systémique a déterminé que les études pouvaient être utilisées pour créer une barrière discriminatoire. Voir Griggs v Duke Energy [lien hypertexte omis]. Cette affaire est également en rapport direct avec l’utilisation des études pour créer une barrière limitant l’âge des candidats.

[57] Un résumé de ces décisions sera utile pour comprendre la nature de la demande de M. Priest sur cette question. Dans l’affaire Homer v Chief Constable of West Yorkshire Police, [2012] UKSC 15 [Homer], il s’agissait d’une plainte pour discrimination par suite d’un effet préjudiciable (appelée au Royaume-Uni discrimination « indirecte ») fondée sur l’âge, résultant de l’imposition d’exigences en matière d’études. M. Homer avait pris sa retraite des forces de police à l’âge de 51 ans et avait ensuite commencé à travailler dans une unité spécialisée qui fournissait des conseils juridiques et un soutien aux forces de police au Royaume-Uni. Il n’était pas avocat, mais a été engagé en raison de sa longue expérience du système de justice pénale. Au fil du temps, les exigences en matière d’études pour cette unité ont été renforcées et, vers la fin de sa carrière, M. Homer s’est vu refuser une promotion parce qu’il n’était pas titulaire d’un diplôme de droit. Sa plainte pour discrimination indirecte a été retenue, car il n’était pas réaliste d’attendre de lui qu’il obtienne un diplôme de droit à l’âge de 62 ans, étant donné qu’il serait contraint de prendre sa retraite à l’âge de 65 ans. La Cour suprême du Royaume-Uni a conclu que [traduction] « (a) une exigence qui entraîne un désavantage comparatif à l’égard d’une personne approchant de l’âge de la retraite obligatoire est indirectement discriminatoire en raison de l’âge » (Homer, au para 17).

[58] Dans l’affaire Games v University of Kent, [2015] IRLR 202, l’Employment Appeals Tribunal du Royaume-Uni a fait droit à une plainte selon laquelle l’exigence d’un doctorat pour les candidats à des postes de chargés de cours à temps plein à l’école d’architecture de l’université constituait une discrimination indirecte fondée sur l’âge. M. Games avait une grande expérience dans le domaine de l’architecture et avait été chargé de cours à l’université pendant de nombreuses années, mais il n’était pas titulaire d’un doctorat. Il a déclaré que, lorsqu’il était étudiant dans les années 1970, il était rare que les professeurs d’architecture soient titulaires d’un doctorat, car la plupart d’entre eux cherchaient à obtenir l’accréditation professionnelle dont ils avaient besoin pour pouvoir exercer leur métier plutôt que de poursuivre des études supérieures. Il a noté que, depuis qu’il a obtenu ses qualifications, le nombre de personnes obtenant un doctorat en architecture a augmenté de façon spectaculaire. Cette affirmation a été étayée par des éléments de preuve. Sur la base des principes établis dans l’affaire Homer, l’Employment Appeal Tribunal a estimé que cette règle constituait une discrimination indirecte.

[59] La dernière affaire citée par M. Priest est Griggs v Duke Power (1970), 401 US 424 [Griggs], qu’il qualifie à juste titre de la décision fondatrice du concept de discrimination par suite d’un effet préjudiciable. La Cour suprême des États-Unis a décrit le problème dans cette affaire de la manière suivante :

[traduction]

Nous avons accordé [l’autorisation d’interjeter appel] dans cette affaire pour régler la question de savoir si un employeur est interdit par la Civil Rights Act (loi sur les droits civils) de 1964, Titre VII, d’exiger un niveau d’études secondaires ou la réussite d’un test d’intelligence générale standardisé comme condition d’emploi ou de transfert à des postes lorsque (a) il est démontré que ni l’une ni l’autre de ces normes n’est liée de manière significative à la bonne exécution du travail, (b) les deux exigences ont pour effet de disqualifier [les Afro-Américains] à un taux substantiellement plus élevé que les candidats blancs, et (c) les emplois en question n’étaient auparavant occupés que par des employés blancs dans le cadre d’une pratique de longue date consistant à donner la préférence aux Blancs (Griggs, aux p 425-426).

[60] La Cour suprême des États-Unis a estimé que de telles règles pouvaient être contraires à la loi. Elle a décrit l’objectif de la Civil Rights Act :

[traduction]

Il s’agissait d’assurer l’égalité des chances en matière d’emploi et de supprimer les obstacles qui, par le passé, favorisaient un groupe identifiable d’employés blancs par rapport à d’autres employés. En vertu de la Loi, les pratiques, procédures ou tests neutres à première vue, et même neutres en ce qui concerne l’intention, ne peuvent pas être maintenus s’ils ont pour effet de « geler » le statu quo des pratiques discriminatoires antérieures en matière d’emploi (Griggs, aux p 429-430).

[61] Le tribunal a conclu que, bien que l’entreprise ait déclaré avoir adopté ces règles pour améliorer la qualité générale de la main-d’œuvre et sans intention de discrimination, cela n’atténuait pas sa responsabilité au titre de la Civil Rights Act :

[traduction]

[L]a bonne intention ou l’absence d’intention discriminatoire ne justifie pas les procédures d’emploi ou les mécanismes de test qui fonctionnent comme des « difficultés intégrées » pour les groupes minoritaires et qui ne sont pas liés à l’évaluation des capacités professionnelles (Griggs, à la p 432).

[62] Ce résumé explique pourquoi M. Priest a invoqué ces décisions pour étayer son allégation selon laquelle les règles minimales en matière d’études constituaient une discrimination par suite d’un effet préjudiciable fondée sur l’âge. Il affirme que le fait que la décision ne traite pas de cette allégation ou ne discute pas de ces affaires rend la décision déraisonnable, en soulignant la déclaration générale selon laquelle le conseiller du CEDH avait informé le gestionnaire responsable de l’embauche que [traduction] « les exigences basées sur celles en matière d’études ne constituent pas une discrimination fondée sur l’âge ».

[63] M. Priest fait valoir que la décision relative à la rétroaction individuelle n’a absolument pas tenu compte de son allégation de discrimination ni de sa demande de mesures d’adaptation. Il affirme que ces lacunes portent un coup fatal à la décision. Le gestionnaire responsable de l’embauche avait la possibilité de demander une dérogation aux exigences minimales en matière d’études, mais ne l’a pas fait, et M. Priest soutient que cela n’était pas raisonnable dans les circonstances, car il avait prouvé que la règle entraînait une discrimination fondée sur l’âge.

(4) Observations du défendeur

[64] Le défendeur soutient que la décision doit être lue dans son contexte, en tenant compte du caractère informel de la procédure et du fait que le processus de rétroaction individuelle fait partie d’un dialogue permanent entre le gestionnaire responsable de l’embauche et l’employé. En outre, le défendeur reconnaît que la décision ne contient pas de discussion formaliste des critères juridiques applicables, mais il fait valoir que cela n’est pas exigé par l’arrêt Vavilov. Il convient plutôt de se demander si la décision répond aux questions centrales soulevées par M. Priest, en fonction de la manière dont il a décrit sa plainte.

[65] Sur ce dernier point, le défendeur affirme que les documents montrent clairement que le problème de M. Priest était sa demande de mesures d’adaptation individuelles en vertu de la LCDP. Selon ces documents, la demande de rétroaction individuelle ne constituait pas une contestation plus générale de la norme minimale d’études, mais elle était plutôt axée sur les mesures qui permettraient à M. Priest de poser sa candidature au poste de CO-03. Le défendeur fait valoir que cet aspect est essentiel pour déterminer si la décision est raisonnable.

[66] En vertu de la LCDP, une demande de mesures d’adaptation exige que trois éléments soient établis : la personne doit présenter une caractéristique protégée (ce qui est incontesté en l’espèce, puisque l’âge est l’un des motifs énumérés); un effet préjudiciable doit avoir été subi (ce qui est également incontesté, puisque M. Priest a été écarté du concours); et il doit y avoir un lien entre la caractéristique protégée et l’effet préjudiciable. Le défendeur soutient qu’il s’agit là d’un point essentiel, car M. Kearney a estimé qu’il n’y avait pas de lien suffisant entre l’âge de M. Priest et son incapacité à satisfaire aux exigences en matière d’études.

[67] Le défendeur renvoie au témoignage de M. Kearney concernant les renseignements fournis par M. Priest dans le cadre de la discussion de rétroaction individuelle, qui montre que la seule preuve statistique qui a été produite est le graphique suivant :

  1. Qui est embauché

  2. Pourcentage d’embauches dans la fonction publique entre 20 et 34 ans

  3. Embauches à durée indéterminée

  4. Embauches à durée déterminée

  5. Selon l’Enquête sur la population active de 2016 de Statistique Canada, 31,1 % de la population active est âgée de 20 à 34 ans.

[68] Bien que les notes de M. Kearney concernant la réunion indiquent que M. Priest a discuté de la question plus générale de la discrimination fondée sur l’âge et des diplômes en informatique, il s’agit simplement d’allégations qui ne sont étayées par aucun élément de preuve. M. Priest avait la possibilité de présenter tous ses éléments de preuve à M. Kearney, mais il ne l’a pas fait. Le défendeur soutient qu’il était donc raisonnable pour M. Kearney de ne pas approfondir l’allégation de discrimination parce qu’elle n’était pas étayée par des éléments de preuve. Considérée dans le contexte de la décision – à savoir une discussion entre un gestionnaire et un employé – la décision répondait aux questions soulevées par M. Priest et satisfaisait aux exigences du caractère raisonnable.

[69] En réponse à l’argument de M. Priest selon lequel l’ARC a mal compris le sens du terme « mesures d’adaptation », le défendeur fait valoir deux points : (1) les mesures d’adaptation ne sont requises en vertu de la LCDP que lorsqu’un lien a été établi entre l’effet préjudiciable et le motif de distinction illicite, ce qui n’a pas été fait en l’espèce; et (2) le congé d’études payé est une forme de mesures d’adaptation pour les personnes dont l’expérience éducative antérieure a été affectée par leur expérience de la discrimination, car il s’agit d’un moyen de permettre à ces personnes de surmonter les « difficultés intégrées » qu’une norme d’études peut imposer. En outre, le défendeur souligne les politiques globales que l’ARC a adoptées en matière de harcèlement, de discrimination et d’adaptation, y compris l’adaptation des employés dans le cadre des processus d’embauche et de promotion.

[70] Enfin, le défendeur soutient que certaines des mesures correctives particulières proposées par M. Priest ne sont pas appropriées dans le cadre d’un contrôle judiciaire. En particulier, le défendeur soutient qu’il ne s’agit pas d’un cas de [traduction] « verdict imposé » ou d’une déclaration plus générale selon laquelle la norme d’études est discriminatoire. Si la décision est jugée déraisonnable, le défendeur soutient que le seul recours possible est de renvoyer l’affaire au décideur pour réexamen.

(5) Discussion

[71] Comme je l’ai mentionné précédemment, mon évaluation du caractère raisonnable de la décision relative à la rétroaction individuelle doit suivre plusieurs principes directeurs clés, notamment la prise en compte du contexte de la décision et le fait que la décision d’un gestionnaire concernant une demande de rétroaction individuelle ne doit pas être jugée insuffisante parce qu’elle ne ressemble pas à une décision rédigée par un avocat ou un juge.

[72] L’essentiel de ce qui est requis peut être décrit comme étant des « motifs adaptés aux questions et préoccupations soulevées ». Le premier élément est de savoir si les motifs traduisent les faits essentiels de l’affaire, à la lumière de la loi (ou, dans ce cas, de la politique) qui s’applique. Il s’agit de la « boîte » ou du « cadre » dans lequel la décision doit être prise. Une décision qui sort de ce cadre est susceptible d’être jugée déraisonnable.

[73] Le deuxième élément concerne le raisonnement de la décision, qui peut être considéré comme la carte dessinée à l’intérieur de cette boîte. Les motifs doivent démontrer comment le décideur est parvenu au résultat, en appliquant la loi aux faits et en expliquant le processus de raisonnement. Pour emprunter une expression, il doit être possible de « relier les points » de l’analyse, ou au moins de discerner la direction que prenaient les principaux points du raisonnement (voir la décision Komolafe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 431 citée avec approbation dans l’arrêt Vavilov, au para 97).

[74] L’application de ces orientations à l’espèce fait ressortir deux considérations contradictoires. Premièrement, l’argument du défendeur selon lequel la décision relative à la rétroaction individuelle doit être comprise en fonction de la manière dont M. Priest a formulé sa demande, et dans le contexte du caractère relativement informel de ce processus, est très convaincant. Je suis également d’accord avec le défendeur pour dire que la relation continue entre les parties est une considération importante.

[75] Sur ce point, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que l’absence d’analyse juridique formaliste sur les détails de la discrimination par suite d’un effet préjudiciable ou de l’obligation d’adaptation ne rend pas la décision déraisonnable. De même, il était raisonnable pour le gestionnaire d’omettre une discussion particulière sur la jurisprudence citée par M. Priest dans sa demande de mesures d’adaptation. La question clé est de savoir si la décision montre que le gestionnaire responsable de l’embauche s’est réellement penché sur l’essence de la plainte de M. Priest, puis a expliqué le raisonnement d’une manière qui montre pourquoi la décision de l’écarter n’a pas été annulée.

[76] Toutefois, après avoir pris en considération tous ces facteurs – et examiné la décision à la lumière de l’exigence des « motifs adaptés aux questions et préoccupations soulevées » – je trouve convaincant l’argument de M. Priest selon lequel la décision et le dossier sous-jacent n’indiquent pas que l’aspect le plus important de sa demande a été pris en considération, c’est-à-dire la question de savoir s’il a subi une discrimination par suite d’un effet préjudiciable fondée sur son âge lorsqu’il a été écarté du concours parce qu’il ne satisfaisait pas à l’exigence minimale en matière d’études. Sur ce point, l’argument du défendeur concernant l’examen de la décision à la lumière de la relation continue entre M. Priest et M. Kearney prend un nouvel éclairage.

[77] Les notes prises par M. Kearney pendant la réunion de rétroaction individuelle sont instructives. Les notes commencent par énumérer les questions soulevées par M. Priest, notamment les suivantes : [traduction] « (l)e comité [de dotation] est invité à modifier l’APE afin d’utiliser le libellé [Informatique] pour le personnel informatique, comme cela a été demandé dans la demande de mesures d’adaptation, et d’inclure M. Priest dans le bassin de candidats ». Cela prouve qu’un élément important de la demande de M. Priest a été correctement décrit avant la réunion de rétroaction individuelle.

[78] Les notes comprennent également des [traduction] « notes préalables à la réunion » vraisemblablement préparées par M. Kearney avant la discussion pour rappeler certains éléments clés. Cette section fait référence à la norme minimale en matière d’études pour les postes CO-03 et précise que si les postes CO requièrent [traduction] « au minimum une maîtrise ou, pour l’ingénierie ou l’informatique, une licence avec l’expérience requise », les postes CS requièrent simplement [traduction] « un diplôme en informatique, ou tout autre diplôme et 3 ans d’expérience dans le domaine de l’informatique ». Cela indique qu’un élément clé de l’argumentation de M. Priest a également été compris; il a constamment comparé les exigences en matière d’études pour les postes CO et CS, et a fait valoir que la souplesse reflétée dans la norme CS devrait lui être appliquée.

[79] En ce qui concerne le lien entre l’âge et les études, les notes indiquent ce qui suit :

[traduction]

[M. Priest] a fourni un historique détaillé des diplômes en informatique. Il a indiqué que Mcmaster n’avait pas de programme d’informatique lorsqu’il a obtenu son diplôme, et a expliqué que Waterloo n’avait pas délivré de diplôme d’informatique avant 2002. Il a discuté des pratiques de l’industrie, notamment de l’expérience plutôt que des diplômes, parce que le diplôme n’existait pas. Il a fait remarquer que l’informatique n’est pas réglementée par une profession comme la comptabilité ou l’ingénierie. Discussion sur la discrimination généralisée fondée sur l’âge dans le secteur de l’informatique. Il a décrit une entrevue qu’il avait eue il y a plusieurs années et au cours de laquelle on l’avait interrogé sur la « désexpérience ». Il a expliqué que ce terme était utilisé pour désigner une ancienne formation qu’il faudrait désapprendre pour comprendre des concepts tels que la POO au lieu de la programmation linéaire. (l’orthographe est celle de l’original)

[80] En outre, les notes montrent que M. Priest a fait référence aux affaires qu’il avait citées et a expliqué comment il pensait qu’elles s’appliquaient à sa situation :

[traduction]

Chris a discuté de la nécessité de prendre des mesures d’adaptation en cas de discrimination afin d’éviter les barrières artificielles. Il m’a demandé si j’avais examiné la jurisprudence qu’il avait fournie et a fait référence à l’affaire américaine qui indiquait qu’un critère d’études fixe pouvait constituer une discrimination fondée sur la race. Il a en outre résumé que l’exigence voulant qu’un candidat soit récemment diplômé constitue un exemple de processus discriminatoire en fonction de l’âge. Il a demandé combien de personnes de moins de 60 ans étaient diplômées en informatique et combien de personnes de moins de 30 ans travaillaient dans l’industrie du logiciel.

J’ai indiqué que les affaires traitaient des faits propres à chacune. Par exemple, l’idée d’exiger un diplômé récent n’est pas la même que celle d’exiger un diplôme.

[81] D’autres éléments de preuve concernant la nature et la particularité de la demande de M. Priest ont été résumés plus haut; il s’agit notamment de sa lettre de candidature, de sa demande de mesures d’adaptation et de sa demande de rétroaction individuelle. Tous ces éléments sont cohérents en ce sens qu’ils exposent ses préoccupations concernant l’effet préjudiciable de la norme d’études et qu’ils indiquent clairement que ces préoccupations sont fondées sur sa plainte pour discrimination fondée sur l’âge en vertu de la LCDP.

[82] Ces références sont importantes, car elles soulignent deux choses : premièrement, M. Priest avait avancé un argument précis et détaillé sur la manière dont l’exigence en matière d’études était discriminatoire à son égard en raison de son âge, ainsi qu’une demande particulière de mesures d’adaptation pour le soustraire à l’incidence de cette règle; deuxièmement, il ne s’agissait pas du type habituel de discussion de rétroaction individuelle.

[83] Compte tenu de tous ces éléments, et malgré les arguments convaincants de l’avocate du défendeur, je ne peux pas conclure que la décision est raisonnable. Compte tenu de la grande déférence qui est due au gestionnaire responsable de l’embauche dans cette situation, et de l’approche relativement souple du réexamen de la décision, je conclus que les motifs ne satisfont pas à l’exigence minimale des « motifs adaptés aux questions et préoccupations soulevées » établie par l’arrêt Vavilov.

[84] Je n’accepte pas l’explication du défendeur selon laquelle le gestionnaire responsable de l’embauche a implicitement conclu que M. Priest n’avait pas démontré l’existence d’un lien entre son âge et l’exigence en matière d’études et qu’il n’avait donc pas établi l’existence d’une discrimination par suite d’un effet préjudiciable. À mon avis, le défendeur demande à la Cour d’interpréter trop largement la décision. Les notes de la décision relative à la rétroaction individuelle, ainsi que les éléments de preuve concernant des discussions antérieures et un grief antérieur que M. Priest avait déposé auprès de M. Kearney, ne sont pas compatibles avec cette conclusion.

[85] Cela ne veut pas dire que j’accepte l’affirmation de M. Priest selon laquelle la règle équivaut à une discrimination par suite d’un effet préjudiciable. Ce n’est pas mon rôle, et je souligne ici que cette décision ne doit pas être interprétée comme reposant sur une telle conclusion. Au contraire, à la lumière des éléments de preuve concernant la nature détaillée de la demande de M. Priest et de la discussion particulière qui figure dans les notes de la réunion de rétroaction individuelle, je ne suis pas convaincu que la décision repose sur une conclusion implicite d’absence de lien entre le motif de distinction illicite et l’effet préjudiciable. Si tel était le fondement de la décision, il devait être énoncé en termes plus clairs, à la fois pour expliquer le résultat et pour démontrer que les arguments et les éléments de preuve de M. Priest ont été examinés.

[86] En outre, je conclus que la référence dans la décision au fait que l’exigence en matière d’études n’est pas discriminatoire et qu’elle a été appliquée à tous les employés au niveau CO-03 ne permet pas d’affirmer que le concept de discrimination par suite d’un effet préjudiciable – qui est au cœur de la plainte de M. Priest – a réellement été pris en compte par le décideur.

[87] Il convient de répéter que l’arrêt Vavilov enseigne que le contrôle selon la norme de la décision raisonnable met avant tout l’accent sur les motifs de la décision, et cela s’applique aussi bien au contexte judiciaire ou quasi judiciaire qu’au contexte administratif. Parmi les nombreuses fonctions relatives aux motifs dans la prise de décision, l’arrêt Vavilov souligne l’importance de justifier le résultat auprès des parties concernées (para 79), d’inciter les décideurs administratifs à étudier soigneusement leur propre raisonnement et à mieux formuler leur analyse (para 80), et de favoriser le contrôle judiciaire en mettant en lumière la justification de la décision (para 81).

[88] L’application de ces considérations conduit à la conclusion que la décision en l’espèce n’est pas raisonnable. Bien qu’une discussion formaliste ou légaliste de la plainte de M. Priest ne soit pas nécessaire, la décision, renforcée par le dossier, devait démontrer que le gestionnaire responsable de l’embauche avait pris en considération son allégation de discrimination par suite d’un effet préjudiciable fondée sur l’âge et avait examiné sa demande de mesures d’adaptation pour éliminer le traitement injuste. Si les éléments de preuve de la discrimination ont été jugés inexistants ou insuffisants, il convient de le préciser. Au lieu de cela, la décision mentionne que la règle a été appliquée à tout le monde et répète la déclaration générale attribuée à l’expert du CEDH selon laquelle les règles en matière d’études ne constituent pas une discrimination fondée sur l’âge. Cela ne justifie pas le résultat, comme l’exige l’arrêt Vavilov.

[89] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que la décision est déraisonnable. Cette conclusion est fondée sur les faits particuliers de l’espèce, et toute contestation future d’une décision relative à une rétroaction individuelle reposera sur les faits particuliers de ces circonstances. J’insiste sur le fait que la présente décision ne doit pas être comprise comme imposant une norme élevée pour de telles décisions; dans la plupart des cas, un résumé de la discussion et une indication des motifs pour lesquels le résultat a été atteint suffiront. Il convient de répéter qu’il s’agissait d’une situation inhabituelle en raison de la manière dont M. Priest a formulé et expliqué ses arguments, ce qui nécessitait une explication détaillée et précise du résultat.

[90] La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision relative à la rétroaction individuelle est annulée et l’affaire est renvoyée pour réexamen.

[91] En renvoyant l’affaire, et en reconnaissant le passage du temps, je voudrais simplement souligner l’exigence fondamentale – un responsable à l’ARC doit examiner la plainte de M. Priest selon laquelle il a subi une discrimination par suite d’un effet préjudiciable fondée sur son âge, en étant écarté du concours pour le poste CO-03 parce qu’il ne satisfaisait pas aux exigences en matière d’études. Si cette affirmation est acceptée, la question de savoir comment prendre des mesures d’adaptation à l’égard de M. Priest, et si une autre réparation est nécessaire, devra être examinée par l’ARC, à la lumière de toutes les circonstances, des demandes de M. Priest, et de la jurisprudence pertinente sur ces questions.

[92] M. Priest s’est représenté lui-même et n’a pas sollicité de dépens, de sorte qu’aucuns dépens ne sont adjugés.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-234-21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision relative à la rétroaction individuelle est annulée et l’affaire est renvoyée pour réexamen, d’une manière compatible avec les motifs.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« William F. Pentney »

Juge

Traduction certifiée conforme

C. Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-234-21

INTITULÉ :

PRIEST c CANADA (LE PROCUREUR GÉNÉRAL)

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 25 janvier 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge PENTNEY

DATE DES MOTIFS :

Le 22 novembre 2022

COMPARUTIONS :

Christopher Priest

Pour le demandeur

Amanda Bergmann

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Christopher Priest

Pour son propre compte

Pour le demandeur

Groupe du droit du travail et de l’emploi

Ministère de la Justice

Ottawa (Ontario)

Pour le défendeur

 

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